SAYID & @ALLEN
mardi 7 avril - 20:55

C’était souvent comme ça, avec un peu d’imagination et de bonne volonté il parvenait à s'occuper une partie de la journée, mais la soirée arrivant il devenait parfois compliqué de trouver quoi faire pour ne pas se retrouver à se tourner les pouces en fixant la pendule du grand hall d'entrée. Particulièrement quand on n’avait pas envie de se sociabiliser à la salle de cinéma ou au bar, généralement pris d’assaut au début de la soirée. Évitant donc les heures de pointes pour manger Sayid traînait ensuite sans trop savoir comment s’occuper, comme ce soir, et finissait généralement par se coucher tôt, avant tous les autres candidats composant la chambre Elvis. Il pouvait même s’y enfermer volontairement à l’aide des barreaux pendant une demi-heure, si vraiment il avait envie d’avoir paix. Pour l’heure il était cependant encore un peu tôt et par ennui le britannique traînait du côté du couloir qui menait aux chambres, observant de manière distraite les signatures recouvrant les murs et dont on pouvait sérieusement douter qu’elles soient des authentiques. Il avait levé les yeux quelques instants lorsqu'il avait entendu des pas, et secouer la tête comme pour saluer silencieusement Allen qui arrivait dans sa direction, avant de reprendre son observation des murs. Pas par volonté d’ignorer son camarade, mais uniquement parce que lorsque Sayid était occupé à une tâche, aussi inutile soit-elle, il détestait s’interrompre. Au bout de quelques instants pourtant il avait brisé le silence pour questionner, d’un ton pensif qu’il lui semblait avoir déjà entendu de la bouche du canadien lui-même « Toi aussi tu utilises un pseudonyme ? » Comme d’habitude les questions de Sayid semblaient sortir de nul part, parce que si le cheminement se faisait dans sa tête il oubliait que pour qui que ce soit d'extérieur suivre n’était pas possible à moins de lire dans les pensées. Comme pour expliquer où il voulait en venir, et reprenant un ton plus neutre, il avait ajouté « Marilyn Monroe. Pourquoi est-ce qu’elle ne s’est pas contenté de garder Norma Jean Baker ? » Et puis c’était joli Norma Jean, pourtant. « C’est triste, d’avoir honte de qui on est. » qu’il avait finalement conclu d’un ton pensif. Il ne comprenait pas trop ça, en fait, pour lui prendre un pseudonyme c'était ne pas assumer son identité, et cela lui semblait assez improbable. Il n’était pas en train de dire qu’on assumait tous son identité avec la même facilité, il serait mal placé là-dessus, mais de là à se cacher derrière un nom factice ? Non.

L’attention de Sayid pouvait parfois être captée par des détails qui à d’autres semblaient insignifiants, et il est vrai que parfois le britannique pouvait développer une obsession pour quelque chose de minuscule ou de dérisoire, au point même de ne pas faire attention à ce qui en revanche se voulait important. Il était fait ainsi, avec sa façon étrange et décalée de raisonner, et la plupart du temps il se contentait simplement de faire en sorte que cela ne transparaisse pas trop auprès de ses congénères. Et ce soir par exemple qui se soucierait de savoir qu’il était planté depuis vingt minutes devant des signatures de gens qu’il n’avait jamais rencontré ? Personne, d’autant plus que personne ne le saurait, pas même Allen qui pourtant venait à l’instant de débarquer et s'était arrêté à sa hauteur. Cela tombait même bien qu’il soit là, parce qu’à vrai dire il n’y avait pas mieux placé que lui pour répondre à la question qui lui trottait dans la tête après avoir posé les yeux sur les autographes de Marilyn Monroe, Fred Astaire et autre Michael Landon. Pourquoi changer de nom pour un pseudonyme ? Peut-être qu'Allen aussi avait fait la même chose, allez savoir. « Non, moi j'ai toujours voulu garder mon nom. » Bon, alors rectification Sayid ne pouvait pas mettre Allen dans la même catégorie ... Mais peut-être allait-il pouvoir l'éclairer là-dessus malgré tout. « Je connais pas son histoire, mais peut être qu'elle avait une bonne raison de vouloir en changer ? On lui a peut être dit que son vrai nom n'était pas assez vendeur. A sa place, je pense que j'en aurais changé aussi si ma carrière en avait dépendu. » Pas assez vendeur ? Oh certes, Sayid n’était pas stupide au point de comprendre que cela soit