Ghika crève d'envie depuis qu'il est arrivé d'explorer la cave. Pourquoi ? Parce que c'est un endroit secret, un peu sordide, chargé d'histoire et potentiellement de très bon vin. Et si les trois premières caractéristiques l'ont attiré dès le départ, c'est la possibilité de trouver une bonne bouteille, un grand cru, qui a fini par le convaincre de tenter l'expérience malgré le danger qu'il encourt à traîner dans les quartiers du double maléfique de Cupidon. Mais, parce qu'il veut être sûr de profiter au maximum de la bouteille, il Ghika est descendu tout seul dans l'antre de ce démon. Enfin, c'est qu'il pensait, parce qu'un bruit vient de résonner derrière lui, lui tirant un petit cri suraigu. Pas vraiment le meilleur jour pour sa virilité. Se repérant dans le noir grâce à la lumière de l'écran de son iPad, Ghika allume le flash -qui sert de lampe torche de fortune- en direction du bruit. C'est face à un candidat qu'il se retrouve. Il le reconnaît, il a depuis plusieurs jours maintenant retenu les noms de tous le monde. « Putain, tu m'as foutu une de ces trouilles Mallaury ! » crie-t-il malgré lui avant de se mettre à rigoler nerveusement. Il est un peu pathétique mais il vient de vivre un tel ascenseur émotionnel qu'il s'en fiche un peu.

Ghika ne comprend pas qu'on ne comprenne pas la technologie, en bon homme de son siècle, il est complètement accro à tout ce qui se rapproche de l'idée de progrès et en particulier, tous ces trucs et ces bidules, ou encore ces machins comme les appelle Mallaury. Il a une sorte de fascination, parfois un peu obsessive, pour les capacités infinies d'objets de plus en plus petits. « Ipad, ça s'appelle un iPad et tu devrais pouvoir l'allumer en appuyant sur le bouton power qui se trouve juste là. » explique Ghika, d'une voix relativement calme quoiqu'un peu amusée par le manque de complexité de la manœuvre à ses yeux. Il montre aussi le bouton à Mallaury, histoire d'illustrer ses dires. [color=teal]« Enfin, j'te montrerai comment faire, tu vas devenir accro j'parie. »v Enfin, ça c'est un pari qu'il n'est pas sûr de pouvoir gagner. C'est irrationnel de parier sur quelque chose quand on ne connaît absolument pas le caractère de la personne sur qui on fonde le pari. « Tu me suis pendant que je cherche une bonne bouteille de blanc ? » demande Ghika sans vraiment attendre la réponse de Mallaury pour se remettre à la recherche de grand cru. « J'te conseille de suivre le mouvement sinon on sait pas trop quand je repasserai dans le coin et tu n'as pas l'air d'avoir de quoi te retrouver dans le noir, alors, hop hop ! Une, deux ! » lance Ghika déjà à quelques pas de Mallaury à éclairer le réseau la pièce un peu inquiétante. Parler dans le noir le rassure, il ne sait pas pourquoi, il n'a pourtant jamais eu peur du noir. Mais il est prouvé qu'occuper son esprit dans une situation angoissante permet de calmer les nerfs. « Il y a une application qui me permet de revenir sur mes pas, si tu veux pas bouger en fait, je devrais pouvoir te retrouver en faisant le chemin en sens inverse. » précise Ghika au cas où Mallaury ne serait pas d'humeur à une bonne quête au vin.

