D'ordinaire, les médicaments, elle n'en prend pas vraiment. Sauf quand elle doit aller au Val-de-Grâce pour sa visite médicale annuelle. Elle stresse, parce que l'hôpital, elle déteste ça, et ça amplifie énormément ses symptômes quotidiens. Mais tous les jours, chez elle, les sédatifs, ils restent dans son tiroir à pharmacie. Elle se calme comme elle peut sans ça quand il le faut, parce que ça arrive peu - c'est sans doute pour ça qu'elle aime bien vivre à Quiberon. On ne la juge pas, on ne lui pose pas trop de questions, c'est tranquille, elle a de quoi s'occuper, un endroit où aller. Alors les prendre ici, même si ça ne la surprend pas, ça l'embête un peu, elle prend ça un peu comme un échec en soi. Elle est allée loin, pourtant, dans le jeu, presque au bout, sans craquer, et elle ne s'en pensait pas capable. Mallaury lui souhaite justement de ne plus les utiliser, c'est gentil. A vrai dire, elle sait qu'elle aura vite fait d'arrêter de les prendre en rentrant chez elle, mais c'est gentil quand même. Elle se contente de sourire, sincère, les lèvres pincées dans son éternelle pudeur. Le candidat insiste quand même, et lui demande une nouvelle fois si tout va bien, ce à quoi elle hoche la tête avec un peu plus de vivacité qu'avant, un nouveau sourire timide sur le visage. « Oh oui, ça va... je... je contrôle. » Elle contrôle quoi, au juste, elle n'en sait trop rien. Ca fait tellement longtemps qu'elle se contrôle sur tout et n'importe quoi qu'elle ne sait même plus ce qu'elle fait. Pour l'instant, elle contrôle surtout ses angoisses. Elle essaie de les garder pour elle, de ne pas trop les laisser sortir pour ne pas se laisser envahir à nouveau, pour ne pas craquer sous la pression sociale qui lui pèse depuis quelques jours et aussi pour ne pas déranger les autres avec ses peurs idiotes et insensées que peu peuvent comprendre. D'ailleurs, ces peurs insensées, pas mal d'autres candidats ont déjà dû les observer. Elle sent bien qu'elle perd le fil avec beaucoup d'entre eux. Ils se sont désintéressés, ou ne se sont jamais intéressés. Elle sait bien qu'elle n'est pas vraiment comme les autres. La remarque de Mallaury lui fait baisser le nez sur son verre, un peu gênée. « Oh ça, je ne sais pas trop mais... j'essaie. » Elle essaie d'être gentille avec les gens pour compenser son tempérament hypersensible, instable et difficile à gérer. Elle a ses hauts et ses bas, plus affirmés que beaucoup. Elle n'a pas la sensualité féminine de Paloma, elle n'a pas d'histoire d'amour rocambolesque à raconter comme Clémentine, elle n'a pas le sens de l'humour léger de Pia ni le côté détaché de Felice. Elle n'est pas charismatique pour un sou, comparée à toutes ces filles qui ont toutes l'air de rayonner de talent, de déborder d'histoires à raconter, elle n'est pas un modèle à suivre. C'est sans doute ce qui la perd avec tout le monde. Ils s'attendent sans doute à mieux, et puis finalement, quand elle ouvre la bouche, ils sont déçus. Elle est peut-être gentille, mais derrière, il y a une batterie d'éléments qui viennent gâcher le spectacle quand on creuse un peu trop et quand on la pousse à bout. Mais elle a l'habitude, alors elle brosse tout ça de la main rapidement. Mallaury prendra un verre de jus d'orange aussi, alors elle acquiesce. « D'accord. » Gaëtane se dirige vers le placard, prend un verre, puis va chercher la brique de jus d'orange dans le réfrigérateur pour servir son camarade. « Voilà. » Et puis Mallaury va remettre le gâteau dans le four et en profite pour se faire un peu mal aux doigts en laissant traîner ses mains sur la grille. Gaëtane sursaute un peu, parce qu'elle n'aime pas du tout ça, les choses qui brûlent. Alors elle ne bouge pas, parce qu'elle n'aime pas trop ça et que ça la met vraiment mal à l'aise. Encore une de ses peurs stupides qui reprend le dessus. Mais Mallaury a l'air de gérer la situation, alors ça va. Quant au temps de cuisson, elle n'en sait absolument rien. Elle a une expression un peu perplexe en se redressant pour voir le four, hésitant. « Euh... je ne sais pas... il vaut mieux peut-être juste laisser dix minutes, pour... éviter que ça ne brûle ? » hasarde-t-elle pour faire primer la logique dans la situation, à défaut d'avoir la bonne réponde. « Et puis si ce n'est toujours pas cuit, on laisse un petit peu plus... » ajoute-t-elle en haussant les épaules, toujours hésitant. Ils pourraient toujours surveiller toutes les cinq minutes pour être sûrs que rien ne brûle et ne rien rater du tout.

