+@Ziggy
Imma n’a en soit encore rien vu de leur « demeure » pour l’instant. Elle va à son rythme. Elle se dit qu’elle n’a pas besoin de se presser, que le temps lui fera apprécier chacune des pièces à sa juste valeur, si le temps lui est donné. N’importe qui pourrait s’en aller en fin de semaine, personne n’est à l’abri d’une élimination, mais elle ne pense pas à ça. Comme pour les pièces du nid, elle espère qu’avec le temps, elle portera tous les candidats dans son cœur. Même ceux aux antipodes de ce qu’elle est et de ce qu’elle apprécie – parce qu’elle n’a pas le pouvoir de désigner qui est pire qu’un autre. Poussant du bout de ses doigts la porte de la salle de bal, une espèce de frisson vient se saisir de ses bras. Lèvres pincées, elle aligne les pas maladroit sur le parquet ancien. Ses pieds nus, blancs, tranchant avec le vieux marron passé. Et puis elle se pose tout contre la grande baie vitrée, la tête penchée vers l’extérieur. C’est plus beau encore à cette heure-ci, lorsque la journée rencontre la nuit et que la lumière commence à décliner. Elle pourrait passer des heures ici. Si seulement il lui était permis de rester toute la saison – ou tout du moins une bonne partie de la saison – c’est assurément l’un des lieux qui lui deviendrait favori. Un lieu, dit « commun », emprunté et qui a pour vocation d’être emprunté par tout le monde par le biais de l’écran et qui du coup est délaissé lorsqu’il peut s’agir de s’exiler, de se retrouver seul. Si l’on veut se cacher la personne lambda ira dans un lieu plus clôt, plus petit, plus à l’écart. Elle, elle se dit que c’est justement là-bas que l’on pourrait la chercher. Que ce n’est pas dans la salle de bal qu’un petit malin irait la chercher. Et pourtant.

Peu à peu, je visite tous les endroits du nid. Ce serait me mentir à moi-même que de dire que je ne suis pas fasciné par tout ce qui m’entoure ici. C’est faux. Tout est beau, tout est intriguant. J’aime bien. Etonnamment, j’me plais bien ici. Pourtant, rares sont les endroits où je me plais réellement. M’enfin, qu’importe. Je me rends alors dans la salle de balle. Je crois que même mon appart est plus petit que cette salle. C’est beau, c’est lumineux, ça me fait presque pensé à la belle et la bête, à la scène où ils dansent dans cette grande salle splendide. D’ailleurs, la belle est là, près d’une baie vitrée. Et c’est plus fort que moi, je m’approche d’elle très discrètement de manière à ce qu’elle ne m’entende pas. Et puis d’un seul coup : « Bouh ! » je gueule avant de rire comme un crétin. Il fallait que je garde le rôle de mec qui lui faisait peur, non ? La pauvre finirait par faire une crise cardiaque, mais ce n’était pas bien grave. « D-danse avec moi » Ce n’est pas vraiment une question, en fait, c’est plutôt un ordre. Parce que cet endroit s’appelait salle de bal, et qu’il me faisait penser à cette scène débile d’un dessin animé, ça me donnait envie de danser. Et quand je voulais quelque chose, je faisais tout pour l’obtenir, alors oui, Imma allait danser avec moi.

Imma se pensait tranquille dans la salle de bal, ce ne fût pas le cas bien longtemps. Une dizaine de minutes à tout casser. Parce que rapidement quelqu’un cri dans son dos et ça lui fait peur. Elle se recule dans un sursaut, main sur le cœur. D’ailleurs, elle a déjà le cœur qui s’emballe et un frisson sur tout son corps quand elle voit l’air satisfait sur le visage de Ziggy, accompagné de ce rire gras. Elle grimace. Elle n’aime pas son affreux rire ; elle n’aime pas l’entendre crier ainsi ; elle n’aime pas son plaisir à lui faire ça. Il représente tout ce qu’elle déteste en vérité, ce qu’elle avait précisé dans son casting à la rubrique partenaire. À croire qu’ils avaient cherché cette personne aux antipodes d’elle, représentant bien la seule chose qu’elle pouvait détester sur terre chez un humain. Alors sous le regard clair du jeune homme, elle n’arrive pas à détacher sa main de sa poitrine côté cœur. Pire quand il lui demande – ordonne – de danser avec lui. Quoi ? Danser ? Imma adore danser, essentiellement le hip-hop. C’est sa passion. Elle le danse ; elle le pratique ; elle a appris l’anglais pour justement mieux s’imprégner de cette culture. Pour autant, entendre le mot danse de la bouche de Ziggy ne la rend pas aussi enthousiaste qu’elle aurait pu. Elle frissonne plutôt, comme à l’idée de passer dix minutes dans un château hanté. Elle ne pense pas qu’il puisse être un monstre, mais elle ne peut rester de marbre. Pourtant elle s’approche de lui, une boule dans la gorge. Elle ne dit pas oui pour la danse, mais elle n’oppose pas de résistance pour autant. Pas qu’elle en ait envie, mais elle se sent obligée dans un sens. Elle ne dit pas un mot.

