+@Clarke
Se laver est essentiel. Il n’est plus concevable de vivre à nouveau comme la première semaine, sans réellement se laver. En vérité, si sur le coup ça ne lui fait pas grand-chose, comme toutes personnes normales, elle aime sentir bon. Elle aime se coiffer. Elle aime se pomponner. Même si pour cette dernière chose, c’est un peu plus compliqué. Alors lors qu’elle pénètre dans la salle de bain, elle n’est pas rassurée. Elle n’a pas tellement envie de se laver devant n’importe qui, ni devant les caméras. Mais si pour les caméras elle s’était fait à l’idée, il n’en est pas de même pour les candidats. Quand le moment fatidique de se laver, elle vit toujours dans le stress d’être dérangée, d’être prise au dépourvu. Alors elle se lave expressément. Ou à des heures totalement décalées, comme en ce moment. Personne ne se lave dans les minuits. Elle si, prenant même le risque de ne plus avoir d’eau chaude. Elle préfère de loin une douche froide – et puis elle a l’habitude – et être tranquille, que de se cacher pour se laver, quitte à avoir de l’eau chaude. Maillot de bain couvrant sa poitrine, jusque le haut de ses cuisses, elle garde sa serviette bien attachée autour de sa taille jusqu’à être sous la douche. Jamais elle n’aurait cru que prendre une douche aurait pu être un moment stressant. Minutieuse, elle regarde la porte. Personne. Alors elle fait tomber cette serviette pour dévoiler ses jambes tachetées, ses bras mi-vanille, mi-chocolat. Ses main et ses pieds, comme si elle avait mis gants et chaussettes blanches. L’eau coulant trop fort autour d’elle et contre sa peau pour qu’elle puisse entendre quoique ce soit, ce n’est qu’en se tournant légèrement qu’elle voit un homme dans la même pièce. Une femme l’aurait gênée, mais un homme est encore pire. Reprenant mal son souffle, elle sent une douleur dans sa poitrine, qu’elle cache d’une main. Son autre main sur sa bouche pour masquer sa respiration. Alors dans un élan d’espoir, elle se colle contre une paroi de la douche ouverte, espérant qu’il ne l’ait pas vu : ni elle, encore moins sa peau.

Je n'avais pas envie de dormir, non, je n'en ressentais pas encore le besoin. Alors, au lieu de rejoindre ma chambre, qui était de toute façon encore verrouillée à cause du système de grilles installé par Cupidon, j'avais préféré aller faire un tour dehors, enveloppant mon torse d'un sweat avant d'enchainer les tours de terrain au pas de course. Peut-être est-ce que cela me détendrait ? J'en doutais. J'étais quelqu'un de nerveux contrairement aux apparences, et il m'en fallait bien plus pour arriver à calmer mon palpitant. J'avais bien du courir une bonne trentaine de minutes lorsque j'avais décidé qu'il serait temps que je rejoigne l'intérieur du nid. Cependant, hors de question d'aller me coucher dans cet état, vu que je transpirais de partout, et qu'Adélie ne m'accepterait de toute façon pas dans le lit tant que je ne serai pas passé à la douche, ce qui me paraissait normal. Je n'aimais de toute façon pas aller me coucher sans y être passé auparavant. Il était tard, mais je ne voyais aucun inconvénient à manquer d'eau chaude, de toute façon, ma peau était bouillante à ce moment précis, alors ça n'allait pas changer grand chose au final. Je poussais donc la porte de la salle de bain, mes prunelles parcourant les lieux avant que je me saisisse des bordures de mon sweat pour le retirer, faisant subir le même sort à mon débardeur ainsi qu'à mon pantalon. Vêtu d'un simple boxer, je poussais la vitre géante de la douche, me plaçant sous l'un des jets d'eau alors que celui ci rencontrait ma peau. Tous mes muscles se détendaient instinctivement, si bien que, fermant les yeux, je ne remarquais absolument pas cette présence qui longeait pourtant une des parois de la douche. J'étais simplement dans mon monde, fatigué ou simplement ailleurs.

