Les mots résonnent et se cognent dans ma tête tandis que je déambule, las, dans la prison qui est désormais la nôtre. Mon regard ahuri se dirige tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche. Je ne sais que faire et après une journée, j’ai déjà l’impression de tourner en rond. Je m’emploie à tourner sur moi-même au milieu de la salle commune et, dans ce tourbillon de l’air qui est mien, repère une petite odeur. Je porte mes narines à mes aisselles. Ouais, c’est bien ce qu’il me semblait. Je ne suis plus lavé depuis hier soir, il me faudrait bien un petit coup de karcher. J’ai macéré dans ma tenue toute la nuit et toute la journée, il était temps d’aller rafraîchir tout ça. Mes pieds tapotent jusque la salle d’eau où je découvre une demoiselle sous l’un des deux jets d’eau. De ma démarche nonchalante, je m’avance près des robinets pour me débarrasser de cette tenue qui ne m’a pas quitté depuis l’entrée dans la prison. Une fois libre de mes mouvements et en caleçon seulement, j’attrape une serviette propre et la dépose à cheval sur mon épaule droite. J’investis la douche à coté de la demoiselle et tire le rideau douche, notant qu’il est loin d’être opaque. « Alors, elle est bonne ? » je lui lance, sachant qu’elle n’est dans la cabine de douche voisine et que l’eau est supposée être tout sauf chaude. Je descendis mon caleçon le long de mes jambes pour le déposer à cheval sur le rideau de douche et fit couler l’eau sur mon dos. Je serrai les fesses. En effet, même pas tiède. « Ouch » je laisse échapper en frissonnant. Au moins, ça réveille. Je laisse l’eau glacée dégouliner sur tous mes membres, tournant sur moi-même afin de mouiller l’ensemble de ce corps d’Apollon. « Moi c'est Jyoti, pour info » lâchai-je à ma voisine de douche dont je n’avais pas encore vraiment eu l’occasion d’admirer réellement le visage ni l’allure. Ca ne saurait tarder, puisqu'il allait certainement sortir de sa cabine de douche en même temps que moi.

Eau chaude entre huit et neuf heures, hein. Un bon foutage de gueule quand on prend en considération l’heure à laquelle les fous vont se coucher. Fous, oui. Depuis la veille les positions de Salomée à ce sujet n’ont pas changé. Les farces de la production ne l’ont pas aidé à relativiser ni à se faire une raison. Le camping encore ça passait mais la prison ? Il y avait une différence entre envoyer la saison précédente en camp scout et tous les cloitrer dans un environnement malsain et déprimant pour cette fois-ci. Au-delà de favoritisme envers les guignols de la précédente line-up c’était surtout une nouvelle limite de franchie pour la télé-réalité. Ils manquaient d’audience, il fallait trouver du trash et dieu sait que c’est difficile en ces temps de sex-tape et la disparition de la notion de respect. Ruminant sa rage toute la journée entre quelques efforts de socialisation, le besoin de s’isoler de cette fourmilière la poussa à stopper son boycott. S’étant levée bien trop tard pour avoir la chance de prendre une douche chaude, puisqu’à défaut d’avoir un lit confortable elle bénéficiait au moins d’un sommeil de plomb qui lui avait permis de passer une nuit correcte, elle expulsa un « putain » grelotant au supplice que lui coûta le jet d’eau gelé. Finalement le pire dans l’histoire c’est qu’il y avait quand même un con pour lui demander si elle était bonne. « Non. » grogna-t-elle molaires serrées dans une tentative d’en finir