Ghika commence à comprendre pourquoi Mallaury a plu à Clémentine. Bon il doit reconnaître qu'il n'a pas l'air d'être le compagnon de soirée le plus fou qui soit, mais il y a quelque chose de relativement attachant et de doux chez lui. Une vague impression de sagesse et de réflexion se cache dans le corps de ce jeune homme. Des qualités que Ghika apprécie au-delà de beaucoup d'autres. Il est clair à ses yeux que Mallaury ne sera jamais son meilleur ami, parce qu'ils sont très différents et que Ghika a besoin de trouver certains points de concordance avec ses plus proches amis. Mais il n'a pas trop de doute quant au fait qu'ils pourraient s'entendre. La question sur la quantité d'application que contient l'iPad le fait sourire. Wow, il n'a vraiment aucune idée de ce que la technologie peut faire ? Il a clairement un train de retard sur le progrès, Ghika imagine Mallaury avec un vieux Nokia 3310 dans les mains, et n'ayant jamais touché un smartphone. « Dans ceux qu'on nous a filé non, mais dans mon téléphone personnel, je dois en avoir plus d'une centaine. Et cette petite bête que je tiens entre mes mains a la capacité d'en contenir beaucoup plus. » explique-t-il vraiment amusé par la tournure de cette conversation dans le noir. Quand Mallaury exprime encore une fois sa curiosité, Ghika ne peut pas s'empêcher de rire, un rire sincère et amusé. « Tout et n'importe quoi, je sais pas. Mais tu peux mettre des jeux vidéos, des guides touristiques, des logiciels pour t'entraîner, surveiller ton poids. Cite-moi un truc essentiel que tu voudrais voir dans ton iPad et je te dirais si ça existe, enfin, dans la mesure de mes connaissances. » répond-il avant d'orienter la lampe intégrée à l'outil technologique vers un mur de la pièce. Il continue de marcher, suivi de près par Mallaury quand une idée lui traverse l'esprit. « Tu sais qu'il existe des restaurants qui organisent des dîners dans le noir. Il paraît que ça force à se concentrer sur les autres sens et qu'on apprécie plus ce que l'on mange qu'en temps normal. On devrait faire ça un soir ou un midi il fait toujours noir dans ce trou. » finit-il par plaisanter.

Mallaury n'est pas très surprenant, ce qui est à la fois un peu frustrant et terriblement reposant. Ne pas avoir à se demander en permanence s'il va lui sauter à la gorge pour un mot de travers ou tout simplement rebrousser chemin -quoique dans leur situation, sans lumière il ferait bien de ne pas se barrer tout seul- et le laisser seul. Quand il lui raconte ce qu'il fait avec son téléphone Ghika sourit, satisfait de voir que ses suppositions étaient fondées. Mallaury n'a pas le profil du nerd de service ou de l'accro à la technologie. Il fait un métier artisanal, manuel, précis et méticuleux, demandant la maîtrise d'un savoir relativement ancien. Ce sont des caractéristiques assez difficilement compatibles avec le progrès technique moderne. « J'm'en doutais un peu, t'es pas un geek. C'est pas grave, tu peux toujours tomber amoureux de la technologie, ça prévient pas le coup de foudre. » qu'il lui dit par expérience pour l'avoir vécu. On tombe rapidement sous le charme de ces petits engins qui révolutionne la vie quotidienne en la rendant beaucoup plus simple à organiser et à gérer. Ghika doit bien l'admettre, il ne sait pas vraiment quoi dire, c'est assez rare venant de lui pour être noté. Voyager dans le temps ? De façon métaphysique pour changer le passé ? Ok, il est obligé de l'avouer, Mallaury vient de le surprendre. Ce qui est rafraîchissant quand on est confronté à quelqu'un qu'on pensait jusque là assez prévisible, mais Ghika aurait pu s'en douter, après tout Clémentine et Mallaury avaient manifesté des liens amicaux donc il ne pouvait pas être si facile à cerner. « Sur un plan théorique le voyage dans le temps devrait être possible. C'est marrant j'en parlais à Adnan il y a quelques jours. On devrait théoriquement pouvoir voyager vers le futur un jour, mais uniquement vers le futur donc je crois pas pouvoir t'aider. Mais sur un plan métaphorique et théorique tu peux vivre une véritable expérience historique sur iPad. » débite-t-il sans prendre vraiment le temps d'entrer dans les détails, ce n'est pas ce que Mallaury veut de toute façon. Une deuxième fois en moins de cinq minutes le jeune homme le surprend, et ça en devient presque pénible de voir qu'il n'avait pas vu aussi juste qu'il le pensait à son sujet. « Tu viens juste de me donner une idée ! Je suis sûr qu'avec un peu d'imagination on peut faire un plat surprenant... » plaisante-t-il à moitié. Pourquoi pas après tout ça pourrait être marrant de mette un peu de terre au fond d'une assiette, du sel dans une autre, juste pour voir qui réagirait et comment. Devant la lampe de l'iPad passe une ombre, un animal peut-être, mais c'est assez furtif pour faire sursauter Ghika. « Qu'est-ce que c'était ? » interroge-t-il d'une voix fluette, qui se veut discrète, étant soudainement un peu paniqué, les sens en alertes et les mains se refroidissant à vitesse grand V. Le corps humain est merveilleux, quand le cerveau perçoit la peur, il régule la quantité de sang circulant dans les mains pour augmenter celle coulant dans les jambes -ce qui entraîne cette sensation de froid dans les membres supérieurs- afin de permettre une fuite plus rapide. Alors qu'il tente de se calmer, se tenant juste à côté de Mallaury, un bruit relativement aigu, durant à peine une seconde se laisse entendre. « T'as entendu ça ? » demande-t-il légèrement paniqué maintenant.

