“ no need to argue ”

w/mallaury.

Aussi étonnant cela puisse-t-il être, Percy n'avait pas toujours été ce type agressif et provocateur que le conflit avait tendance à rassasier. A une époque, il avait été un garçon plutôt réservé, du genre à ne jamais avoir un mot plus haut que l'autre ou à contredire qui que ce soit. Ce n'est qu'au début de son adolescence qu'il avait développé ce tempérament volcanique. Au départ, il s'était simplement affirmé pour attirer l'attention d'un père distant, mais une fois qu'il avait commencé à fréquenter les mauvaises personnes, à avoir les mauvais réflexes, il était devenu quelqu'un d'autre. Ici, personne ne devait imaginer un seul instant qu'un gosse de riche de sa trempe ait pu tremper dans de sales coups, pourtant il y a longtemps qu'il s'était éloigné du chemin de la raison. Cela dit, dans ce jeu, il avait l'impression que certaines rencontres tendaient à l'assagir un tantinet, à le canaliser, à l'amener à faire preuve de plus de self-control. Il était loin d'être un candidat sympathique, mais il n'était pas non plus le Percy qui avait bien mal tourné quelques années plus tôt. Alors oui, ça l'avait presque surpris, dans le fond, que Mallaury le dépeigne officiellement comme son bourreau, comme s'il le martyrisait à la moindre occasion, alors qu'ils pouvaient rester plusieurs jours sans même se croiser. Percy n'appréciait pas Mallaury pour sa façon d'être, qui le crispait au plus haut point, pour cette tendance qu'il avait à se poser en victime dès qu'on avait le malheur de lui parler franchement, et globalement pour tout ce qui lui donnait envie de le secouer violemment pour voir s'il savait faire autre chose que se complaire dans son rôle de martyr. L'anglais estimait que pour quelqu'un qui faisait de Mallaury son souffre-douleur, il le laissait quand même pas mal en paix. Mais bien, il était disposé à lui donner ce qu'il voulait, l'espace d'une journée, pour bien lui montrer quelle était la sensible différence entre un Percy version taquin occasionnel, et un Percy version tortionnaire. Ainsi, alors qu'il venait d'entrer dans la cuisine pour justement y trouver son camarade, le nez au dessus d'un repas qu'il n'identifia pas tout de suite, il passa furtivement derrière lui et vint brusquement presser sa main contre l'arrière de sa tête, jusqu'à ce que celle-ci rencontre l'assiette qui lui faisait face. Aussitôt, il fit quelques pas de plus de façon à se satisfaire du spectacle et attendit qu'il relève la tête pour poser sur lui un regard défiant. « Est-ce que j'ai vraiment besoin de te préciser que je compte prendre mon rôle de 'bourreau' très à cœur ? » qu'il laissa entendre d'une voix posée, faussement conciliante. C'est que bon, quitte à avoir une réputation, autant y faire honneur. C'est surtout qu'il aimait, de temps en temps, donner raison aux autres. Une question de bonté, encore et toujours.

Ça pouvait sembler cruel, mais Percy avait soigneusement pris sur lui pour ne pas lui faire plus mal encore, parce que Mallaury représentait tout ce qui le crispait par excellence, et qu'à cet instant il aurait voulu pouvoir lui montrer d'une façon encore plus manifeste qu'il pouvait vraiment s'acharner quand on le tentait un peu trop. Ça va, pour un mec sur lequel il s'en était apparemment donné à cœur joie, il avait été plutôt tranquille ces dernières semaines. Jusqu'à preuve du contraire, il n'avait fait que lui parler honnêtement, sans chercher à lui mentir sur l'utilité qu'avait un mec comme lui dans un jeu pareil. Qu'est-ce qu'il y pouvait, lui, si tout le monde jouait