@lucy

Sans trop savoir pourquoi, j'ai élu résidence sur le toit instable de la cabane du pêcheur. J'avais envie d'un endroit calme pour répéter en silence. J'ai trouvé cette pièce de théâtre totalement inconnue dans un rayonnage de la bibliothèque et, ma normalité retrouvée, grattée jusqu'aux ongles, tandis que je suis sorti avec un nouveau souffle étroitement coincé contre ma poitrine, je me suis aussitôt mis en quête d'une bulle d'air libre où personne ne viendrait me déranger pendant mon étude. Après presque un mois enfermé ici, ce simple livre m’apparaît comme une nécessité donc je n'avais jusque-là pas vraiment conscience. Face à l'étagère, j'ai étouffé, brusquement, noyé sous les eaux de la vérité que je m'efforçais de gérer tant bien que mal. Et me voilà là, à escalader la vieille bicoque pour m'élever. C'est ce que j'avais déjà essayé de faire comprendre à Lina, un jour. M'élever me retire toujours un poids lorsque je sens que je m'enfonce. Il n'y a rien de plus apaisant que de regarder sans la vie sans vraiment en faire partie. ça permet de faire le point, de prendre du recul et de voir un ensemble et pas juste des fragments. Mon perchoir est bien modeste mais suffisant pour l'instant. Personne ne m'y voit à moins de prêter attention. Combien de temps je reste là, allongé, à lire et retenir les dialogues du personnage sur lequel j'ai jeté mon dévolu, je n'en sais trop rien, mais ce sont des pas lointains qui me rappellent à la réalité et, de loin, j'aperçois Lucy. Toujours mû par une spontanéité qui me fait agir sans les motivations qui vont derrière, je me redresse légèrement, réapparaissant dans le champ de vision du reste du monde. « Tu veux monter ? » je l'invite avec un sourire, tandis qu'elle lève les yeux vers moi. Pas sûr que le toit supporte deux personnes en vérité, mais quelle importance ? Au pire on tombe et on rigole. J'ai la flemme de penser à ce genre de détails, honnêtement. Puis à sa place, j'aurais bien envie d'échapper un peu au monde aussi. Elle a l'air un peu comme ça, Lucy, parfois. Déconnectée. Je sais pas trop comment expliquer. « Ta réaction au prime, pour César » je commence, sans trop savoir comment formuler la chose. Son... désarroi ? Sa peine ? Sa colère ? Sa possessivité ? On a tous plus ou moins compris que César était important pour elle et que l'avoir comme partenaire avait une signification à ses yeux. Bien sûr, il est toujours là et ils resteront toujours proches mais malgré tout, il y a quelque chose de différent. Je peux l'entendre, son trouble, parce que je pense que ça ne me plairait pas que quelqu'un décide, comme ça, de me départir de Karla pour en faire son nouveau binôme. Je ne suis pas foncièrement rancunier donc je n'aurais sans doute pas réagi de la même façon mais je l'aurais mal pris. Mais Lucy, je la connais très peu en définitive, et qui sait si ce n'est pas simplement l'attitude de Penny - pas très belle, même moi qui l'apprécie, je dois bien l'admettre - qui l'a foutue hors d'elle. « ça a un lien avec la question que tu m'avais posée, à la rivière ? » je complète en changeant quasiment diamétralement de direction mais au final pas tant que ça, dans ma tête. J'ai encore en mémoire ses mots, même si la conversation, à l'époque, n'avait pas été bien loin. Je ne sais pas, je fais peut-être des connexions débiles là où il n'y en a aucune, je me lance peut-être dans de la psychologie à deux balles en étant bien trop conscient de partir de mon propre ressenti mais c'est aussi un truc que je fais : réfléchir beaucoup trop et décortiquer probablement trop aussi. Et parfois, j'ai tendance à transposer, à projeter. Ma tendance à prendre chez les autres ce que je ne trouve pas en moi-même, et m'y accrocher férocement, par exemple.

