Un soupire, le centième sans doute. Aujourd'hui n'est de toute façon pas mon jour. Je me suis éveillé ce matin avec un immense nuage noir au dessus de la tête et rien (pas même le café) n'a été en mesure de me consoler. Ça doit parce qu'il n'y a pas grand ici pour faire passer ma mauvaise humeur. C'est seulement Paris qui me manque: l'air de la ville, mon travail, les gens et certains plus particulièrement. Les photos planqués au fond de mon sac ne suffisent pas vraiment et j'en viens même à regretter les caprices constant de mon petit frère, puis sa tête des mauvais jours et...un peu tout finalement. Mes amis aussi me manquent. Mon appartement, mon chat, ma cafetière, mon lit. Bref. Toute ma vie. J'inspire et presse légèrement mes doigts contre mon estomac. J'ai la boule au ventre. Je ne tarde pas beaucoup à m'éloigner de la maison. Je n'ai pas particulièrement envie qu'on me voit broyer du noir. Parce que je suis le garçon qui râle presque tout le temps, ça aide à oublier que ma sensibilité est tout aussi présente. La plage, ça me semble être un bon endroit pour tenter de ravaler tout ce qui ne va pas. Puis ça m'aide un peu aussi de me dire qu'il y a au delà de toute cette flotte mon chez moi. J'enfonce mes pieds dans le sable et fixe l'eau, les mains dans les poches et l'allure un peu négligé. C'est calme par ici. Ils doivent tous être en train de se reposer. Je m'éloigne encore un peu, à la recherche d'un coin protégé du soleil lorsque j’aperçois Ana non loin de moi. Je ne suis pas certain d'avoir envie de parler à qui que ce soit aujourd'hui...mais en même temps cette fille-là, c'est l'une des rares personnes que j'apprécie suffisamment pour parler véritablement avec. Alors je m'avance et me laisse tomber près d'elle dans un soupire malheureux. Je ne lève même pas les yeux sur elle. je suis bien trop occupé à dévisager ce sable bien trop pur pour être totalement vrai.
— hé, dis-moi professeur, tu crois qu'il y a combien de kilomètres entre ce bout de plage et Paris ? Je lance, tout bas et relève un peu le nez. J'appuis mon menton contre la paume de ma main pour tourner la tête vers elle.
— Parce qu'autant hier je me disais qu'elle n'était qu'à quelque heures d'avion mais alors aujourd'hui...j'ai l'impression que c'est à des années lumière. Peut être même plus en fait.

Elle non plus, n'a pas l'air d'aller bien. Je peux m'en rendre compte maintenant que je la regarde un peu mieux. Elle n'a pas l'air plus différente que d'habitudes mais je ne sais pas...ça doit être ses yeux, sa façon d'enfoncer ses pieds dans le sable ou cet air un peu lasse qu'elle se trimbale. Je crois que c'est la semaine des mauvais jours. On rentre dans un nouveau cap, on commence à trouver le temps, à penser un peu plus sérieusement à l'extérieur et à s'attacher. Alors je suppose que même elle doit avoir un tas de choses à penser. Je parle pas de calcules ou de théories hein. Mais elle devait bien vivre elle aussi, comme n'importe qui. peut être que des gens lui manquent j'en sais rien. J'ose pas trop demander...puis je n'ai pas vraiment envie d'y penser non plus. J'ai déjà trop de trucs dans la tête, si je dois faire une place dans mes soucis pour recueillir ceux des autres, je vais jamais m'en sortir. M'enfin...je crois que je peux bien un effort pour elle. Moi je l'aime bien. Je me laisse chuter dans le sable juste à côté d'elle et fait silence durant un petit moment. En fait, logiquement j'ai plein de choses à dire. Beaucoup, beaucoup, beaucoup trucs à déballer. Je suis juste pas très doué pour me confier...j'en viens finalement à lancer une question presque anodine sur Paris. Une histoire de distance et de kilomètres. Et...ce qui est drôle, c'est qu'elle connait la réponse Ana...franchement, est-ce qu'elle ignore quelques trucs ? 16 980 kilomètres. Quand même. C'est vachement loin en fait. D'un coup, j'arrive même plus à me souvenir de la tronche de la tour Eiffel. Ouai, ça en est encore plus déprimant...
— Wow, ça en fait du chemin...je suis à l'autre bout du monde en fait... Je souffle en fronçant les sourcils. Ana me dit que c'est le manque. Evidemment...je me demande aussi qui dans cette maison n'a pas un peu déprimé en pensant à tout ceux qui les attendent dehors. Alistair peut être, il a toujours, toujours, toujours l'air déprimant. Alors je ne suis pas sûr qu'il soit capable de faire autre chose.
— Une belle preuve d'amour ? Tu crois ? Moi je pense que l'aventure me rend maso. Tout simplement. Tu sais, je rêvais tout à l'heure de me faire emmerder par mon petit frère. Normalement, l'idée me donne la nausée alors que là...ça me fait vraiment envie. Ça mettrait un peu d'action et de gaieté dans ma vie de candidat. Parce que là, les jours commencent vraiment à se ressembler. J'ai beaucoup de mal à comprendre l'autre phrase. Ça sonne flou et bordélique et je ne peux m'empêcher de lever les yeux sur elle. Déjà parce qu'elle pose sa main sur la mienne et que le geste me surprend mais aussi parce qu'elle a l'air aussi paumé que je le suis.
— Quelqu'un te manque à toi aussi ? Je demande tout doucement alors que je m'allonge sur le côté afin de pouvoir l'observer. je supporte ma nuque grâce à ma main et ne la quitte pas des yeux.
— Tu sais, tu parles beaucoup de sciences, de trucs compliqués mais jamais de toi. Ça m'intrigue vachement de savoir qui t'es. Je confie sans trop réfléchir à ce que je dis.