À défaut d’avoir eu des garçons, mon papa, à l’époque, s’était tourné vers la seule alternative possible : moi. Ma grande sœur était beaucoup trop coquette pour aimer jouer dans la nature. Le simple fait qu’une poussière se pose sur ses jolis souliers la rendait folle de rage, alors je vous laisse imaginer le portrait si elle s’était trouvée à ma place aujourd’hui. Déjà, lorsque j’étais toute petite, il m’amenait avec lui dans ses balades en nature, et il m’apprit bien vite à grimper aux arbres. Une vilaine habitude que ma mère me réprima un bon nombre de fois avant de se lasser, puisque je me réfugiais toujours dans le saule pleureur qui ornait notre terrain pour la fuir, elle et ses cris stridents. En vieillissant, j’ai délaissé ce vilain pli, même si je n’ai jamais perdu la main. Il suffit seulement de trouver le bon arbre pour que facilité l’escalade. Et je crois d’ailleurs que je viens de tomber sur l’un d’eux. Je scrute ce grand conifère qui trône en roi et maitre dans cette forêt, imposant de par sa grosseur et l’étendue de son feuillage. « Magnifique! » murmurais-je à moi-même. J’imaginais sans peine la vue qui pouvait s’offrir à nous de son extrémité, et mon envie de l’observer de mes yeux vus s’insuffla en moi. Je devais le faire. Un seul petit souci s’imposait : la première branche se trouvait un tantinet trop haut pour moi. J’allais avoir besoin d’un petit coup de main… Je veux bien me débrouiller seule la plupart du temps, mais parfois, il faut faire le nécessaire pour parvenir à ses fins. Le jeune homme avec qui j’avais discuté lors de notre arrivée dans ces abysses se baladait non loin de mon emplacement, et je le sifflais bien fort, afin d’attirer son attention. « Approche, j’ai besoin de ton aide. » Je le sentis hésitant, mais il finit par obtempérer. Tant mieux. « Désolé, mais je n’ai pas retenu ton prénom, je déteste siffler les gens comme ça, mais valait mieux ça que de hurler à tue-tête, t’aurais pris peur. » Je rigolais, trouvant cette éventualité plutôt amusante.

Je marche dans la forêt. A l’exploration de la faune et la flore. Malheureusement, il ne m’a pas l’air d’y avoir beaucoup d’animaux qui vivent par ici… C’est un peu trop aseptisé je trouve même. La forêt est limite trop parfaite pour être vraie. Rien avoir avec Piney Woods où je pouvais chasser le cerf. C’est alors que j’entends quelqu’un me siffler. Enfin je crois que c’est pour moi…Je ne suis pas sur, mais je cherche du regard la provenance du bruit. J’aperçois une candidate, blonde, un peu plus loin. Je reconnais immédiatement Simone, une des premières personnes avec qui j’ai échangé lors de mon arrivée. Et elle m’avait fait une très bonne première impression. Je ne peux que m’entendre avec quelqu’un qui aime la nature et camper, non ? A moins qu’elle ne se révèle être affreuse garce manipulatrice, mais bon ça seul le temps nous le dira. Je m’approche d’elle, histoire de voir ce qu’elle me veut. Puisqu’effectivement, a priori, c’était bien moi qu’elle sifflait. Elle aurait besoin de mon aide. Ah ? Elle n’a pas retenu mon prénom. Cela ne m’étonne guère. On ne peut pas dire que je sois inoubliable comme garçon. Je lui souris. « Pas de soucis, moi c’est Leandro. » que je lui réponds gaiement. « En quoi puis je t’aider ? Si tant est que je puisse t’aider, parce que bon, ce n’est pas dis que j’ai les qualités requises pour la tâche. » Allez savoir ce qu’elle va me demander. Rien de bien trop compliqué ou ennuyant j’espère.

Contrairement à ce qu’il pourrait penser, je me souviens très bien de lui. Difficile de passe outre l’un des seuls candidats n’ayant pas fait une petite crise existentielle à l’annonce de notre semaine de camping obligatoire. Il m’avait apparu comme un être sympathique, mais nous n’avions pas réellement eu le temps de réellement discuter, depuis. Et comme j’avais une affreuse mémoire, en ce qui concernait les prénoms, impossible de me souvenir du sien. Ainsi donc, à défaut de le héler d’une façon appropriée, je l’avais vulgairement sifflé, m’en excusant dès lors qu’il se résigna enfin à venir à ma rencontre. Du même coup, je m’enquérais de son prénom. Leandro. Le-an-dro. Je me le répétais quelques fois dans ma tête afin de bien l’assimiler – bien que je n’assurais aucunement de garantie quant à la réussite de cette technique. « Je vais faire mon possible pour ne pas l’oublier, cette fois. » lui dis-je même, affichant un air convaincu sur mon visage. La tâche s’annonça cependant ardue. Il n’y avait pas que son identité que je devais mémoriser, il était près d’une quarantaine dans ces abysses. Un nombre qui chuterait de moitié, le prochain prime achevé. « Oh, je suis persuadée que si. » mentionnais-je à mon compagnon, quand il me questionna quant aux raisons de sa venue. « Regarde cet arbre. Il est splendide… et parfait pour l’escalade. J’ai simplement besoin que tu me fasses la courte échelle afin que je puisse attraper cette branche. » Se faisant, je pointais la plus à même d’être agrippé du sol. À peine une trentaine de centimètres faisait en sorte de me la rendre inatteignable en solitaire. Mais à deux, ça devenait une vraie plaisanterie. « Tu montes aussi? » Je le lui proposais, sait-on jamais si une âme de grimpeur sommeillait en lui.

