Lundi 21 novembre (16h30), Cassidy.
Cela faisait un certain moment que je n’étais pas venu ici, alors que c’était le lieu du nid que je préférais. La mer était assez agitée pour une fois mais ça ne la rendait que plus belle. Je m’étais assis sur l’un des grands rochers, me refusant une petite escapade entre eux, préférant ne pas me briser le cou. Je n’étais pas du genre intrépide, et je préférais tenter la chose avec quelqu’un à mes côtés. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Et puis, contempler était une activité qui me plaisait particulièrement parce que j’arrivais facilement à faire le vide dans ma tête. A ne penser qu’à la beauté de l’instant, du lieu. Je regardais de temps en temps le ciel, juste pour comparer la couleur avec la mer. Et à chaque fois, j’étais admiratif quand aux nuances qu’elle présentait. Captivé, j’entendis tardivement les pas d’un inconnu. Lorsqu’il fut presque à ma hauteur, je m’en aperçus enfin, tournant légèrement la tête pour savoir qui arrivait. Il s’agissait de Cassidy. Je savais son nom, mais c’était bien la seule chose dont j’étais sûr. C’était la personne que je devais connaître le moins dans le nid. Et je ne savais pas trop pourquoi. Sûrement qu’il m’avait laissé une impression négative, et je n’avais jamais eu envie, spontanément, d’aller à sa rencontre. C’était ridicule en soi, mais c’était le bon moment pour se rattraper. Je lui fis un grand sourire, accueillant et chaleureux – et venant de moi, rien n’a l’air hypocrite, je n’ai de toute façon jamais compris le principe de l’hypocrisie. « Salut ! Tu viens me tenir compagnie ? » C’était une proposition comme une autre pour qu’il vienne s’asseoir.

Tout avait l'air incroyable, immense et paradisiaque dans cette villa. Les candidats avaient été gâté, ils avaient la chance d'être sur une île où le climat était toujours bon, avec une vue magnifique sur l'océan dès le réveil. Son pays natal allait lui sembler bien froid une fois que Cassidy y serait de retour, cependant, sa famille lui manquait bien plus qu'il ne l'aurait pensé, sa vie aussi et il serait bien content de retrouver tout cela. De promenade, il vagabondait à l'extérieur, se décidant à aller vers les rochers. La vue y était imprenable, comme si l'océan faisait un spectacle uniquement pour la personne qui s'installait là-bas, comme si l'horizon leur appartenait. C'était un lieu très inspirant, quoi qu'on en dise. Ce n'est que tardivement que l'anglais comprit qu'il n'était pas seul. En effet, Dion venait de le saluer, lui proposant de lui tenir compagnie. « Bien sûr. » accepta le brun en allant s'asseoir à côté de lui. C'est vrai qu'ils ne se connaissaient pas tellement, tous les deux. Il y avait forcément des gens avec qui vous n'avez pas spécialement d'affinités, pour des raisons diverses et variées. Cela dit, il n'est jamais trop tard pour remédier à cela. « C'est agréable d'être ici. C'est tellement calme... » bavarda-t-il. Il fallait bien commencer quelque part, n'est-ce pas?

Je lui fis un grand sourire quand il répondit par l’affirmatif tout en s’installant à côté de moi. Je le regardais jusqu’à qu’il fit remarquer la sérénité du lieu. Je laissais mon regard alors vagabonder sur le paysage fantastique qui s’offrait à nous. Je me perdais dans ma contemplation comme toujours, pas pressé de lui répondre. Pourtant, j’eus peur d’être impoli à force d’être silencieux, si bien que je tournais mes yeux vers lui, pour lui répondre. « Oui, c’est incroyable comme tout parait à la fois simple et grandiose ici … » J’avais dit ça d’un ton rêveur. C’était un lieu que même le meilleur des livres ne pouvait retranscrire. Il n’y avait pas de mot pour décrire sa beauté. C’était tout simplement hors norme. Et ça le resterait à jamais. C’était presque rassurant de savoir tout cela immuable. « Tu viens souvent ici ? » J’essayais d’être curieux, ayant vraiment l’envie de converser avec lui, même si c’était de choses sans importance. D’ailleurs, je préférais nettement les futilités qu’aux grands débats sérieux et barbants, qui n’amènent à rien finalement.

