Je meurs de soif depuis une bonne heure à présent mais je n’ai pas eu la motivation pour faire tout le chemin depuis la chambre orientale. Il faut me comprendre, je me suis avachi sur mon lit pour regarder les photos que j’ai eu l’occasion de prendre sur l’iPad qui a été mis à ma disposition dès la première semaine et je me suis quelque peu assoupi. Une micro sieste qui m’a vraiment fait énormément de bien mais qui a paradoxalement sacrément mis un coup à ma motivation. Difficile de se bouger le cul quand tu n’es pas obligé de le faire. Finalement la soif aura malgré tout eu raison de moi et à la réflexion j’aurais peut-être gagné à attendre quelques minutes de plus. Lorsque j’entre dans la cuisine je me retrouve en face à face avec Ana et je me retrouve un peu con. La semaine passée nous avons eu du mal à nous entendre, comme d’habitude, mais la voir dans un état aussi mauvais m’a fait quelque chose… Je crois qu’elle est parvenue à me toucher, à m’atteindre et je ne sais pas comment composer avec cela. « Une tasse? » Est-elle vraiment en train de me proposer un thé ? Je n’en raffole pas mais bon, je ne vais pas ruiner l’un des rares efforts qu’elle a fait depuis le début du jeu. « Je veux bien, merci ! » Elle sort une tasse et me sert un peu de thé puis, attendez, est-ce qu’elle est réellement en train de se casser sans rien dire de plus ? Cette attitude a le don de profondément m’énerver. « Est-ce qu’on va devoir se comporter ainsi, être hypocrites l’un envers l’autre, sourire trois secondes et fuir jusqu’à ce que l’un d’entre nous se fasse éliminer ? »

« Ce n'est pas être hypocrite. C'est être poli. » Au quotidien je préfère l’ignorance à cette forme de politesse que je trouve hypocrite à souhait. A quoi bon être très courtois avec une personne que l’on ne peut pas voir en peinture ? Peut-être que vous allez me trouver stupide, la guerre commence probablement même à cause de personnes comme moi mais j’ai vraiment tout le mal du monde à garder mon calme quand on se fout ouvertement de ma gueule en me narguant avec politesse. Pour moi c’est comme secouer un jouet sous le nez de quelqu’un alors qu’il ne peut pas l’avoir. Je ne me gêne pas pour le faire remarquer à Ana d’ailleurs. La jeune femme traverse à nouveau la pièce pour rajouter un sucre à sa mixture. « Puis je n'ai pas souris. » Elle est ironique, détestable et ça me fait monter en pression. J’ai toujours été comme ça, je m’énerve à la vitesse grand V. Je ne prends même pas la peine de répondre à sa remarque, ce serait lui faire plaisir après tout. « Tu ne me parais pas fiable. Trop sûr de toi. Enquiquineur. Chiant et lâche. » Elle a frappé là où il ne faut pas et je pense qu’Ana le sait. Mes yeux fixent durement les siens et les mots dépassent le cadre de ma pensée. « Venant d’une fille qui opte pour la facilité plutôt que d’affronter les événements comme ils viennent c’est un peu amusant je trouve ! » Je porte la tasse à mes lèvres, attentif à la chaleur du thé qui m’hydrate la gorge. « Tu m'as vu faible, hors de contrôle. » Ce fut le cas la semaine passée en effet. « Tu veux que je te remercie d'avoir été là? Qu'est-ce que tu veux savoir? Qu'est-ce que tu cherches? » Qu’est-ce que je recherche ? Très bonne question. « Je n’attends rien de toi, je n’ai pas envie d’être ce duo qui ne peut pas se voir et se crache dessus, être parmi les personnes qui jugent sans savoir… Sans avoir TOUTES les cartes en mains ! Ce n’est pas moi ça ! » Ma voix grimpe sans être pour autant sévère, je tente d'être le plus calme possible et c'est un réel défi.

