Bruit crissant d'une surface en plastique ou en caoutchouc trop tendue qu'on tente de froisser et qui reprend irrémédiablement sa forme. Air frais et doux qui caresse son visage alors qu'il rebondit savamment dans les airs, amortissant la chute avec précaution à chaque fois qu'il le peut, se vautrant à d'autres occasions moins bien maîtrisées. Lloyd-Snö s'éclate dans ce château gonflable, comme un gosse, comme Mei s'amuserait si elle était là. Elle lui manque sa petite chérie, son rire enfantin qui résonne dans les couloirs de l'appartement alors qu'Arthur lui court après dans l'espoir de la manger. Son odeur aussi alors qu'elle se jette dans ses bras pour échapper au monstrueux Papa. Il l'amènera à la fête foraine plus souvent quand il sortira, c'est une résolution qu'il prend et à laquelle il se tiendra. Comme il se tient à toutes les résolutions d'ailleurs. Le poids de son corps fait réagir le château d'une façon qui devient presque prévisible à force d'exercice, aussi quand d'un coup il rebondit complètement de travers et se retrouve contre une des parois pleine d'air de l'édifice artificiel avant de retomber en bon poids mort sur le sol et de se faire percuter la tête par une des balles de couleur, Lloyd ne peut en déduire qu'une chose : quelqu'un a provoqué ça. « Aouch ! » fait-il sans avoir vraiment mal alors qu'il se relève péniblement, le sol d'air mouvant n'est pas nécessairement le terrain le plus praticable une fois tombé. S'il avait les dons de comédien de Mei, il pourrait verser quelques larmes de crocodile dans l'espoir d'un bisou magique sur le front pour effacer toute trace de l'impact. « Oh, Lorena ! » lance-t-il tout sourire en découvrant sa camarade de tenue rouge en face de lui. « Y'a pas à dire les abysses font pale figure face à la foire. À moins qu'on ait des coulrophobes, eux ils vont regretter la sécurité des barreaux. » Bon c'est un peu exagéré, les phobiques des clowns peuvent très bien vivre dans le nid sans passer par la Pas-si-grande-roue, c'est un peu dommage parce que l'engin est impressionnant et qu'en faire un tour doit être marrant, mais ce n'est qu'un mince sacrifice.

Elle le salue, de façon un peu plus sobre que lui et son enthousiasme ravageur, il ne sait pas exactement pourquoi il est de si bonne humeur, c'est probablement son âme d'enfant qui s'épanouit dans des lieux aussi farfelus que les châteaux gonflables. La mention de leur ancienne cuisinière lui fait prendre conscience qu'elle vit probablement encore dans les environs. Peut-être même qu'elle les surveille et les juge à cet instant. « Si ça s'trouve Margaret elle est en couple avec Bozo le Clown et c'est pour ça qu'elle est tout le temps de mauvaise humeur. » Dans son cerveau s'impose l'image de la garce qui lui a servi une plâtrée de légumes à peine cuits la semaine dernière au lit avec le Clown triste qui tient la pas-si-grande-roue. Cette vision d'horreur maintenant gravée en tête, enfin debout et stable, il essaye de se rapprocher de Lorena sans se casser la gueule et frôle la catastrophe alors qu'elle soulève la question du sadisme possible des membres de la prod.« Je pense que ça fait des images pour les bêtisiers ou un truc comme ça. » fait-il en se pointant du doigt parce que clairement, il est un bon exemple de chute qu'on regardera en boucle, qu'un gamin sur internet trouverait le moyen de transformer en gif pour le plus grand plaisir de sa communauté. L'idée qu'on puisse porter plainte et aller en procès contre la production lui est passé par la tête. Il a étudié des cas de personnes tentant cette démarche. Sans grand succès « Il y a toujours moyen d'attaquer un contrat qui priverait le signataire de ses droits fondamentaux, mais je pense que la bataille juridique serait longue et couteuse. Pour avoir été de l'autre côté de la cour de justice quand une boîte comme les maisons de production se fait attaquer ils envoient de l'artillerie lourde et font durer les procès pendant des mois et des mois pour que les plaignants se rétractent faute de moyen... c'est un peu inhumain mais, business is business. » Il sait bien qu'un jour ce sera lui le méchant avocat qui noiera le bureau du procureur sous des tonnes de documents inutiles et affrontera des avocats représentant de pauvres gens victimes d'une injustice. C'est parce que cette idée ne lui sied pas pour l'instant qu'il n'est pas dans un cabinet privé, pas qu'on ne lui ait pas fait de propositions alléchantes. Mais l'argent ne le motive pas outre mesure, Arthur ramène assez de fric pour qu'ils vivent plus que confortablement malgré son salaire à lui qui est un peu mince. « Tu fais quoi dans la vie ? À part avoir des goûts d'enfer en matière de fringues je veux dire. » qu'il demande parce qu'il a oublié l'information et que ça l'intéresse de savoir en quoi les gens sont spécialistes.

