Jetant un coup d'oeil à ma montre, je lâche un soupir d'énervement. Pourquoi suis-je venu autant tôt pour ce foutu casting ? Car contrairement à mes habitues, où j'arrive toujours au dernier moment à tout rendez-vous, je me suis dis qu'une fois de temps en temps se pointer à l'avance ne me ferait pas de mal. Et surtout qu'arriver en retard à un casting revenait à ne même pas avoir une chance de faire partie de l'aventure. Voilà ce qui expliquait les trois heures qu'il me restait à passer dans ces coulisses, à ne pas vraiment savoir quoi faire. Bon d'autres candidats se trouvaient déjà dans le coin, fouinant à gauche à droite histoire de visiter les lieux. Mais pour l'instant j'avais juste envie de me poser après de nombreuses heures de train et une bonne heure de perdue à trouver le chemin pour cet endroit. Ce n'est que plus tard que je me suis dis que j'aurais dû prendre un taxi, tiens. La prochaine fois. Quoiqu'il en soit la pièce dans laquelle je me trouvais, le coin détente, se montrait agréablement chaleureux. Je fus notamment attiré par le coin gauche : on y trouvait beaucoup de canapés ainsi que de grands coussins invitant au farniente.

Posant ma valise contre le mur, je me laisse tomber en soupirant sur un coussin aux tons oranges. M'étirant, j'entend ma colonne vertébrale craquer sous l'effort. Puis je remarque que pas loin il y a un type plutôt ... bizarre, mais qu'après quelques secondes d'observation je trouve plutôt cool : il semble tatoué de la tête aux pieds ! Espérant qu'il ne s'agisse pas d'un de ces types préférant rester dans son coin, je tente la conversation. « Salut. T'as déjà passé l'audition ? » Car autant ne pas se voiler la face, tout le monde se trouvait ici pour ça. Après tout dépendait du planning, et je voyais même des gens aux mines dépitées, sentant sans doute leur audition mal-entamée. Moi-même ne sachant pas combien de temps je resterais là, autant en profiter pour faire connaissance avec les candidats déjà présents, en apprendre plus sur eux, passer du temps en bonne compagnie. Toujours mieux que de s'isoler dans un coin à stresser sur le moment fatidique où on se retrouve devant le jury. Comme pour illustrer mes pensées, je regarde l'inconnu tatoué en souriant, attendant sa réponse.

J'étais ici depuis longtemps maintenant, je regardais les gens, les lieux ma montre... J'avais fait quelques rencontres, toute assez sympathiques, mais rien de bien miraculeux... C'était le début d'aprem, si l'heure marqué sur ma convocation était juste, il ne me resterait que quelques heures à attendre. Des morceaux de temps à tuer, en faisant la seule chose possible ici, parler avec des personnages tous plus différents les uns des autres, mais qui ont tous un certain intérêt... Ils ne seraient pas présents en ces lieux dans le cas contraire... Justement en parlant des autres postulants, c'est à ce moment précis qu'un jeune homme à l'accent des pays de l'est plutôt très prononcé me demanda si j'avais déjà passé les castings. Je sursautais, ne m'attendant pas à ce que l'on m'adresse la parole. Polis par nature, je me devais de lui répondre en plus j'avais rien d'autre à faire, je lui souriais donc et me lançais...

Salut...
Je la passe ce soir et toi ?

J'avais pas l'habitude de tutoyer des inconnus, mais bon je faisais comme lui... J'avais pas envie de passer pour un vieux con ronchon, pas tout de suite en tout cas... Me rendant compte que je ne m'étais même pas présenté, je décidais de rattraper la méprise :

Au fait, je suis Icare et toi ?

Je ne savais quoi dire de plus, ce gamin je ne le connaissais pas... Je venais tout juste de le rencontrer. Peut-être qu'à l'avenir les sujets de conversation seraient plus nombreux... Ce qui n'était pas le cas à ce moment-là.

