+ GEKKO

La nuit avait été courte mais pas pour le moins désagréable. Il faut dire que ça avait été fort sympathique de retrouver un lit, avec surtout un vrai matelas et non pas un simple sac de couchage, comme on avait pu nous en servir la semaine passée. Les abysses étaient donc définitivement derrière nous ce qui ne pouvait évidemment que me ravir puisque je n'avais clairement pas envie de repasser une semaine dans un enfer tel que celui ci. Et si je ne me faisais pas encore à tout ce luxe qui nous entourait il était certain que c'était tout de même plus plaisant qu'un rien, un néant absolu comme nous l'avions vécu. Et encore, ils nous donnaient de quoi manger, c'était déjà ça. Ce matin là, je m'étais donc levé, allant prendre une douche tout en profitant un maximum de l'eau chaude qui était à ma disposition. Enfilant un boxer j'avais par la suite choisi de me rendre au dressing où j'avais rangé toutes mes affaires un peu plus tôt dans la nuit. Un autre candidat était d'ailleurs entrain de s'y affairer, pendant ses costumes apparemment hors de prix. « Joli. » me contentais-je de lui dire en envoyant un hochement de tête en direction de celui qu'il avait entre les mains. Là dessus, j'ouvrais le compartiment qui était le mien, et enfilais un simple tee shirt blanc ainsi qu'un jean bleu foncé, rien de bien affriolant, je n'étais pas du genre à supporter être habillé en costume toute une journée. Observant à nouveau l'asiatique, je me souvenais vaguement de l'image qui avait été diffusé de lui lors du plateau, ne renvoyant pas la même idée que je pouvais me faire du personnage que celle que je voyais maintenant, si bien que je ne pu m'empêcher de demander « Ils t'ont réellement demandé de poser torse nu ? » La production, vu qu'il l'était sur son visuel. Etrange. Cela dit ils m'avaient bien forcé à passer toute une moitié de semaine de la sorte, alors je suppose qu'ils n'avaient pas du se gêner. « Ils t'ont donné quoi comme arguments pour que t'acceptes ? » A sa place, je ne sais pas si j'aurais accepté, cela dit.

L'enfer des Abysses est derrière lui, le cauchemar est terminé. Il n'aurait jamais pensé que son confort lui manquerait autant. Du savon, une douche, un lit, le bonheur, l'extase. Bon, n'exagérons rien, mais notre homme d'affaire ne cache pas son plaisir. Si, si on peut apercevoir un léger rictus au coin de ses lèvres, signe de sa satisfaction face à ce confort retrouvé. Il a donc passé une nuit convenable, jamais agréable, car cet insomniaque a toujours des difficultés pour dormir, pire lorsqu'il se retrouve en dehors de chez lui. Ce n'est donc pas étonnant de le voir se réveiller aux aurores. C'est aussi une habitude pour cet acharné du boulot que de se lever extrêmement tôt. Ici pas de pression, mais son horloge biologique est ainsi réglée, alors à six heures pétante, ses yeux s'ouvrent. Il a donc profité de sa matinée et surtout du fait que les ¾ des habitants du nid pioncent encore à cause de la soirée de la vieille pour être tranquille et à son aise. Ravalement de façade, petit-déjeuner et le voilà à l'étape pliage de slips, chemises et costards. Il doit avoir dans sa garde-robe une ou deux tenues décontractées. Ce perfectionniste et grand maniaque ne sort jamais sans une belle chemise bien repassée et sa belle veste noire cintrée. Et alors qu'il range bien soigneusement chacun de ses vêtements à la place qui lui a été assignée dans le dressing, un candidat fait son entrée. Un simple regard furtif en sa direction et Monsieur redirige son attention vers le vêtement qu'il s'apprête à ranger. Même s'il ignore légèrement sa présence, il n'est pas pour autant sourd et entend le compliment du jeune homme envers la tenue qu'il a entre les mains. « C'est mon pyjama ... » murmure-t-il à lui-même ne comprenant pas ce que vient foutre ici un compliment alors que ce n'est qu'un pyjama. Certes couteux, mais ça reste un pyjama. Trêve de plaisanterie, il se reconcentre sur le rangement de ses affaires. Minutieux, précis, c'est tout un art chez Gekko le pliage des chaussettes. Mais le candidat est bavard, le candidat veut parler, sauf que Gekko n'aime pas parler. Sans même daigner lui lancer le moindre regard, il lui répond tout simplement. « Ce n'est qu'une photo ... » Qu'il s'estime heureux, même s'il n'arrête pas ce qu'il est en train de faire pour converser face à face avec lui, il lui répond. Pire encore, il en rajoute. « ... Et c'est mon meilleur profil. » Ce n'est pas de l'humour ou du second degré, il le pense réellement. Cette pose, est son meilleur profil.

