SAYID & @LAMINE
jeudi 21 mai - 21:14

C’était vraiment la première fois que Sayid avait l’impression que l’hôtel était aussi vide. Il n’y avait pourtant pas moins de candidats que la semaine précédente, à priori, il y en avait même plus parait-il, mais si c’était le cas cela ne se voyait vraiment pas ... tout était beaucoup plus calme. Comme si maintenant que la possibilité d’une nomination ne leur pendait plus au nez les candidats encore en jeu ne s’embarrassait pas d’avoir l’air sociables et aimables avec tout le monde ; Sayid le premier plaidait coupable à ce sujet. Oh bien sûr il attendrait encore un peu avant de laisser totalement le naturel revenir au galop parce que c’était une promesse faite à lui-même de faire des efforts ici, et que ces promesses là c’était bien celles qu’il tenait de tenir à tous prix. Parce qu’il n’y avait pas pire que lui-même non plus pour ce qui était de se blâmer et de se faire des reproches. Ses journées étaient donc beaucoup moins chargées en rencontres, et cela lui convenait ainsi. Pourtant, et faisant ainsi écho à leur situation de la semaine dernière, Sayid était bel et bien parti à la recherche de Lamine en ce début de soirée, avec en tête un objectif bien précis. Tournant un petit moment entre le rez-de-chaussée et le premier étage il avait finalement du monter au deuxième pour trouver le jeune homme traînant du côté du casino, avec l’air de ne pas savoir quoi faire de sa vie. Faut dire que s’attabler devant une table de poker mais n’avoir personne avec qui jouer c’était un peu la déchéance. « Ne me dis pas que tu as aussi besoin qu’on t’apprenne le poker ? » Il avait choisi un ton vaguement amusé, tandis qu’il venait s’installer à la place en face de celle de Lamine. « لعبة البوكر » Il articulait avec exagération, pour que cela semble distinct. « C’est comme ça que ça se dit. Poker. Et réfléchis bien si tu as l'intention de répondre oui, je suis mauvais joueur. Mais très bon tricheur. » Au moins Lamine ne pourrait pas dire qu’il n’était pas prévenu. Ce n’était en tout cas pas pour cette raison que Sayid était là, et s’il avait loupé son occasion d’emprunter à Lamine la phrase "enfin je te trouve" pour lui signifier qu’il le cherchait cela n’en demeurait pas moins la vérité, aussi sortant de la poche arrière de son jean un petit calepin il l’avait déposé devant Lamine avant d’expliquer. « Une semaine c’est un peu court. Même deux ça le serait. Alors je t’ai un peu mâché le travail avec des phrases bateau, un peu de vocabulaire ... de quoi potasser dans l’avion et impressionner ton père une fois chez toi. » On pouvait penser qu’il était rare que Sayid mette autant d’efforts à la tâche pour quelque chose qui ne concernait pas ses animaux, puisqu’on lui reprochait souvent de ne s'intéresser qu’à cela, mais en réalité Sayid ne refusait jamais d’apporter son aide lorsqu’on la lui demandait. On lui demandait simplement rarement, aidé par le fait qu’il ne s'estimait pas capable de grand-chose. « Je suis né en Irak. Je n’ai pas pris le temps de répondre à ta question la dernière fois. » parce que l’ascenseur s'était finalement ouvert et que bien que n’ayant rien contre la compagnie de Lamine, Sayid ne contrôlait pas toujours son instinct de fuite. « Mes parents ont émigré en Angleterre quand j’étais très jeune, mais on ne pouvait parler qu’arabe à la maison. » Donc il n’avait pas grand mérite au final, c’était ce qu’il essayait de dire. Si le père de Lamine avait été aussi autoritaire et borné que celui de Sayid il parlerait arabe lui aussi.

