@COLIN & LAWRENCE
11:27 ~ 30/12, wednesday
Si Lawrence s'était toujours tenu relativement loin des machines à laver, laissant le soin à son personnel de maison ou à la laverie de la base le soin de s'occuper de son linge sale, il n'en était pas de même pour le repassage. Il aurait pu rester, de la même manière, sans jamais poser la main sur un fer à repasser et ne s'en serait probablement pas moins bien porté ... Mais c'était sans compter l'éducation militaire qu'il avait reçu et dans laquelle le moindre faux pli sur une chemise pouvait valoir une centaine de pompes distribuées gratuitement, pour le simple fait de leur faire passer l'envie de manquer de soin vis-à-vis de l'uniforme auquel ils étaient censés faire honneur. C'était à chacun d'entre eux de vérifier que plus aucune tâche ne subsistait sur une chemise, qu'aucun pli ne tombait autrement que parfaitement, et le soin qu'apportait Lawrence à ses vêtements de manière plus générale lui venait assurément de cette période. S'il lui avait donc fallu un peu de temps - et un peu d'aide, surtout - pour parvenir à faire marcher la machine à laver sans s'emmêler dans les différents programmes et risquer une catastrophe, il n'avait eu besoin de personne pour apprivoiser le fer à repasser mis à leur disposition. Il empilait les unes sur les autres ses chemises et ses pantalons parfaitement repassés et parfaitement pliés, les manches de la chemise qu'il portait retroussées sur ses avant-bras, et l'air attentif à ce qu'il faisait. Il ne s'agissait pas de brûler bêtement un pan de tissu. Le grincement de la porte lui avait finalement fait relever les yeux, et un rictus las sur les lèvres il avait observé Colin, dont l'absence de linge sur les bras laissait supposer au barbu qu'il venait se ravitailler dans le garde-manger plutôt que s'occuper de sa lessive. Il avait pris le parti de ne plus tenter l'effort de conversation avec le candidat, agacé des singeries de ce dernier et ayant peu de temps à perdre avec quelqu'un avec qui il n'était pas possible d'avoir une discussion sérieuse. Se contentant de l'observer du coin de l’œil, tout en continuant son repassage, il avait ainsi assisté aux premières loges à la chute du bocal de fruits au sirop que le candidat avait malencontreusement bousculé en tentant d'attraper quelque chose à côté sur l'étagère. S'écrasant contre le sol dans un bruit de verre brisé, le bocal avait déversé son contenu sur le sol. « Ne ramasse pas ça comme ça, tu vas te couper. » s'était-il alors entendu sermonner le jeune homme un peu malgré lui tandis qu'il tendait les doigts vers un morceau de bocal plus gros que les autres, mais probablement plus tranchant également. « Rien de cassé ? » Outre le bocal, cela va sans dire. En réalité Lawrence posait simplement la question parce que depuis sa vision périphérique il lui avait été difficile de déterminer si le bocal était tombé aux pieds du candidat, ou sur le pied su candidat.

Sans dire que la corvée de repassage soit particulièrement divertissante elle avait au moins l'avantage de lui occuper un peu l'esprit et de lui permettre de profiter de calme et de silence ; Deux choses particulièrement difficiles à obtenir dans un environnement aussi peuplé. Mais même au cellier, pourtant tout sauf lieu de prédilection des candidats, le calme ne durait jamais bien longtemps et un candidat finissait toujours par débarquer pour une raison ou une autre. Aujourd'hui c'était Colin, qui après ne lui avoir adressé qu'un bref regard - que Lawrence préférait presque à l'air volontairement acide et narquois que le candidat réservait à une grande majorité des candidats lui compris - avait entrepris de chercher on ne sait quoi sur une étagère. Ce dont le barbu ne se serait probablement pas mêlé si quelques instants plus tard un bocal de fruits au sirop n'était pas allé terminer sa course sur le sol du cellier dans un fracas, éclaboussant le sol, un pan de mur et le pantalon de Colin par la même occasion. Observant la scène un court instant sans rien dire Lawrence avait finalement fait un commentaire en voyant le candidat, pieds nus, commencer à ramasser les morceaux de verre éparpillés autour de lui. Mais il n'y avait rien de cassé en dehors de son amour propre, parait-il. « Mais tu vas finir avec deux orteils en moins si tu continues à piétiner comme ça. » Quelle idée de se balader pieds nus, aussi. Soupirant comme on le ferait face à un enfant qui venait de casser un énième verre, Lawrence avait reposé le fer à repasser sur son socle - pas question de faire brûler une de ses chemises - et s'était dirigé vers le candidat, s'accroupissant pour débarrasser le passage des débris de verre les plus imposants. La réflexion du gringalet lui avait arraché un léger sourire narquois, tandis qu'il levait les yeux au ciel « Un homme politique doit savoir tourner sept fois sa langue dans sa bouche, et faire preuve de diplomatie. » Avait-il donc vraiment besoin de préciser que jusqu'à présent Colin n'avait absolument pas montré le visage de quelqu'un qui maniait ces deux éléments ? « Et c'était "presque". » Presque perdre foi en l'humanité. « Mais vraiment, toi aussi tu vas prendre cette rubrique au pied de la lettre ? » Entre ça et Naveen qui pensait s'être mis au travers d'un amour contrarié concernant Enola, bon. Lawrence restait malgré tout un peu perplexe, ayant de plus en plus l'impression d'être le seul à n'accorder aux rubriques que le crédit qu'elles méritaient, c'est-à-dire relativement peu. Cela lui rappelait ces torchons de magazines "people" et leur tendance à chercher la moindre excuse pour créer un titre vendeur, un thème accrocheur. Les animateurs de l'émission utilisaient leurs rubriques pour embarrasser les candidats ou pour jeter de l'huile sur le feu. « Mais je ne demande qu'à ce que tu me prouves que je me trompe. » Qu'il lui prouve qu'il était autre chose, ou au moins un peu plus, que juste ce petit teigneux à la canine qui se plantait dans tous les mollets qui passaient à sa hauteur. Amassant les morceaux de verre dans un coin, les doigts collants de sirop et de sucre, il avait posé les yeux sur le pied du candidat, et commenté « Tu t'es coupé. » d'une voix neutre, tout en relevant les yeux vers lui. Est-ce qu'il n'avait pas remarqué, ou bien la bouclait-il seulement par envie de ne pas perdre la face ?