Qu'on se le dise, je n'aimais pas forcément l'image que j'avais renvoyé de moi-même suite au prime passé. J'avais conscience que j'avais probablement paru bien trop possessive, bien trop extrême, chose que je n'étais pas forcément en règle générale. Les gens qui me connaissaient savaient que ça ne m'arrivaient que lorsque j'étais réellement affecté. Alors forcément, maintenant que j'avais vécu ce qui me paraissait être l'un des pires actes de ce début d'aventure -avec la nomination de Golshifteh par Joaquim. En même temps, je comprenais aussi Penny qui avait voulu avoir un parcours plus en sécurité aux côtés de César. Maintenant je n'étais pas franchement convaincue qu'elle ait fait ce qui était le mieux pour la suite de son aventure, car des échos que j'avais eu, peu de personnes avaient trouvé ça flatteur. Pour sûr qu'elle s'était faite remarquée, moi aussi par ailleurs. Enfin, je préférais laisser cette histoire derrière moi maintenant, c'était probablement mieux pour tout le monde. Armée de chocolat chaud, j'arpentais donc l'extérieur du nid, un écouteur branché à mon oreille droite alors que ma veste en jean tombait sur l'une de mes épaules. C'est alors que mon regard fut capté par Leon qui ne tarda pas à me proposer de le rejoindre. Là, perché sur la cabane du pêcheur. M'approchant, je lui tendais un instant ma boisson pour ne pas qu'elle tombe. « Seulement si tu me promets de m'aider à redescendre. » j'étais de ces personnes qui étaient capable de grimper le plus haut possible, pour ensuite avoir la peur de redescendre. Comme un chat coincé dans un arbre. M'asseyant à ses côtés, je récupérais ma tasse, regroupant mes jambes contre ma poitrine. Il faisait référence au prime passé, plus précisément à ma réaction face à tout ça. Est-ce que cela avait un rapport avec le fait d'être heureux ? Je prenais une petite seconde pour réfléchir à la question, n'ayant jamais réfléchi à cela jusqu'ici. « Je ne sais pas... » soufflais-je, méditant encore un instant avant d'ajouter « Je crois que j'ai simplement beaucoup trop eu l'habitude de voir des gens me trahir dans le passé. Du coup j'ai tendance à faire une croix dessus maintenant, dès qu'il m'arrive quelque chose du genre. » je préférais tourner la page plutôt que de donner une seconde chance et d'être encore déçue. C'était un peu mon avis sur Penny à cette minute là. « Pour ce qui est de César, c'est mon premier repère ici. Avec les questions que j'ai eu dans mon détecteur, et les côte de popularités, j'ai vite compris qu'il était assez populaire par ici. Du coup j'ai compris plus ou moins tout de suite que j'avais des grandes chances de le perdre. » qu'on se le dise, je me fichais de sa popularité, là où j'étais certaine que c'était précisément pour cette raison que Penny l'avait désiré. « Et j'ai beau me dire que ça ne changera pas notre relation, on sait bien que c'est faux. » nous n'allions plus envisager cette aventure ensemble, c'était juste différent maintenant. « Enfin voilà, je crois que le tout m'a juste fait exploser. » tout le monde pouvait témoigner du fait que j'étais naturellement relax, mais lorsque l'on me poussait à bout, comme beaucoup, je craquais. Posant mon regard sur le jeune homme, je détaillais ses trais un instant. « Tu sais... j'aurais pas misé sur le fait que tu sois encore là cette semaine. » aucune agressivité dans ses paroles, le jeune homme était simplement plus discret et calme que le reste des nominés de la semaine passée. J'aurais pensé qu'un profil comme le sien passerait rapidement plus inaperçu. Quelque part, ça me rassurait que ça ne soit pas le cas. « T'as eu peur ? » je l'imaginais mal appréhender une nomination, voire même craindre quoi que ce soit. « Enfin, y'a des choses qui t'ont fait peur jusqu'ici, dans cette aventure ? » après tout, ça n'était peut-être pas le cas.

En attrapant la boisson qu'elle me tend, je me contente de lui répondre d'un sourire tranquille. Evidemment, je vais pas la laisser perchée là-haut, la descente faisait partie du package moment posé sur le toit. ça pourrait être une bonne façon d'éliminer définitivement un concurrent, un adversaire de jeu, façon drastique Sims 4, mais c'est pas mon style. J'ai toujours détesté les mauvais joueurs et, plus globalement, les jeux sans enjeux.  Si ce n'est pas pour livrer un vrai et beau combat, quel intérêt ?  