Le silence qui précéda l'arrivée de Cassidy se fit une nouvelle place toute choisie dans la conversation. Peut-être que Dion n'était pas très bavard, après tout? C'était amusant de voir qu'il ne savait vraiment pas grand chose de plus et qu'il apprenait à le connaître alors qu'ils venaient de passer deux mois et demi dans une même villa, partageant repas, soirées et connaissances. Lorsqu'il reprit finalement la parole, Cassidy ne fit qu'acquiescer silencieusement, ne voyant pas ce qu'il pourrait ajouter de plus. Quelques instants après s'être perdu dans cette contemplation, Dion lui posa une nouvelle question. « Pas tellement, non. Pas plus que la moyenne disons.» Il venait de temps à autre, quand il souhaitait être seul et cela n'arrivant pas très souvent... L'endroit qu'il appréciait énormément et où il passait un sacré paquet de temps, c'était le balcon, pour sa vue d'ensemble. Il avait toujours l'impression de pouvoir tout voir de là-bas et la vue sur l'océan était toute aussi imprenable. Elle semblait d'autant plus sans fin de là-haut. Cela dit, les rochers étaient un bon emplacement aussi. Pas qu'il y en avait de mauvais dans cette villa, de toute façon. « Et toi? »

Je souriais à sa réponse. La conversation allait lentement, mais je n’étais pas pressé de lui poser mille et une questions. Après tout, il n’allait pas s’évaporer tout de suite, non ? Il me retourna la question, et je savais déjà quoi dire. « Le plus souvent possible. Enfin, je passe plus de temps sur la plage, j’adore le sable. Juste m’allonger et regarder les vagues. » Oui, c’était sûrement stupide comme activité, mais tellement reposante que je me fichais bien de ce qu’on pouvait en penser. Enfin, on ne pouvait décemment pas en penser du mal, non ? Il fallait bien profiter de ce que nous offrait le nid et de ce qu’on ne retrouverait pas en revenant chez nous. Je soupirais en pensant à la fin qui se rapprochait trop vite. Parce que plus j’y pensais, plus je réalisais tout ce qui allait me manquer. Comme cette vue. « Qu’est ce qui va te manquer le plus quand tout ça sera fini ? » C’était une grande question qu’on avait du lui poser mille fois, mais j’étais intéressé par la réponse. Chaque personne avait du retenir une chose précise de son séjour ici. Peut-être même des choses auxquelles je n’avais jamais fait attention. Des trucs sans importance, comme la douceur des draps, ou l’odeur de la mer dès le réveil, ou encore le bruit de la cascade quand on se promenait dans le jardin, ou même la tête fatiguée des personnes juste avant d’aller se coucher ou au réveil.

Ah, la plage! Probablement un de ses endroits préférés aussi. Il y glandait quotidiennement, il était juste allongé tranquillement sans penser à rien, se contentant d'écouter le bruit des vagues et de sentir le soleil brûler sa peau, il avait dû prendre au moins deux ou trois teintes durant cette aventure. « Tout est tellement agréable, ici. » commenta l'anglais. Ouais, c'était fou à quel point tout pouvait avoir l'air sympa. Ils étaient dans un cadre de rêve, Cassidy n'aurait jamais pu se payer de telles vacances. Dion lui demanda alors ce qui allait le plus lui manquer. Quelle bonne question. La liste semblait bien trop longue pour la citer en entier. Et pour dire vrai, il ne saurait pas où commencer. « Je n'en ai pas la moindre idée. Trop de choses, je pense. » sourit-il. Et d'un côté, il détestait cette question, pas seulement parce qu'il ne savait pas quoi répondre, mais surtout parce qu'elle annonçait que la fin était proche et il haïssait ça. Il aimerait pouvoir rester encore un peu, continuer à être coupé du monde, malgré les inconvénients, il adorait ne pas savoir ce qui se passait dans le monde, ne pas avoir des appels de son banquier pour lui signaler un énième découvert, être loin de son téléphone portable et tout autre chose dont il avait réussi à se passer. C'était tellement reposant de vivre loin de tout. « Dire que c'est presque la fin. J'arrive pas à croire que le temps est passé si vite. » ajouta-t-il en soufflant doucement. Déjà la fin. Incroyable à quel point ces presque trois mois étaient passés à une vitesse affolante. Il avait l'impression d'être entré dans le jeu la veille. D'accord, sa mémoire de poisson rouge l'aidait dans cette pensée, mais tout de même. « Cela dit, je serais curieux de savoir ce qui pourrait bien te manquer le plus, une fois sorti. » Qu'ils voient le bon côté des choses: quoi qu'il arrive, il leur restait une semaine de plus, une fois celle-ci achevée, avant de retourner à la dure réalité.