rapidement avec cette douche frigorifique. Pour info lui c’est Jyoti. Cool ? « Salomée. » Se débarrassant de la mousse couvrant son épiderme graveleux dans des gestes brouillons, elle finit par couper l’eau dans un soupir. Extirpant sa tête pour récupérer la serviette qu’elle avait déposé non loin, elle y enroula son corps grelotant en tentant dans un premier temps d’effacer sa chair de poule. « Au fait il y a pas de savon dans ta douche. » Elle avait failli se faire avoir. C’était forcément l’œuvre d’un voleur de savonnettes… comme quoi elle avait raison : que des fous. Sortant de sa cabine, elle offrit généreusement le savon à ce mystérieux Jyoti dont elle pouvait simplement apercevoir la silhouette au travers du rideau. Bon il avait l’air plutôt sympathique. Glissant sa main entre le rideau et le mur, préférant ne pas tenter de le faire glisser sur le sol au vu de l’hygiène générale incertaine, elle marquait là son premier acte dépourvu de mauvaise foi. Tout n’est pas perdu. « Senteur fleurs du bosquet. »

L’eau dégoulinait sur mon corps et bien que j’avais vraiment besoin de me sentir propre, la froideur de l’eau m’empêchait de me détendre pleinement, mes muscles étant sans cesse crispés par le choc thermique. Ma voisine de douche me confirma d’un ton sec que l’eau était loin d’être bonne, je pouvais maintenant en attester par moi-même. Une fois mon corps complètement trempé, j’entendis son prénom résonner de l’autre coté de la cabine. Joli prénom. Je ne répondis pas et contentai de continuer à me passer la tête sous l’eau avant qu’elle ne me prévienne que le présentoir à savon de ma douche était vide. Sans trop savoir qu’il y en avait dans la douche, j’avais pris l’initiative d’en prendre avec moi avant de filer sous le jet frigorifiant mais il était inutile de rentrer dans de grandes explications en étant sous l’eau alors je me contentai de la remercier pour son geste car elle était loin d’être obligée de me prévenir. « Merci » lâchai-je en réceptionnant le savon qu’elle me tendait en infiltrant sa main derrière le rideau de douche. « Bizarrement je n’en aurais pas attendu autant de leur part en voyant le reste des commodités » je répondis sans trop avoir pris attention à la gueule que tirait le savon. Quand je voyais les cellules, la bouffe et le reste de la prison, j’avais du mal à imaginer un savon agréable à l’odeur. Après l’avoir étalé entre mes mains, j’humai le tout en apportant mes mains jointes près de mon nez. « Oh, faux espoir » dis-je, déçu et blasé. Ca sentait le vieux savon chimique que l’on pouvait trouver dans les hôpitaux et dans les toilettes publiques. « Et on est censés sentir meilleur après s’être savonné avec ça ?! » je m’offusquai faussement en terminant de rincer mon corps et de me débarrasser des résidus de savon. Je fermai le robinet et attrapai ma serviette, me donnai un rapide frottement sur l’ensemble de mon corps avant de le nouer autour de ma taille et d’ouvrir le rideau de douche. Je pus alors apercevoir la frimousse de la demoiselle dans le miroir avant d’arriver à sa hauteur aux robinets. « Je t’imaginais plus fripée et avec des pustules sur le front, au travers de cette cabine » ironisai-je gaiement, en jouant au mec surpris mais ravi. Jetant un coup d’œil à mon allure dans le miroir, je relevai la mèche de cheveux qui surplombait mon front vers l’arrière pour dégager mon visage de ces brins de paille indésirables.