au gentil faux-cul, à coté de ça ? Il faisait certainement pitié à pas mal de leurs camarades, et c'est en ça qu'il aurait presque tendance à trouver brillant de sa part de s'enfermer perpétuellement dans ce gentil rôle de victime. Quel dommage qu'il risque de se laisser porter jusqu'à la finale en ayant absolument rien fait pour prouver qu'il était autre chose qu'une plante qu'on arrosait par compassion. Donc oui, Mallaury avait décidé de lui attribuer le rôle de celui qui l'accablait, un rôle qu'il n'estimait pas mériter, mais qu'il voulait bien jouer, néanmoins, pour lui faire plaisir. Si vraiment il voulait un bourreau, alors il aurait un. Le coup de la tête dans l'assiette, ça n'était donc qu'un avant-goût de ce qu'il pouvait vouloir lui réserver. Il ne gâcherait qu'une partie raisonnable de son temps à lui donner ce qu'il voulait, mais ça n'était pas pour autant qu'il fallait le sous-estimer. Le commentaire de son camarade dessina alors sur ses lèvres une moue faussement bienveillante, l'air de lui dire qu'il aimait ça, faire la bande-annonce de ce qu'il lui réservait pour la suite. « Entre nous, ouais, c'était assez grisant » qu'il avoua alors sur un ton on ne peut plus éhonté, parce qu'encore une fois il avait envie d'aller dans son sens, de lui donner l'impression qu'il avait raison, oui, parfaitement raison de le dépeindre comme son tortionnaire. En soi, bien sûr qu'une partie de lui avait été instantanément contentée par la vision d'un Mallaury presque terrassé par un plat de pâtes, maintenant voilà, il allait lui épargner son rire diabolique, quand même. Le brun chercha alors à se débarrasser de lui, n'ayant apparemment pas tout à fait saisi le sens de son 'je compte prendre mon rôle de bourreau très à cœur'. Mieux encore, il laissa entendre que son déjeuner étant sacré, il aimerait autant qu'il revienne plus tard. « Je sais pas, je crois qu'en tant que bourreau je suis quand même pas tellement censé tenir compte des réclamations de ma victime » qu'il énonça alors, l'air de réfléchir à la question, alors qu'en soi c'était déjà tout vu. Il était marrant, quand même, à déjà essayer de s'extirper d'une situation qu'il ne devait qu'à ses penchants paranos. « Non, tout compte fait, j'en suis même sûr. » Mais c'était bien tenté, cela dit, il devait bien lui reconnaitre ça. S'accoudant à la table haute, l'anglais le fixa un petit moment, l'air de déjà réfléchir à son prochain coup, quand en fait il se demandait simplement comment, bon sang, on pourrait avoir aussi peu de caractère. Parce que bien sûr, il ne s'était pas attendu à ce qu'il lui hurle dessus, mais de là à le voir tout doucement s'écraser ... « Tu sais, les vrais mecs, quand ils veulent qu'on leur fiche la paix ils négocient pas gentiment, non, ils tapent des poings sur la table et font passer l'envie aux autres de les emmerder. » Il pouvait prendre ça pour une critique du plus, en l'occurrence ça n'était encore une fois que pour lui qu'il disait ça, parce que ça le faisait halluciner qu'il n'ait même pas un semblant de fierté, la moindre inclinaison à se rebeller, ne serait-ce qu'un peu. Comment voulait-il qu'un mec comme Percy résiste à l'envie de s'en prendre à lui s'il lui facilitait à ce point la tâche ? « Un mec m'aurait foutu la tronche dans mon plat de nouilles, moi je lui aurais gentiment démis la mâchoire. Toi, pourquoi tu subis ? » Qu'il le lui dise, qu'il tâche de l'aider à comprendre parce que vraiment ça le dépassait. D'autant que c'était un cercle vicieux : moins il réagissait, et plus Percy aurait forcément envie de le secouer.

