Le salon est pratiquement désert, en dehors de quelques candidats qui s'attardent encore pour diverses raisons. Le reste de la meute doit grouiller ça et là dans le nid, j'imagine. Je doute que quiconque soit déjà parti dormir, à cette heure. Je n'ai pas encore perdu mon temps à analyser les habitudes de sommeil des autres, mais à minuit même pas passé, la salle d'eau doit être bien plus investie que les chambres. Pour ma part, je traîne, je m'occupe, j'élude au maximum le moment d'aller se coucher, sachant pertinemment que je serai incapable de dormir avant un bon moment. Si j'ai besoin de mon quota d'heures par nuit pour ne pas être d'une humeur aussi pénible pour moi que pour les autres, je ne suis pas pour autant un gros dormeur, et cinq ou six heures me suffisent amplement pour être en pleine forme le lendemain. Cela étant, une journée aussi longue est parfois difficile à remplir, ici, et on finit rapidement par avoir fait le tour des activités à disposition. Aussi, une fois n'est pas coutume, un crayon coincé derrière mon oreille et un bloc de feuilles à dessin sous le bras, je me laisse tomber dans l'un des canapés inoccupés du salon. J'étais pas trop mauvais, quand j'étais plus jeune. Il arrivait même qu'on devine ce que je tentais de gribouiller, parfois. Et surtout, j'ai toujours aimé ça. Quand mon père me traînait de force à une expo quelconque, et qu'il restait des heures à discuter avec ses potes sans prêter attention à mes jérémiades et mon désir de rentrer, je finissais toujours par m'asseoir en plein milieu de la pièce, face à une oeuvre sélectionnée avec soin, et je tentais, des heures durant, de la reproduire sur papier. Ça n'a jamais été bien concluant, mais je m'amusais beaucoup, et j'en garde un goût pour le dessin, un goût plus anecdotique que réellement motivé par le talent. Pourtant, lorsque je commence, j'ai la frustrante impression de ne plus avoir touché un crayon depuis des siècles et jamais satisfait, j'abandonne rapidement. Impossible de reproduire fidèlement la vue qui s'offre à moi, la table basse, les canapés, les murs ornés de décorations. Agacé par ce blocage inexplicable, je laisse choir feuilles et crayons pour me lever et opter pour un divertissement nettement plus superficiel. J'attrape plusieurs boites de jeux vidéos, sans trop savoir à quoi m'attendre, et retourne à ma place, m'installant devant l'écran. Je n'y connais absolument rien en jeux vidéos, pour être honnête, et si certains noms me parlent, je suis loin de pouvoir juger moi-même de leur potentiel amusant. Aussi, je relève la tête, cherchant du regard un juge. J'aperçois Alistair, juste à côté, ce qui me fait presque sourire tant le hasard fait mal les choses. Je le vois mal en amateur de consoles, mais bon, il peut toujours choisir au hasard. « Lequel a l'air le moins chiant, selon toi ? » je le hèle donc, en brandissant trois jeux. Puis je sais pas, peut-être que la tronche de l'un d'eux l'inspirera particulièrement et lui donnera envie de jouer.

Il n'y connait rien. Bon, ben bienvenu au club. À croire que les gars de notre génération, dans ce nid, ont occulté les dix dernières années de progrès niveau jeux vidéos. Enfin, nous ne sommes que deux, pour l'instant, mais j'ai beau réfléchir, je ne vois que trois ou quatre candidats grand maximum qui auraient pu être capables de m'aiguiller. Et encore. Malgré tout, il jette un œil aux boites pour finalement en désigner une, sur lequel mon regard se porte aussitôt. Ce n'est clairement pas une valeur sûre, comme Mario, ça c'est certain. « Outlast » je lis. Connais pas. Mais alors là, pas du tout. Honnêtement, ma culture du jeu vidéo se limite aux jeux de ma jeunesse à moi. Tout ce qui se fait aujourd'hui reste un grand mystère. Bien sûr, j'ai déjà entendu parler de Fifa, de Call Of Duty, de World Of Warcraft, des Sims, et d'autres jeux particulièrement connus, mais maintenant que je me retrouve face à Oulast, je me rends compte que je suis vraiment naze en la matière. « Ça a l'air sympa » je remarque toutefois, en jetant un regard à la pochette. Ouais, sympa, c'est le mot. Familial, pas du tout effrayant, glauque. Parfait pour jouer en pleine nuit et avec personne tout près, en somme. « Ouais, Mario, c'est pas si mal en fait, t'as raison » je lâche finalement en balançant littéralement le jeu sur le canapé au hasard et me relevant pour retourner près du tas de boites de jeux. Je farfouille un petit moment, en quête d'un bon vieux Super Mario World, parce que c'était à celui-là que je jouais quand j'étais môme, mais c'est en définitive sur Mario Kart que je tombe. J'imagine qu'ils n'ont que les versions les plus récentes et qu'ils ne vont pas se faire chier avec une vieille Nintendo 64. Dommage, j'ai de bons souvenirs avec, même si, déjà dans mon enfance, je n'étais pas un accro aux jeux vidéos, ni même à la télévision. J'étais plutôt le gamin qui passait ses journées dehors ou sur des jeux de société que face à un écran. Bref, j'aligne les pas jusqu'à la console pour lancer le jeu et j'attrape une manette. « Tu veux faire une partie ? » je demande à la cantonade, en repérant une seconde manette. Ça se joue à deux, non ? L'un contre l'autre, vu que ce sont des courses. Puis je sais pas, il n'a pas l'air particulièrement occupé, ni passionné par son manque d'occupation non plus. « Avec enjeux » j'ajoute, un sourire fauve naissant sur les lèvres, en me relevant et en tournant les talons dans sa direction. Autant pimenter un peu la soirée.