Pfiou, qu'il est pessimiste le Mallaury, parlez d'un buzz-killer ! Ghika est beaucoup trop positif comme personne pour comprendre, même chercher à comprendre, toute cette négativité. Il n'y a pas trente-six solutions dans la vie, soit on se contente de ce qu'on a et on n'avance pas, soit on pousse sa chance et on fait ce que l'on peut pour avoir la vie qu'on veut. Ghika ne croit pas en grand chose, il n'y a pas de force supérieure qui viendra vous tirer de la merde si vous vous y êtes mis. Il faut prendre le taureau par les cornes et se battre pour garder ce qu'on a. « Faut voir la vie du bon côté ! Comme dit le proverbe : aide-toi et le ciel t'aidera. Si tu fais en sorte que ton avenir soit bon, le monde autour va aller dans cette direction. » C'est comme ça qu'il voit les choses, c'est pour ça qu'il se bat bec et ongles pour quitter sa situation précaire et avoir mieux. Quand Mallaury lui demande s'il aimerait savoir ce qui l'attend dans l'avenir, Ghika ne peut pas s'empêcher de sourire. La réponse est évidente, bien que dénuée de sens rationnel. « Grave ! J'aimerais trop savoir, juste pour pouvoir parler avec le moi du futur, voir s'il est content de tout, s'il a des regrets et corriger ce que j'ai raté dans le passé. Bon j'avoue que si tu découvres que t'es mort d'une maladie grave à trente ans ça craint mais bon. » de toute façon, tout ça n'est que purement théorique et impossible. Alors il n'y a pas vraiment d'implication à répondre. Ce n'est pas comme si en disant ça il s'engageait à partir pour l'an 2024. Revenons-en à la bouffe dans le noir, c'est beaucoup moins abstrait et bien plus réalisable comme sujet. « Disons que ça serait mangeable sauf pour un ingrédient... » L'ambiance se refroidit, il le sent jusque dans ses membres, quelque chose ou quelqu'un rôde. « Vu c'est un bien grand mot... je sais pas c'que c'était c'truc mais ça allait vite. » Voilà qui est vachement rassurant. Merci Ghika pour ce discours d'encouragements, peut-être que Mallaury va réussir à faire une crise cardiaque maintenant. A la question sur ce qu'il se passe Ghika préfère ne pas répondre, tout simplement parce qu'il n'en sait rien et qu'il ne préférait pas lancer d'hypothèses dans les airs sans avoir au moins une idée de ce qu'étaient leurs options. Il est sérieux ? Non mais... mais Ghika va finir par péter un câble si Mallaury s'y met aussi, déjà qu'il est un peu -beaucoup- effrayé, si l'autre en rajoute. « J'ai l'impression d'être dans un film d'horreur et que tu viens de demander au tueur s'il y a quelqu'un... » chuchote-t-il désapprobateur. C'est pas le moment de laisser le double maléfique de Cupidon prendre leur âme et par conséquent c'est pas le moment de lui donner des envies. Ghika aurait bien fait sans la prise des mains de Mallaury sur son bras mais bon, il ne va pas lui demander de le lâcher maintenant, ce serait un peu cruel. « Non j'vais pas m'enfuir, on va reculer jusqu'au mur tranquillement et le longer jusqu'à ce qu'on retrouve les escaliers. Par contre m'en veux pas hein, mais si on se fait attaquer par une bête féroce, c'est chacun pour sa peau. » et vu la taille de ses jambes, plus le fait que c'est lui qui a la lampe, Ghika parierait sur ses chances de survie plutôt que sur celles de Mallaury, mais bon à deux ils ont probablement plus chance de s'en sortir. Question de statistiques et de probabilité mathématique.