Il est certain qu'à côté de toutes ces tenues que le candidat semblait avoir dans sa propre collection personnelle, les miennes semblaient presque un peu fade en comparaison. Disons que je n'aimais pas en mettre plein la vue, parce que je n'en ressentais pas le besoin pour être bien dans ma peau. C'était peut être assez contradictoire au final, lorsque l'on savait que je n'étais pas non plus la personne la plus sûre d'elle au sein de cette aventure. Je préférais croire que ça n'était pas l'habit qui faisait le moine, comme le disait si bien l'expression. Oui, je n'aimais pas m'arrêter aux simples aprioris qu'une tenue ou une coupe de cheveux, ou même un visage pouvait renvoyer. Aussi, je ne m'étais placé aucune limite quant à la découverte de chacun de mes camarades. Evidemment, il serait mentir de dire que tout le monde m'attirait à la même échelle, puisque ça n'était pas le cas, qu'il y en avait qui ne me le faisaient jusqu'ici que très moyennement, mais je tentais de passer outre mes premières pensées, qui étaient bien souvent mauvaises. C'était pour cette raison que j'avais tenté de faire un effort avec l'asiatique. Non pas qu'il faisait partie du lot de ceux qui m'agaçaient d'ores et déjà puisque je ne l'avais jusqu'ici presque jamais vu, mais surtout parce que je me voyais assez mal passer dans une pièce sans adresser le moindre mot à la personne avec qui je m'y trouvais. Simple question de politesse. Je l'observais un court instant prendre la parole, une fois, et puis deux, avant de hocher machinalement la tête « Hm, hm. » lui répondis-je un peu distrait, en commençant à déballer les vêtements plus ou moins bien pliés de ma valise pour les transvaser dans le compartiment qui m'était propre. « Tu n'as pourtant pas l'air d'être du genre à porter des blousons en cuir. » Ou avoir un look badass. Non, il semblait même plutôt propre sur lui.

Il est concentré et absorbé par la tâche qu'il est en train de réaliser. Il faut que chaque chose soit à sa place, plié proprement pour éviter que ça froisse, il faut que ça soit carré et organisé. Si une personne déplace ne serait-ce qu'une chaussette, il va le voir. Il est certain qu'il vit quotidiennement avec des tocs, ou alors c'est tout simplement un type carré et ordonné, mais poussé à l'extrême. En tout cas il ne laisse rien au hasard et aurait bien préféré être seul jusqu'à la fin de sa tâche pour éviter d'être déconcentré. Bien que pour attirer son attention, il faut mettre le package. Il n'est pas facilement abordable, sauf que pour le coup, il ne laisse pas le jeune candidat sans réponse. La question est stupide, sans grand intérêt, mais Gekko réplique et y met son sérieux. Le second degré, il ne connaît pas. On peut être intelligent, mais un véritable ignorant sur certaines choses qui sont futiles pour certains, inconnues pour des personnes comme notre homme d'affaire. C'est donc toujours avec le même sérieux qu'il poursuit la conversation. « C'est exact ... » Oui, Monsieur ne porte pas ce type de vêtement au quotidien. Il préfère les chemises et les cravates. « ...mais c'était soit le blouson en cuir, soit rien. N'étant pas un exhibitionniste, j'ai accepté le blouson » On distingue tout de même de l'amertume dans sa voix. Le shooting ayant servi à prendre la photo n’a pas dû être une partie de rigolade. En effet ce fut un cauchemar. C’est pour cette raison qu’il met fin à la discussion, du moins il arrête de bavasser sur ce sujet. D’ailleurs son regard se pose directement sur les affaires que déballent le candidat. Un bordel, le foutoir. Il ne faut pas qu’il regarde, sinon il va devenir fou. Dès qu’il commence, on ne l’arrête plus. Qu’il se concentre sur ses propres affaires sans se mêler à celles des autres. S’il laisse sa maniaquerie l’envahir, Cupidon risque de l’embaucher comme domestique d’ici la fin de l’aventure. Alors qu’au quotidien il ne lève habituellement jamais le petit doigt. Il paye des gens pour le faire à sa place. Néanmoins ici il n’a pas le choix et son envie que tout soit nickel étant constamment présente, il faut mettre la main à la patte. « votre slip ... » Et à défaut de se mêler directement aux affaires du candidat, Gekko pointe du doigt un slip, ou caleçon, mais pour lui c'est du pareil au même, qui vient de tomber par terre de la pile qu'il a entre les mains. Il est prévenant, ou surtout il n'a pas envie qu'il le laisse traîner au sol.