parfois une question d’origine ... Il n’approuvait pas mais il pouvait comprendre. Mais parfois ce n’était même pas une explication, et du coup il ne voyait pas vraiment. Il ne voyait pas et ne comprenait du coup pas vraiment le raisonnement d’Allen tandis qu’il ajoutait « Moi-même, aujourd'hui, je pourrais sûrement faire beaucoup de concessions si ça me permettait de regoûter au succès ne serait-ce que pour une journée. » Il avait marqué une pause dans sa phrase, Sayid reposant à nouveau les yeux sur lui comme s'il attendait qu'il la termine. Ce qu'il ne tarda d'ailleurs pas à faire « Tu dois me trouver un peu désespéré. » Était-il parvenu à cette conclusion tout seul ou bien était-ce l’expression sur le visage de Sayid que le faisait penser ainsi ? Parce qu’en effet Sayid ne pouvait pas nier qu’il n’y avait pas un peu de ça, même si en réalité chacun voyait midi à sa porte. Pas hypocrite pour deux sous le britannique n’avait donc pas eu de scrupule à avouer « Un peu, c’est vrai. » sans que son ton ne soit malgré tout accusateur à l'excès. « Mais je ne suis pas à ta place non plus. Je suppose que mon métier n’aurait pas été différent si je m'étais appelé autrement. » D’autres choses l’auraient sans doute été, Sayid était bien placé pour savoir que dans certaines situations avoir un nom comme le sien lui avait mis quelques bâtons dans les roues, particulièrement après les attentats de Londres, mais pour son métier il avait encore envie de croire que s’appeler John Smith n’aurait pas été différent de s’appeler Sayid Abdul-Jarrah. « Tu n’as jamais eu envie de faire autre chose ? » Ça devait être bien plus courant qu’on le pensait, des acteurs qui ne rencontraient pas le succès ou qui finissaient par le perdre. Certains devaient même finir par se reconvertir sans regrets parce qu’il n’était écrit nul part qu’on ne pouvait pas avoir deux carrières dans une seule vie ; Mais peut-être qu’Allen ne s'était jamais vu faire autre chose, peut-être qu’il n’aimait que cela. Sinon pourquoi s’infliger cette émission ? « Tu n’as pas l’air heureux. » Sayid faisait ce constat sans se soucier du fait que cela puisse être malvenu. C’était l’impression qu’il avait au travers des paroles d’Allen, que ce soit directement, dans la rubrique d’Akela ou dans l’interview des nominés à laquelle avait été soumis le candidat la semaine précédente. Allen semblait de toute façon le genre à préférer qu’on lui parle franchement, alors Sayid ne voyait pas l’intérêt de prendre des gants.

Sayid n'avait pas non plus la prétention de vouloir comparer le métier d'Allen avec le sien, les deux n'étaient en rien comparables et leurs motivations autant que leurs objectifs n'avaient assurément rien à voir ... Si ce n'était de pouvoir exercer ce qu'ils aimaient, ce qui leur tenait à cœur. « Tu travailles avec des singes, toi, c'est bien ça ? » Il avait acquiescé d'un léger signe de tête, ne sentant néanmoins pas le besoin de faire une quelconque précision supplémentaire à ce sujet. Parce qu'il avait trop pris l'habitude que les gens ne comprennent pas, que ces animaux qu'il étudiait il y tenait plus qu'à n'importe qui et n'importe quoi d'autre, que son métier était bien un véritable métier. Il n'essayait plus de se justifier là-dessus, maintenant. Et de toute façon ce n'était pas le sujet, c'était lui qui avait questionné Allen, curieux de savoir s'il avait toujours voulu être acteur, si son métier était le résultat d'une passion ou d'un heureux hasard uniquement. « Non, jamais. J'étais de ces gamins qui savaient déjà ce qu'ils voulaient faire de leur vie au lycée, même si à l'époque je me voyais plus sur la scène d'un théâtre que sur un plateau de tournage. Et c'est justement parce que je me suis jamais résolu à essayer autre chose que j'ai fini par accepter tout et n'importe quoi. Il fallait bien manger. » Il extrapolait la semaine précédente, lorsque Shay l'avait mis au défi de lui inventer une vie et qu'il lui avait dépeint celle d'une actrice ratée qui après avoir accepté de jouer les mascottes et les publicités de seconde zone finissait par changer de carrière pour élever des perroquets ... Pour Allen cela n'avait rien d'une histoire à dormir debout, semblait-il. « C'est une passion, comme pour toi je suppose. » Sans doute, oui. Et c'était bien