@imma Maintenant qu'il avait enfin mit la main sur une bouteille de rhum dans le ravitaillement, il allait pas risquer de la partager avec monsieur et madame. Ronan, il a vite taillé la route vers le premier endroit isolé qu'il a trouvé, la cabane. Le cul par terre, le goulot aux lèvres, il laisse échapper un soupir de contentement quand la première lampée lui brule le larynx. - Dieu. Merci. Un sourire traverse ses lèvres lorsqu'il remarque qu'il est pas tout seul. Même pas la présence d'un autre être humain pourrait l'emmerder en cet instant. - Je partage pas. Il précise, au cas où, clairement pas d'humeur aussi miséricordieuse, faut pas déconner non plus. La deuxième gorgée passe aussi bien que la première, la troisième aussi. C'est comme rentrer à la maison. Dieu. Merci. - Pas de tronçonneuse, j'vais pas te découper aujourd'hui. Il lance, voyant la petite se terrer de plus en plus dans son coin. Pas sur que ça la rassure beaucoup. C'est pas son truc Ronan, parler aux femmes. En fait, c'est surement pas son truc d'parler tout court.

Imma aime le silence. Elle aime rester dans son coin à ne rien demander aux autres, à faire son petit trou de son côté sans s’étaler devant la caméra. C’est certainement ce qui la perdra cette semaine d’ailleurs. Apparemment il faut se montrer, s’afficher. Elle ne le fera pas. Elle préfère s’exiler dans la forêt depuis l’aube. Elle a pris quelques trucs à grignoter qu’elle a déjà mangés. Sur sa route, elle a cueilli deux, trois feuilles qu’elle est en train de travailler entre ses doigts. Travail délicat qui tranche avec la personne tombant au sol non loin d’elle. Elle sent son poids. Il souffle, plusieurs fois, alors elle tourne sa tête sur lui. Ses grands yeux curieux coulant sur la masse qui ne s’agite que très peu, simplement un bras qui se lève doucement de temps en temps. Il ne partage pas. Ca tombe comme une remise à l’ordre, comme une intimidation. Elle baisse les yeux, détourne alors son visage, fixant le mur devant elle. Elle se pince les lèvres. Elle ne boit pas trop qu’il soit tranquille, elle ne lui demandera rien. Même si elle buvait des litres, elle ne lui aurait rien demandé, elle n’oserait le faire. Doucement son attention se reporte sur ses feuilles tordue qu’elle essaie de lier entre elles. La voix de l’homme, comme un tonnerre, gronde encore. Il parle de tronçonneuse. Apeurée, elle ouvre un peu plus grand ses yeux, s’enfonçant dans son coin. Ce n’est pas drôle, pas lâché de cette manière comme un cheveu sur la soupe. Il pourrait être sérieux, le voir armé d’une tronçonneuse n’est pas si incongru que ça. Avalant sa salive, elle baisse de nouveau les yeux. « Et demain ? » Qu’elle demande de sa petite voix incertaine et brouillée par son accent africain. Elle n’a pas de blague derrière la tête. Elle ne rigole pas. Elle aimerait savoir si elle doit prendre peur, si elle doit faire ses adieux, si elle doit se cacher pour échapper à son courroux. Façon de parler bien évidemment, il ne la tuera pas. On ne peut pas nier, l’homme fait assez peur. Il est impressionnant, trop.