Imma voulait simplement prendre une douche. Pour les autres, c’est un acte normal. Pour elle, c’est tout une épreuve. Elle savait que ce serait dur, mais l’on ne se doute jamais vraiment de la dureté des choses qu’une fois mis au pied du mur. Cela avait été compliqué durant la semaine de camping, c’est peut-être pire ici. Ou tout du moins, ce n’est pas mieux. Et ce qu’elle redoutait arriva. Quelqu’un entra non seulement dans la salle de bain, mais également sous la douche en un clin d’œil et sans qu’elle ne puisse faire quelque chose. Pire, il s’agissait d’un homme, forcément plus vieux qu’elle, impressionnant. Quoiqu’il l’aurait été aussi en étant plus jeune. Gardant sa main toujours bloquée contre sa bouche, c’est des larmes naissantes au bord de ses yeux qu’elle essaie de contrôler. Ou tout du moins le sanglot les accompagnants, de ne pas savoir se dépêtrer de cette situation. Elle panique et la panique n’est jamais bonne. Cela rend les animaux plus mauvais, plus dangereux. Ca empêche de réfléchir et de penser logiquement. Elle pourrait prendre ses jambes à son cou, profiter qu’il ait les yeux fermés pour s’en aller. Elle ne pense pas à cette éventualité, pétrifiée dans un coin de la douche. Son esprit est brouillé, quelques larmes coulent le long de ses joues. Son corps tourné vers le mur pour ne pas se montrer – comme un enfant puni à l’école - elle est ridicule. Mais ce n’est pas qu’une question de couleur de peau, de taches disgracieuses. C’est une question de corps tout court. Elle n’est pas à l’aise avec ça, avec la proximité, l’intimité. « S’il te plait » Qu’elle lâche entre deux sanglots, sa voix presque totalement couverte par l’eau coulant en torrent sur le jeune homme. « Une serviette, s’il te plait » Qu’elle ajoute, sa voix se voulant plus en détresse qu’en mode ordre. Elle pleure. Elle a froid. Elle ne pourrait croiser le regard du jeune homme.

J'avais fini par me relaxer totalement. Oui, prendre une douche chaude il n'y avait rien de mieux pour se détendre d'autant plus après un exercice physique. L'eau ruisselait sur les moindres de mes pores alors qu'un léger soupir s'échappait malgré moi de mes lèvres. Passant un main dans mes cheveux pour les rabattre en arrière, celle ci déviait par la suite sur mon torse, écoutant les battements de mon palpitant se stabiliser petit à petit. C'est là que mes paupières se réouvrirent, et c'est seulement quelques secondes après que je réalisais que non, je n'étais pas seul dans cette douche. On ne pouvait pas dire que j'étais particulièrement à l'aise avec le fait de me retrouver avec quelqu'un ici, en pleine nuit, surtout à une heure pareille. Cependant je remarquais bien vite la détresse sur le corps presque tremblant de cette inconnu. Un corps pourtant si particulier. J'avais l'impression de regarder dans mon propre miroir, pourtant je ne regardais pas mon reflet comme les gens avaient l'habitude de le regarder. Avec curiosité, avec intérêt. Tout ceci était normal. Aussi lorsque je compris qu'elle souhaitait avoir une serviette, et qu'elle était apparemment trop pétrifiée pour bouger, un léger « Hé, calme toi, ça va aller. » s'était maladroitement échappé de mes lèvres alors que je quittais la cabine sans réellement faire attention au chemin humide que je laissais sur le sol de la salle de bain, dans le simple but de répondre à sa requête. Attrapant une serviette, je retournais ainsi rapidement dans la douche, la mettant sur ses épaules, sans trop oser la toucher pour autant. J'étais trempe, et le fait de ne plus être sous le jet d'eau avait tendance à me faire frissonner. « E-Excuse moi, j'aurais du faire attention, j'ai... » dis-je en vrillant mon pouce par dessus mon épaule pour lui montrer l'entrée. J'aurais du regarder partout autour avant de m'inviter dans la douche, sauf que je ne l'avais pas fait. « Je peux attendre dehors, si tu veux. » Ça ne me ferait rien. « Je ne suis pas fatigué, de toute façon. » Ou presque, disons que je préférais pour le moment qu'elle croit le contraire. Reculant de quelques pas, je m'apprêtais à quitter la cabine, mais sur une dernière hésitation, reposais mon regard sur la jeune femme et reprenais doucement. « On est pareils, tu sais. » Nous étions tous les deux différents à notre façon. Elle avait sa peau, j'avais mon regard. Regard qu'elle n'avait pour le moment pas du remarquer, mais j'étais certain qu'elle comprendrait bien vite où je voulais en venir.

