Je fais partie de ces gens qui sont convaincus qu'à chaque problème il y a, euh, sa solution, et qu'à chaque situation correspond un alcool adapté, et l'occurrence ce qui va bien avec un peu de lecture c'est le vin rouge, et même si j'ai pas l'habitude d'en boire j'apprécie quand même un peu le goût, sauf que le vin rouge me file des complexes, il a toujours l'air de dire "t'es pas assez bien pour moi" et c'est encore pire avec les vins rouges français, forcément, même si je pense que je dois avoir un stress post-traumatique parce que je suis sorti avec une nana très hors de ma portée une fois, et elle en buvait tout le temps, et genre avec le petit doigt en l'air et tout, et je crois que c'est pour ça que ça a fini par pas fonctionner entre nous, à cause de ce petit doigt qui me narguait en permanence, ça et la fois où je suis rentré chez elle une nuit, par hasard et par effraction, et que j'ai vomis partout dans son vestibule, sauf qu'en fait c'était pas chez elle mais chez sa voisine (big deal, je me suis trompé d'un numéro, et alors…) et que les flics ont rappliqué et que parait-il je lui aurais foutu la honte donc une petite nature comme ça et moi n'étions pas compatibles, mais ça sera très différent avec Sydney parce que (admirez un peu la transition) déjà j'ai Odessa pour m'aider à mieux comprendre les femmes, et ensuite Sydney est une nana remarquable et je suis sûr qu'elle m'enquiquinera pas pour des bêtises quand nous serons mariés, et j'entends des bruits de pas et ça doit être Odessa qui arrive justement, je lève la tête de mon bouquin pour jeter un coup d'œil par-dessus le garde-fou de la mezzanine et je reconnais sa crinière rousse, aussi je me dépêche d'aller à sa rencontre. « Hey salut poulette, comment ça va ? » je lance à la cantonade en dévalant les escaliers. « Dis, ça fait longtemps que j'ai pas lu alors j'ai comme qui dirait un trou de mémoire, les deux bâtons croisés au milieu là, c'est un "x" c'est ça ? » j'ajoute en zieutant une page de mon bouquin entre deux marches. C'est les malheurs de Sophie. Le titre m'avait inspiré, mais je pensais que c'était l'histoire d'une nana qui finissait par être forcée de se prostituer, et en fait pas du tout. « Oh, je nous ai réservé une table, soit dit en passant. » C'est facile de savoir laquelle, c'est la seule sur laquelle ont été entreposées trois bouteilles de vin.

Je crois que j’ai trouvé de quoi me reconvertir. Comme quoi, Fake Lover, ça ne sert pas juste à être ridicule devant des milliers de téléspectateurs ou, au mieux, à trouver l’amour. Non, Fake Lover a aussi des vertus très intéressantes dans la connaissance de soi et les reconversions professionnelles. Coach personnel, c’est ça que je pourrais faire en sortant. Pas en sport, clairement pas, je crois que mes exploits sur le mur d’escalade le prouve assez bien mais coach matrimonial, coach vestimentaire, coach sur plein de choses sauf le sport, je crois que ça peut être assez génial. En plus, il y a une niche là-dedans, je le sens, surtout à Los Angeles et ce qui est génial, c’est que je me fais déjà de la pub grâce à Seth. Seth que je coache pour une mission on ne peut plus intéressante : ravir le cœur de la belle Sydney. Honnêtement, moi, je ne sais pas ce qu’il lui trouve mais il est heureux comme ça, ça se voit, des étoiles plein les yeux, tout ça et il a même pris une douche pour elle, samedi dernier alors saluons l’effort. Du coup, aujourd’hui, c’est autre chose que nous allons aborder : la culture. Et pas n’importe laquelle : celle des filles. Bon, je dois faire attention parce que sinon, le pauvre Seth, on va le transformer en vraie fille si ça continue. Il y a déjà les masques, ensuite les fringues, maintenant les bouquins de filles, oui, il faut faire gaffe. Mais je veille au grain, pas de soucis. « Salut poulet, ça va et toi ? » Poulette, poulet… Bref. Il me pose ensuite une question qui m’étonne et je fronce les sourcils. Il est sérieux là ? « Hum… T’es sérieux ? Parce que oui, c’est un x ou alors, un dix si ce sont des chiffres grecs. C’est bizarre que tu saches pas ça, en général c’est une lettre qui vous parle assez, vous, les mecs. » A-t-il besoin de plus de détails ? Je ne crois pas. Il me montre ensuite une table et je soupire. « Toi aussi tu veux me souler pour que je te fasse des confidences, c’est ça ? » Je ne pensais pas Seth aussi sournois mais que voulez-vous, cette semaine, je vais de déceptions en déceptions…