C’est vrai qu’en partant du principe que le téléspectateur pouvait avoir l’image sans les odeurs la production aurait pu aussi faire des économies sur le savon. Sauf qu’avoir des candidats qui s’évitent pour éviter de s’empester ça le fait moyen. « C’est au même niveau que la bouffe : primaire. » Sans ça ils se seraient contentés de locaux et rien d’autre. Un fin sourire prit place sur son visage, amusée qu’il puisse être déçu. N’étant pas avec lui dans cette douche elle ignorait de quoi il pouvait s’agir précisément mais il lui était facile de se faire une idée puisqu’elle avait aussi vécu un faux espoir en constatant que le savon n’était qu’un désinfectant sans odeur ni fioriture. Que dalle. Remarque c’était mieux qu’une savonnette empestant la mémé. « Bien sûr. Ne le sous-estime pas ça décrasse. Et ça ne peut pas être pire que maintenant. » Ajouta-t-elle dans un haussement de sourcils, se penchant vers le miroir cradingue pour observer l’état de sa peau de plus près. S’attelant à la partie calvaire que représentait le brossage de cheveux secs sans aucun produit pour l’y aider, aucune grimace ne traversa son visage tant elle était habituée à l’exercice. Ses prunelles virèrent vers la silhouette de Jyoti qui sortit de sa douche. C’était plutôt surprenant de voir à quoi il ressemblait, elle s’était imaginée un tout autre visage à défaut de la silhouette pour laquelle elle avait déjà eu un aperçu. Lui par contre il l’avait imaginée très différemment. Stoppant toute action une moue amusée apparut sur les lèvres de la française, vrillant son regard sur le roi de la flatterie. « J’hésite entre te remercier ou t’insulter.» Pour autant elle ne l’avait pas mal prit, son demi-sourire en attestant. Se concentrant une nouvelle fois sur son reflet en recommençant à tirer sur ses cheveux elle vint s’attarder un peu plus sur celui de Jyoti. « On est dans une prison remplie de gens un peu chelous, tu devrais faire attention à toi ça peut devenir dangereux s’il t’arrive de vexer les gens. » lui recommanda-t-elle en tout bien tout honneur juste au cas où elle viendrait l’égorger dans la nuit par esprit de vengeance, cqfd.

Mon affection pour cet endroit lugubre venait de descendre encore un peu plus en découvrant que ce savon n’avait aucune odeur, si ce n’est cette senteur chimique presque nauséabonde et dérangeante. La demoiselle m’assura alors qu’il ne fallait pas sous-estimer le produit, il était clair qu’il allait pouvoir me  décrasser autant que n’importe quel savon mais moi qui voulais ressentir cette sensation de propreté en sortant parfumé de ma douche, c’était raté. Une moue boudeuse sur le visage, je sortis de ma cabine en tirant le rideau et m’avançai jusqu’à ses cotés, près des robinets. Je découvrai alors son visage et m’amusai à lui faire une petite réflexion à prendre au second degré. Je ne pus retenir un petit rire spontané lorsque son regard me mitrailla. « A choisir, je préfère la deuxième option, histoire de rigoler un peu. » Je n’en avais rien à faire qu’elle me remercie, il serait bien plus drôle de la voir s’égosiller devant le miroir en étant seulement habillée d’une serviette de bain. La brunette se prit alors à penser à ma sécurité en me conseillant de ne pas vexer des gens au sein de cette prison. « J’suis un bonhomme moi, j’ai peur de personne » j’fais d’une voix grave sur-exagérée et en montrant mes biscotos invisibles, si bien qu’en levant mes bras ma serviette manqua de tomber sur le sol avant que je ne la rattrape de justesse. « C’eût été gênant » lâchai-je avec un grand sourire amusé à l’adresse de son reflet dans le miroir qui me faisait face. « Alors dis-moi, Miss Pas-Si-Fripée, qu’est-ce qui t’amène dans ce jeu de blaireaux ? » je lui demandai, puisqu’elle semblait considérer une majorité des présélectionnés ici comme des cas sociaux. Je m’assurai alors vite fait que ma serviette était bien nouée à nouveau autour de ma taille. Mes prunelles se dirigèrent vers les siennes, sans passer par le reflet du miroir cette fois. Allez, Salomée, dis-moi qui tu es.