parce qu'il s'agissait d'une histoire de passion que Sayid s'était permis de constaté le côté désespéré d'Allen sans pour autant le juger. Désespéré Sayid l'était bien aussi, de venir ici dans l'espoir un peu stupide de gagner un peu d'argent, tout en sachant que cela ne ferait que retarder l'échéance et que la réserve finirait par fermer, quoi qu'il advienne. « Je vois. » Il n'était pas très loquace, parce qu'il n'avait pas envie de se forcer à l'être inutilement, mais le ton qu'il avait employé suffisait à signifier à Allen qu'il l'avait écouté avec attention. Il ne savait pas alors, pourquoi subitement il avait fait à Allen une remarque qu'il aurait tout aussi bien pu trouver désobligeante ... Mais Sayid était comme ça, il ne parvenait pas toujours à tenir sa langue lorsqu'il se trouvait face à ce qui lui semblait une évidence. Et l'évidence, à cet instant, c'était cette impression qu'il avait qu'Allen n'était pas heureux. Il ne savait pas pourquoi cela lui semblait si flagrant, pourquoi sa mélancolie plus que celle de quelqu'un d'autre lui donnait l'impression - subjective - de sauter aux yeux. « Mon dernier psy était de cet avis. » Légère grimace de la part de Sayid, parce que les psy n'étaient pas des personnes qu'il portait dans son cœur. Même Addil le mettait un peu mal à l'aise. « Je vis avec le poids de plusieurs échecs, c'est vrai que ça fait pas de moi le type le plus épanoui du coin. Mais je sais qu'il y a plus mal loti que moi. » Parce qu'il se sentait observé Sayid avait quitté des yeux le mur qu'il était de nouveau en train d'observer, pour reposer son regard sur Allen, d'abord étonné parce que le canadien lui faisait l'impression de souffler le froid et le chaud avec son optimisme d'une phrase à l'autre, et parce qu'il n'avait pas compris à première vue qu'Allen faisait référence à lui. Vraiment, il le rangeait dans la catégorie des moins bien lotis que lui ? « Je suppose qu'il y a des jours où ça n'est pas évident non plus. » Un sourire gentiment narquois s'était étiré sur les lèvres de Sayid tandis qu'il haussait vaguement les épaules « Je n'ai pas le monopole des mauvaises journées, tu sais. » Pas plus que quelqu'un d'autre du moins, évidemment qu'il avait des mauvais jours, mais comme tout le monde ... Bon, peut-être un peu plus que certains, c'est vrai. Mais uniquement parce que Sayid s'angoissait et s’agaçait pour des choses qui à d'autres paraissaient anodines, comme un changement de dernière minute dans un emploi du temps auquel il avait réfléchi, ou le fait de se retrouver face à un imprévu ou une personne inconnue. Ce genre de situations qui le faisaient quitter momentanément sa zone de confort, en somme. « Moi, je te trouve courageux. Et je dis pas ça par pitié ou parce qu'à la réflexion je me dis que j'ai certainement été maladroit la fois où je t'ai attendu dans l’ascenseur … Je le dis parce que c'est ce que je pense. » Sayid n'avait même plus souvenir de ce qu'Allen interprétait comme maladroit ou non, et de toute façon il ne tenait généralement pas rigueur au gens de ne pas savoir comment se comporter avec lui, que ce soit à cause de ses jambes ou à cause de son comportement parfois incompréhensible ... Il avait l'habitude. Et il suffisait de comparer avec l'humour douteux de Rowan pour savoir que maladroit, clairement, ce n'était pas à Allen que Sayid l'aurait reproché. « Je suis pas malheureux. » s'était-il en tout cas senti obligé de préciser, comme pour faire écho à sa réflexion de tout à l'heure. Qu'on ne s'y trompe pas, Sayid ne respirait pas la joie de vivre mais simplement parce qu'il n'était pas du genre démonstratif ; Et ça il ne l'avait jamais été, cela ne datait pas de son accident, c'était simplement sa nature. « Et je ne suis pas courageux non plus, je me suis simplement adapté à la situation. Quelque part j'ai gagné au change ... je suis meilleur maintenant. Je crois. » C'était l'autre chose souvent compliquée à comprendre et à admettre pour autrui, le fait que Sayid puisse se sentir mieux maintenant, parce que forcément s'il lui manquait quelque chose il ne pouvait pas aller bien. Mais ceux qui le connaissaient déjà il y a douze ans savaient qu'il n'y avait pas eu que du mauvais qui était ressorti de tout ça.

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