Lawrence n'avait pas jugé utile de faire le moindre commentaire supplémentaire en réponse à l'air malin de Colin, parce que c'était comme s'il n'attendait toujours que cela, qu'on lui donne du grain à moudre pour surenchérir dans sa bêtise. Et Lawrence n'avait que peu de patience pour ce genre de choses. Occupé à ramasser les morceaux de verre les plus tranchants il avait tiqué sur la seconde réflexion du jeune homme, les termes utilisés lui revenant à l'esprit tandis qu'il les reliaient à ses réponses dans la rubrique de Rowan. Une rubrique qu'il n'avait pas vraiment pris au sérieux mais dont il avait déjà eu à se justifier plus tôt dans la semaine. Et contre toute attente la petite pique de Colin concernant les hommes politiques avait arraché à Lawrence un léger rire, avant qu'il ne fasse tout de même remarquer « Tu ne penses pas que ton programme électoral risque d'être un peu léger s'il consiste uniquement à faire traîner ta langue n'importe où ? » Même si certes, à en croire les images diffusées durant la dernière rubrique d'Akela Colin serait plutôt du genre à mettre sa langue partout où on voudrait bien d'elle, possédant toujours les ardeurs d'un adolescent. « Parce qu'actuellement tu te prives à la fois du vote d'une majorité de la gente féminine, qui représentent rappelons-le plus de la moitié des électeurs, et de celui de l'américain moyen né avant la guerre du Viêt Nam, le plus difficile à convaincre. » Lassé de la tendance de Colin à ne jamais rien prendre sérieusement Lawrence avait pris le parti de le prendre au sérieux dans sa réflexion, et de lui répondre de la même manière. Il était également on ne peut plus sérieux en faisant valoir le "presque" qui changeait selon lui le sens de la question de Rowan. Parce que non, ça ne changeait pas "tout" mais cela faisait malgré tout une différence, dans son esprit. « Alors dans ce cas pourquoi est-ce que tu ne laisses pas simplement couler, en ce qui concerne cette rubrique ? » S'il n'en avait rien à foutre, comme l'ironie de sa réponse le laissait supposer, pourquoi l'avoir mis sur le tapis dans un premier temps ? Il ne fallait pas espérer des excuses de la part de Lawrence, il pouvait sans mal nuancer son propos ou justifier l'une de ses réponses, mais on ne lui ferait pas regretter d'en avoir donné une seule, à cette rubrique comme à n'importe quelle autre d'ailleurs. Mais qu'il ait un avis ferme sur les choses ne voulait pas dire qu'il n'était pas capable de revoir son jugement, rien n'était jamais gravé dans le marbre avec lui ... Aux yeux de Colin pourtant cela semblait peine perdue. « C'est dommage. » s'était-il contenté de répondre en haussant les épaules. « T'as l'air d'un garçon intelligent, c'est dommage que tu te caches derrière la hargne que tu balances au visage de tout le monde. » Mais si c'était sa seule ambition, après tout, grand bien lui fasse. Lawrence n'avait pas non plus l'intention de le supplier. Rassemblant les débris de verre dans un coin, il avait fait remarquer au candidat en même temps qu'il s'en apercevait lui-même qu'il s'était blessé, ne recevant qu'une nouvelle réflexion ironique qui lui avait arraché un léger soupir, un peu las. Et finalement un remerciement sorti de nul part, que Lawrence avait presque cru imaginer, mais qui l'avait suffisamment radouci pour qu'il reprenne la parole « Laisse, c'est bon, je vais m'occuper de ça. » Ça, les débris et la flaque de sirop qui s'étalait sur le sol. « Monte soigner ça. » D'autant plus que les pieds, comme toutes extrémités, saignaient facilement et qu'il risquait d'en mettre partout en plus de s'être amoché. Pas que la vue du sang dérange particulièrement Lawrence, ce serait un peu un comble avec le métier qu'il avait exercé pendant presque dix ans, mais enfin.