Drôle de personnage que ce Jyoti qui semble préférer les insultes aux remerciements. Une seule explication à cela : il doit faire partie des petits cons qui ricanent lorsqu’on câble contre eux, le genre de chose qui fait littéralement sortie Salomée de ses gonds lorsque ça arrive. Sauf que le garçon ne doit pas bien comprendre avec qui il a affaire. « Pas sûr que ça te fasse vraiment rire. Sauf si t’es fan des langages très fleuri. » ajoute-t-elle le regard emplit de malice. Pour avoir un langage fleuri, ça, elle l’avait. La française affectionnait particulièrement les combos d’insultes, le genre de one shot dont elle se félicite en secret. Enfin comprenez bien que face à un colosse comme Jyoti elle n’ose pas. Ce muscle, ce ténor. Wow quoi. Sifflant pour montrer sa prétendue admiration, le filtre d’air passant entre ses lèvres manque à une fraction de seconde près d’être en harmonie avec la tombée de la serviette de Monsieur. Un fin rire s’échappant d’entre ses lèvres, ses prunelles grises glissent jusqu’au miroir pour continuer sa discussion par intermédiaire, un sourire amusé trônant sur son visage. Achevant son dernier coup de brosse, elle observe le reflet dorénavant familier de Jyoti. « J’ai besoin d’argent. Travailler c’est trop mainstream, je préfère la surexposition. » Haussant les épaules dans une vantardise feintée, elle finit par pivoter en direction dans le sens inverse de façon à avoir son interlocuteur dans son champ de vision tout prenant légèrement appui sur l’évier bancal en guise de siège virtuel. « Et puis même en travaillant il me faudrait des années pour récolter l’argent dont j’ai besoin. J’ai pas le temps. » Un sourire apparaissant très brièvement sur ses lèvres, ses bras se nouèrent sous sa poitrine. « Pour ta part j’ai pas l’impression que tu sois un blaireau plus que ça, tu t’es perdu peut-être ? » Ou peut-être que tout le monde n’est pas complètement con et fou ici, mais ça elle ne l’envisage pas encore comme une option.

Sortant fraîchement de ma douche vivifiante, j’avais fait savoir à la belle que je préférais qu’elle m’insulte de tous les noms plutôt qu’elle me remercie généreusement. Elle avait visiblement du mal à se faire à cet avis plutôt étonnant. « On pourrait faire un concours d’insultes, à l’occasion. » Visiblement, elle avait l’air calée en la matière et j’étais loin d’être un jeune premier dans le domaine. Disons que chez moi entre potes, nos marques d’affection se traduisaient essentiellement par des insultes comme surnoms. Il était donc inutile de dire que j’en connaissais un rayon. « Mais il faudra que tu me briefes sur les tendances en matière d’insultes françaises. » Là, j’devais m’avouer vaincu, le français n’était pas mon terrain de jeu habituel. L’anglais et l’hindi, il n’y avait aucun souci mais le français était un frein à ma bêtise notoire. Alors que ma serviette faillit se faire la malle tandis que j’exposais ma musculature saillante à la demoiselle, elle se moqua gentiment de ma poire, ce qui eut le don de me faire sourire à mon tour. Salomée m’expliqua alors qu’elle cherchait la surexposition et à se faire du flouz en venant dans l’émission. « Parce que tu crois que les téléspectateurs vont t’aimer ? » je lui demandai, en sous-entendant que son caractère n’allait pas l’y aider car, de ce que j’avais déjà pu voir, ça avait l’air d’être un sacré bout de femme. Mais bien évidemment, j’aimais bien la taquiner depuis quelques minutes, je ne voyais pas pourquoi je devrais arrêter. La surexposition c'était bien, mais ça avait plus de retombées si l'on était apprécié. Le sujet de conversation vira alors aux raisons de ma présence dans cette salle d’eau et je ne sus que trop répondre. « Je m’ennuyais. » Mon air perplexe s’effaça alors que j’ajoutai ma phrase. « Je pense que ça se résume à ça. » J’affichai un joli sourire, il était clair que l’argent n’était pas une de mes motivations ici. L’amour non plus, cela dit. « En fait j’avais trop rien à faire chez moi alors je suis venu faire chier mon monde ici. » Je la regardai avec une malice et une fierté dans les yeux. Je notai cependant qu’elle ne me considérait pas comme un blaireau et me félicitai intérieurement, mon ego remontant en flèche.