- lamine.

Les quelques fous qui traînent encore près du feu constatent rapidement qu'on commence à être à cours de bois. Ouais. Ça devait bien arriver un jour. On n'a rien à bouffer, on n'a que dalle pour se changer, on doit se laver comme les papous de Nouvelle-Guinée, et ce n'est même pas la peine d'évoquer les toilettes. Alors forcément - forcément, on allait manquer de bois à un moment. Pourtant, les expressions abasourdies de certains semblent parler d'elles-mêmes. La possibilité qu'on nous laisse ici, sans réserve de bois pour le feu de camp, n'avait effleuré l'esprit que de très peu de candidats. S'en suit la vague de fuites à l'anglaise, d'excuses bidons. Et moi, je me propose pour m'y coller. Presque avec enthousiasme, même. J'ai besoin de bouger, j'ai besoin de sortir de ce camp et c'est le prétexte idéal. Alors je me tire aussitôt, les mains dans les poches, en sifflotant, de bonne humeur. Je m'éloigne du camp, je laisse les deux ou trois autres volontaires se diviser les secteurs pour ratisser plus large et je pars de mon côté, sans les écouter ni les attendre. Ils feront bien ça tous seuls, comme des grands. Moi, je vais me choisir un coin tranquille et ramasser mon bois sans qu'on vienne me faire chier. Je m'aventure alors sous les frondaisons des arbres, j'avance entre les troncs, le regard balayant le sol, cherchant du bois supposé convenir à la taille du feu et censé se trouver à portée de main aussi. Hors de question que j'aille jouer les acrobates dans les arbres pour aller couper des morceaux d'arbre au canif. Aussi, je m'en tiens strictement aux branchages jonchant la terre et j'en ramasse bientôt de quoi remplir une pleine étreinte. Je songe à retourner au campement pour y déposer déjà tout ça, sauf qu'une meilleure solution s'offre à moi, sous la forme d'un chevelu dégingandé qui se balade. « Hey Tarzan, tu viens m'aider ? » je le hèle, sans penser une seule seconde à avoir la diplomatie de faire semblant de ne pas l'avoir vu pour qu'il profite de sa fin de journée comme il le souhaite. On est tous dans la même galère, c'est mon mantra, cette semaine. Si je suis finalement pris pour intégrer le jeu, le vrai jeu, il risque fort de se moduler jusqu'à en arriver à : chacun sa merde. Mais on n'en est pas encore là. « Mais range tes cheveux d'abord, tu risques de t'accrocher à une branche » j'ajoute, perplexe, après l'avoir observé une seconde. Ouais, le but c'est bien de ramener du bois au campement, pas que le bois nous ramène dans la forêt. Et vu sa tignasse, il a déjà probablement envisagé au moins une fois la possibilité de s'installer ici définitivement. Avec l'autre homme de compagnon qui ne sait pas aligner deux mots sans jurer. « On a besoin de bois pour le feu » j'explique toutefois, plein de sollicitude, des fois qu'il n'ait pas encore saisi.

C'est au cours d'une anodine balade en forêt, une de plus pour passer le temps, que Lamine est comme pris de panique : que va devenir sa chaine pendant les prochaines semaines si jamais il intègre officiellement l'aventure dimanche ? et le type chargé de s'en occuper en son absence, est-ce que c'est quelqu'un de confiance au final ? Il ne le connait pas vraiment ce gars, et il lui a confié son bébé quand même, c'est pas rien. Pourvu qu'il ne se soit pas fait rouler, et qu'il ne s'agisse pas là encore d'un envieux prêt à tout pour le faire sombrer... S'il n'avait pas déjà connu ça, Lamine ne serait sans doute pas à ce point méfiant aujourd'hui mais voilà, il y a des cons partout, il est entouré de pas mal de jaloux qui lui envient son succès et il s'attend à ce qu'ils se pointent avec toutes les intentions, jusqu'à devenir quasiment insoupçonnables pour certains. Il n'est pas du genre paranoïaque pourtant, mais rien que d'imaginer sa chaine entre les mains d'une personne malveillante, qui n'hésitera pas à bousiller un investissement de plusieurs années... oui, ça lui foutrait presque la gerbe tout ça, et c'est pas bon quand il commence à penser de cette façon. Parce que là où il se trouve, il ne peut rien faire, il est impuissant. Alors soupçons ou non, doutes fondés ou pas, il doit se rendre à l'évidence : ce qui est fait est fait, et s'il pense s'être trompé, il aurait fallu prendre le temps d'y réfléchir plus longuement quand il en a eu l'occasion. Oh mais, attendez voir, est-ce que c'est franchement le moment de venir l'enquiquiner par contre ? Alors qu'il est en proie aux doutes à cet instant, Lamine se passerait bien de l'interpellation d'un type qui se permet, en plus, de le surnommer Tarzan. Le respect a foutu le camp, apparemment. Haussant un sourcil, il vient planter ses yeux noirs dans ceux de son camarade. « tout le monde a droit à son petit surnom, ou j'suis une sorte de... privilégié ? parce que j'aime autant que tu m'appelles Lamine, en fait. » par ailleurs, Tarzan, il n'a quand même pas été le chercher bien loin. Ce doit être en référence à ses cheveux, et justement tenez, le voilà qui ajoute qu'il vaudrait mieux que Lamine attache sa tignasse pour ne pas risquer de rester accroché à une branche. « j'me disais aussi, c'est étonnant personne ne me vanne sur mes cheveux. » remarque-t-il, puisque oui il a l'habitude qu'on lui fasse des réflexions à ce propos, faut dire que c'est facile, donc il est surpris de ne pas y avoir eu droit avant. « t'es marrant, toi... t'as un élastique peut-être ? parce que moi non. » il est preneur, hein, lui-même ne serait pas contre le fait de se dégager un peu la nuque. Ranger ses cheveux, comme dirait l'autre, on dirait qu'il lui demande de nettoyer son bordel. Ah, ça l'étonnera toujours, mais effectivement certaines personnes n'adhèrent pas du tout aux cheveux longs sur un homme. C'est bien dommage, d'ailleurs, d'être jugé là-dessus avant de l'être sur le reste. « "on", tu dis ? moi je m'en passe très bien du feu dans l'immédiat. » ou comment lui signifier bien gentiment que leurs problèmes ne sont pas forcément les siens, et là c'est son côté égoïste qui ressort... et en l'occurrence, le Tarzan qui lui reste en travers de la gorge. « t'as trouvé personne, les autres étaient pas chauds et t'ont envoyé chier, c'est ça ? » ce serait triste, mais ça ne le surprendrait pas tellement, en fait. Surtout s'il leur a fait la demande comme à lui, en ayant la même approche, ils ont tous décliné et c'est bien normal.