Le nid est étrangement calme ce soir. Tous les candidats semblent s'être évaporés, soit ils dorment déjà, soit une activité bat son plein quelque part dans la maison et Paloma n'a simplement pas été prévenue. Peu importe, ce relatif calme avant - ou après ? - la tempête, ça lui plaît. Elle déambule sans but, erre de pièce en pièce, papillonne indolemment d'activité en activité sans parvenir à se concentrer sur une seule. Ce qu'elle sait, pour sûr, c'est qu'elle a pas sommeil. Alanguie sur le canapé, sans livre à la main pour une fois, Paloma s'ennuie. C'est inévitable, dans le nid, de s'ennuyer et c'est ce qu'elle craignait parce que c'est de l'ennui que naît le rejet de la promiscuité et le début des problèmes. C'est normal de se voir étreindre de ce sentiment mais c'est la première fois qu'il la prend aux tripes aussi franchement. Paloma tourne en rond, se sent comme un lion en cage, exactement pareil. Bon, peut-être pas un lion, mais une biche ou un chat sauvage ou peu importe son foutu animal. Observée sous toutes les coutures, jugée sans doute, moquée peut-être. Sauf que le lion, lui, il voit au moins les visages goguenards ou admiratifs qui le toisent. Elle, non. Elle ne discerne que l'oeil de certaines caméras tout en sachant qu'il y en a d'autres, tapies, partout. C'est un sentiment étrange que d'y réfléchir et généralement, elle n'y pense. Elle se contente de vivre en étant elle-même sans se soucier des regards étrangers qui pénètrent sa chair à chaque instant. Ce soir par contre, ça l'assaille sans qu'elle ne parvienne à s'en délester et ça rend ses gestes empruntés, sa grâce plus incertaine et le tout bien moins naturel. Paloma n'arrive pas à chasser son inconfort et décide de s'en débarrasser d'une façon singulière qu'elle a jamais tenté : en passant de l'autre coté. De dévisagée à voyeuse, juste pour comprendre ce que ça fait, juste pour se raisonner et calmer un peu la tension qu'elle sent couler dans ses veines comme un poison. Ses pas aériens, souples, la conduisent jusqu'à la salle de contrôle et Paloma embrasse la salle qu'elle imaginait vide pour tomber sur la frimousse de Gaëtane. Elle répond à son sourire par un autre, tout aussi tendre, tout aussi doux avant de poursuivre sa marche de danseuse jusqu'à elle. Non, elle dort pas, mais elle croit pas utile de répondre à cette question rhétorique. A la place, Paloma se glisse aux côtés de la rouquine et ose un regard vers l'écran. « Tu crois vraiment que les autres nous observent ? » Elle fronce les sourcils, passe du visage de souris de Gaëtane à l'écran où il se passe pas grand chose et hausse finalement les épaules, pas convaincue. « Faudrait vraiment s'ennuyer » lance Paloma sobrement, à la réflexion. Parce qu'il n'y a pas de montage ici, pas de morceaux choisis, pas de conversation déterrée, rien. Faut tout se taper et autant vous dire que c'est pas fascinant. Rien que là par exemple, en dehors de candidats qui dorment et d'un qui erre sur le balcon, il se passe pas grand chose qui mériterait de figurer dans un tel programme. « Mais le concept est malsain, c'est juste bon à générer des tensions » souffle Paloma en reposant ses prunelles concernées sur sa camarade. A quoi ça sert, à part créer des conflits de toutes pièces ? A rien. D'un geste félin qui claque comme un fouet, l'espagnole éteint le dernier écran allumé ; ça sert à rien de se faire du mal, comme ça. Elle pivote sur sa chaise pour se retrouver en face de la rouquine et plante ses iris noisettes dans celles, plus fuyantes, de Gaëtane. « Ca te gêne parfois, d'être filmée ? T'y penses ? »