Sayid ne connaissait pas suffisamment Lamine pour savoir à coup sûr où le trouver quand il le cherchait, et il n'était pas non plus d'humeur à poser la question au premier candidat qui lui passerait sous la main, d'autant plus qu'on lui lancerait du coup forcément la question du pourquoi, et que ça ma foi cela ne regardait que Lamine et lui. Certes, c'était faire du secret pour pas grand chose, et sans que cela soit bien nécessaire, mais dans cet hôtel il était tellement difficile de garder quelque chose un peu pour soit que Sayid se retrouvait parfois à faire du mystère pour rien, par simple esprit de contradiction. C'était d'autant plus difficile pour lui qui se sentait obligé de répondre aux questions qu'on lui posait, parce que raconter des mensonges allait contre ses capacités, aussi éviter les questions était donc sa seule option pour esquiver les réponses qu'il ne pouvait ou ne voulait pas donner. « Eh si, hélas. ça aussi on s'est bien gardé de me l'apprendre. » Il aurait pu être tenté de dire que les traditions se perdaient, ma foi, mais puisqu'en réalité il avait lui-même appris à jouer sur un malentendu et alors qu'il avait déjà quelques années d'université derrière lui, ce serait un peu l'hôpital qui se foutait de la charité. Et pour une fois même Sayid était capable de s'en rendre compte. En profitant en tout cas pour dévoiler à Lamine l'équivalent arabe du mot poker, il l'avait écouté répéter avec application « Ma prononciation est comment ? » Sayid était du genre un peu avare de compliments, surtout parce qu'il ne savait jamais vraiment trop se situer, mais cette fois-ci il avait tout de même admis « Pas mauvaise. » tout en laissant un instant glisser ses doigts sur le feutre de la table. « Une prochaine fois, je veux bien que tu m'inities au poker du coup. » Un sourire pareil à celui accroché quelques instants plus tôt sur les lèvres de Lamine s'était dessiné sur celles de Sayid. Mais pour l'heure il n'était pas encore question de poker, et maintenant qu'il avait le français sous la main il lui avait remis ce pour quoi il le cherchait à la base. « Attends t'es fou ! ça a dû te prendre du temps et tout, fallait pas j'me serais démerdé. Franchement merci ! mon père va pas en revenir, ça va le clouer sur place. » Ça l'amusait, de voir l'enthousiasme de Lamine pour si peu au fond. Quoi qu'en apparence il restait toujours assez stoïque, mais uniquement parce qu'il avait momentanément oublié de donner extérieurement la preuve de ce qui se passait dans sa tête. « Je n'aime pas laisser quelque chose inachevé. » s'était-il simplement justifié quant au fait qu'il n'aurait pas du se donner toute cette peine. « Et puis ça m'a occupé deux heures ou trois, c'est pratiquement un luxe, ici. » Surtout maintenant qu'ils avaient tous fait cinquante fois le tour de chaque pièce, regardé trop de films, observés tous les paysages de la salle zen et compté tous les poissons du couloir aquarium, trouver une occupation relevait de plus en plus du challenge. Se souvenant en tout cas qu'il avait laissé la question de Lamine en suspend la semaine précédente, et détestant agir ainsi, il en avait profité donc pour y répondre. « Et l'Irak te manque ? enfin, l'Irak dont tu gardes le souvenir, celui que toi tu as connu et pas ... l'Irak d'aujourd'hui. » Sayid était resté interdit un instant, rarement confronté à cette question, et pour cause parce qu'au risque de passer pour un ingrat la vérité c'était qu'il ne se sentait pas véritablement concerné. Enfin, il se sentait concerné à la même mesure que n'importe quel étranger qui regardait les informations à la télévision, mais pas beaucoup plus. Pas comme Lamine se l'imaginait en tout cas. « Je ne m'en rappelle pratiquement pas. L'Irak c'est le pays de mes parents, pas le mien. » Probablement que si ce n'était pas déjà fait ses parents songeraient maintenant à le renier pour avoir dit ça, mais ce n'était au fond que la stricte vérité. « Tu ne penses pas ? » Il craignait soudainement d'avoir offusqué Lamine, peut-être, il ne savait pas d'où venait le jeune homme mais peut-être possédait-il envers son propre pays d'origine un attachement que Sayid n'attachait pas au sien. Ses parents à lui y étaient attachés en tout cas, peut-être même un peu trop puisque Sayid s'était maintes fois vu reprocher le fait d'agir un peu trop comme un anglais, et pas assez comme un irakien. Si cela n'avait tenu qu'à lui probablement que l'anglais aurait pris ses quartiers chez lui aussi, et rapidement. Mais ce n'était pas ainsi que cela fonctionnait chez eux, il n'y avait que le bon vouloir du patriarche qui comptait. « Faudrait que ton père apprenne au mien à faire ressortir son caractère et à tenir tête à une femme, il en aurait besoin. » Un rictus désabusé était apparu sur le visage de Sayid, et si Lamine l'avait aussi l'air un peu, désabusé, ce n'était assurément pas pour les mêmes raisons pourtant. Du moins Sayid l'espérait pour lui, dans un sens. « Non, je ne recommanderai pas mon père même à un ennemi. C'était un tyran qui ne supportait pas qu'on lui tienne tête, il n'a pas du s'arranger avec les années. » Faut dire que Sayid ne l'avait pas vu depuis un bon bout de temps, maintenant, et tout l'or du monde ne suffirait probablement pas à le convaincre de faire de nouveau face à cet homme. Réalisant après coup que la froideur avec laquelle il venait d'avouer cela risquait de le faire passer pour un fils froid et ingrat, Sayid avait préféré en revenir à Lamine, demandant avec une certaine prudence « Tu penses que tes parents seront fiers de toi, si tu vas en finale la semaine prochaine ? » Il ne savait pas trop comment cela fonctionnait chez ces jeunes candidats, si leurs parents étaient totalement à la ramasse concernant cette émission ou bien s'ils y voyaient une opportunité eux aussi ; Sayid avait un peu de mal à juger, il ne regardait que très peu la télévision, et ce genre de programmes ne passaient bien évidemment pas là où il vivait désormais.

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