Bien sûr que Percy avait doucement jubilé au moment où la tête de son camarade avait rencontré son plat de nouilles, pas nécessairement parce qu'il était cruel, plutôt parce qu'il avait repensé à l'award que Mallaury avait remporté, celui selon lequel il était le candidat persécuté par excellence. Connaissant ses tendances à la victimisation, il s'était douté que son camarade avait été rassuré par l'idée qu'ils puissent être plusieurs à le rabaisser au statut de bouc-émissaire. Mais il avait aussi et surtout repensé au fait qu'il l'ait ouvertement qualifié de bourreau, comme pour se coupler à lui, se donner le beau rôle, celui du mec adorable qu'on persécutait durement, et lui laisser le plus vilain, celui de la teigne prête à tout pour lui en faire baver. Oui, cette configuration avait du lui plaire, mais certainement un peu moins lorsqu'il eut droit à cette petite démonstration. Il répondit alors honnêtement à sa question, n'ayant rien à cacher, et certainement pas le fait d'avoir été contenté par le spectacle. Le plus drôle fut cependant cette tentative de négociations auquel eut droit l'anglais, qui semble-t-il serait bien aimable de ne pas perturber plus longtemps le déjeuner de son camarade, et de bien vouloir lui causer du tort un peu plus tard. Il avait vraiment aussi peu de caractère, aussi peu de fierté ? C'était possible, sérieusement, de subir à ce point ? N'importe qui aurait légitimement haussé le ton après un coup comme celui-ci, mais lui, non, il avait plutôt l'air de dire qu'il était comme ça, que c'était la vie. « Non, c'est vrai, toi tu tiens plus de la carpette » laissa-t-il alors entendre, peut être parce qu'il comptait sur la connotation hautement négative de ce mot pour le secouer un petit peu. Mais déjà, il avait l'air de se méprendre, alors c'était mal barré cette histoire. « Arrête un peu, je te demande pas de m'assommer avec une casserole, juste de réagir. » Bien sûr que Percy savait qu'il n'était pas du genre à relever ses manches dès qu'on lui cherchait des noises, mais à ses yeux ça n'était pas pour autant incompatible avec le fait de se rebeller un minimum. Il disait qu'il ne le surprendrait pas, et laissait même entendre que la réciproque était vraie, et c'était sans doute véridique, après tout Percy n'avait pas l'intention de lui montrer plus que ce à quoi il avait eu droit jusqu'à présent, il tentait bien trop son coté sadique pour ça. « Mais tu réalises que si t'avais réagi dès le départ, à notre rencontre, tu serais probablement pénard à l'heure qu'il est ? » Après tout, il y avait des mecs que Percy ne se risquerait pas à provoquer, des mecs qui pourraient lui faire regretter d'avoir dit un mot de travers. Mais lui, il avait tout de suite adopté l'attitude typique du mec crispant à qui on avait jamais appris à dire 'stop'. Les prochains propos auxquels il eut droit l'amenèrent alors à soupirer bruyamment. Peut être bien qu'il se lasserait, oui, mais dans l'immédiat il était animé par l'envie de continuer, pas tant pour jouer son rôle que pour le réveiller une bonne fois pour toutes. Alors il se leva et s'approcha de son camarade, sa main se dirigeant vers son assiette et s'emparant d'une poignée de pâtes qu'il serra un court instant dans son poing. Bientôt, sa main s'ouvrit pour se diriger vers le visage du brun, contre laquelle il la frotta, l'amenant à supporter cette sensation assurément désagréable le temps qu'il fallut, avant de reculer d'un pas. « Et si c'était pas le cas, que tu devais à chaque fois te barricader dans la cuisine par trouille de me voir débarquer pour te dégueulasser la tronche ? » énonça-t-il à ce moment-là, pensant que ce qu'il venait de faire illustrait assez bien l'idée que, pour l'instant, il était bien parti pour continuer. En vérité, s'enfermer pour lui échapper irait à l'encontre de sa si grande disposition à subir, mais l'idée, c'était qu'il était facile d'espérer, moins de le dissuader de poursuivre dans cette voie. « Finalement, le problème, c'est que tu te portes aucune estime, non ? » Ça expliquerait le fait qu'il n'ait pas suffisamment d'amour-propre pour se protéger concrètement des autres, qu'il se place dans ce genre de situations pour en plus s'y ensiler ensuite. Non pas que ça le rassurerait, mais ça expliquerait certaines choses, et ce serait déjà pas mal.