« Salut ... je la passe ce soir et toi ? » Ce soir ? Bon bah ça voulait que comme moi ce tatoué avait préféré venir bien plus tôt aux coulisses, ne serait-ce que pour s'imprégner un peu de l'ambiance des dernières épreuves de sélection ? Bon cet inconnu ne semblait pas spécialement enchanté par ma venue, peut-être ne s'attendant pas à être abordé par quelqu'un qu'il ne connaissait absolument pas ? « Au fait, je suis Icare et toi ? » D'accord, j'avais peut-être sauté les étapes en débarquant comme ça et en l'interrogeant directement sur ses auditions, mais je n'étais pas spécialement connu comme quelqu'un ayant beaucoup de tact. Icare ... Icare ... c'était pas un type de la mythologie grecque, celui ayant volé trop prêt du soleil avec des ailes en cire et s'étant écrasé et noyé dans la mer ? Enfin bon, un détail, mais c'était la première fois que je croisais quelqu'un avec ce prénom. « Moi c'est Alexander. » Prenant place plus confortablement sur le coussin, je regarde rapidement ma montre, pour m'assurer de ce que j'allais balancer. « Dans trois heures je passe, mais je suis peut-être venu un peu tôt. » Et comment ! Cela faisait beaucoup de temps à rester là, à ne rien faire de spécial. Cela expliquait la liberté avec laquelle j'allais vers les gens : quitte à rester dans les coulisses tout ce temps, autant en profiter pour faire connaissance avec ceux allant peut-être se retrouver ensemble dans le jeu. Bon encore fallait-il être sélectionné, mais c'était là un autre sujet. « Et tu viens d'où ? »

Son accent était charmant, ses manières un peu enfantine, tout chez ce jeune garçon rimait avec le mot innocence. Il y avait peut-être quelque petite chose, des ombres au tableau, qui le rendait mystérieux. Un ange avec un voile d'ombre se mêlant discrètement avec la lumière de son aura, voilà ce qu'il était à mes yeux. Son prénom, Alexander, ne faisait que renforcé cette impression. Petit sourire en coin et voilà qu'une remarque effleura la commissure de mes lèvres :

Ton nom est à consonance germanique, tu as un accent des pays de l'est. Tu es allemand ? Russe Ukrainien ? Bulgare ou roumain ? Quelle est ta nationalité ?

J'avais balancé cela d'une traite, ma curiosité étant profondément titillée par ce singulier personnage et ses manières. En premier lieu sa ponctualité, chose, vu son impatience, à laquelle il ne devait pas être habitué. Je rigolais à sa remarque concernant les trois heures d'attentes :

Je te rassure, c'est la même chose pour moi. Enfin, je passe dans2h45, mais bon c'est du pareil au même.

Bref sourire, bref regard en coin avant de poursuivre :

Sinon, je suis parisien et toi ?

Je ne précisais pas où Paris ce situais, ce jeune garçon semblait assez cultivé pour le savoir. De toutes manières, ceci n'était qu'un détail sans importance, une virgule dans mon histoire dont les quelques heures passées ici allaient noircir la première page d'un nouveau chapitre de mon existence.

