SAYID & @AGATA
lundi 20 avril - 02:45

Il ne savait pas ce qui lui avait pris, pourquoi d'un seul coup dans sa tête tout s'était emballé sans qu'il ne puisse s'en empêcher, pourquoi la présence des autres candidats et leurs actions pourtant anodines lui étaient soudainement apparues comme une contrariété, comme quelque chose d'agaçant, et pourquoi il s'était senti obligé de quitter le prime avant même l'annonce des résultats ... Il avait fait preuve d'un manque de respect que manqueraient pas de noter. A moins que personne n'en ait rien à foutre ? Sayid ne savait pas ce qu'il préférait, mais il savait ce à quoi il était le plus souvent habitué. Ayant fui le plateau prématurément Sayid avait erré un moment dans le jardin et ses environs, tentant de calmer l'angoisse qui lui pesait sur la poitrine et la contrariété qui le rendait irritable ; Il le savait pourtant, que ce genre de réactions chez lui n'avait pas toujours de cause tangible, que ce n'était pas légitime parce que tout se passait dans sa tête ... Mais il ne parvenait pas toujours à s'en empêcher, et aujourd'hui était un jour sans. Il n'avait regagné l'intérieur de l'hôtel que tard, bien après que le prime soit terminé et qu'il soit certain de ne plus croiser ses camarades au détour d'un couloir. Il avait emprunté l'ascenseur, s'arrêtant au premier étage avec l'intention d'aller se coucher ... et puis finalement il avait laissé les portes se refermer sans descendre de la cabine, la laissant le menez jusqu'au toit où un coup de vent lui était arrivé en pleine figure au moment où il avait mis le nez dehors. Il était resté là un moment, au point de ne plus vraiment savoir combien de temps ; Le vent avait cessé, c'était tout ce qu'il avait retenu, et tirant un transat avec lui il était allé s'installer le long de la balustrade, fixant les lumières de Los Angeles d'un œil distrait, les voyant sans vraiment les regarder. Il avait cette sensation coincée au fond de la gorge, comme à chaque fois que cela n'allait pas ; Chez les autres parait-il que c'était ce qui provoquait les larmes, chez lui cela ne provoquait que le néant absolu. Comme toujours. Certains diraient qu'il ne l'avait peut-être pas volé, cet award stupide qu'on lui avait remis, celui du candidat le plus torturé ... Mais ça voulait dire quoi, torturé ? Tout et rien à la fois, et Said s'en souciait à tel point qu'il n'avait même pas encore remarqué qu'il avait oublié son prix sur le plateau. Pas qu'il n'ait une quelconque envie de le conserver, de toute façon. « Je ne fais pas dans la consultation post-cauchemar. » s'était-il enfin entendu annoncer d'un ton presque hargneux, celui qu'il n'empruntait à personne si ce n'est à la version de lui-même qui savait comment décourager les gens de sa compagnie. Se retournant pourtant de façon fugace pour vérifier l'identité de la personne dont il avait entendu les bruits de pas, son masque de mauvaise humeur s'était craquelé légèrement tandis qu'il reconnaissait la silhouette d'Agata, et baissant un instant les yeux d'un air penaud il avait rectifié d'un ton plus mesuré, plus adapté à la jeune femme « Sauf si ... enfin je peux écouter, si tu as besoin de parler. » Du moment qu'elle n'attendait pas de lui qu'il lui donne le moindre conseil, parce que s'il y avait bien une personne ici dont on ne voulait pas les conseils c'était Sayid, sa tendance à ne pas savoir s'aider lui-même devait déjà assez crever les yeux. « Est-ce que ça va ? » Lui avait horreur qu'on lui pose cette question, souvent rhétorique, mais il avait cru comprendre que la majorité des gens aimaient qu'on fasse preuve d’empathie envers eux, aussi Sayid essayait de donner le change ... Mais au fond il n'en savait rien, elle n'arrivait peut-être simplement pas à fermer l’œil. Cela arrivait, parfois, et elle était bien l'une des rares ici dont il se préoccupe assez pour poser cette question en ayant un peu d'intérêt pour la réponse qu'elle fournirait.

