+ Ça fait deux fois que je passe près de la porte de la cave et deux fois que j'entends des bruits bizarres à l'intérieur, j'en suis sûre, mon ouïe ne me fait pas encore défaut. J'hésite longuement avant de décider d'aller voir de quoi il s'agit. Je m'arme tout de même du seul balai qui se soit jamais trouvé dans le placard fait pour ça et je descends les escaliers qui mènent à la pièce sombre. La dernière fois que j'y suis venue, Eryk s'était amusé à me faire croire qu'il était le double de Cupidon alors qu'on était plongé dans le noir et qu'on ne se voyait pas. Là, je me rends compte que l'ampoule à l'air de fonctionner un peu mieux. Quelques soubresauts mais elle a l'air de tenir le coup. Je préfère tout de même avant lentement, prudemment, parce qu'on ne sait jamais sur quoi on peut tomber, quel type un peu louche ou complètement taré. C'est comme au club, il faut se méfier. De toute façon, s'il le faut, je sais me défendre et puis j'ai le balai, rien ne peut m'arriver. Si seulement c'était vrai, qu'on pouvait se protéger de tout grâce à un simple outil ménager. Je m'enfonce de plus en plus dans l'obscurité de la pièce, je dois presque arriver au bout quand je tombe nez à nez avec une personne. Avant même de savoir de qui il s'agit, je brandis mon arme au dessus de ma tête puis l'abaisse quand je me rends compte qu'il ne s'agit que d'une candidate qui doit très certainement me prendre pour une folle. « Clémentine. » Je souffle comme soulagée que ce soit elle et pas quelqu'un d'autre, comme un intrus, ou je ne sais quoi. « C'est bête mais j'ai tout le temps envie de t'appeler mandarine. » Je lui dis sans qu'elle n'ait rien demandé et j'imagine que ça ne l'intéresse même pas. Puis, c'est pas un prénom ça, "mandarine", c'est juste ridicule. Mais le ridicule ne tue pas. Enfin, il faut être un peu étrange pour appeler son enfant comme un fruit. Moi, ça me donnerait sans doute envie de le manger. Non, je plaisante. Avec moi-même, youhou. En même temps, si je le lui disais à elle, elle me prendrait encore plus pour une tarée. Naturellement, je ne me souviens pas de la demoiselle que parce que je me suis souvent trompée de prénom en l'apercevant, mais aussi parce qu'elle a déjà été nominée deux fois, "éliminée" une fois, puis réintégrée et sauvée au dernier prime. Ce n'est pas anodin, c'est pour ça que son prénom, je m'en souviens plutôt bien, contrairement à certains.

Elle me prend pour une folle, c'est sûr. Elle me fait d'ailleurs clairement remarquer que je ne suis pas bien. « Oui, non, désolé. » Je dis en baissant la tête honteusement alors que j'essaye surement d'enfoncer le balai dans le sol pour qu'il disparaisse, comme ça on n'en aura plus aucun pour faire le ménage. Je me sens con là tout de suite avec mon arme débile, mais c'était juste au cas où. J'aggrave mon cas en lui avouant que je me trompe de prénom à chaque fois que je la vois. J'ai envie de l'appeler mandarine mais c'est pas de ma faute si les deux fruits se ressemblent. Je crois que je ne sais même pas les différencier. Je sais juste qu'il y en a un des deux qui a des pépins et l'autre pas. Ce qui ne m'est absolument d'aucune utilité. Là tout de suite, j'aurais surtout besoin de trouver quelque chose à dire, parce que rester muette ce n'est pas mon genre, le silence a tendance à m'angoisser. Heureusement, la blonde empêche qu'un quelconque blanc ne s'installe entre nous et me demande ce que j'ai d'intéressant à raconter à mon sujet. Je hausse les épaules. « Je suis stripteaseuse. » C'est l'information me concernant qui éveille plus souvent l'intérêt des gens, plus celui des hommes que des femmes, mais la raison ne va pas chercher bien loin. « Mais tu le savais sans doute déjà » Je sais pas, j'ai l'impression que tout le monde est au courant de ma profession alors que ça n'a rien d'extraordinaire. Il y a déjà eu des stripteaseuses lors d'anciens saisons de l'émission, je ne suis pas la première, et surement pas la dernière. « Je suis américaine, de Chicago. » Là encore, rien d'exceptionnel, il y a déjà eu des candidats qui venaient de là pendant les précédentes éditions. « Et... Mais attends, c'est toi qui es venue nous interrompre avec Isaac la semaine dernière ? » Il en aura fallu du temps pour que ça monte au cerveau, que les liens se forment entre les informations et que ça fasse tilt. Mais on me l'a souvent dit, je peux être longue, très longue à la détente parfois.

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J'abaisse mon arme et elle me demande que je lui parle de moi, que je lui apprenne quelque chose d'intéressant à mon sujet. Je mentionne ma profession. Elle me demande si c'est l'unique fait que je trouve d'intérêt me concernant. « Heu, bah, je sais pas. » Je réponds en haussant les épaules. « À part ça, je suis enfant unique, de parents divorcés, je dance depuis que je suis toute petite et j'ai jamais quitté les Etats-Unis avant l'émission. » Voilà ma géniale petite vie dans ses grandes lignes. Rien d'extraordinaire, je suis une nana tout ce qu'il y a de banal si on met ma profession de côté, voilà pourquoi j'ai commencé par ça. D'ailleurs, elle revient dessus et me demande si ça me plait. « C'est pas le job de mes rêves, mais oui, ça me plait. » Je réponds dans un petit sourire. Je ne vais pas lui mentir et m'exclamer que j'ai toujours voulu danser nue ou à moitié pour un public principalement masculin et souvent saoul et radin sur le pourboire. Mais je n'ai rien trouvé de plus "classique". Aujourd'hui, je me vois mal faire autre chose, je ne saurais même pas faire autre chose, et puis je me suis habituée à ce monde, cette atmosphère, les types bizarres, les horaires, le salaire juste suffisant pour vivre correctement. J'aime ce que je fais, malgré toutes les contraintes, les avis tranchés des uns et des autres. Je me rends alors compte que sa voix me dit quelque chose. Il me semble que c'est la fille qui m'a interrompu en plein show l'autre soir, avec Isaac. Oui, il se pourrait bien que ce soit elle. Je lui adresse un léger sourire, qui s'étire quand elle déclare qu'elle m'a certainement rendu un très grand service. « C'est surement le cas. » Que j'approuve d'un signe de tête. « Merci, du coup. » Elle m'a peut-être sauvé la vie, ou au moins permis d'éviter de faire une belle boulette. La remercier est donc le moins que je puisse faire.

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