w/ hadrienJe n'ai pas l'âme d'un musicien. Ou même d'un artiste en général. Je ne suis doté d'aucun talent incroyable. Ou alors, ça serait simplement savoir me ridiculiser ou bien procrastiner, ce qui n'est en rien positif. Malgré tout ça, j'ai eu l'envie aussi soudaine qu'inattendue de me rendre dans cette fameuse salle de musique et de contempler tous les instruments s'y trouvant. Si je n'avais pas eu deux mains gauches, j'aurais peut-être pu apprendre une telle chose. Bien sûr, j'ai cette petite voix dans la tête qui se fout pas mal de moi devant une telle idée. Je ne suis pas doué, c'est tout, autant ne pas se voiler la face. J'écrase mon doigt contre une touche du piano, une note aiguë retentit. Ça doit être sympa de savoir manier un tel instrument. Je ne peux pas m'empêcher d'être impressionné lorsque quelqu'un sait en jouer. De même pour tous les instruments présents dans cette pièce, à vrai dire. Je ne me sens pas vraiment à ma place, ici, entouré par tout cet univers. Dans le fond, ça ne fait que me rappeler que je ne suis doué pour rien, que je suis de ceux-là, de ceux qui ne feront jamais rien de leur vie. J'en soupire.

Perché sur le balcon, j'observe d'un air distrait les feuilles et les bourgeons qui s'étalent à perte de vue et viennent égayer les troncs des arbres. C'est drôle. Chez moi, tout l'inverse est en train de se produire. Le temps se refroidit, les feuilles jaunissent sur leurs branches jusqu'à tomber et craqueler sous les pas des passants, jusqu'à se désagréger et laisser place à la neige. Fasciné, je ne peux détacher mon regard des feuillages, sans parvenir à réellement me figurer que deux endroits pourtant d'une même Terre puissent être à ce point aux antipodes l'un de l'autre. Là, tout de suite, je suis littéralement à l'autre bout du monde. Et comme un gosse, je reste là un bon moment, sans même me rendre compte que j'ai terminé ma cigarette depuis longtemps, déjà. Ce n'est que la brutale interruption de mon morceau qui me ramène à la réalité sans la moindre pitié. Sourcils froncés, frustré d'être ainsi coupé dans mes réflexions, je note mon manque total de prévoyance se traduisant ici par une batterie à plat. Rabattant mécaniquement mon casque sur mes épaules, je fourre les mains dans mes poches et rentre pour déambuler sur quelques mètres dans les couloirs. Je sais précisément où je vais mais je finis toujours par m'égarer à un moment où à un autre, simplement pour le plaisir de errer en réfléchissant. Je passe finalement la porte de la salle de musique et mon regard se pose instantanément sur la silhouette brune d'un candidat en lequel je reconnais Noah. « Musicien ? » je m'enquiers, curieux. J'ai cru comprendre qu'on avait quelques mains talentueuses parmi les candidats. Ce qui me réjouit, à vrai dire, puisque je suis friand de musique. Non, en fait non. Je suis sincèrement, sérieusement et pathologiquement accro à la musique. C'est déjà plus proche de la réalité. Aussi, la salle de musique est l'un de mes lieux préférés parmi tous, et j'aime y traîner, ne serait-ce que pour me plonger avidement dans la collection de CDs. Pas forcément pour jouer, même si je donnerais beaucoup pour pouvoir m'asseoir face à l'un des instruments avec la certitude de pouvoir en user avec talent. « Ou tu es venu t'entraîner en secret, peut-être ? » j'ajoute, en posant le regard sur le piano, près duquel il se tient, puis sur le reste, la harpe, la guitare, le violon. On a de quoi faire un sacré orchestre, ici. Même les candidats lambdas ne possédant pas de réel don pour la musique pourraient se laisser tenter. La preuve, malgré mes rudiments de piano, chacun d'entre eux me fait de l’œil. « Promis, je ne me moque pas si t'es nul. » Et je souris, l'air amusé. Parole d'homme. Et avec moi, une promesse, même la plus insignifiante, est une promesse, et je tiens toujours mes promesses.