Si Mallaury avait une paire de couilles, on pouvait dire qu'il la cachait bien. Parce qu'a priori, il n'avait rien d'un vrai mec, lui qui passait son temps à subir plutôt qu'à réagir. C'était véritablement hallucinant qu'il soit à ce point incapable de se défendre de ceux qui l'attaquaient, que ce soit verbalement ou physiquement. De la part de Percy, il avait eu droit aux deux, mais il aurait tort de penser qu'il n'avait pas un petit peu envie de le sortir de là, dans le fond. A cet instant, il avait bien envie de lui faire réaliser qu'il n'adoptait véritablement pas la bonne attitude, et ce depuis le départ. Car oui, s'il avait pris la peine de réagir lors de leur tout premier échange, il y avait fort à parier pour que les choses soient sensiblement différentes aujourd'hui. Percy n'aurait jamais agi de la même façon avec un mec comme Isaac, comme Hadrien ou même encore comme Errol, parce qu'il aurait constaté dès le départ qu'il n'aurait pas tellement intérêt à leur chercher des noises. Mallaury semblait alors dire que personne ne lui avait jamais parlé comme Percy l'avait fait ce jour-là, et c'est vrai que ça le surprenait un peu, parce qu'il avait toujours pensé que les mecs comme lui en bavaient depuis toujours. « Pourtant, crois-moi, tu croiseras de plus en plus de types comme moi, qui exploiteront tes failles et te pousseront dans tes derniers retranchements, parce qu'aujourd'hui les faibles finissent toujours par se faire bouffer. » C'était une vision on ne peut plus pessimiste de la société moderne, mais pour être lui-même assez impitoyable avec ceux qui manquaient de caractère, il savait précisément comment tout le monde finissait toujours par fonctionner. L'anglais se permit en tout cas de lui réserver une nouvelle petite démonstration, se levant ce coup-ci pour prendre une poignée de pâtes de l'assiette de son camarade et venir lui en décorer la tronche. Celui-ci le repoussa partiellement mais Percy ne perdit rien de sa mine impassible, alors que dans le fond il trouvait ça presque encourageant. « Compte pas trop sur l'idée que je puisse me lasser, c'est tout ce que j'essaie de te faire comprendre » qu'il affirma alors, pour qu'il n'aille pas s'imaginer qu'il se lasserait aussi facilement. Il disait ne pas voir ce que ça pourrait lui apporter, que ça ne le grandissait pas, et l'anglais afficha un léger sourire, parce qu'on ne pouvait pas dire qu'il risquait de l'atteindre de cette façon, haussant bientôt les épaules comme pour doucement lui rappeler qu'il ne faisait que jouer le rôle qu'il lui avait attribué. Il chercha en tous les cas à savoir si Mallaury se portait seulement la moindre estime, parce que le problème venait certainement de là. « Sans doute, mais avec moi t'as plus misé sur la victimisation qu'autre chose. » Mais oui, il l'imaginait facilement se rabaisser auprès des autres, même si lui avait davantage retenu ses tendances à se prendre pour le bouc-émissaire de l'univers tout entier. Quoi qu'il en soit, Mallaury chercha à savoir si l'anglais s'était toujours porté une telle estime, et ça le surprit un peu qu'il s'y intéresse, étant donné que jusqu'ici aucun n'avait vraiment fait l'effort d'apprendre à cerner l'autre. « Non, j'ai pas toujours eu l'amour-propre qu'on me connaît aujourd'hui » confessa-t-il alors avec certaine réserve, peut être parce qu'il n'aurait jamais pensé parler de celui qu'il avait été avant à un mec comme Mallaury. « Fut un temps où comme toi, je m'écrasais. Je serais peut être devenu à peine plus caractériel que toi, d'ailleurs, si j'avais pas fini par m'affirmer. » Et ça lui faisait bizarre, à vrai dire, de s'imaginer assez semblable à ce qu'était Mallaury. Mais c'est vrai qu'il était longtemps resté un garçon effacé et que s'il n'avait pas ressenti le besoin d'exister aux yeux de son père par n'importe quels moyens, sa vie aurait été bien différente. « Je suis pas un robot, bien sûr qu'il m'arrive de douter, mais quand ça m'arrive je le garde pour moi, personne a besoin de le savoir. » D'autant qu'il pensait que ce serait le meilleur moyen de donner aux autres l'occasion de s'en servir contre lui. Un Percy qui doute et qui le montre, ça donnerait quelques idées à certains, il le savait. Donc oui, il gardait beaucoup de choses pour lui, ce qui expliquait sans doute qu'on aille parfois jusqu'à douter du fait qu'il ressente quoi que ce soit. « Est-ce que tu fais confiance à ceux dont tu t'es rapproché, ici ? Parce que je t'imagine bien perdre de vue qu'on est dans un jeu, et donc que la plupart des relations qu'on y noue sont stratégiques, d'un coté ou de l'autre. » C'était certainement parce que ces derniers jours pas mal de choses le blasaient qu'il énonçait les choses de cette façon, lui qui n'était plus certain de comprendre ses camarades, ou d'avoir bien fait de se sociabiliser un petit peu. Il allait certainement reconsidérer ses priorités, et s'il pouvait ouvrir les yeux du naïf de service par la même occasion, c'était pas plus mal.