@JADE & LAWRENCE
08:14 am ~ 30/11, monday
Que Lawrence ne soit pas du genre difficile lorsqu'il s'agissait de se remplir l'estomac, pour peu que la situation l'exige vraiment et que la nourriture à disposition ne fasse pas rêver, cela ne signifiait pas pour autant qu'il soit désespéré. Ce matin-là en tout cas il n'avait clairement pas faim au point d'avaler n'importe quoi, et devant la tristesse de la nourriture mise à leur disposition pour le petit déjeuner il s'était contenté d'une double ration de café dans lequel il avait laissé glisser deux sucres qu'il s'était occupé quelques secondes à dissoudre à l'aide de sa cuillère tout en balayant la pièce du regard. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que ce créneau serait le créneau parfait pour éviter la cohue au réfectoire ; Les douches ne disposaient d'eau chaude qu'entre huit heures et neuf heure chaque matin, et bon nombre de candidats potentiels n'étaient de toute évidence pas prêt à laisser passer cette occasion de se précipiter sous le jet d'eau pour se décrasser. Lawrence lui préférait boire son café paisiblement, quitte à se passer d'eau chaude pour prendre sa douche ... parce que cela ne changerait rien à ses habitudes, en fin de compte. Il avait quitté la Navy depuis cinq ans à peine et il continuait à se doucher comme un vrai Marine : à l'eau froide, une minute montre en main. Son sucre totalement fondu il avait trempé ses lèvres dans le café juste assez pour voir qu'il était trop chaud, et décidant simplement d'attendre qu'il refroidisse un peu il avait fini par traverser la pièce pour aller s'installer à l'une des tables du réfectoire. La seule qui ne soit pas vide, la seule où silencieusement une autre pseudo-détenue déjeunait dans son coin, persuadant Lawrence non pas de la laisser tranquille mais de s'inviter en face d'elle, déposant sa tasse de café devant lui et laissant ses yeux remonter sur la jeune femme « Tu as été plus aventurière que moi. » La raison à cela était simple : elle avait pris à manger et lui non. Agitant à nouveau machinalement sa cuillère dans son café pour tenter de le faire refroidir plus vite il avait repris d'un ton plus sérieux « Jade, donc. Jade-qui-préfère-qu'on-la-tutoie, si mes souvenirs sont bons. » Et sachant que leur discussion d'arrivée ne remontait qu'à la veille au soir, autrement dit quelques heures à peine, autant dire que la mémoire de Lawrence avaient fort peu de chance d'être défaillante. « Tu as d'autres exigences, tant qu'on y est ? Je préfère les gens qui savent ce qu'ils veulent. » Le tout était dit sur le ton pur de la conversation, Lawrence n'admettant simplement pas de ne pas chercher à engager la discussion avec les personnes qu'il allait devoir de toute façon côtoyer de gré ou de force pendant une semaine ... Pour tout un tas de raison, il préférait toujours savoir à qui il avait affaire. Et si elle avait envie de lui apprendre qu'elle préférait déjeuner seule et en silence, par exemple, c'était le moment où jamais de le lui faire remarquer.

Il aurait pu choisir n'importe quelle autre table vide du réfectoire, mais il avait choisi la seule qui soit occupée. Non pas par désir profond d'embêter son monde mais simplement parce qu'à choisir entre solitude et compagnie Lawrence choisissait toujours la compagnie, à moins qu'elle soit détestable ... et ce n'était pas l'effet que lui avait fait la rouquine. Le ton pince sans rire qu'elle avait employé en prétendant aimer le risque - quoi qu'il s'agissait peut-être de la vérité, après tout - lui avait arraché un sourire amusé, mais une légère grimace lui avait suffit à refuser de toucher au contenu de l'assiette qu'elle venait de pousser dans sa direction « Ça ira, je déjeune rarement. » Et ici le rarement allait probablement de transformer en jamais. Mais à en juger par le contenu de l'assiette qui ne semblait pas avoir été beaucoup entamé, il ne loupait pas grand chose. Se contentant donc de son café, dans lequel il avait trempé ses lèvres juste un instant, il avait profité d'avoir la rouquine sous la main pour essayer de creuser un peu, de manière certes un peu détournée ... Il était plus habitué à ce qu'on soit à son service que le contraire à vrai dire, mais plutôt que de rejeter sa proposition il avait faire remarquer d'un ton calme « Ça veut dire que tu devras aussi faire avec ma compagnie tous les matins ... Alors à toi de voir. » C'était à prendre ou à laisser, si elle espérait sincèrement obtenir son café chaque matin ... Et si ce n'était pas réellement son intention elle devrait s'y prendre autrement. Lui renvoyant finalement sans vergogne la balle quant à la manière dont il venait de la questionner, elle avait tenté d'obtenir une nouvelle information à son sujet. « Je dirige un hôtel. Et je travaille pour la mairie. » Laissant ses doigts s'enrouler autour de sa tasse pour les réchauffer il la détaillait du regard sans vraiment songer au fait que cela puisse être dérangeant pour elle. « Et toi, comment est-ce que tu occupes tes journées, à Vienne ? » Elle semblait encore jeune, peut-être était-elle encore étudiante. Il avait un peu la sensation qu'ils se renvoyaient la balle, je te pique ta question, tu me piques la tienne ... Rien de fondamental à cette discussion, mais après tout ce n'était que le premier jour, et apprendre le B et A BA concernant ses colocataires semblait un passage obligé.