Musicien, non, je ne le suis pas. Je secoue la tête lorsque Hadrien me pose la question. Il a débarqué, comme ça, sans prévenir et m'a fait sursauter. Je suppose qu'avoir de la compagnie n'est pas la pire chose qui pourrait m'arriver. Je dois m'habituer à ce monde, à cette petite foule qui partage ce nid avec moi. Quand j'y pense, c'est bizarre. Je partage mon quotidien avec des inconnus, des gens que je connais seulement depuis plus d'une semaine. Et ça se passe relativement bien jusque-là. Incroyable. Hadrien reprend, me pose une nouvelle question. Je ne suis pas là pour m'entraîner non plus, bien trop impressionné par tout cet univers pour oser. "Non plus." Je ne suis là pour rien de tout ça. Je réalise que ma venue dans cette pièce était futile et sans grand intérêt. Juste passer pour admirer les instruments, c'est bête. Je suis bête. Il ajoute qu'il ne se moquera pas si je suis nul. Je ne compte pas lui laisser une occasion de se moquer, de toute façon. Je vais m'éviter un embarras en plus. "Je ne vais pas te laisser l'occasion de rire à mes dépends, je vais nous éviter ça." Je suis tellement nul qu'il pourrait presque en être gêné, j'en suis persuadé. "Je te retourne les questions, cela dit. T'es musicien ? Ou  tu aimes juste faire comme si ? " Ou autre. Je ne sais pas, je ne peux pas savoir, je ne le connais pas. Cela dit, ça me semble important de détourner la conversation et de l'interroger avant que la discussion ne tourne trop autour de moi ou que, pire encore, il ose me demander de lui montrer mon niveau.

Donc Noah ne fait pas partie de la clique de musiciens qu'on nous a trouvée. Vraiment pas, vu comme il insiste. Il ne semble même pas désireux de tester l'un des instruments. C'est drôle, parce que personnellement, dès que j'en vois un, j'ai la furieuse envie de faire tinter quelques notes, juste pour voir, pour connaître la sensation, même si c'est la première fois que je touche l'instrument en question. Je hoche les épaules lorsqu'il esquive largement la petite démonstration au piano, peu désireux de le forcer, avant de détourner le regard vers le foutoir d'instruments qui s'offre à nous. « J'ai appris un peu de piano, il fut un temps » je confesse avec un sourire désabusé. Il y a très, très, très longtemps. J'étais gamin. Ça remonte, donc. Bon, pas tant que ça, c'est vrai, je n'ai que vingt-sept ans, mais en terme de talent et d'entraînement, c'est trop lointain que pour qu'il me reste réellement quelque chose à entretenir et dont être fier. Je dois encore connaître deux ou trois trucs, dont des morceaux que je m'étais amusé à apprendre pour le plaisir, mais pas plus. Et plus que ça, ça me semble dater d'une éternité. Bref, en définitive, je ne dois pas être bien plus efficace sur un clavier de piano que lui. « Mais je suis surtout là pour ça » j'indice donc, en levant la main et pointant le mur orné de dizaines et de dizaines de boites de cds puis la radio. Il y a bien le tourne-disque qui me fait de l’œil, aussi, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de me mettre en quête de la collection de vinyles. Principalement parce qu'il faut que la pièce me soit entièrement destinée pour que je puisse écouter de la musique à mon aise. Devoir partager le temps disponible sur la radio, non merci. J'ai toujours eu horreur de ça. Je suis un tyran de la musique, je sais, je suis assez mature pour reconnaître ça. Mais j'aime tellement ça que j'ai toujours eu du mal à la partager avec quelqu'un. C'est quelque chose de bien trop intime, pour moi. Je n'aurais sans doute pas pu être musicien, par exemple. « J'ai compris que cette pièce serait ma préférée quand j'ai trouvé un album de Léo Ferré. » Pour ne citer que celui-là. J'ai eu peur, au début, que la discographie mise à notre disposition ne soit composée que de daubes comme il en sort tous les jours à notre époque, mais non. Il y a de tout, vraiment, et largement de quoi me satisfaite. « Tu nous choisis un truc ? » je lui propose alors, principalement parce que je suis curieux de voir quel cd, quel artiste il va sélectionner. Les goûts musicaux sont un bon vecteur de prise de contact. Ils en disent souvent long sur la personnalité de la personne, sur ce qu'il aime.