Elle ne connait pas mon prénom, mais ce n’est pas bien grave, je ne vais pas lui en tenir rigueur. On est quand même beaucoup dans le jeu, alors elle a des circonstances atténuantes. D’autant plus que je ne suis pas de ceux qui se font remarquer. Je suis certains que bon nombre ont du retenir le prénom de Ronan par exemple. Le sauvage aux cheveux long. « Et puis ça va, il n’est pas trop difficile à retenir. Ce n’est pas comme Tecumseh par exemple. » Il a un prénom bien plus compliqué. Même si je l’ai retenu pour le coup, mais bon c’est que je me le suis répété plusieurs fois dans la tête. Bon en attendant de quoi à t’elle besoin ? Même si je ne suis pas certain de pouvoir l’aider, elle peut toujours tenter, on verra bien. Je regarde l’arbre dont elle me parle. Elle veut que je lui fasse la courte échelle pour qu’elle puisse y grimper. « Je pense que ça devrait être dans mes cordes… » Que je réplique dans un sourire. Elle me demande si je veux grimper aussi. « Pourquoi pas…J’avais une cabane étant petit…Mon père l’avait fait…J’y montais très souvent avec mon frère…J’adorais cet endroit. » Que je dis en me souvenant. L’époque bénie. « Allez vas y. » que je lui dis en tenant mes deux mains et les mettant en avant pour lui faire la courte échelle. « Mais fais bien attention à toi surtout, je ne veux pas que tu te blesses. » En plus je me sentirais coupable. Peut être que ce n’est pas une si bonne idée que ça en fait. Si elle n’est pas très douée et qu’elle fait un faux mouvement… Mais bon elle doit savoir ce qu’elle fait quand même…J’espère.

Il y a bien des choses que je retiens, mais l’identité des gens, à moins de bien les connaître, reste l’une de mes plus grandes failles. Vous pouvez me demander ce qui s’est passé quatre ans auparavant, à une date précise, et j’arriverai surement à vous le dire, mais j’aurai peine à nommer le nom de votre chien, ou de votre mère. Ainsi, j’ai droit à tout un exercice en la matière dans ce jeu. Ma fière amie serait mise à rude épreuve. « À tes souhaits. » laisse-je entendre, un peu distraite quand il me fit sa remarque. Ça, c’est jusqu’à ce que je réalise qu’il n’avait pas éternué, mais bien, plutôt, prononcer le nom de l’un de nos camarades. « Tecum quoi? » Non, définitivement, il y a des prénoms plus aisés à retenir que celui qu’il vient de me citer. J’ignorais même que l’on pouvait affubler son enfant d’un tel patronyme.  Je secouais la tête, découragée. « Je préfère le tien, en définitive. Plus simple à retenir… Tu me le rappelles, déjà? » Bon, je blaguais, bien sûr, et j’espère qu’il s’en rendait compte. Mon petit clin d’œil complice dû lui mettre la puce à l’oreille. Bref, je me doutais bien que la tâche que je souhaitais lui refiler n’allait pas être trop difficile pour lui. Et tant qu’à grimper, aussi bien lui proposer de m’accompagner jusqu'au sommet. Il y avait assez de place pour deux dans cet arbre. « La chance. » À savoir si je parlais de cette cabane dans un arbre qu’il avait eu, où le fait qu’il ait pu s’amuser ainsi avec son propre frère.  Ma sœur et moi étions tellement de deux univers différents que je nous imaginais mal entretenir un semblant de relation fraternelle. Il n’y avait que mon père qui faisait exception à la règle. Pas étonnant que je lui ressemble autant. Leandro se plaça donc en position et m’invita à monter, me sortant de mes songes. Il y alla même de quelques recommandations, soucieux de ma sécurité. Presque mignon. « T’inquiète pas pour moi. » Et puis, si je tombais, il n’y avait que moi à blâmer. Après tout, c’était mon idée, pas la sienne. Prenant appui sur ses mains jointes, j’attrapais la première branche et me hissait non sans mal sur celle-ci, où je m’installais à califourchon, lui souriant. « Besoin d’un coup de main? » Il me semblait ne pas être plus grand que moi, ainsi donc, peut-être que cette main que je tendais en sa direction puisse lui être d’une aide quelconque.