Peu importe, ce n'est pas ça qui m'inspire, lorsque j'observe Lucy. Comme beaucoup d'autres, maintenant, lorsque je la vois, je repense au prime. A sa détermination pour garder son partenaire et sa colère lorsque Penny le lui a volé sous son nez. C'est pas grave, ça va nous passer. D'ici une semaine, on aura un autre drama et on aura tous oublié celui-là. C'est comme ça que ça se passe, ici. On vit au rythme des nouvelles incroyables qui bousculent notre quotidien quasiment monastérique. Mais elle, en attendant, elle doit en avoir un peu marre. Marre de se traîner ça derrière elle. Je ne sais pas si c'est une fille très fière, Lucy, ou orgueilleuse, mais j'imagine que ce n'est pas vraiment l'image qu'elle voulait renvoyer. Possessive, colérique. Dans un sens, je la comprends. Le partenaire, ici, c'est le seul truc un peu stable. C'est le seul pilier, ce qui pourrait le plus s'apparenter à la famille, à l'extérieur, pour peu qu'on entretienne une relation proche avec sa famille, bien sûr. Karla, par exemple, est mille fois plus importante pour moi que n'importe qui ici et j'ai toujours eu le sentiment qu'on avait une relation privilégiée. C'est ce qui m'avait paru si stupide lorsque cette question sur le fait qu'on soit proche m'a été posée au prime. Bien sûr qu'on est proche, c'est ma partenaire. Ce jeu on l'appréhende, pour l'instant en tout cas, ensemble. On connait le secret de l'autre, on dort ensemble, on traverse les épreuves ensemble. On peut dire ce que l'on veut, ça n'a rien à voir avec les autres relations que l'on peut construire dans le jeu. Ce n'est pas nécessairement mieux ou plus fort, c'est juste différent. « Je serais complètement paumé, si on me prenait Karla » je lui reconnais volontiers. ça me peine de me dire ça, mais je ne sais si on aurait autant accroché, elle et moi, si on n'avait pas été partenaires. Dans une certaine mesure, je dirais que oui, parce qu'on reste elle et moi, mais ça aurait été, encore une fois, différent. « Ca donnera l'occasion à votre amitié d'évoluer en quelque chose d'encore plus beau qu'avant, maintenant que vous n'avez plus aucun lien obligatoire pour vous forcer à être proches » j'ajoute en hochant la tête. Je ne pense pas qu'ils se forçaient à quoi que ce soit mais dans un sens, ça a quelque chose de plus sincère aussi. Les liens, ici, ça m’apparaît un peu comme tes amis d'école, avec qui tu es ami parce que tu les vois cinq jours par semaine. Une fois que votre quotidien diffère, c'est fini. J'imagine que pour beaucoup de gens, ici, ça sera un peu ça. Il y aura ceux que tu gardes parce que c'était vrai, d'autres que tu redécouvriras peut-être par après et ceux que tu oublieras. Le partenaire, c'est le gars avec qui on te fout sur ton banc et tu dois faire avec. « Tu veux qu'on t'organise un contre-buzz où tu verses toute ta cagnotte pour aider les pandas roux ? »  je plaisante parce que clairement, Lucy, elle a plutôt l'air de vouloir stopper le buzz tout court. En roulant des billes dans sa direction, je surprends son regard qui m'observe, comme si une phrase était en train de se former dans son esprit, et lorsqu'elle la formule, je suis étonné et en même temps, pas tellement. « Moi non plus » je réponds sincèrement. Je me vexe pas de sa réflexion parce que même en n'ayant pas de vision de ce qu'on montre de nous à l'extérieur, je me rends bien compte que je suis loin d'avoir le caractère excentrique, charismatique ou singulier de certains autres candidats. Moi, je suis juste Leon, et ça n'a rien d'extraordinaire. Ou de particulièrement télégénique. « Tu aurais préféré qu'il en soit autrement ? » j'ajoute d'un air malicieux, même si je me fiche un peu de la réponse. Finalement, je ramène mes genoux vers le ciel, mes coudes posés dessus et mes mains jointes face à moi. « Je m'efforce de ne pas jouer, pour une fois, quitte à être un peu ennuyeux parfois. J'en ai besoin pour retrouver un peu l'équilibre dans ma vie. C'était sans doute pas la meilleure stratégie à adopter dans un jeu comme celui-ci » j'ironise avec un léger sourire. Parce que les autres candidats, ou beaucoup, en tout cas, ils seront dans le procédé complètement inverse, qu'ils en aient conscience ou pas. Parfois, le naturel reprendra le dessus, parce que même l'inconscient a besoin de se mettre sur pause, mais les caméras, on les voit tous. On sait qu'elles sont là, et qu'on le veuille ou non, ça joue. Chacun à notre échelle et chacun à notre manière, on les prend en considération et elles influencent notre façon d'être. Même moi, paradoxalement, et c'est ça qui est compliqué à gérer. ça qui me fait... peur ? « Honnêtement, ce qui me fait le plus peur, c'est de me confronter à moi-même sans pouvoir me cacher, ne pas pouvoir prédire mes propres réactions » je hausse les épaules. ça fait carrément cliché comme réponse, c'est un peu ridicule je m'en rends compte mais dans mon cas, c'est infiniment plus complexe que cette simple phrase un peu bateau.  « Le jeu en lui-même, je l'appréhende assez sereinement. » Encore une sentence qui parait bien plus cool et clichée qu'elle ne l'est réellement mais c'est pourtant la vérité. Je sais que je ne joue pas ma vie, ici. j'ai l'habitude des planches et de la scène, et ce n'est qu'une scène de plus. Un peu différente, mais rien qu'une scène. « Il y a des choses qui te font peur, à toi ? » Je sais pas, si elle pose la question, c'est que c'est pas un truc anodin.