Il aurait pourtant fallu qu'il aille se coucher, il était déjà bien tard et Sayid supportait assez mal les changements de rythmes quels qu'ils soient ; Il avait besoin de conserver un certain nombre de ses habitudes pour ne pas se laisser dépasser par tout le reste, comme une ancre ou une bouée à laquelle se raccrocher. Mais il ne fallait pas non plus qu'il espère parvenir à trouver le sommeil pour l'instant, c'était déjà un exploit qu'il soit parvenu à se calmer - un peu - seul et qu'il ait pu éviter une crise de panique dont il aurait été obligé de se justifier ensuite. Et Sayid détestait devoir rendre des comptes à qui que ce soit, ce ne serait une surprise pour personne. Raison pour laquelle, et de manière encore un peu exagérée il est vrai, le simple fait que quelqu'un d'autre décide de s'inviter sur la terrasse à cette heure lui était d'abord apparue comme une agression, une agression à laquelle il avait répondu avec la hargne qui était la sienne lorsqu'il ne prenait pas la peine de se contenir et d'avoir l'air de faire preuve d'un minimum de savoir-vivre. « Je n’ai pas fait de cauchemar. » Il lui avait fallu environ une seconde pour reconnaître la voix qui venait de lui répondre, et une seconde supplémentaire pour se retourner vers Agata en tentant de faire meilleure figure et de se rattraper comme il pouvait, parce que s'il avait de base eu envie de faire partager sa mauvaise humeur à quiconque viendrait le déranger, le fait qu'il s'agisse d'elle venait de lui faire réaliser qu'il ne voulait pas partager avec quiconque, mais simplement avec les personnes dont il n'avait que faire. « Vraiment ? » Il se permettait de douter de la véracité de ce qu'elle avançait, après tout ils étaient au milieu de la nuit et elle était sur la terrasse plutôt qu'au fond de son lit, et elle n'avait même pas pris la peine d'enfiler autre chose que son pyjama pour monter ici, alors que le vent encore frais suffisait à faire mentir ceux qui disaient que le temps était estival. Tentant en tout cas de faire meilleure figure et d'apparaitre plus avenant qu'à l'arrivée d'Agata, il l'avait suivie des yeux sans chercher à l'en dissuader lorsqu'elle avait récupéré un autre transat pour venir l'installer à côté du sien. « Je ne sais pas tellement, cette soirée me fait me poser beaucoup de questions. » Il avait froncé les sourcils, se détachant totalement du paysage pour se tourner d'un quart sur son propre transat et ainsi faire face à la jeune femme. Rapidement il avait repassé en revue dans sa tête les événements qui avaient rythmé la soirée, les questions parfois désobligeantes adressées aux candidats mais dont il ne se souvenait pas qu'Agata ait été la cible, et les awards qui avaient récompensé des candidats la plupart du temps sans grosse surprise. « C'est à cause des awards ? » Il avait un peu de mal à s'imaginer Agata comme quelqu'un qui prêterait une quelconque attention à ce genre de babioles, mais après tout il ne pouvait pas non plus se vanter d'avoir cerné les gens en aussi peu de temps et dans un endroit qui laissait aussi peu de place au naturel. Lui ne l'était jamais naturel, par exemple. « Ce n'est pas ton nombre d'awards qui prouve ta valeur. » qu'il lui avait finalement répondu d'un ton plus doux, mais toujours ferme. Ce n'était que de la poudre aux yeux, tout ça, un moyen de plus d'utiliser les candidats qu'ils étaient pour divertir le spectateur. Il estimait beaucoup Agata, et le fait qu'on puisse difficilement la faire rentrer dans des cases susceptibles de lui valoir un award n'était en rien un défaut, à ses yeux. Il aurait en tout cas du se douter qu'en demandant à la jeune femme ce qui n'allait pas il y avait aussi des chances pour qu'elle lui retourne la question, particulièrement ce soir où il peinait à cacher sa mauvaise humeur « C’est plutôt à toi qu’on devrait poser la question, ça n’a pas l’air d’aller. J’ai bien compris que tu n’aimais pas trop parler, mais moi aussi je suis douée pour écouter, et puis ça fait du bien d’en parler des fois. » Un léger sourire, peut-être un peu teinté d'amertume, s'était étiré sur les lèvres du britannique tandis qu'il secouait légèrement la tête. Il n'aimait pas beaucoup parler, c'est vrai, mais aussi parce qu'il n'était jamais à l'aise avec les mots lorsqu'il était question de lui, parce qu'il n'était jamais capable de définir et de reconnaître les sentiments qui l'habitaient, comme s'il était incapable de reconnaitre chez lui ce qu'il reconnaissait sans mal chez les autres. « Je ne suis pas à ma place