« Et bien écoute, ça va pas trop mal. » C'était la stricte vérité – j'aurais pas menti à une fille comme Odessa, vous pensez bien. Compte tenu du fait que je n'étais pas forcément dans, hmm, mon environnement naturel, je trouvais que je m'adaptais plutôt bien et qu'en somme je n'avais pas à me plaindre de la situation. Elle me pose ensuite une question qui me désarçonne un peu, et me fait vaguement remettre en question le, euh, enfin notre lien et notre connaissance l'un de l'autre etc. Je pose solennellement une main sur son épaule en la regardant droit dans les yeux, comme si l'heure est grave et tout, parce que l'heure est grave. « Odessa, depuis qu'on se connaît, et ça va bientôt faire genre un mois qu'on se connaît donc autant dire une éternité, est-ce que tu m'as déjà vu sérieux, ne serait-ce qu'une seule fois, outre le jour où la réserve d'alcool du Walmart était vide ? » Ce jour compte pas parce que j'ai décidé de le rayer de ma mémoire (trop traumatisant) et je l'évoque juste pour, hum, la clarté et la radicalité du truc. Donc bref. Est-ce que j'ai déjà dit quelque chose sérieusement depuis que je suis arrivé ici ? Non, je ne crois pas, c'est bien ça. Autant mettre les points sur les virgules. « Donc attends est-ce que tu insinues que les films pornos sont des films x et non pas des films croix ? Je comprends mieux pourquoi ils se moquaient de moi en colo quand je parlais de ça maintenant. » je poursuis, toujours sur le même ton très sérieux, et je comprends que ça puisse être déconcertant, finalement. Elle avise ensuite la table et les bouteilles de vin et là je suis choqué, enfin presque. « Attends t'aurais besoin d'être alcoolisée pour me faire des confessions ? Je pensais que notre degré d'amitié rendait ce genre de trucs inutiles, et moi qui te faisais confiance et t'ai tout raconté concernant Sydney… Et toi tu me caches des trucs ?! » C'est pas sympa tout ça, pas sympa. « Et puis attends, minute papillon, qui t'a saoulée pour te délier la langue ? »

Seth ne va donc pas trop mal. C'est bien, je suis contente pour lui, vraiment, parce qu'il faut aller bien quand on entame une transformation de ce genre, il faut qu'il soit sûr de lui, il faut qu'il y croit, à fond et moi, je n'ai pas envie de coacher un looser. C'est comme àa la boxe – même si je ne connais rien à la boxe -, il faut qu'il soit motivé, à fond, sinon rien de ça ne servira à grand chose. Je souris donc à sa réponse et la suite, elle, me laisse également sans voix. Les deux petits bâtons croisés ? Il se moque de moi ? Non parce que s'il ne sait pas lire, enfin, non, ce n'est pas possible, je... je n'y comprends rien. Tellement rien que je fronce les sourcils quand il s'approche de moi et pose sa main sur mon épaule. On dirait que j'ai fait un connerie ou alors, qu'il va m'annoncer que ma mère est morte. Non sérieusement, là, il est flippant et donc, quoi ? Il n'est jamais sérieux. Bon. « Et bien je suis déçue alors... Ca veut dire que tu n'aimes pas vraiment les masques de beauté ? Tu faisais quoi avec nous alors ? Tu te moquais de nous ? Hum... Ouais, laisse tomber... » Un peu plus et je serais vexée. Alors oui, autant parler de films porno, je ne suis plus à ça près. « Et bien, oui, c'est ça, en effet... » Mais si ça se trouve, il me prend encore pour une bille alors tant pis. Et dire que moi je l'aidais, je vais vraiment finir par mal le prendre. Surtout si en plus, il veut me faire boire. Lui aussi donc ? Je vois qu'ils s'entendent bien, entre partenaires... « Tu voudrais que je te parle de mes histoires de cœur peut-être ? Moi je suis partante si tu veux mais pas sûre que ça te plaise. Sans parler que vu que tu n'es jamais sérieux avec moi... » Je crois les bras, je suis vexée, il va finir par y arriver hein, si si. « Me dis pas que tu peux l'ignorer... Réfléchis un peu... » Bah oui, qui ici bois beaucoup et qui aurait pu me mettre assez en confiance pour que je boive autant. Hum... C'est dur.