Il l'avait vu observer d'un air narquois tandis qu'il refusait l'assiette qu'elle poussait dans sa direction, et du même ton le voilà donc qui répondait « Mais probablement que tu le deviendras si tu termines cette assiette ... j'ai saisi que tu aimais le risque, mais enfin. » Si ce n'était que cela, elle n'avait pas besoin d'aller jusqu'à l'intoxication alimentaire pour prouver son point de vue, il voulait bien la croire sur parole. Quant à savoir si on ne lui avait jamais dit encore que le petit déjeuner était le repas le plus important de la journée, il avait haussé les épaules comme s'il ne voyait pas de quoi elle parlait, et s'était contenté de questionner l'air de rien « Tu fais toujours ce qu'on te dit ? » Elle semblait avoir la langue un peu trop bien pendue pour que ce soit le cas, selon Lawrence. « Théoriquement le petit déjeuner n'est que le premier repas de la journée ... si je ne mange rien d'ici le repas de ce midi, il me fera office de petit déjeuner, voilà tout. » L'art et la manière de chercher le point de vue qui vous donnait raison, hm. Laissant en fin de compte la conversation dériver tandis qu'il buvait son café avec l'allure du mec qui aimait prendre son temps mais n'avait pas le courage de se préparer une seconde tasse, il n'avait pourtant pas rejeté en bloc l'idée de la rouquine de lui faire son café le matin. En soit choper deux tasses au lieu d'une ne relevait pas de l'effort surhumain, il ne se mouillait pas trop, elle en revanche devrait se faire au fait de partager ce moment de la matinée avec lui, ce qui à l'entendre pouvait se négocier, puisqu'il y avait pire que lui. « C'est ce qu'on me dit souvent, oui. » avait-il ironisé tout en reposant sa tasse sur la table. Le mensonge ne l'était qu'à moitié, Lawrence ayant toujours baigné dans un environnement où se comparer à son voisin était la seule manière de se rassurer sur sa réussite personnelle. Répondant à la question qu'elle avait décidé de poser concernant sa situation professionnelle, il avait répondu non sans déceler la moquerie tandis qu'elle pointait du doigt le fait que cela puisse faire trop pour une seule personne, mais haussant les épaules il s'était justifié d'un « J'aime me tenir occupé. » qui n'était rien d'autre qu'une manière diplomate d'avouer qu'il vivait presque exclusivement pour son travail. « Je siège au conseil municipal. Je m'occupe du service de la jeunesse et des sports. » Et qu'on se le dise c'était bien plus le service qui l'intéressait que le côté politique de la chose ... Il préférait laisser la politique pure à ceux que cela intéressait réellement. S'estimant le droit de lui retourner la question il l'avait écoutée avec attention sans trop savoir à quel genre de réponse s'attendre ; Elle n'avait pas un physique qui crie sa profession sans qu'elle n'ait besoin de le dire, et pourtant c'était bien un emploi physique qu'elle avait évoqué. Suivi d'un burn out qui, en définitive, avait arraché à Lawrence une grimace compatissante. « Du coup c'est une pause de type "vacances" ... ou bien plutôt une pause du genre "je cherche une reconversion professionnelle" ? » Il avait terminé ce qui lui restait de café, toute son attention désormais accaparée par la réponse qu'il attendait de la jeune femme.

Il lui trouvait presque un air enfantin avec ses traits fin et sa façon de siffloter en battant des cils avec sa fausse innocence. « Superstitieuse ? » Il avait tendance à les mettre dans le même panier que ceux qui pensaient aux bonnes et aux mauvaises ondes. Lui n'y croyait pas vraiment, probablement trop cartésien et attaché aux faits. La rouquine, elle, ne semblait pas du genre à se laisser dicter sa conduite par n'importe qui, et en effet semble-t-il que sa docilité dépendait de qui elle avait en face d'elle. Sage décision que celle de jauger son interlocuteur. Quant à savoir si Lawrence aimait avoir le dernier mot ... probablement, comme un peu tout le monde. « Mais je me soigne. » avait-il néanmoins rajouté tandis qu'un sourire calme barait toujours son visage. Sa tasse de café diminuant à vue d'oeil malgré sa volonté de prendre tout son temps, tandis que l'assiette de Jade elle restait pratiquement intacte, la conversation avait dérivé sur le sujet peu original - mais c'était le matin, presque de quoi excuser leur manque d'inspiration - de leurs emplois respectifs, la jeune femme se permettant de le railler gentiment quant à un emploi du temps qui ne devait lui laisser que peu de temps pour "avoir une vie". « J'ai des collègues qui sont aussi des amis. » Du coup c'était du deux en un, quelque part ... et c'était à peu près tout, en fait. « Comme je t'ai dit, j'aime me tenir occupé. » Et occuper tout son temps à travailler c'était une excellente façon d'éluder l'obligation de définir ses envies et ses priorités concernant sa vie personnelle ... au moins, dans sa vie professionnelle il n'avait pas besoin de se poser de questions. Il savait ce qu'il voulait, et où il allait. Pas de mauvaises surprises. Plus intéressé par le fait d'en apprendre davantage à propos de son interlocutrice que par le fait d'ergoter sur la répartition inégale de son travail et sa vie privée, il avait accueilli de façon intriguée cette évocation de burn out et la pause qui s'en était suivie ... et semblait se prolonger actuellement. Pause indéterminée, qu'elle disait. « Et sans prendre en compte ce qui est "planifié" (il avait insisté sur ce mot pour y mettre des guillemets verbaux) tu as déjà réfléchi à ce que tu aurais envie de faire ? » Parce que c'était bien joli de vouloir suivre le plan, mais encore fallait-il en être satisfait pour qu'il fonctionne. Du moins c'était son point de vue à lui. La rouquine, en revanche, avait ce regard vaguement indécis.