ici. » avait-il pourtant fini par avouer du bout des lèvres, sans chercher à se dérober. « J'ai une raison d'être ici, et c'est ce qui me pousse à rester, mais ... je ne sais pas, c'est juste ... les gens doivent se demander ce que je fous là, et ils ont raison. » Il parlait trop, et il savait qu'en agissant ainsi il s'aventurait sur une pente glissante, aussi instinctivement ses lèvres s'étaient resserrées et son esprit l'avait presque imploré de ne pas dire un mot de plus, pour ne pas aggraver son cas. Il avait laissé échapper un léger soupir, et s'était de nouveau tourné vers la balustrade où il s'était accoudé, observant un instant le paysage malgré l'obscurité quasi-totale. « Ici c'est compliqué de n'être que ce qu'on a envie que les autres voient ... et c'est comme ça qu'on se retrouve avec un award de mec torturé juste parce qu'on n'est pas de nature souriante. » C'était dit avec un faux amusement, presque triste. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi cela représentait un tel échec pour lui, de donner cette impression à une majorité de candidats. C'était comme passer pour l'handicapé de service, dehors cela arrivait moins parce que Sayid pouvait le cacher facilement au fond, alors qu'ici il avait suffit d'une semaine pour que ce ne soit plus un secret, que Mylah le regarde de travers à chaque fois qu'elle avait l'occasion de le voir des pieds à la tête, et qu'Allen lui propose son aide à tout bout de champ comme s'il était impotent. « Je parle trop. Il est tard, je suis fatigué. N'essaye pas d'en profiter. » Il avait reposé sur elle un regard presque amusé ; Il doutait qu'elle le ferait de toute façon, en profiter, et c'était bien pour ça qu'il se permettait de le lui demander directement.

« Oui vraiment, je n’ai réussi à dormir. » Alors dans ce cas-là il la croyait sur parole ; Sayid n'avait de toute façon aucune demi-mesure, soit il croyait quelqu'un les yeux fermés soit il ne croyait pas un mot de ce qui sortait de sa bouche. Mais Agata était dans la catégorie des gens qu'il croyait sans réfléchir. Reste malgré tout qu'elle semblait préoccupée, et en prenant quelques secondes pour réfléchir à ce qui pourrait en être la cause Sayid avait opté pour les awards. « En partie. Je sais, c’est ridicule. » Un peu, s'il devait être parfaitement honnête, mais comprenant que le fait de le faire remarquer pourrait s'avérer vexant, il avait tenu sa langue et s'était contenté de faire remarquer que ces awards, qu'on en reçoive ou non, n'avaient pas grande valeur. « Je sais, mais je me sens un peu invisible. Et … Quand on a passé sa vie à paraître parfaite aux yeux des autres, parfois … Parfois, j’ai l’impression que ça ne sert à rien. » Elle n'en saurait probablement jamais rien, mais Sayid était bien plus à même de comprendre où elle voulait en venir qu'il ne pouvait le dire, du moins pour l'instant. Bien que sa quête à lui ne soit pas celle de l'illusion d'être parfait, parce que cela n'avait jamais été son envie, et donc son but à atteindre. « Tu n'es pas invisible. » Pas à ses yeux en tout cas, sans quoi elle ne serait pas l'une des personnes qu'il estimait le plus ici, et il n'avait aucun doute sur le fait qu'il n'était pas le seul à penser ainsi. Mais il pensait avoir plus ou moins compris où elle voulait en venir, et d’une voix plus douce il s'était dès lors senti obligé de préciser « Il y a un gouffre entre ne pas être le centre de l’attention et être invisible, tu sais. » Parce qu’il avait compris - ou du moins il pensait l’avoir compris - qu’Agata était d’ordinaire habituée à être celle vers qui les regards se tournaient, celle que l’on scrutait et écoutait avec attention. Sinon pourquoi une quête aussi quotidienne pour avoir l’air parfaite, comme elle venait de le faire remarquer ? « Ça ne te fait pas un peu du bien, de pouvoir lâcher la bride ? » Parce qu’ici elle n’avait de comptes à rendre à personne. Une situation que Sayid avait lui-même provoqué plusieurs années en arrière, et sur laquelle pour rien au monde il ne ferait demi-tour. On s’y habituait vite, au fait d’être à la fois le scénariste et l’acteur de son existence, même si cela ne se faisait pas sans embûches. A force de questionnement il avait cependant fallu que la conversation dérive vers lui à nouveau, et sans trop savoir pourquoi il avait laissé sa langue se délier Sayid s'était entendu tenter d'expliquer à Agata ce qui lui posait souci, actuellement. Ce n'était que le sommet de l'iceberg, mais pour quelqu'un comme lui qui ne lâchait presque jamais rien c'était