Je n’ai jamais été une très grande cuisinière mais j’ai toujours apprécié ces petits moments passés par-ci par-là aux fourneaux, quand l’envie me prenait. Si mon alimentation était la plupart du temps plutôt simple et relativement frugal (légumes et fruits frais, smoothies, viandes maigres, graines et pommes de terre étant la base de mon alimentation), je prenais parfois plaisir à me concocter des mets plus raffinés ou nécessitant au moins un peu plus de préparation. Je m’étais toujours sentie obligée de faire honneur à mes racines mexicaines en apprenant les recettes les plus importantes de ma culture, mais je devais bien reconnaître que la majeure partie du temps, ma nationalité prenait clairement le pas sur mes origines, quand elle ne se faisait pas battre à plates coutures par ma curiosité culinaire et mes goûts parfois excentriques. Voyager à travers l’Europe de l’Ouest m’avait permis de m’ouvrir à de nouveaux horizons gustatifs, et avec Internet il était assez aisé de découvrir continuellement de nouveaux produits et de nouvelles recettes. Aujourd’hui, je m’étais décidée à préparer un plat somme toute assez basique : des pâtes à la bolognaise. Je détestais les sauces toutes faites et préférais préparer quelque chose qui avait d’avantage goût de fait-maison. Une fois la poêle chauffée, je verse un peu d’huile d’olive et commence à faire revenir oignon rouge, ail et échalote. J’avais la méchante habitude de commencer quasiment toutes mes préparations de cette façon, et l’odeur qui se dégageait de la poêle me faisait d’ores et déjà saliver. Je remue autant que nécessaire afin d’éviter que tout cela ne soit carbonisé, ajoute la carotte coupée en dés puis incorpore plus tard la viande hachée petit à petit. Quelques minutes plus tard, j’ajoute les tomates pelées ainsi que la sauce tomate et quelques herbes aromatiques. Le couvercle remis en place, je baisse le feu pour tout que tout cela puisse mijoter un bon moment et m’installe pour lire en attendant. J’irais bien vaquer à mes propres occupations mais je ne suis pas d’un naturel assez confiant pour laisser ma nourriture sans surveillance dans une maison remplie de personnes que je ne connais qu’à moitié. Perdue dans ma lecture, je ne vois pas le temps passer et ce n’est que lorsqu’@Achana pointe le bout de son nez dans la cuisine que je me résous à poser mon bouquin pour jeter un coup d’oeil à l’heure. Ça fera l’affaire. « Je prépare des pâtes à la bolognaise, tu en veux ? » je lui propose, naturellement, en mettant de l’eau à chauffer pour les pâtes. Si la sauce est prête, ce n’est pas encore le cas du reste. Mais vu la dose que je prépare, il y en aura au moins pour cinq ou six personnes. « Enfin, je sais pas, tu es mannequin, non ? Tu peux manger ce que tu veux ou tu dois surveiller le nombre de calories que tu consommes ? » j’ajoute en fronçant un sourcil, pensive. Je suivais pas mal de fitgirls sur Instagram et la façon dont elles géraient leur nourriture m’effrayaient parfois. Je ne me sentais pas capable de ça.

Parce que je commence sérieusement à avoir faim, je me rends vers la cuisine, dans l’espoir qu’un camarade est laissé un truc à manger parce que j’ai pas envie de cuisiner et puis parce que je suis pas la meilleure cuisinière, je gère les pad thai et un peu le tom yam mais bon je ne vaux pas ma mère pour ça. En arrivant je tombe sur Fawn en pleine préparation de quelque chose, sur le moment je sais pas ce que c’est mais ça sent bon. Alors que je jette un œil, elle me propose de partager ces pâtes bolognaises, avant de me demander si en tant que mannequin j’avais le « droit » question légitime. « Merci! Oh tu sais je me suis préparé psychologiquement à prendre du poids pendant l’aventure, et puis ce qui se passe dans le nid reste dans le nid pas vrai. » Lançais-je avec un clin d’œil amusé. Normalement je fais un minimum attention à ce que je mange, mais pour plusieurs raisons, de base je ne peux pas faire la même diet que les mannequins traditionnelles, par chance je ne suis pas « traditionnelle » dans mon genre. « Ca sent super bon en tout cas, tu cuisine souvent ? » peut-être qu’elle a un talent particulier pour la cuisine qui sait.

L’attitude d’Achana fasse à ma proposition me fait immédiatement sourire. Je pense qu’on a tous un peu des inquiétudes quand on apprend qu’une personne qu’on connaît est dans le mannequin ; c’est un milieu qui soulève beaucoup de critiques, sur lequel on s’interroge pas mal et puis il faut dire ce qui est : la désinformation se mêle aux scandales pour donner une image parfois négative de cette industrie. On a pas avoir enfin des mannequins grandes tailles, on sait bien que l’anoxerie a de beaux jours devant elle, malheureusement. Et en tant qu’estomac sur pattes, je trouve ça horrible, l’idée de se priver de nourriture parce que des directeurs artistiques te feront passer pour une obèse si tu rentres pas dans du 34. Au moins Achana a pas l’air de subir une pression de dingue à ce niveau là, tant mieux. « Exactement. Motus et bouche cousue. » je fais mine de zipper ma bouche, me délectant de l’ironie de la situation. Y’a rien de tel que de prétendre garder un secret aussi anodin dans une émission de télé-réalité vue par des millions de téléspectateurs et dont le but, pour le candidat, est de découvrir les secrets des autres. En matière de discrétion, on peut pas faire mieux. « Pas aussi souvent que je le voudrais... Je suis malheureusement plutôt flemmarde. Du coup j'ai tendance à me préparer de grosses plâtrées histoire d'avoir plein de restes. Mais comme je cuisine toujours de la même façon et régulièrement les mêmes plats, j’ai eu l’occasion de me perfectionner. » je lui confie avec un sourire, heureuse qu’elle apprécie l’odeur. J’ai mes habitudes, mes huiles préférées et mes épices favorites ; rien que ça, ça fait la différence. « Et toi, tu cuisines un peu ? » je lui demande en retour, tout en vérifiant la cuisson des pâtes - elles devraient bientôt être prêtes. Je me demande si elle connaît des recettes asiatiques, j’imagine que oui mais on ne sait jamais vraiment. Avec mes origines mexicaines, je suis bien placée pour savoir les origines n’entraînent pas nécessairement un savoir inépuisable dans la gastronomie du pays dont il est question.

