Sa gueule de bois est passée ou du moins elle a presque finit de le torturer. C’est un soulagement teinté d’une certaine nostalgie de ces émois alcoolisés. Il marche sans but dans la forêt parce que la forêt est paisible et qu’il n’a pas besoin d’entendre quelqu’un s’acharner sur la batterie ou faire une bombe dans la piscine en riant. Il va mieux, son crâne va mieux, mais ce n’est pas une raison pour tenter le diable. Croiser quelqu’un à ce moment-là ne serait pas de refus mais il préférerait que ce ne soit pas une personne trop bruyante, parce que son cerveau risque de ne pas réussir à supporter trop d’agitation. Ghika marche les yeux à demi-clos, faisant gaffe toujours à ne pas se prendre un arbre, ce qui lui vaudrait clairement un passage dans tous les bêtisiers. Il marche, il marche c’est vite dit, il s’arcboute et tente d’avancer à un rythme régulier mais il aurait tendance à faire du surplace plus qu’autre chose. Après dix minutes à lutter pour arriver à la falaise, il s’assoit contre le tronc d’un arbre, rendant les armes. Faire une sieste ? Pourquoi pas. Mais c’est le moment que choisit Clémentine pour faire son apparition. Enfin quelqu’un qui le comprendra. « Je sais pas si on doit se réjouir d’être encore dans l’aventure. » annonce-t-il faiblement. Ça peut paraître étrange venant de lui, mais il a une idée en tête –comme toujours diront les mauvaises langues– lorsqu’il dit ça. « J’veux dire… la maxime c’est pas « les meilleurs partent toujours les premiers » ? Entre Hadrien et Percy je commence à croire que c’est pas faux… » grommelle un Ghika bougon et n’ayant pas encore fait le deuil de l’élimination de son partenaire lors du prime de la veille.

Le contact de la main de Clémentine sur son épaule le fait sourire, il n'est pas nécessairement habitué à être celui qu'on réconforte, et pourtant il n'est pas d'humeur à chercher à renverser la vapeur. Alors il pause sa main sur celle de sa première partenaire, la seule qui lui reste dans le nid, et échange un regard. D'ordinaire il lui lancerait une phrase bien sentie, probablement une blague sur ses tourmalines azurées, une référence cinématographique bien connue, mais rien ne lui vient alors il lui adresse un sourire chaleureux. Elle a raison, c'est pire pour eux, aussi fou que ça puisse paraître, il imagine qu'en revenant à la vie réelle les éliminés avaient des tonnes de choses à penser, à organiser et qu'ils n'ont pas le temps de ressentir le manque. Eux au contraire, vivent dans un cercle fermé, au sein d'un groupe devenant chaque semaine plus restreint. « On doit passer pour des gros hypocrites rabat-joie quand même aux yeux des téléspectateurs... On est encore dans l'aventure, on a encore nos chances de gagner et on fait des gueules d'enterrement. » ironise-t-il faiblement, même son humour est à chier aujourd'hui. De toute façon faut qu'il se fasse à l'idée, c'est une journée de merde alors il y a des chances pour que même ses tentatives d'humour le soit. Il pose une main au sol et attrape une feuille tombée là, seule, comme eux. « Tiens, cette feuille c'est notre coupon, on a le droit de se plaindre et de déprimer pendant une journée si on l'a. Après faut qu'on la laisse partir à la mer et qu'on se force à reprendre l'aventure. » C'est une sorte de pacte, un engagement, ils ont encore une demi-douzaine pour se laisser tirer vers le bas et après ils devront se reprendre et remonter sur le ring. Ça semble être une temporalité convenable pour faire le deuil de Percy et lui faire hommage en renfilant les gants de boxe et de se remettre au combat, pour une semaine au moins. Ça ne signifie pas oublier ou arrêter d'être triste, juste que Ghika veut se montrer digne de la confiance que son ancien partenaire avait placé en lui. Quant à Paris... « Une fois, quand j'avais dix ans je crois. C'est la seule fois que ma mère m'a emmené avec elle sur un plateau de tournage, parce que bon... c'était les vacances de la nourrice et que laisser un gamin de dix ans pendant trois semaines seul c'était pas acceptable même pour elle. Du coup j'ai vu la Tour Eiffel, le Louvre, Montmartre... les coins touristiques mais je compte y retourner maintenant que j'suis en âge de l'apprécier à sa juste valeur. » Et qu'elle le veuille ou non il viendra l'emmerder pendant son séjour, il la traînera au théâtre, elle lui montrera ses coins préférés. Ils pourraient même se faire une réunion à Paris à plusieurs, inviter les gens dont ils étaient proches dans le nid, ceux qui avaient été éliminés et compagnie. Ça sonnait comme un bon plan aux oreilles de Ghika.