« Tout est tellement agréable, ici. » Il avait tout à fait raison. Rien ici ne pouvait déplaire, au contraire. Et ce serait d’autant plus déchirant de retourner à nos vies si ordinaires et si imparfaites. Certes, j’aimais Dublin, mais ce ne serait jamais comme ici. Il n’y aura jamais autant de féérie que dans ces lieux. Oui, c’était magique tout ça. Et comme tout le monde, je voulais en profiter au maximum. Je l’écoutais attentivement après avoir posé ma question. « Je n'en ai pas la moindre idée. Trop de choses, je pense. » Je pouvais facilement le comprendre. Après tout, au bout de deux mois, et même plus, on s’était habitué à cette vie, à ce lieu, aux gens autour de nous. Une autre réalité que celle de nos vies avant l’émission s’était emparée de nous et il sera difficile de s’en défaire, de se dire que c’est fini et que ça ne recommencera plus, si bien qu’une quantité astronomique de choses allait vivement nous manquer à un moment ou à une autre de notre retour, sans qu’on s’en aperçoive vraiment parfois. « Dire que c'est presque la fin. J'arrive pas à croire que le temps est passé si vite. » Je soupirai à sa suite, déjà mélancolique alors que l’émission n’était même pas terminée. L’odeur de la fin était amère. Moi non plus, je n’arrivais pas à me rendre compte qu’il ne nous restait qu’eux de petites semaines, même pas. On sentait la fin s’approchait, et pourtant elle nous semblait encore bien loin. « Cela dit, je serais curieux de savoir ce qui pourrait bien te manquer le plus, une fois sorti. » Je me mis alors à réfléchir sérieusement. Qu’est ce qui pouvait me manquer réellement sans que cela ne saute aux yeux ? Bonne question … Et les réponses semblaient trop évidentes pour être dites. « Peut-être … Peut-être le fait qu’on soit en dehors de toute réalité dure, tu vois. Je ne sais pas comment l’expliquer. On est en quelque sorte protégé ici, pas vrai ? Pas besoin de s’occuper du lendemain ou de chose trop terre à terre. Et ça va franchement me manquer, je pense, même si je n’y penserais pas tous les jours … » Mais il y avait aussi un millier d’autres choses futiles qui allaient me faire défaut. Et moins futiles aussi. « Moi aussi j’ai du mal à me faire à l’idée que c’est bientôt la fin … j’ai l’impression en même temps que l’émission durera pour toujours … C’est stupide comme pensée. » Je riais de ma propre songerie un peu enfantine. Mais c’était exactement ça que je ressentais. La forte impression que ça ne finira jamais. « Mais j’imagine qu’on en aura bien profité, tout de même ! Rien que pour la nourriture. » Je lui fis un grand sourire. Il ne fallait pas non plus qu’on tombe dans la mélancolie.

Cassidy ne pouvait qu'être d'accord avec son interlocuteur. C'était déjà un bon point: ils avaient des avis plus ou moins identiques. Ils pouvaient au moins se comprendre sur ça. « C'est vrai qu'on est dans une bulle, ici. » Le seul problème qu'ils pouvaient avoir, c'était de savoir s'ils allaient se baigner dans la mer ou dans la piscine, s'ils allaient déjeuner à l'intérieur ou à l'extérieur. C'était de véritables vacances, sans les soucis d'argent, c'était parfait. C'était reposant, bien qu'il pouvait y avoir des tensions, des disputes, le tout restait très agréable. Quant au fait que l'émission touchait à sa fin... L'anglais étira doucement ses lèvres en un mince sourire. Le point de vue de Dion pouvait se comprendre, à nouveau. « Ce qui est certain, c'est qu'on ne risque pas d'oublier cette aventure. » C'était une certitude. Et puis, les candidats pourraient toujours se revoir à l'extérieur. Certes, ça ne serait pas la même chose, mais pourquoi la fin de l'émission devait se traduire par un arrêt total et définitive de tout ce qu'ils avaient vécu ici? « La nourriture a été un plus, c'est vrai. » fit-il en riant légèrement. Là était une autre certitude. Ils avaient dû prendre facilement deux ou trois kilos dans cette villa. Entre les moments d'ennuis, de solitude et de coup de blues, la nourriture avait été un bon moyen de compenser. Cela dit, oui, ils avaient profité. Cassidy l'avait fait, toujours. Il espérait que tous les autres en avaient fait de même, il ne faudrait rien regretter en sortant. A quoi ça servait, les regrets, de toute façon?

Je riais à sa suite, après tout, ma réplique avait été quelque peu stupide. Mais il ne l’avait pas prise de haut ou quoique ce soit, il en avait juste ris, et je me mis tout de suite à l’apprécier un peu plus. Il m’en fallait peu, c’est vrai, mais je comprenais difficilement les gens distants qui ne donnaient leur attention ou leur confiance qu’après de longues heures, de longs jours ou même de longues années. J’étais quelqu’un sans réel doute quand il s’agissait des autres. C’était peut-être naïf, mais ça marchait plutôt bien pour l’instant. « Peut-être que comme ça, ma mère arrêtera de dire que je suis rachitique ! Je n’ai pas arrêté de grignoter pendant tout notre séjour. » Je me fis la réflexion alors qu’il y avait sûrement des choses qui nous manquaient de l’extérieur. Je n’y avais jamais réellement pensé, peut-être pour éviter de déprimer, ou même par simple négligence. Mais là, j’y pensais, et fortement en plus. Je m’en voulais un peu de ne pas y avoir songé. « D’ailleurs, il n’y a pas quelque chose qui te manque à l’extérieur ? Parce qu’on parle tous de ce qui va nous manquer d’ici, mais presque jamais on ne parle de l’extérieur … » Peut-être que c’était un sujet tabou. Ou alors les gens voulaient juste oublier leur vie un petit moment, juste profiter de l’instant présent …