Je sens Odessa un peu perdue et je plisse une paupière en la fixant, je me demande si j'ai dis une connerie ou quoi, et elle répond et là c'est moi qui suis perdu. « Attends t'es sérieuse là ? » je demande, sérieusement, parce que j'imagine que je suis pris à mon propre jeu, finalement, vu que j'arrive plus à savoir si elle plaisante ou non, si elle est vraiment déçue ou non, et ça me semble tellement évident que non je me moque pas d'elle, et que c'est pas parce que je suis pas le gars le plus, hum "réel" au monde que ça signifie que je suis pas capable de m'attacher pour autant. Le truc c'est que je suis pas suffisamment conscient de tout ça pour le lui expliquer clairement, j'ai jamais cherché vraiment à me comprendre, alors ça m'aide pas à m'expliquer aux autres. « Mais je me moquerais jamais de vous, vous êtes mes pine-co et tout. » Sauf que l'usage ironique et répété de ce terme n'arrange peut-être rien, finalement, et j'ai plus l'impression de m'enfoncer qu'autre chose, alors je m'éloigne d'un pas et me passe la main dans les cheveux, j'aime vraiment pas ça, parce que ça me rappelle à peu près toutes mes disputes de rupture, et j'entends encore dans ma tête tous les "on peut jamais parler de trucs sérieux avec toi", "j'ai toujours l'impression que tu te fous de ma gueule", "t'es pas capable de t'ouvrir et discuter de trucs réels et personnels" et autres "j'aurais voulu qu'on parle plus, qu'on échange plus, qu'on communique!" et tu sais que t'es foutu quand une nana commence à utiliser genre le conditionnel passé ou des temps de l'irréel et ce genre de conneries. « Je veux que tu me parles de ce que t'as envie de me parler, je m'adapte à tout, et si t'as besoin de discuter de quoi que ce soit, et ben, je, hum, je suis là quoi. Je serais honoré et tout que tu te confies à moi, si ça signifie que t'as confiance en moi et tout. » En fait, c'est mort, je suis mal à l'aise maintenant, j'ai l'impression d'être sur cette pente glissante, une pente que je connais que trop bien, et j'ai pas envie qu'Odessa soit fâchée après moi, mais je suis pas sûr de pouvoir faire quoi que ce soit pour l'en empêcher. « Le prends pas comme ça… » je souffle en regardant ailleurs, quand elle me retourne un peu mes propres mots dans ma gueule. Argh, j'aurais vraiment dû la fermer en fait ? Enfin bref. Finalement je vais peut-être avoir besoin de ces trois bouteilles juste pour moi. « Eeeuh, voyons voir, là comme ça je pense à une de nos adorables connaissances communes avec un penchant pour la boisson fort notoire, est-ce que nous parlons d'une brune à forte personnalité avec laquelle il m'arrive potentiellement de dormir ? » J'espère qu'on va rebondir sur ce sujet de conversation et laisser tomber le précédent, mais genre vraiment.

Décidément, il faut croire que je ne sais pas doser. Comme avec Charles, Seth ne comprend donc pas que je suis un peu perdue, certes mais que surtout, je joue. Je joue avec lui, je m'amuse, comme lui le fait à ne pas être sérieuse. Bon, certes, j'aimerais bien, parfois, être un peu plus sûre de moi avec Seth, savoir quand il est sérieux, quand il ne l'est pas mais au moins, cette conversation m'aura aidé, je sais à présent qu'il n'est jamais sérieux. Jamais. Jamais jamais. Ok, c'est imprimé. Avec moi, par contre, c'est donc moins clair et je suis nulle. Soit je passe pour la petite folasse de service, soit pour la rabat-joie. Je ne sais pas quel rôle me convient le mieux, me plaît le plus mais bref, pas le temps de rentrer dans ce genre de réflexions, ça ne changera rien de toute manière. « Hummm... Oui et non, enfin, je sais pas, mais t'es jamais sérieux, vraiment ? » Je fais la moue, comme pour l'amadouer, pour savoir, être sûre, tout ça. En tout cas, je suis rassurée, sans l'être vraiment car je m'en doutais, qu'il ne se moquait pas de nous. De toute manière, s'il le fait, je le dis à Monroe pour qu'elle s'occupe de son cas. Je pense qu'elle saura mieux comment s'y prendre que moi, j'en suis sûre même. « Tant mieux alors car sinon, on te fait la peau, tu le sais ça au moins ? » dit la fille qui ne sait pas se servir d'un couteau suisse au mec qui... qui... je ne sais pas. « Tu fais quoi dans la vie en fait ? » C'est bien de commencer par ça en fait, parce que je me rends compte que je ne sais pas grand chose sur Seth et que c'est dommage. En tout cas, lui, ce qui semble l'ennuyer, c'est que je ne lui raconte pas mes petites affaires et c'est alors tout mignon ce qu'il me dit, vraiment. Jamais un mec ne m'avait dit ça alors... alors je le prends dans mes bras. Il ne faut pas chercher, je fais ça, parfois. « Oui, j'ai confiance en toi Seth tu sais ! Et si tu veux que je te confie un truc et bien, j'ai bien quelque chose... Tu vois, et bien... J'ai peur que Charles m'apprécie... pas comme je l'apprécie... J'ai peur que ça foute tout en l'air... » J'espère qu'il a un peu suivi parce que je n'ai pas tellement envie de rentrer dans les détails et d'ailleurs, oui, passons à autre chose. Comme aux bouteilles, ou à Sydney, oui c'est mieux. « Bingo ! Tu es très perspicace dis-moi. Donc bon, je veux bien un verre de vin mais je m'arrêterai à trois. Tu m'arrêtes à trois, hein ? Promets le moi ! » Je n'ai pas envie de finir comme la dernière fois. Clairement pas. « Et sinon, tu as trouvé de quoi charmer Sydney ici ? » Je le regarde avec insistance, les yeux rieurs.