Elle le reprend sur ce qu'il a qualifié, peut-être un peu rapidement c'est vrai, d'hypocrisie. Il sait bien que ce n'est pas le mot le plus adapté, mais il n'en trouve pas d'autre. « Pas pour nous, mais pour eux, ceux qui regardent et qui se disent « j'aimerais tellement être à leur place » nous voir déprimés alors qu'on a supposément tout pour être heureux c'est limite de l'ingratitude... » Voilà, ingratitude, c'était ça le mot qu'il cherchait. Ils doivent passer pour des ingrats, des rescapés par le public à plusieurs reprises qui se plaignent de ne plus être avec leurs potes qui sont dehors. Ghika ne pense pas une seconde à la sortie, il ne veut pas y penser, histoire de ne pas l'attirer trop rapidement. Quant à la feuille de la complainte... « T'as tout compris, t'es sa maman, si ça devient trop de responsabilité tu peux la passer à Tilda pour qu'elle s'entraîne. » plaisante-t-il avec un sourire. Il ne sait pas exactement comment Tilda peut gérer la pression que représente Fake Lover avec le stress d'une grossesse, c'est au-delà de ce qu'il pense pouvoir supporter. Bah voyons, voilà qu'elle le cherche maintenant ! Clémentine est bien l'une des seules qui puisse se permettre ce genre de comportement. Il ne sait pas pourquoi, elle occupe une place un peu particulière dans son cœur. Une sorte d'empreinte des premiers jours, c'était sa première partenaire et c'était la seule qui avait survécu à ces neufs premières semaines. « Eh oh ça suffit hein ! C'est pas moi qui t'ai forcée à venir me tenir compagnie non plus ! » fait-il boudeur en serrant ses bras contre son torse comme un enfant décidé à ne plus parler à sa copine pendant les cinq prochaines minutes. Les questions sur sa mère viennent et il ne sait pas exactement comment répondre. Il ne veut pas la descendre, « assassiner son personnage » comme elle dit. Elle le mériterait bien, mais il n'est pas assez froid pour ça. « Ouais, elle a jamais eu de grands rôles mais elle tourne beaucoup. Elle a toujours voulu être une ''grande star'', mais elle s'est résignée aux personnages secondaires et aux petits rôles maintenant je crois. Enfin ça l'empêche pas d'être dans un show à Broadway en ce moment et de se dire qu'elle va probablement décrocher un Tony... à mon avis elle rêve complètement mais bon. » explique-t-il avec un sourire mi-amusé mi-désespéré. Ghika aime sa mère, en dépit du fait qu'elle soit aussi vénale, superficielle et incapable de penser à quelqu'un d'autre qu'à elle-même. Il ne veut pas lui faire de la peine mais la deuxième question de Clémentine ne lui laisse pas le choix, il n'a plus qu'à espérer que ces images ne seront pas diffusées ou que sa mère ne les verra pas. « Ce sont mes nourrices qui m'ont élevé. A l'évidence elles ont pas fait un super boulot quand il s'agit de m'enseigner les bonnes manières m'enfin... elles ont fait de leur mieux avec ce qu'elles avaient ! Au fond je pense que je m'en suis pas trop mal sorti, si c'était ma mère qui m'avait élevé j'aurais jamais fini le lycée, j'aurais voulu devenir un enfant star ou un truc du genre. » Affamé de reconnaissance... ça il l'est, il a juste choisi de briller grâce à son cerveau plutôt que son image. De toute façon il n'a « pas le physique pour faire carrière » comme elle dit si bien de sa voix de velours en se foutant royalement du fait qu'un adolescent de quinze ans puisse vouloir entendre autre chose de sa mère. Visiter Paris avec Clémentine comme guide ? L'idée lui semble franchement alléchante. « Des lieux qui ont été témoins de tes folies ? » et de celles d'Hadrien, sous-entend-il. Ses yeux malins lui lançant un regard entendu.

Elle ne semble pas enchantée par la gueule de l'enfant dont elle vient d'hériter. « Faut être plus sélective avec tes conquêtes alors ! » plaisante-t-il, il doute qu'une feuille soit le résultat possible d'une fécondation humaine mais la génétique n'est pas sa spécialité, comme elle le sait fort bien. Quant à l'excuse qu'elle lui donne pour justifier sa présence, Ghika la trouve amusante mais pas convaincante. « Ta bonté te perdra, tu le sais ça ? » lance-t-il en ôtant de son crâne un chapeau imaginaire. Le commentaire sur sa mère le pique un peu. Il n'est pas dur, au contraire il se considère même franchement tendre avec elle. Le ressenti qu'il a envers celle qui aurait dû l'élever est un des maux qu'il a à gérer chaque jour, une plaie qui s'ouvre à nouveau à chaque fois qu'elle l'appelle pour prendre ses nouvelles. Ou plutôt l'informer des nouveautés dans sa vie sans vraiment s'intéresser à celle de son fils. « Non. Je suis juste avec ma mère, elle est bonne actrice, juste pas une grande actrice et elle le sait mais elle refuse de l'admettre. Et vis à vis de son rôle de mère elle n'a pas été maladroite elle a été inexistante, c'est un peu différent. » explique-t-il d'une voix ferme mais pas cassante. S'il devait cumuler le temps qu'il a passé avec elle il n'est pas sûr qu'il arriverait à trois années complètes. Temps que les enfants de trois ans ont à peu près déjà acquis. « Je me suis construit il y a longtemps, je pense juste qu'un enfant a besoin de sa mère et que j'ai pas vraiment eu ça. » regrette-t-il un peu. Ghika est fier de qui il est devenu, il tire une certaine fierté du fait de s'en être sorti seul, de n'avoir jamais demandé d'argent à sa mère, d'être indépendant. Alors quand elle lui dit qu'elle ne vit pas dans le quartier le plus classe qui soit, Ghika sourit. « Tant que tu n'as pas de cafards comme colocataires je peux tout supporter. Jusqu'à l'année dernière je vivais dans un quinze mètres carrés sous les toits alors bon... » Il n'a pas relevé ses réponses sur la visite des lieux qu'il sous-entendait, ils verront en temps voulus. Ce qu'il note c'est que Clémentine est un peu comme lui, elle vient d'un milieu où on a de l'argent mais apparemment elle ne vit pas dans le luxe. Cupidon a souvent mis en couple des gens qui ne se ressemblaient pas, c'est ce que Ghika pensait au départ, mais depuis quelques temps son opinion sur le sujet change, parmi les couples originels Felice et Aaron sont le plus assorti, artistes tous les deux ils semblent se compléter, et c'est la première fois qu'il se dit que Clémentine et lui ont probablement vécu des vies relativement similaires. Jusqu'à un certain point évidemment...