Gentille, douce, à vrai dire, elle essaie. Elle essaie vraiment, parce que pour elle, ça ne serait pas logique d'être méchante pour rien, ou violente. Ca ne servirait à rien, si ce n'est à encore plus l'isoler des autres, à lui donner une image d'animal sauvage, qu'elle a même peut-être déjà, après tout. Alors elle essaie d'être gentille, de s'intéresser aux autres, d'aider, parce que ça fait partie de ses efforts pour s'intégrer, ne pas attirer l'attention. Mallaury lui dit que ça marche, qu'elle l'est, mais elle n'en n'est pas si sûre. Elle n'est pas stable, ses réactions, ses émotions ne sont pas stables. Et parfois, elle peut réagir involontairement à quelque chose de manière violente. Pas nécessairement violente physiquement, mais pouvant être perçu comme violent par les autres, par le contraste, par les proportions que ça prend. C'est son principal ennemi : l'inconnu. Elle ne sait pas comment elle-même peut réagir aux choses, et elle ne sait pas non plus comment les autres réagiront. Alors elle essaie d'apaiser tout ça en étant gentille, même si parfois, ce n'est pas suffisant. Elle n'a aussi pas les compliments faciles quand il s'agit d'elle-même, alors c'est délicat de réagir à ce genre de commentaires. Elle ne sait pas, c'est tout. C'est plus facile de dire qu'elle ne sait pas que d'exposer les centaines, milliers de questions que tout implique. Elle coupe court à sa réflexion quand Mallaury lui demande combien de temps mettre le gâteau au four, en essayant de trouver quelque chose d'approprié et de logique à répondre. Elle n'a jamais fait de gâteau, alors elle va au plus évident pour elle et pour sa manière de penser. Elle répond, il la remercie, elle répond d'un petit hochement de tête, et sirote une gorgée de jus d'orange. Puis Mallaury revient et saisit une espèce de petit objet gradué, en demandant s'il s'agit d'un minuteur. A vrai dire, elle n'a jamais vraiment vu de minuteur, peut-être que monsieur Jollivet en utilise un, mais quand elle met un pied dans la cuisine, il a toujours fini de tout ranger. Elle affiche une expression perplexe, les yeux ronds comme des billes derrière ses lunettes. « Oh euh... je ne sais pas... peut-être ? » hasarde-t-elle. Visiblement, ça a une forme peu commune, peut-être que c'est aussi pour ça que l'objet ne lui dit absolument rien. Mallaury le règle à dix minutes, elle reste assise, alors que le candidat contrôle la situation. Il ne manque pas d'ailleurs de faire un commentaire sur cette histoire de gâteau et d'anniversaire. Gaëtane secoue la tête pour le contredire, parce qu'en fait, elle n'est pas d'accord. « Oh non, ne t'en fais pas, ce n'est pas très grave... » fait-elle simplement. Elle s'en fiche, de surveiller ou pas la cuisson de ce gâteau qui est sensé être pour son vingt-quatrième anniversaire. Ce n'est qu'un jour de plus, ce n'est qu'un gâteau, non ? « Ca me tient occupée, et puis comme ça, j'apprends un peu, aussi. » Elle aura appris au moins quelle tête aurait ce gâteau une fois bien cuit et sorti du four, ou le temps qu'il faut pour qu'il cuise, ou quelque chose comme ça. Et aussi à quoi ressemble un minuteur. Il se dit bien piètre organisateur d'anniversaires, ce à quoi elle hausse les épaules avec une moue un peu amusée. « Je ne suis pas très bien placée pour dire quoi que ce soit, je... je n'ai jamais eu de fête d'anniversaire, alors... » fait-elle d'un ton un peu léger. C'est vrai, elle n'a rien pour comparer, alors pour l'instant, tout va bien. Elle n'a aucun standard à suivre pour ce genre de choses. Peut-être que d'autres en auraient eu, mais elle, aucun, par manque d'expérience dans le domaine des fêtes en tous genres. « Mais merci, quand même... » ajoute-t-elle avec un sourire franc, lèvres pincées. C'est vrai, il a tenu sa promesse et il a essayé, le résultat importe peu au final. Un peu comme le jeu, en fait.

(wah c'est nul )