Déjà qu’elle parle peu, mais là, elle ne parle même pas. Elle se contente de sursauter – ce qui était bien évidemment prévu – de mettre sa main sur son cœur avant de s’approcher quand je lui ordonne de venir danser. Elle n’essaie même pas de s’enfuir, ou même de me dire non, à croire que j’ai un pouvoir énorme sur elle. Ou peut-être qu’elle a vraiment peur de moi. Bien sûr, ça m’amusait, mais je ne pouvais pas m’empêcher de trouver ça étrange en même temps. Ariadne n’aurait pas hésité à me mettre à terre, ou Maha à se moquer de moi. Mais non, Imma se laisser faire, mais c’était sûrement plus sous la contrainte que de son plein gré. Mais bon, ce n’était pas bien grave, je n’allais pas la violer, c’était juste pour la faire danser. Alors tant pis, ou plutôt tant mieux si elle se laissait faire. Alors une de mes mains se pose sur sa taille tandis que l’autre attrape sa main pour la tendre tout droit, comme j’ai pu voir dans les films, et voilà que je commence à nous faire tournoyer dans la pièce en fredonnant une chanson de Cendrillon. L’avantage, quand je fredonnais, c’était qu’il n’y avait pas de bégayement. La personne qui m’entendrait chanter ou fredonner ne pourrait pas se douter un seul instant que j’avais des problèmes d’élocutions. J’imaginais d’ailleurs ma mère s’arracher les cheveux devant la télé pour m’entendre parler de la sorte après tant d’années, mais aussi de traiter ainsi une femme. Enfin, en soit, je ne la traitais pas si mal que ça, cette jolie Imma, si ? Regardez, je la faisais tournoyer comme Cendrillon – bien que ce soit beaucoup, beaucoup plus maladroit – qu’elle personne ne rêvait pas de ça ?

Sa demande était assez spéciale. Pourquoi veut-il danser? Il n’a pas l’air du genre à danser avec une femme, mais c’est mal de juger. C’est juste qu’elle se demande ça en s’avançant timidement vers lui. Elle enchaine les pas si doucement, comme si elle se sacrifiait pour X raison. Mais finalement c’est comme une espèce de sacrifice finalement: elle s’avance vers lui et n’oppose aucune résistance rien que pour lui faire plaisir, alors qu’elle n’en n’a clairement pas envie. Elle est comme ça Imma, elle ne veut pas causer de peine, ou plutôt elle n’oserait pas imposer son avis. C’est qu’intérieurement elle a envie de se poster devant lui et de le pousser pour lui faire comprendre qu’elle n’est pas du genre à se faire marcher dessus. Elle n’est pas naïve, mais trop faible tout de même, parce qu’elle ne dit rien. Il ne dit rien, elle ne dit rien. Elle le laisse faire et c’est qu’il ne prend pas de gants. Il l’enserre d’une main, attrape la sienne de son autre main et se met déjà à danser en fredonnant. Elle se laisse emportée, mais pas franchement à son aise. De sa main libre elle ne fait qu’effleurer son épaule. Son autre main est légèrement molle dans la sienne, ne souhaitant pas vraiment serrer la sienne. Et puis elle instaure une distance entre eux : elle recule son bassin histoire de ne pas être collée à lui. Ce n’est même pas une question du fait que ce soit Ziggy, avec un autre ce serait pareil au final. C’est qu’être proche d’un homme comme ça, ça ne lui est jamais arrivé. Ca la gêne vraiment beaucoup. Elle baisse la tête. L’entendre fredonner ne la fait même pas sourire, elle n’y pense pas. Alors que c’est drôle au final de l’entendre lui fredonner une chanson de princesse. Non elle est ailleurs. Elle se concentre pour ne pas faire attention à ce qui lui arrive, à ne pas prendre ses jambes à son cou. Alors que son cœur bat à un rythme trop soutenu. « Tu danses pas bien » Qu’elle finit par souffler arrivé un moment. C’est sorti de nulle part.

Je suis capricieux. Je ne l’ai pas toujours été, mais j’ai appris à l’être, tout simplement pour être qualifié d’autre chose que le mec qui bégaye. Je préférais être le mec chiant, le mec prétentieux et grossier plutôt qu’être le mec qui bégaye. Et puis, je m’y suis habitué, et je suis tout simplement devenu la personne que je suis aujourd’hui. Ziggy le chieur, Ziggy le capricieux. Qu’importe. Ça ne changeait rien au fait que cette salle de bal me donnait envie de danser, alors j’avais plus ou moins ordonné à Imma de venir danser avec moi. Ça aurait pu être une autre candidate que j’aurai fait la même chose, mais toutes les candidates n’auraient pas eu la même réaction que la jolie Imma qui se contente de m’obéir sans dire un mot. Mais bon, je n’allais pas me plaindre. J’attrape sa taille et sa main sans ménagement et je me mets à nous faire tournoyer maladroitement dans toute la salle comme ce que j’avais pu voir dans la belle et la bête. Ou pas. Je ne peux pas m’empêcher de fredonner une chanson d’un air un peu bêta, sans faire attention au fait qu’Imma me touche à peine et qu’elle ait la tête baissée. Et puis finalement, elle me fait cette remarque qui me fait rire, mais pas arrêter de tournoyer. « P-parle plus fort, j-j’entends rien. » En vrai, j’avais très bien entendu, mais je faisais exprès pour qu’elle parle plus fort. Puis finalement je m’arrête quelques secondes pour lâcher sa main et relever sa tête en appuyant sur son menton comme j’avais pu le faire la dernière fois. « Une p-princesse doit garder la t-tête haute. » je commente avant de rattraper sa main pour me remettre à danser maladroitement. Je n’avais pas honte de ma manière de danser, de la même manière que je n’avais pas honte de ma manière de parler. J’étais au dessus de tout ça désormais. « Tu d-danses mieux, t-toi, peut-être ? » je finis par lui demander par rapport à ce qu’elle avait pu me dire quelques minutes plus tôt.