J'avais longtemps perçu ma différence comme quelque chose de négatif, quelque chose qui faisait que je brillais en société, mais pas de la manière dont je souhaitais le faire. Quelque chose qui, quoi que je fasse, finirait toujours pas me rattraper. Alors, oui, pendant longtemps, j'avais plutôt mal vécu ces deux yeux bien trop différent l'un de l'autre, comme s'il s'agissait en quelque sorte d'un coup du destin, comme si j'avais été désigné pour souffrir du regard des autres. Aujourd'hui, je me rendais compte qu'il ne s'agissait simplement pas de ça. Nous étions tous différents à notre manière. Certains étaient intelligents, d'autres particulièrement doué en mathématiques, et d'autres, comme moi, avaient un attrait physique qui les distinguaient du reste de la population. Je ne disais pas qu'il s'agissait là de quelque chose de particulièrement valorisant aux yeux de notre société, qui prônait un physique parfait tout en continuant par derrière à le critiquer, mais c'était mieux que rien. Rien n'existait pas. Chacun était différent, elle, moi, les autres. Evidemment, je ne voulais pas la brusquer avec mes théories probablement un peu trop imaginatives sur la vision même de soi, car il n'y avait qu'elle pour s'accepter, elle pour comprendre qu'elle n'avait pas à avoir honte de quoi que ce soit. Si j'avais encore honte de mes yeux ? Parfois. A vrai dire, ça me gênait qu'ils soient constamment la première chose sur laquelle l'on s'arrête me concernant, comme si tout le reste ne semblait plus intéressant face à cette irrégularité. Quelque part, c'était le cas, et j'avais longtemps fini par me cacher derrière ce regard. Aujourd'hui encore, je le faisais régulièrement. Elle me fit un signe négatif de la tête, mais je peinais à comprendre ce qu'elle me disait du fait qu'elle ne me faisait pas face et que le jet d'eau derrière moi était encore un peu trop fort. Si elle me demandait de sortir, je le ferais, il n'y avait pas de raison puisque j'avais été le dernier à rentrer dans la cabine, et que de toute évidence, je ne semblais pas être le plus mal à l'aise des deux. Attendre ne me dérangeait pas, non, et comme je venais de lui préciser, je n'étais de toute façon pas réellement fatigué. Du moins, je pourrais attendre encore un peu. Finalement, avant de quitter la cabine, je lui précisais que nous étions pareils. C'est à ce moment là qu'elle se retourna enfin, ses prunelles croisant les miennes alors qu'un long frisson parcourait malgré moi mon épine dorsale. Ses doigts se posèrent alors sur mon visage tandis que je n'osais presque plus bouger, tentant de calmer mon souffle presque trop bruyant. Je n'étais pas réellement habitué à être touché dans ce genre de contexte. Ça pouvait paraitre étrange, mais contrairement à ce que l'on pouvait penser, ma tête s'était peu à peu vidée. Comme si plus aucune pensées ne semblait l'habiter l'espace d'une seconde. Elle trouvait ça beau. « Comme tu viens de le dire, il n'y a pas de hiérarchie dans la différence. » un léger sourire étira finalement mes lèvres tandis que mes prunelles bicolores longeaient les siennes, détaillant un court instant ces tâches venant parsemer son visage, parfaitement symétrique. « Et je ne vois rien qui te pousserait à avoir honte. » me reculant finalement, je passais une main sur ma nuque, quittant la cabine. « J'attends que tu termines dehors, ne t'en fais pas pour moi. Je suis Clarke. » lui dis-je en lui adressant un dernier regard avant de refermer la cabine derrière moi. Elle pouvait prendre tout le temps nécessaire, il n'y avait aucun soucis à se faire. M'accoudant face au miroir, j'allumais un court instant le robinet pour me passer de l'eau froide sur le visage, observant mon reflet sans grand intérêt. Le vide étant bien plus captivant.