Il fait peur Ronan. C'est comme ça, il est taillé comme ça. Et puis, ce p'tit séjour en foret n'a pas vraiment du arranger sa tronche, c'est qu'il s'est pas lavé trois jours. Et qu'il s'en fout. Mais il va pas mentir, ça lui fout les boules que la p'tite elle ait peur comme ça, comme s'il allait se lever pour l'achever dans son coin. Comme s'il avait déjà levé la main sur une femme. - J'ai jamais blessé une femme. Physiquement du moins. Il essaie même de tempérer la rage qui pulse normalement dans sa voix. C'est qu'il deviendrait presque sociable l'animal. - Je suis pas comme ça. Ouais, c'est dur à croire mais c'pas les femmes qui disent toujours qu'faut pas juger les apparences ou une connerie comme ça? - Qu'est ce que t'fais? Il demande, pas le moins du monde intéressé mais ça le perturbe de la voir comme ça, comme une gazelle sur le point de se faire bouffer par le lion. - On t'as déjà fait du mal? Il demande aussi, parce que ça vient de lui traverser l'esprit. C'est p'tetre juste elle, qu'à peur de tout. Ou p'tetre qu'elle a déjà eu affaire à des gros gabarit comme lui. Il vaudrait mieux pas, c'est le genre de trucs qui le rendent violent, savoir qu'y'a des ordures qui touchent les femmes. Putain de faibles. Ouais, Ronan est pas tout tendre mais jamais il toucherait une femme. Jamais. Même ivre mort. Même pour sauver sa vie. Jamais. C'est la règle. Ça devrait l'être pour tout le monde.

Imma est subjuguée par l’homme de l’autre côté de son coin. Elle avale sa salive, l’impression de ne devoir pas bouger de peur de le voir se mettre en colère. Une connerie, dont elle est affreusement honteuse. Elle baisse les yeux, comprenant très bien qu’il ne toucherait pas à une femme. La galanterie des violents. Elle n’ajoute rien, se contenant d’esquisse un léger sourire vaporeux, baissant son regard sur ses feuilles. Elle les tord, les enroule, les tresse difficilement avec doigté. Il lui demande. Imma bouge sa tête de droite à gauche. Elle n’a jamais été victime de coups, pas officiellement tout du moins. De la violence ordinaire, des bousculements, mais surtout des mots. Ou des regards de travers. Des jugements. Il faut l’imaginer comme elle est, en Afrique. Silencieuse l’espace d’un instant, elle finit par se mouvoir sur ses genoux. Elle sort de se pénombre, ses yeux braqués sur lui comme pour s’assurer qu’il ne se jettera pas sur elle. Une vrai petit animal sauvage. Assise devant lui, elle hésite un instant. Elle expulse un souffle, avant d’approcher difficilement ses doigts de son poignet. Ca lui fait mal, c’est comme une brûlure virtuelle que de sentir son regard sur elle. Sur ses doigts couleur ivoire, ses ongles plus clair encore, entrecoupé de tâche noirâtre comme celle d’une vache. C’est peut-être ce qu’elle déteste le plus chez elle, peut-être plus encore que les taches de son visage, pourtant plu visible. Tout ça pour au final poser sa tresse de feuilles sur son poignet bien plus épais que le sien, trop pour son bracelet. « Un bracelet » Qu’elle précise alors, répondant au final à sa question. Elle essaie en vain de l’ajuster, mais souffle résignée. « Trop petit. » Avant de détourner son regard, embarrassé.

À l’origine, cette tresse n’était destinée à personne en particulier. Elle s’était dit qu’une fois fini et une fois le temps passé, elle l’aurait très certainement donné à sa partenaire de tente pour lui faire plaisir. Le destin en décida pourtant autrement. L’homme arrivant avec son envie de boire et la voilà à présent tout proche de lui, sa peau quasiment contre sa peau. Elle n’a pas l’habitude. On ne le lui permet pas trop chez elle. Déçue de ne pouvoir l’ajuster à son poignet, elle peine à trouver une solution. Solution qu’il trouve à sa place, l’intimant de ne pas bouger. Alors elle ne bouge pas. Ses yeux sombres interrogateurs se posant sur l’homme, accueillant la bouteille comme l’on tiendrait une grenade amorcée. Il l’a prévu, il ne partage pas, elle le regarde peiner pour partir de la cabane. Tout comme pour y revenir. Il lui a rapporté des feuilles. Elle ne peut s’empêcher de sourire en baissant la tête. « Merci. » Qu’elle chuchote, tandis qu’elle se remet à l’ouvrage. Passant de nouvelles feuilles dans sa tresse, elle n’a pas honte de le faire devant lui. Peut-être déjà trop imbibé d’alcool, il ne lui fait aucun commentaire sur sa différence et ça lui plait. Ca la rassure. S’exécutant rapidement et le laissant boire sans s’en occuper, elle fini une tresse bien plus longue, bien plus appropriée au gabarie du bonhomme. Sans même de gêne, elle prend de nouveau son poignet pour refermer autour son ouvrage artisanal fragile. Elle se penche un peu pour le nouer, plus fière. « Un souvenir » Comme s’il n’était pas venu pour rien. C’est ridicule, elle le sait. Elle s’en mord les lèvres, lachant son poignet, soufflant : « Tu t’appelles comment ? »