Je ne savais pas bien si l'on pouvait dire de moi que j'étais quelqu'un d'ordonné, puisque de toute évidence, comparé à ce garçon là, j'avais encore bien des choses à apprendre, mais je faisais de mon mieux, c'était certain. En même temps, lui semblait pousser le vice à l'extrême en pliant tout parfaitement, comme si rien ne devait dépasser. Personnellement, du moment que je pouvais porter l'habit sans qu'il soit trop froissé après, ça m'importait peu. D'ailleurs, mes boxers empilaient plus ou moins aléatoirement les uns sur les autres, me disant que peu de mon en verrait la couleur et qu'une fois mis, ils ne seraient pas froissés. Ils ne l'étaient jamais. Alors oui, peut-être étais-je un peu trop négligeant concernant mon image, mais on ne pouvait pas non plus dire que je ressemblais à rien, que ce que je portais était disgracieux ou pas franchement potable. C'était certes banal, mais tout le monde avait du voir pire dans sa courte vie, et c'était à cette idée là que je préférais me rattacher. Le candidat me répondait donc que ça avait été la veste en cuir ou rien, ce qui m'étonna quelque peu. Des visuels que j'avais vu, personne n'avait l'air totalement dénudé, pas même Istvan qui devait pourtant être l'un des candidats les mieux bâti. C'était surtout étrange qu'ils aient demandé à un gringalet comme lui plutôt qu'à un des colosses du nid, m'enfin, pourquoi pas. C'était peut-être un moyen comme un autre d'attirer l'attention sur ce candidat qui paraissait tout de même plus discret que la plupart de mes camarades. Bref, sans un mot de plus, je continuais donc à déballer mes affaires, pas franchement soucieux de l'ordre dans lequel je les posais. Disons qu'elles étaient pliées, et que c'était bien tout ce qui comptait. Sauf que voilà, le doigt du garçon me rappela à la réalité lorsqu'il le pointa en direction d'un de mes boxers qui s'était fait la malle, trônant maintenant à même le sol. Le ramassant, je marquais une courte pause avant d'ajouter « ... Au moins, tout est propre. » Comme si je ressentais le besoin de me justifier. Car oui, il devait me prendre pour un sacré malpropre par rapport à lui.

S'il est aussi soigné, précis et méticuleux avec le rangement de ses vêtements, c'est qu'au quotidien c'est une personne organisée et surtout qu'il ne faut pas oublier qu'il est directeur général de plusieurs magasins de prêt-à-porter de luxe. Donc mettons ce toc sur une déformation professionnelle. Passant quotidiennement dans les rayons des divers magasins qu'il dirige, il faut que tout soit nickel, que rien ne dépasse, qu'il n'y ait aucun plis sur les habits. Forcément une fois dans son dressing le réflexe est là et il faut que tout soit parfaitement rangé. Ce n'est pas excusable d'utiliser sa profession pour expliquer cette manie. Donc oui, on peut aussi dire qu'il a un pète au casque. Mais ce n'est pas nouveau, il est dérangé ce bonhomme. Passant rapidement sur le sujet de la photo, du shooting, il est rattrapé par ses vilains réflexes qui le poussent à dénoncer le slip tombé de la pile au candidat présent dans la pièce. Rien n'échappe au regard de notre homme d'affaire. Pas même ce second slip dissimulé dans un coin de la pièce. Un peu de velours, de léopard, ce slip est étrange. Slip à qui il manque du tissu, pas sûr que la ficelle soit efficace pour cacher le fessier de la personne en entier. Cela pourrait éventuellement appartenir à une candidate, mais la taille parachute et le style sauvage correspond plus à Conan le barbare, ou Ronan, peu importe. « Celui-ci n'est pas à vous je suppose ? » Dit-il en pointant du menton le vêtement. Peut-être qu'il se trompe, voilà pourquoi il questionne le jeune homme. Ce slip peut lui

