C'est bizare de se dire qu'après huit semaines d'aventures je n'ai encore jamais pris l'ascenceur. Je n'en ai jamais vu l'utilité, les escaliers ne sont pas très raides et il n'y a qu'un étage. Je me demande quel intérêt il peut y avoir à posséder un ascenceur dans le nid sauf pour satisfaire un candidat un peu trop flemmard ou pour s'envoyer en l'air. Sauf que ma conscience me dicte d'essayer l'ascenceur juste pour savoir ce qu'il a de si spécial. J'hésite pendant de longues minutes ne sachant pas quelle option prendre. Escalier ou ascenceur ? Ascenseur ou escalier ? Je me décide enfin à tenter l'expérience de l'ascenseur, juste une fois pour voir ce que ça fait. À priori il est tout ce qu'il y a de plus banal, j'en serai presque déçue. Venant de Cupidon je m'attendais à un ascenseur rose couvert de fleur qui donnerai envie à n'importe quel candidat un peu romantique de s'envoyer en l'air avec sa dulcinée.La porte est prête à se fermer quand Pia débarque dans l'ascenseur pour je ne sais quelle raison, retardant un peu plus l'heure du départ. Je la salue d'un timide sourire, la rouquine semble m'ignorer depuis la révélation de son secret et je ne sais pas trop quoi faire pour arranger les choses. L'ambiance est lourde, pesante quand les portes de la cabine se ferment et que l'on commence notre ascension. Une ascension qui ne connaîtra pas de fin puisque la cabine s'arrête soudainement. Sûrement un coup de Cupidon pour nous faire parler mais l'angelot aurait pu éviter de faire ce genre de farces à moins d'une heure du prime. Je me décide enfin à briser le silence pour éclaircir la situation parce que je n'ai pas envie qu'elle m'en veuille pour si peu. « Tu m'en veux d'avoir découvert ton secret ? » . Je ne savais pas pourquoi elle essayait de m'éviter depuis cette fameuse révélation dans le salon. Elle n'avait pas un secret facile à porter mais elle aurait dû se sentir soulagée d'être enfin elle-même. Et puis elle ne pouvait pas m'en vouloir de lui avoir piqué son fric puisque je n'avais rien gagné après cette révélation. Je voulais comprendre, j'avais besoin de comprendre. « Tu penses qu'on va louper le prime ? » lui dis-je tout en jetant un coup d'oeil à ma montre. Il ne reste plus que 16 minutes avant le début de la soirée. L'angoisse.

Elle a décidé d'être à l'heure pour le prime, Pia. Grande première. Elle est habillée, maquillée, coiffée, potable sommes toutes. Elle est presque sûre de ne pas arracher une grimace désapprobatrice à la production, comme ça. Et comme elle est plus qu'en avance, elle se dit qu'elle peut s'accorder un peu de repos même si elle n'a strictement rien fait qui puisse le mériter et se dirige vers l'ascenseur plutôt que vers les escaliers. Elle arrive juste avant que les portes ne se referment sur un autre candidat, se glisse entre les deux battants avant de remarquer que c'est Felice. Elle répond d'un signe de tête à son faible sourire, légèrement mal à l'aise. Son regard préfère s'attarder partout dans l'ascenseur qui n'a pourtant rien d'exceptionnel à dévoiler plutôt que de venir s'arrêter sur la candidate. Elle l'aime bien, Felice. Elle lui ressemble. Elle l'aime bien mais elle la fuit, Pia, sans être trop capable de réussir à définir pourquoi. L'atmosphère est si lourde qu'elle en sentirait presque le poids sur ses épaules. C'est somme toutes le moment parfait pour bloquer l'ascenseur, du moins c'est ce que semble se dire le gars qui est chargé de s'en occuper. Elle appuie son poids sur un pied, puis sur l'autre, encore plus mal à l'aise, et dieu sait que c'est pas son genre pourtant d'être gênée, Pia. « Tu m'en veux d'avoir découvert ton secret ? ». Elle se tord les doigts. « Non. Oui. ». Les deux réponses s'entrechoquent dans sa bouche pour finir par sortir presque en même temps. Elle soupire. « Je sais plus.. ». Elle se frotterait bien le visage de ses deux mains mais elle préfère éviter de foutre en l'air son maquillage, ce serait dommage. « Je préférai que ce soit toi qui le trouve, mais.. ». Elle hésite à balancer la suite, finit par mettre les mots de côté parce qu'elle sait qu'elle n'arrivera pas à tout exprimer. « Je sais pas.. Je suppose que c'est pas dans l'intérêt de Cupidon de priver le prime de ses deux candidates les plus sexy. ». Elle tente, dans un élan d'humour vain, parce que l'humour ça a toujours été sa thérapie lorsqu'elle voulait fuir les conversations qui la dérangeaient. Son regard évite toujours celui de la tatouée, dans un manège ridicule, comme les gosses qui croient que parce qu'ils ne vous regardent pas vous ne les voyez pas.