Ça lui donne l'impression qu'il pourrait tenir plus longtemps dans ce trou paumé le rhum. Ça lui donne l'impression qu'il pourrait même supporter l'autre abruti s'il passait la porte. Ou qu'il pourrait lui en mettre une sans se sentir coupable. Non, ça c'est à cause de son absence de conscience, même sans rhum ça aurait été le cas. Et la p'tite est d'une compagnie agréable. Assez pour qu'il oublie jusqu'à sa présence tant qu'elle le touche pas de nouveau. Ah oui, c'est vrai, son bracelet. C'est sa faute en plus à l'autre. Il se demande déjà comment il va faire pour pas le perdre Ronan. Assez pour se dire que le rhum l'a déjà bient atteint. - C'est bien. Beau. Il précise pas. On dit pas ces choses quand on est comme lui. Bien fait. Sacrément bien fait en fait, il serait pas capable de sortir un truc comme ça avec ses doigts. - Ronan. C'est bizarre qu'elle lui demande. Ils le savaient tous plus ou moins. Ou se sont contentés de le traiter d'ours. Perspicaces qu'ils peuvent être parfois. - Sourit plus souvent, ça te va mieux. Il sort, de nulle part avant d'observer sa bouteille d'un œil acéré. C'est sa faute, c'est certain. Pourtant c'est vrai, qu'elle est plus joli comme ça. C'est qu'il l'a vu sourire, même s'il a pas relevé, à cause de feuilles. Si on lui avait dit que ça suffisait à satisfaire une nana, il aurait couru en forêt plus souvent. - Ton travail? Il demande en désignant le truc à son poignet du menton, au summum de son niveau de bavardage, même avec une demi bouteille dans le sang.

Comme si l’on voulait se souvenir d’elle, elle accroche le bracelet au poignet de l’impressionnant comme elle s’accroche à l’idée que l’on ne pourrait se passer d’une personnalité pareil. Elle ne parle pas beaucoup aux autres, mais elle avait entendu parler de cet homme considéré comme ours ou bête sauvage. Elle n’aime pas ces comparaisons animales, trop marquée depuis toujours par celles-ci. Et puis elle n’avait pas prêté attention à ce qu’il se disait. Elle voyait bien de ces yeux que tout était exagéré. Malgré la bouteille de rhum et son air plutôt ailleurs, elle se sent plus rassurée par sa présence qu’agressée. Elle ne relève pas son compliment, tout du moins pas en apparence, parce qu’intérieurement ça lui fait vraiment plaisir. Le bracelet fixé, elle entreprend de glisser sur ses genoux jusqu’au mur, s’éloignant de lui, mais pas autant que lorsqu’il est arrivé. Ronan. Elle n’avait jamais entendu son prénom. Parce qu’il ne lui demande pas en retour, elle ne dit pas le sien. Ce n’est pas instinctif chez elle. Elle se contente d’avaler sa salive légèrement de travers, une expression pus ahuri. Elle ne s’attendait pas à ça. On ne la complimente pas beaucoup, si c’est un compliment. Passant sa main sur son visage, elle se sent alors légèrement poussée à sourire. Les commissures de ses lèvres se soulevant. Après tout si ça lui va mieux, elle ne va pas faire exprès de faire la tête. Tête qu’elle bouge vivement de droite à gauche. « Non. » Une occupation. Si c’est bien ça qu’il lui demande. « Je fais la vaisselle… Dans un restaurant. » Elle ne rajoute pas « pour les blancs » même si elle le pense fortement, il parait que ça fait trop raciste. Mais c’est un fait, une vérité. Les noirs n’ont pas de quoi se payer quoique ce soit dans ce restaurant, même pas le menu dit « premier prix ».