déjà beaucoup. « Je ne pense pas que les gens se demandent pourquoi tu es là, pas plus que moi, pas plus que qui que ce soit d’autre. Certes, il y en a qui semblent bien plus s’adapter, mais ça ne veut pas dire que leur présence ici est plus légitime. Je trouve que tu as ta place ici. » Il en doutait pourtant. Il en doutait parce qu'il ne se sentait jamais entièrement à l'aise ici, mais au fond il ne se sentait jamais à l'aise nul part alors était-ce vraiment une comparaison pertinente. Les réunions de groupe l'angoissaient toujours un peu aussi, pas seulement les primes mais aussi les soirées, les nominations, les révélations ... Tout ce qui faisait augmenter drastiquement le nombre de candidats dans une seule pièce, et empêchait Sayid d'y voir clair et de gérer ses émotions correctement. « Et si toi tu as une raison d’être ici, c’est le plus important, plus important ce que les autres peuvent penser ou non. Je sais que, venant de moi, ça ne vaut pas grand-chose, mais je le pense vraiment. » Non, à vrai dire c'était d'autant plus intéressant de voir que même si Agata avait certains agissements cela ne l'empêchait pas d'avoir conscience que ce n'était pas forcément la meilleure solution ; Et donc de ne pas la conseiller à Sayid. « Ce n'est pas seulement les autres. Moi aussi je le pense. J'estime mon objectif honorable, mais j'ai été stupide de penser que je pourrais être à ma place dans cet endroit ... » Il essayait de donner le change, comme dans beaucoup de situations il tentait de conserver ce qui lui restait de sang-froid pour avoir l'air de savoir ce qu'il faisait et où il mettait les pieds, mais ce n'était que de la poudre aux yeux. Preuve en était que tous ses efforts n'avaient pas été suffisant pour faire illusion et donner l'impression qu'il était autre chose qu'un mec qui respirait le malheur. C'était bien ça, être torturé, non ? « Ça devait simplement être compliqué de l’attribuer à un candidat, alors j’imagine, que comme on ne te voit pas sourire souvent c’était plus facile de te le donner. C’est dommage d’ailleurs. » Dommage, ça il n'en savait rien ... Mais prévisible, ça certainement, même si Sayid avait vainement tenté de nier l'évidence. « Mais c’est vrai, tu sais, que tu parais un peu torturé. Je ne sais pas si tu l’es, mais tu ne parais pas heureux tous les jours. » Contemplant d'un air faussement détaché, et avec une concentration feinte, la tâche de café incrustée dans le transat sur lequel il était assis, il avait secoué la tête de manière presque imperceptible avant de tout de même se décider à répondre « Ne pas avoir l'air heureux ne veut pas nécessairement dire être malheureux. » Il y avait une demi-mesure entre la notion de bonheur et celle de malheur, du moins c'était la façon de voir les choses du britannique. « Je dis pas que je respire la joie de vivre, tout ça ... mais je ne suis pas malheureux non plus. Je ne suis simplement pas de nature souriante, c'est tout. » Ni de nature bavarde. Mais certains n'étaient pas de nature ordonnée, ou aimable, ou sincère ... Lui n'était simplement pas de nature souriante, voilà tout. Il parlait trop en tout cas, il s'en rendait compte maintenant que suivant le modèle d'Agata il avait laissé sa langue se délier et dit des choses qu'il n'aurait sans doute pas dites s'il avait été moins tard, si la soirée ne lui avait pas semblée si éprouvante, et si ce n'était pas Agata qu'il avait eu en face de lui. Qu'elle n'essaye pas d'en profiter, d'ailleurs. « Oh c’est trop tard pour ça. Tu vas parler, crois-moi. C’est pas toujours facile de dire ce que l’on pense, j’en sais quelque chose. Ça ne te fait pas un peu de bien ? » C'était supposé faire du bien ? Parce que lui cela ne lui en faisait pas, non, et on comprenait donc aisément que la relation du britannique avec les psychiatres et psychologues auxquels il avait été confronté durant sa vie lui aient tout fait aussi mauvaise impression. « Non. » avait-il en tout cas avoué à Agata sans chercher à se dérober. En fait c'était même tout le contraire, lâcher la moindre information à son sujet lui donnait toujours l'impression de se compromettre. « Et personne n'a envie de savoir ce que j'ai dans la tête, ça je peux te l'assurer. » Parce que c'était déjà difficilement gérable pour lui au quotidien, parce que parfois il avait l'impression que son esprit n'était rien d'autre qu'un champ de mines qui sautaient de temps à autre mais toujours sans prévenir, et toujours dans les plus mauvais moments.

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