Imma ne pensait pas être drôle en disant ça, c’est plutôt une vérité qui lui avait échappé. Ca lui arrive parfois de dire quelque chose sortie de nulle part ou de son contexte, parce qu’elle est ailleurs. Être ailleurs, la seule manière pour elle d’échapper à ce qui est en train de se passer. Ziggy s’y prend très mal avec Imma et plus il la forcera à faire ce genre de chose sans qu’elle en ait envie, plus elle se braquera. Plus il lui demandera de parler fort, plus elle se braquera. Pourquoi lui demander ça, alors qu’elle pourrait le faire naturellement avec le temps ? C’est une fleur Imma. Il lui faut du temps pour grandir, puis pour déployer ses pétales une à une pour enfin briller. La namibienne est craintive, mais elle s’assume avec le temps. Elle s’impose, pas par la force ou une personnalité exagérée au possible. Mais par une aura se rapprochant du bonheur. Il est largement passé à côté de ça, la faisant tournoyer, mélangeant ses pieds aux siens. Elle avale sa salive. « Tu danses mal » Qu’elle reprend un cran au-dessus, trop complaisante avec lui ce soir. Et puis soudainement il s’arrête. Elle pense avoir mal fait en répétant ça. Elle souffle. Finalement non, il ne fait que lui remonter son menton, son visage, ses yeux, accompagné d’une remarque. Ca l’étonne. Elle relève un sourcil : « J’suis pa… »  Elle toussote pour s’éclaircir la voix, pour parler plus fort. « Je suis pas une princesse » Non, une princesse n’obéirait pas aussi docilement. Il reprend sa danse, elle s’étonne de poser un peu mieux sa main sur son épaule. Il est vraiment perturbant. Il lui parle gentiment, tout en ordonnant. La peur céderait plus de place à la méfiance. Et puis elle hausse les épaules, en bougeant sa tête de droite à gauche. « Non. Mais je veux pas  danser… » Un petit peu quand même, elle ne fait juste pas d’effort et puis comme elle veut le dire, elle n’a pas demandé à danser. Elle avale sa salive d'avoir osé dirr ça

Evidemment que ce n’est pas drôle, de dire que je danse mal. C’est la vérité, tout simplement. Mais ça me fait rire parce que je ne m’attendais pas à entendre une telle chose de la part d’Imma, elle qui apparemment n’aime pas trop parler. Ou peut-être que c’est juste avec moi. Qu’importe, je n’étais pas là pour comparer ses comportements avec tous les candidats. Je danse mal, mais ça ne m’empêche pas de danser. Et mon sourire s’agrandit alors qu’elle répète plus fort ce qu’elle a dit tout bas. « T-tu vois, c’était pas si compliqué. » je lui dis avant de m’arrêter un instant de danser seulement pour relever sa tête. J’aime pas la voir tête baissée. Et encore une fois, elle parle fort, pour me contredire. Ca ne me gêne pas, je suis habitué à ce qu’on me contredise. « D-d’accord. » je reprends d’un ton neutre, en lui souriant, tout en continuant à danser maladroitement. Si elle ne voulait pas être une princesse, je pouvais rien y faire, moi. Elle était maître de son destin. Et elle dit qu’elle ne veut pas danser, elle le dit haut et fort, et il suffit de ces quelques mots pour que je m’arrête. Je garde pourtant ma main dans la sienne, et l’autre sur sa taille, mais mes pieds ne bougent plus. « Il s-suffisait de le dire. » je dis en souriant, satisfait qu’elle parle enfin, et qu’elle dise ce qu’elle voulait d’une manière audible. « T-t’as le pouvoir de faire ce dont tu as envie e-et pas ce qu’on t-t’ordonne de faire. » je l’informe, même si ça ne m’avait très clairement pas empêché de lui ordonner de danser. J’étais plein de contradiction, mais ça n’avait pas d’importance. J’étais comme ça. « T-tu veux faire q-quoi ? » Je crois bien que c’est la première fois que je lui pose une question. Bon, ça sonne comme si je la connaissais depuis une éternité, mais bon. Si elle voulait prendre ses jambes à son cou, elle pouvait, maintenant, je n’allais pas le retenir. J’exigeais juste qu’elle le dise de manière distincte.