C'était stupide de ma part de vouloir prendre cet ascenseur. Il y avait une chance sur deux pour que je reste bloquée entre deux étages et maintenant que Pia venait d'y entrer les chances de se retrouver à l'arrêt était multipliée par mille. La production ne pouvait pas laisser passer une si belle occasion d'obtenir une petite explication entre les deux tatouées de l'aventure. Tout avait pourtant si bien commencé, nous nous entendions à merveille, nous nous étions même découverts des points communs. Pourtant depuis que j'avais découvert son secret la rousse volcanique semblait à tout prix m'éviter. J'avais peut être réveillé en elle des souvenirs douloureux mais cela faisait parti du jeu depuis le début, elle ne pouvais pas m'en tenir rigueur. L'ambiance est lourde et pesante dans cette minuscule cage d'ascenseur, la rouquine évite soigneusement de me regarder comme si le plafond était plus intéressant que ma propre présence. L'ascenseur se bloque et j'en profite pour engager la conversation. J'ai besoin de savoir si elle m'en veut d'avoir découvert son secret. Pia est assez confuse, elle répond par oui puis par non pour finalement décrétée qu'elle ne sait plus. Elle préférai que ce soit moi qui le trouve mais quelque chose la dérangeait. Elle n'osait pas le dire, sûrement pour ne pas me vexer ou dire des choses blessantes. « Mais quoi ? ». Je finis par lui demander, je ne supporte pas les non-dits qui gâchent la vie. J'ai besoin de avoir ce qu'elle a sur le cœur pour mieux pouvoir la cerner. C'était vraiment trop bête d'avoir des rancœurs pour si peu. « Ne mâche pas tes mots, je ne suis pas du genre à me vexer pour un rien ». Il n'y avait nul besoin de prendre des pincettes avec moi, je pouvais tout entendre. Je finis par lui demander si on risque de louper le prime à cause de cet ascenseur. « Peut être que c'est une énorme blague de Cupidon et qu'on va devoir suivre le prime depuis cet ascenseur  » Je réponds à sa plaisanterie mais je n'arrive pas à me sortir cette histoire de secret de la tête. J'ai l'impression qu'elle veut noyer le poisson alors que je veux juste arranger les choses.

« Mais quoi ? » Mais quoi ? Mais quoi Pia ? Qu'est-ce que tu peux bien lui reprocher, à Felice ? D'avoir découvert son secret, bien sûr. Mais c'était le jeu, n'est-ce pas ? C'était écrit dans les conditions de participations, c'était la partie la plus intéressante des castings, c'était leur but commun. Percer les autres à jours. Réussir à gratter le vernis rutilant qu'ils revêtaient face aux caméras, le laisser s'écailler peu à peu et alors tout se sait. Et si ce n'était pas Felice, ça aurait été quelqu'un d'autre. Et si ça n'avait pas été maintenant, ça aurait été un peu plus tard. Quelle différence, quelle importance dans le fond ?  « Ne mâche pas tes mots, je ne suis pas du genre à me vexer pour un rien ». Elle sait. Enfin, en réalité, elle n'en sait rien, Pia. Elle ne la connait pas si bien que ça Felice. Elle sait que c'est une jolie brune, qu'elle est tatoueuse et que son corps entier est une œuvre d'art, une toile à peindre, comme le sien. Mais qu'est-ce qu'elle cache, Felice ? Qu'est-ce qu'on va découvrir, une fois que la couche de vernis aura été grattée ? « T'y es pas. ». Elle secoue la tête, dans un sourire un peu bancal, qui manque de se décrocher. « C'est pas toi. C'est.. ». Quoi alors ? Elle se racle la gorge, laissant le silence s'installer entre elles un instant avant de se jeter un coup d’œil dans la glace et de se rendre compte du ridicule de la situation. « J'aurai voulu que ça se sache jamais. ». Elle finit par lâcher en quelques mots qui lui font l'effet de la première bouffée d'air après un long moment passé sous l'eau. C'est tout. Ca s'était jamais su, et elle aurait voulu que ça ne se sache jamais. « C'est complètement con, hein ? Je sais. Mais j'peux pas m'empêcher d'y penser. ». De se dire et si. De faire des plans sur la comète, parce que c'est stupide de toute façon, parce qu'elle savait à quoi elle s'engageait en venant ici, ce que ça impliquait. La révélation du pourquoi du comment Pia existe. Pourquoi on peut dire qu'elle n'aurait jamais dû exister, un imprévu, un gros problème sous forme d'un bébé roux. Le pêché originel fait gosse. L'écroulement d'une vie basée sur les volontés du bon seigneur bon dieu, tout ça pour un seul faux pas, au pied d'un arbre, et voilà Pia. Elle hausse les épaules à la réflexion de Felice, complètement égarée dans ses pensées, ses relents de regrets. « Pour ce qu'ils nous apportent chaque semaine, ce serait peut être pas si mal.. ». Qui sait à quelles bonnes surprises elles vont être confrontées ce soir, si elles sortent de leur ascenseur.