Il me parait définitivement impossible de m’entendre avec Ana, elle me fait sortir de mes gonds et à chaque fois c’est la même rengaine. On se croise, on échange trois mots à peu près courtoisement et on se bondit dessus comme des animaux affamés. J’ignore si un jour nous pourrons dépasser ce stade mais je n’ai plus vraiment d’espoir à ce sujet et je ne cherche pas à forcer la main du destin, les choses se feront probablement naturellement si elles doivent se faire. « Qui opte pour la facilité tu dis? » Sa tasse se heurte violemment au plan de travail et marque l’arrêt d’une guerre froide qui s’est étendue sur quasiment une semaine, elle relance la guerre et je sais déjà qu’elle va m’atteindre… Allez savoir pourquoi mais elle fait ressortir des fantômes qui étaient pourtant bien enterrés dans un placard fermé à double tour. « Ce n'est pas parce que je ne veux pas partager un thé avec toi que je fuis la situation! A un moment donné il faut arrêter de faire l'enfant. On ne peut pas apprécier tout le monde d'accord? Et lorsqu'on se retrouve dans ce genre de situation nous ne sommes pas obligés de supporter ces personnes. Ta mère ne t'as pas appris? » Je la regarde de haut en bas avec dédain, elle parle beaucoup mais tout ce qui sort de sa bouche me parait tellement inutile, tellement absurde. « Tu commenceras par ne pas parler de ma mère ! » Je sens les nerfs qui montent, mon caractère sanguin ressort pour la première fois depuis que j’ai posé mes valises le dimanche du prime de lancement. « Ensuite, ne pas apprécier quelqu’un c’est une chose mais faut-il encore avoir des raisons qui justifient un tel comportement ! » C’est vrai, elle ne m’aime pas mais pourquoi ? Elle-même ne pourra pas y répondre puisqu’il n’y a rien à dire… Oh si attendez, j’ai eu le malheur de retirer mon t-shirt un soir de prime après m’être pris une coupe de champagne dessus, un affront impardonnable je suppose. « Tu dis vouloir faire partie des gens qui ne jugent pas sans savoir et pourtant tu viens juste de le faire. Désolée de trouver ce genre de discussion ou dispute comme tu veux... » Je l’écoute attentivement, j’inspire longuement et j’expire le plus lentement possible pour canaliser cette colère, cette rage qui m’étouffe depuis bien longtemps. « Mais c'est juste tellement insignifiant. J'affronte les événements d'accord? J'ai été obligé de les affronter comme ils me venaient. J'ai affronté la mort de mes parents, j'ai affronté le fait de devoir tuer pour survivre. Pendant un temps ma facilité fut de tuer. » J’ai du mal à l’écouter parler, ma gorge se noue un peu plus à chaque seconde, chaque mot qu’elle prononce me parait impossible à affronter sans avoir au préalable été préparé. « Tu n’avais pas à tout affronter toute seule de cette manière ! » Que j’hurle et je me sens immédiatement stupide d’avoir prononcé ces mots et ça doit se voir sur mon visage. Il y a des mots qu’on ne peut pas dire, beaucoup de choses qu’on ne peut pas se permettre de faire remarquer sans avoir au préalable avoir eu un comportement exemplaire et puis… Je la juge sans la connaitre, je ne sais pas ce qu’a été sa vie, je ne sais pas si elle a été soutenue… Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression de la connaitre, comme si nous avions été de longs amis par le passé alors que je l’ai découverte le soir du prime, comme tous les autres. Notre cerveau nous fait parfois complètement perdre la tête. « Tu ne me connais pas. » Que répondre à cela ? C’est la vérité, rien de plus. « Je n'ai jamais opté pour la facilité, jamais pour les choses importantes. » Je me sens tellement mal, pourquoi est-ce que cet échange fait ressurgir autant de choses qui n’ont aucun rapport avec elle ? Je m’en veux depuis tellement longtemps pour certaines choses et je crois que cette aventure m’en fait prendre conscience à présent. « Je… On ne se connait pas tu as raison ! » Je ne sais plus quoi dire, je veux juste fuir et l’ignorer. « Oublie tout ce que je viens de dire, ignorons-nous… C’est la meilleure chose à faire ! » Je baisse la tête, honteux, caressant ma tasse brûlante sans savoir trop quoi faire, que dire dans une telle situation sans se trahir, sans trop en dire justement et dépasser les bornes ? Je ne la connais pas, je ne sais pas ce qu'a été sa vie avant Fake Lover je ne comprends donc pas pourquoi je me suis énervé comme ça.