On ne pouvait pas dire que le jeune homme avait de quoi mettre à l'aise, non, il semblait même plutôt du genre à se fichre des gens qui l'entouraient du moment qu'on le laissait tranquille. Je n'étais pas bavard non, mais principalement parce que j'avais l'habitude que l'on fasse la conversation à ma place, ce qui n'était de toute évidence pas le cas ici. Et c'était gênant. Gênant parce que je ne savais pas quoi lui dire. Peut-être devrais-je juste m'abstenir de parler. Avait-il conscience que nous étions dans un jeu où les relations primaient sur le reste, et que rester trop longtemps dans son coin pouvait clairement lui couter sa place, et plus rapidement qu'on ne pourrait l'imaginer. Personnellement, je n'en avais rien à faire, et je n'allais même pas lui dire puisqu'au final, ça n'était pas mes affaires. Non, au lieu de ça, je me contentais de ranger celles ci dans le compartiment qui m'avait été réservé, ou plutôt que j'avais choisi. Mes prunelles jonglaient entre mes vêtements et le regard du jeune homme, quelque peu intrigué par ce caractère si différent du reste des habitants. C'était probablement pour cette raison qu'il était ici. Il n'allait pas faire l'unanimité, mais pour ma part, je le trouvais assez intéressant. Il finit par pointer un slip trainant un peu plus loin en assumant que ça n'était pas le mien. Automatiquement, mes prunelles s'étaient rivées sur celui ci avant de découvrir le carnage. « A vrai dire, j'espère qu'il n'appartient à personne. Je ne suis pas certain de pouvoir supporter un spectacle du genre en grandeur nature. » Autant vous dire que si un candidat portait réellement ce slip, il risquait de se faire chambrer un moment par les autres. Mais peut-être était-ce le sien au final ? Peut-être voulait-il simplement voir ma réaction ? « Pourquoi, tu aimes ? » Sait-on jamais.

Il faut de tout pour faire un monde. C’est certain que sa personnalité et l’attitude qu’il adopte depuis le début n’est pas forcément adapté au contexte du jeu. Si ça avait été une télé-réalité avec un thème étroitement lié au travail, il aurait été comme un poisson dans l’eau. C’est sa bulle, le monde qu’il côtoie quotidiennement et en dehors de cette sphère, c’est le néant. Donc il est logique qu’avec un tel contraste il ne soit pas immédiatement à l’aise. Croyez-le ou non, mais depuis son entrée il enchaîne les efforts. Ce n’est pas apparent et on ne le remarque pas immédiatement, mais les personnes qui le connaissent et qui l’ont rencontré à l’extérieur diront que c’est un exploit. Ça l’emmerde, il ne le cache pas, mais il essaie. C’est sans doute la mauvaise volonté qui accompagne ses efforts qui font que ce n’est pas évident au premier abord. Sauf que pour le coup le candidat est chanceux, Gekko est plutôt bavard en cette matinée. Il s’y prend comme un manche, tente d’amener un sujet de conversation et il obtient même une réponse. « Non, ce slip n’est pas à mon goût, mais je m’abstiendrais de porter un jugement sur le propriétaire de ce vêtement » Chacun ses goûts. Par contre à ne pas avoir l’habitude de converser, il arrive le moment où tu ne sais plus quoi dire. Notre homme d’affaire se retrouve confronté à ce type de situation. Bien que ça ne soit pas la première fois depuis le début du jeu. C’est même souvent le cas, mais ce n’est pas étonnant. Il a pris le réflexe de s’éclipser lorsque ça arrive, mais pour le coup il tente de relancer. « Bien que ça soit passionnant de parler autour d’un slip, par curiosité, vous faites quoi dans la vie ? » Rien à voir, mais il prend exemple des candidats qui sont venus à lui de la sorte pour lui poser bon nombre de question sur sa vie. Il a écouté,  observé, maintenant il met en pratique. Bien qu’au fond il s’en fiche royalement. Disons qu’il est en apprentissage et que le cours est « les relations humaines ».