L'inconnu me regarde, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres, même elles légèrement tatouées. « Ton nom est à consonance germanique, tu as un accent des pays de l'est. Tu es allemand ? Russe Ukrainien ? Bulgare ou roumain ? Quelle est ta nationalité ? » C'est donc ça qu'il trouve amusant ? J'hausse les épaules, esquissant à mon tour un sourire : il ne doit pas avoir l'habitude de croiser beaucoup de gens venant de la profonde Roumanie. Après tout que viendrions-nous faire à Dublin, une ville si lointaine ? Ne me laissant pas vraiment le temps de répondre, le tatoué enchaîne sur le thème des auditions, chose pour quoi tous les présents dans les coulisses se trouvaient ici. « Je te rassure, c'est la même chose pour moi. Enfin, je passe dans 2h45, mais bon c'est du pareil au même. » Cette fois c'est mon sourcil qui se hausse de surprise : ce type passe juste avant moi, et je me demande si c'est une bonne chose ou pas. Avec la peau dessinée de partout, il possède sans doute un fort caractère, et puis il a l'air plutôt cool. Donc ses chances d'être sélectionné pour la suite du jeu se révélaient plutôt hautes. Et je passe juste après lui ... bref, je dois pas penser comme ça. Rejetant ces sombres idées, je me concentre sur ce qu'il raconte. « Sinon, je suis parisien et toi ? » C'était donc ça ce léger accent qu'il me semblait desceller en lui, tout en n'étant pas réellement sûr ? Paris, Paris ... je n'y suis jamais allé, bien que je me sois toujours senti attiré par la silhouette de la tour Eiffel, cette pointe dirigée vers le ciel gris de la France. Un jour j'irais là-bas. « Oui tu as deviné juste, Roumanie. J'ai passé mon enfance à Bucarest. » Même si, à vrai dire, je devais compter parmi les plus jeunes à passer l'audition, cela faisait un moment que je ne me considérais plus comme un enfant, au contraire. Un jeune adulte plutôt. « Paris ? J'ai toujours rêvé d'aller là-bas, à la tour Eiffel. » Classique, ce monument comptait sans aucun doute parmi les plus visités de la capitale de l'Hexagone. Mais qu'y voulez-vous, j'aimerais un jour me poster au dernier étage, admirer la vue, me sentir si haut qu'il suffirait de quelques pas pour pouvoir voler, me sentir libre. De belles paroles hein ? Celles d'un rêveur, sans aucun doute. « C'est ... c'est là-bas que tu as fais tous ces tatouages ? » Loin de moi l'idée de le critiquer ou de le juger, mais de toute façon il doit être habitué à ce que l'on le questionne sur ses peintures. Mais plutôt que de lui demander pourquoi il avait ça, chacun avait ses raisons, je cherche seulement à en apprendre un peu plus sur lui.

Moi qui pensais ne parler avec personne lors de ces castings, venir, faire ce que j'avais à faire et repartir... Je m'étais trompé... Étrangement, j'avais eu envie de connaître un peu mieux les autres postulants et pour l'instant je n'avais que très très peu de « mauvaises » rencontres. La plupart des personnes présentes ici étaient agréables, à l'image d'Alexander. Ce petit gars, roumain comme je l'avais si bien deviné, était intelligent, un brin mystérieux, un candidat de choix pour la production. Il m'expliqua qu'il avait grandi à Bucarest et qu'il rêvait de visiter Paris, la tour Eiffel. Ce cliché me fit sourire, c'était touchant de voir ce gosse rêvé de la dame de fer, comme moi je rêvais de destination lointaine, de vol éternelle aux côtés des plus oiseaux présents sur cette Terre. Le mérite de ces rêves c'est qu'il étaient plus réalistes que les miens. Pour l'accompagner dans ce désir de visite, je lui proposais un petit jeu :

J'ai une idée, raconte-moi Bucarest, ton enfance ? Je te raconterai ma vie, Paris, la tour Eiffel...

C'était une manière ludique d'en apprendre plus sur lui, sur son passé. À sa question suivante sur mes tatouages, je ne fut guère surpris. Toute les personnes que j'avais croisé m'avais à un moment donné questionné dessus. Malgré tout, j'étais resté très vague afin de ne pas me dévoiler alors que le jeu n'avait pas encore commencé. D'une façon habile, je tentais donc de détourner la question :

Oui c'est bien à Paris que je me suis fait faire tout ça, dans le salon d'un ami tatoueur...

Je n'avais pas besoin de dire que la plupart de ces tatouages étaient des cadeaux, gravé gratuitement sur ma peau. J'étais un peu comme une vitrine professionnel pour mon pote et son art, ainsi voir la fréquentation de son salon croître me rendait heureux. C'était la concrétisation d'une longue collaboration qui n'était pas prêt de s'arrêter.