« J'aurais tout le temps d'être sérieux quand j'serai mort. » je lui réponds, sans trop savoir pourquoi, du tac-au-tac, un grand sourire aux lèvres. Je sais pas réellement quoi dire à ce sujet, je vis ma vie comme je l'entends, sans trop réfléchir, sans prendre les choses trop sérieusement, trop à cœur, parce que ça me semble plus facile. Y'a des tas de gens qui aiment bien psychanalyser tout ça et raconter des âneries style c'est ma façon de dédramatiser et de réagir par rapport à l'absurdité de la guerre blablabla etc. mais je crois que j'étais comme ça bien avant déjà, et je suis également convaincu que les gens qui cherchent toujours à tout analyser et à toujours être obsédés par l'idée de trouver des réponses à des questions dont tout le monde se fout sont les gens qui ont réellement un problème. Moi j'ai pas de problème. Parce que contrairement à trois-quarts des gens, je ne passe pas mon temps à m'en créer. La menace de mort d'Odessa me fait marrer, c'est plus fort que moi, mais de la voir toute mignonne toute adorable comme ça me sortir des trucs pareils, c'est juste trop drôle. « Ouais je sais bien, c'est pour ça que je me moque jamais de vous. Vous me fichez les jetons en fait. » je confesse avec un demi-sourire aux lèvres. Bon j'dis ça mais au fond je suis certain que si elles voulaient vraiment me faire peur, elles trouveraient le moyen. D'autant que je n'avais pas nécessairement prouvé ma bravitude à toute épreuve lors de ma première rencontre avec Odessa, hein. Elle me demande ensuite ce que je fais dans la vie, et c'est un peu la question qui tue, en fait. « Hum, pas grand-chose. Je glande, essentiellement. Je touche une pension d'invalidité, du coup ça me fait un petit revenu fixe et stable et tout, et je fais des ptits boulots par-ci par-là quand c'est nécessairement mais globalement moins j'en fais mieux je me porte. » C'est pas glorieux-glorieux ma vie. C'est vraiment n'importe quoi, en somme. Ce qui me convient tout à fait hein. « Et toi, tu fais quoi ? » C'est marrant qu'elle puisse être ma pine-co et qu'on se connaisse depuis un mois mais on sait toujours pas grand-chose de quotidien de l'autre finalement. Puis finalement notre échange hyper touchant et tout nous conduit à nous prendre dans les bras, j'vous jure que c'est émouvant et tout. J'écoute attentivement ce qu'elle a à me dire à propos de Charles, et j'ai vaguement suivi tout ça mais vraiment vaguement et globalement je suis pas certain d'être hyper bon à ce jeu-là. « Hey, je vois pas pourquoi ça devrait foutre en l'air quoi que ce soit, je pense pas qu'il t'en voudra pour ça, il comprendra, il a l'air plutôt cool et tout, enfin, je ne pense pas que, hum, ça affectera votre amitié ni rien. » Je crois que je suis censé répondre un truc comme ça mais je sais vraiment pas. Elle me confirme ensuite ce que je sais déjà, c'est-à-dire que je suis très perspicace, et me fais promettre de veiller à ce qu'elle s'arrête à trois verres de vin. « Je te le promets. » je fais, solennellement, tout en croisant mes doigts dans mon dos. « Très franchement non, ma quête s'est avérée, euh, infructueuse, et c'est pas cette Sophie qui va m'aider je crois. » je signale en lui montrant le bouquin que je tiens à la main, en roulant des yeux. En plus c'est français, je crois. « Donc ouais j'ai, hum, vraiment besoin de ton aide. » j'admets en embrassant la salle du regard, l'air plus désemparé que jamais.