Lorena s'interroge sur lequel des deux est le plus malheureux dans ce couple absolument détestable et Lloyd a bien du mal à se décider. Faut dire que ni l'un ni l'autre ne fait envie, c'est peut-être mieux qu'ils se soient trouver, deux âmes de moins à caser et surtout deux personnes avec un bon karma à ne pas punir. Mais c'est quand même pour la pauvre cuisinière que Lloyd se sent le plus mal. « Certainement elle. Coucher avec un clown triste ça peut pas être agréable. Surtout qu'il a l'air vraiment moche, en dessous du maquillage je veux dire. » No offense Bozzo. Et quand comme lui Lorena a l'image des deux erreurs de la nature en train de copuler dans la tête, elle le remercie ironiquement. « Encore un truc qu'on partagera à jamais ! » fait-il en levant les pouces en signe de victoire. Ces deux là semblent faits pour s'entendre, entre leur symbiose fashionistique et les images mentales qu'ils partagent, ils sont liés à vie. Ou au moins jusqu'à ce que les images s'effacent de leurs esprits trop encombrés par les tonnes d'informations à enregistrer pour trouver les secrets que cachent les autres candidats. Elle commente sa chute et Snö ne peut qu'être d'accord avec ce qu'elle dit. Les gens qui chutent ont toujours beaucoup de succès, c'est de la télé-réalité comme on les aime. De la drôlerie et de l'humiliation. « Avec un peu de chances les autres aussi se casseront la gueule et on oubliera ma cascade. » dit-il en sautillant dans sa direction, de façon précautionneuse histoire de ne pas donner aux caméras une raison de plus de lui accorder du temps d'antenne dans la section « bêtisier » de l'émission. Lorena répond à sa question et il découvre avec surprise qu'elle est agente d'artistes. Il ne sait pas exactement pourquoi mais il aurait plutôt dit que c'était elle l'artiste, une vibration qu'elle dégage probablement. « Oh ça a l'air cool ! » dit un Lloyd enthousiaste et qui adorerait être plus au contact de personnes issues du monde de l'art, ce sont toujours des gens qui ont des personnalités intéressantes et légèrement excentriques. Ils sont de bonne compagnie lors d'un dîner. « Étonnant ? Dis-ça à ma fille elle a deux pères et un placard beaucoup trop plein pour que choisir une tenue le matin ne prenne pas une heure ! » rit-il quand Lorena lui dit que son sens de la mode lui vient de son père. En tant que membre d'une famille homoparentale, il ne peut que comprendre évidemment, sa fille n'a que des pères et pourtant elle baigne dans la mode. Pour ce qui est de son métier, il peut comprendre que les gens n'aient pas retenu ou compris au premier abord et comme il aime son métier, en parler ne pose pas de problème. « Je suis avocat pour le Bureau du Procureur du Comté de Cook. Et je donne des cours de suédois à un groupe d'adolescents deux fois par semaine pour les préparer à des séjours scolaires à l'étranger. »