Il n’est pas encore né celui qui me privera de nourriture, ça peut sembler étrange venant d’une mannequin, mais le mannequinat en Thaïlande, là où j’ai la plupart de mes contrats, ne fonctionne pas tout à fait de la même manière, surtout dans mon domaine disons « spécifique », bien sûr je n’ai pas intérêt à me pointer avec 30 kg de plus du jour au lendemain, mais disons que même si je prend un peu pendant l’émission, j’irais un peu plus au sport en rentrant, et puis je continue de m’entrainer dans le nid aussi donc l’un dans l’autre ça devrait aller. Je ris avec Fawn à sa remarque. Comme si personne ne nous avait vu. J’ai parfois tendance à oublier un peu les caméras, le fait qu’on ne les voient pas tout le temps fait que parfois j’oublie qu’elles sont là. Ma camarade m’explique alors qu’elle ne cuisine pas autant qu’elle le voudrait. « J’imagine qu’ici t’a le temps et pas grand-chose d’autre à faire. » faut dire que oui niveau animation c’est un peu léger, je comprends pourquoi certains deviennent énorme dans ce genre de jeu, ya rien d’autre à faire que manger … « J’ai pas souvent l’occasion non. Ma mère m’a appris quelques recettes Thaïes mais la plupart du temps c’est mon manager qui se charge de mes repas. » Enfin plutôt son assistant mais quoi qu’il arrive j’ai quelqu’un qui le fait pour moi. « Enfin c’est clairement pas mon point fort la cuisine, je préfère laisser ça a d’autre. » répondis-je. Bien que mes Pad Thai soit d’après les dire des gouteurs plutôt bonnes, je ne suis pas prête d’ouvrir un resto de si tôt. « Enfin si t’a besoin d’un testeur sur tes plats je suis là ! » lançais-je en levant la main en souriant. Ca c’est dans mes cordes, par contre je suis honnête et quand c’est pas bon je le dis aussi.

Je hoche doucement la tête, c’est vrai que le temps ce n’est pas une denrée rare ici, on en regorge, au point de ne plus savoir qu’en faire. Pourtant, on ne peut pas dire que je passe ma vie aux fourneaux. Est-ce que je n’ai pas assez d’imagination pour imaginer chaque jour de nouveaux plats pour ravir mes papilles, ou est-ce autre chose ? « Bizarrement je ne pense pas cuisiner plus qu’en dehors du nid. C’est curieux mais mais j’ai de temps à moi, moins je sais comment l’occuper. Je prends mon temps, je lambine. Alors que, au dehors, mes semaines les plus chargées sont aussi celles où je profite le plus de mon temps libre. » Ça avait toujours été un peu paradoxal. J’imagine qu’il s’agissait d’une question d’organisation, et bon sens : quand on n’a pas beaucoup de temps de dispo, on peut pas se permettre de traîner, glander et procrastiner. Ici, le temps à tendance à passer vite parce que je le perds, sans même m’en rendre compte. Je n’arrive même pas à m’ennuyer - je n’ai jamais été bonne à ça, je trouve toujours quelque chose à faire. « C’est chouette ça, j’aimerais bien avoir quelqu’un qui s’occupe de mes repas aussi. Faut que je me trouve un manager. Il cuisine bien le tien ? » je lui demande, pensive. Parce que si c’est pour tomber sur un mec qui fait que te réchauffer des poissons panés, ça vaut pas trop le coup. @Achana m’explique ensuite que la cuisine c’est pas trop son truc, et qu’elle laisse ça aux connaisseurs, ce qui m’inspire aussitôt une interrogation. « Tu dirais que c’est quoi ton point fort ? » je lui demande en reprenant son expression, curieuse. Elle a peut-être un talent particulier donc j’ignore encore tout. « Je retiens ta proposition ! T’as pas d’allergies, pas de soucis avec les trucs épicés ? » je réplique, amusée par son entrain, et tout à fait sérieuse à l’idée de faire d’elle ma testeuse officielle. J’aime bien improviser un peu, partir de recettes existantes pour créer un truc à ma sauce, mais j’ai tendance à aimer ajouter des épices. Achana étant asiatique, je pars du principe qu’elle aura pas trop de souci avec ma tendance à foutre du gingembre partout, mais on sait jamais. Pas sûre que ça soit très thaïlandais. Les pâtes étant fin prêtes, je sors deux assiettes pour nous servir toutes les deux. « Ça te va comme ça ? Ou je t’en mets plus ? » je lui demande après une grosse louchée.