Imma savait que le moment de se laver serait une épreuve très dure. Elle savait en soit qu’elle se couvrirait de ridicule à un moment donné la compétition, ce moment venu bien plus tôt. Son appréhension des douches et son manque de confiance en elle flagrant a donné cet instant plus qu’absurde. Pourtant la situation se retourne ou tout du moins elle se détourne d’elle un instant. Parce qu’il parle différence et qu’une personne susceptible aurait eu tendance à lui demander ce qu’il savait lui de la différence. Elle n’est ni susceptible, ni assez extravertie pour s’exclamer ainsi. C’est qu’en vérité elle n’avait même pas remarqué ses yeux. Ce n’est que là si proche de lui qu’elle voyait. Qu’elle voyait sa prunelle bleue, l’autre marron. Elle ne savait pas. Ou elle n’avait pas cherché à savoir plus tôt, passant haut dessus de ces bruits de couloir, désignant un candidat que par les couleurs de ses yeux, étranges. Elle passe outre et ne saurait juger quand elle aussi elle l’est. Elle ne saurait juger, par contre elle ne fait quelque chose. Elle ne sait pas ce qui lui prenait de le toucher. Ne serait-ce que d’approcher ses doigts dépigmentés de quelqu’un. De toucher un homme, de son plein grès. Elle a plutôt l’habitude que ce soit le contraire, que l’on touche ses taches blanches, comme si elle avait un grain de peau différent sur ses « deux couleurs », entre autre. L’herbe est de toute manière plus verte dans le jardin d’à côté. Non une main atrophiée n’est pas plus horrible à ses yeux que leur maladie à eux deux. Pourtant s’il fallait comparer, elle lui trouvait plus de chance dans son malheur. Elle voyait ça plaire aux filles, tout du moins les hypnotiser. Loin du dégoût peut créer le blanc laiteux de ses mains par exemple, surtout en Afrique. Galvanisée par ce moment surréaliste, elle finit par redescendre et laisser retomber sa main le long de son corps, autour duquel elle garde bien maintenu la serviette. Elle détourne légèrement sa tête, haussant ses épaules. « C’est… gentil » Elle souffle entre ses lèvres charnues, ne sachant quoi ajouter, embarrassée. Oui c’est évidemment gentil, trop, trop complaisant. Même de sa part, différent lui aussi. Elle préférerait le mot unique, si seulement elle osait l’affirmer haut et fort. Alors après un léger silence, elle acquiesce d’un mouvement mou de la tête de haut en bas, le suivant du regard. Il attend dehors, il est Clarke. Parce qu’il referme la douche, rapidement elle ouvre l’eau, pour couvrir le sanglot qui la prend. Ce frisson qu’elle sent partir du bas de son dos, pour lui ressortir par les yeux sous forme de larmes. Des larmes de tristesse, de colère, de gêne. De ne pas savoir s’exprimer comme elle le devrait, de s’assumer comme elle le devrait. Finalement elle reprend ses esprits, se dépêchant sous l’eau. Elle ne veut pas s’éterniser, pour elle, pour les caméras, pour lui. Clarke. « Clarke » Qu’elle souffle, le plus fort qu’elle pouvait pour qu’il puisse l’entendre, mais elle laisse le silence s’installer de nouveau. Trop longtemps. « Rien. » Elle se savonne, se rince, se sèche, s’enroule dans sa serviette et ouvre la porte. « C’est libre. » Elle mordille ses lèvres, se pousse pour lui laisser la place. « Je suis Imma » Qu’elle souffle, répétant ses mots à lui qu’elle a fraichement en tête.