SYSSOÏ

Une des rares chose dont j'avais horreur de faire était de me lever tard. Inexplicable me direz vous mais je trouvais cela affreux, vous savez, de perdre une partie de la journée à ne faire que dormir. Malgré ma rongeante timidité j'avais un incroyable besoin de me sentir actif et c'est pour cela que lorsque finalement je m'étais levé, dans les environs de midi, j'avais eu l'impression d'avoir perdu mon temps. Peut-être était-ce ce climat qui me rendait plus moue qu'à mon habitude, moins flexible. J'étais boudeur et de ce fait, mécontent, je m'étais alors dirigé vers la salle de bain ne sachant d'ailleurs trop quoi y faire. Je ne m'habituais toujours pas au fait des touches collectives, c'était quelque chose qui m'insupportait considérablement, peut être parce que l'intimité ou même l'hygiène n'y était pas. Me posant face à la glace, j'osais jeter un coup d'oeil à mon reflet, voir si rien n'avait changé pendant la nuit, si mon visage était toujours le même, sait-on jamais. Et malgré quelques rides, et plis que l'oreiller avait réussi à creuser sur mes joues, tout semblait des plus normal. Je me sentais amorphe, fatigué ce qui était étrange après une nuit de onze heures. Retirant mon tee shirt, puis mon pantalon, je ne gardais qu'un simple caleçon noir -ayant appris que le blanc avait des tendances à la traîtrise- et m'avançais dans cette douche géante. Un frisson me parcouru lorsque l'eau, froide, entra en contact avec ma peau et je mis bien quelques minutes à m'y habituer. Poussant un soupir finalement, je profitais simplement du fait d'être seul, quelques instants.

Je me lève tôt, depuis toujours. Le sommeil c’est pas mon truc. Il ne me trouve jamais, comme si Morphée errait depuis des années sans jamais trouver ma couche. Alors je rejoins mon lit tard et le quitte tôt. C’est pas plus mal dans le cadre de cette émission, ça m’évite de passer trop de temps sous la même couette qu’une illustre inconnue. Ce n’est pas de sa faute, c’est le contexte qui veut ça, mais j’aime ma solitude, surtout dans mon sommeil, période où je me sens le plus vulnérable. Je n’ai dormi qu’une poignée d’heures, pas assez pour le commun des mortels qui dort encore du sommeil du juste. Ca ronfle de partout. Je m’éloigne. Mes vêtements sont là, comme un rappel de la vraie vie. J’enfile une combinaison, et m’éclipse à la recherche d’une pièce vide. A cette heure, je n’ai absolument aucun mal a en trouver une aux dimensions parfaites. J’en profite, je sais que ça ne va pas durer, que bientôt une nuée de gamins turbulents va cavaler dans les couloirs, pisser dans chaque recoin pour marquer leur territoire, comme d'habitude. Le calme. Je n’aspire qu’à ça. Je déverrouille mes muscles, j’étire mes membres, je lave mon âme, j’élimine les excès de la veille, de chaque veille, qui dégoulinent sur ma peau au rythme de cette sueur qui perle. Mes membres se disloquent, je vire et chavire, je bouscule les fantômes, je tournois avec les âmes errantes. J’apprécie leur compagnie silencieuse. Bientôt mon corps ploie sous le poids de l'exercice que je lui inflige. J’ai presque oublié la veille, j’ai presque oublié la présence de l’autre. Je libère mes pieds de leur prison douloureuse, et je quitte la pièce, pieds nus, savourant le grinçant parquet sous mes voûtes plantaires déformées. Les excès ont glissés sur moi, mais stagnent dans mes cheveux humides de transpiration, dans cette douceur âcre qui émane de moi. La salle de bain. Vaste lieu de confidences et blablatage, comme j’ai pu le constater dès le premier soir. Ce matin, je devrais être relativement tranquille. Tout le monde dort encore. J’en profite. Mais lorsque je pousse la porte, le bruit de la douche m’informe que je me suis trompé. Quelqu’un d’autre à eu la même idée. Tant que ce n’est qu’une personne, je devrais surmonter mon handicap social. Je quitte ma combinaison. La nudité ne me dérange pas. C’est beau un corps, c’est chaste et pur. C’est ce qu’on décide d’en faire qui le rend vulgaire et divergent. C’est l’âme qui est impure, pas le corps. Le corps n’y est pour rien, le corps est innocent. Et puis, j’ai l’habitude des douches collectives. Ca fait partie de ma formation depuis mes 12 ans. J’entre. Je reconnais le garçon silencieux du premier soir, celui que j’aurais aimé avoir pour partenaire. Je lui jette un regard qui veut dire «bonjour» dans ma langue, celle des A.A, asociaux anonymes. Je ne m’attarde pas sur lui, je sais à quoi ressemble un corps, je n’ai pas besoin de détailler le sien. J’aménage une distance qui nous permettra d’avoir chacun notre espace vital, puis actionne le mécanisme censé me laver des derniers souvenirs des jours écoulés.

Quelqu'un pénétra dans la douche. Ne sachant dans un premier temps comment réagir, je me contentais de ne lui adresser aucun regard, de peur d'un quelconque jugement très certainement. Me contentant d'attraper le savon, je me hâtais à en parsemer mon corps avant de le rincer, passant tout de même assez vite au shampoing, restant bien concentré sur mes actes comme si j'étais en pleins milieu d'une quelconque représentation et que le moindre de mes gestes allait me coûter ma place. Et puis je nous savais épié par des millions de téléspectateurs. Bon million peut être pas mais il devait y en avoir un bon paquet n'est ce pas ? Cette idée me répugnait, comment des gens sains d'esprits pouvaient oser regarder deux personnes à moit.... moit... nu ? Il était nu. Mon regard s'était sans que je ne le veuille posé sur son fessier alors que je le fixais comme si sainte Marie venait d’apparaître sous mes yeux. Mais avant même que je n'ai pu faire la moindre remarque, et ce même ci je n'allais clairement pas protester, ce n'était pas mon genre, mes yeux commencèrent à se manifester. J'avais mal. Ouais ça piquait, ça me brûlait même. « Outch outch outch ! » gémis-je sur un ton pleurnichard et enfantin alors que je mes les frottais à tout vitesse, me courbant dans tous les sens comme si cela allait y changer quelque chose. Le shampoing avait fini par passer maître et sur ce coup là je me sentais tout à fait stupide. Je n'y voyais plus rien, Dieu m'avait puni pour mon intolérance et à cette idée, un frisson m'avait parcouru. Ce n'était pas de ma faute. J'avais pourtant essayé de me chercher toutes les excuses du monde que la douleur était toujours présente, plus que jamais. Oh oui que je me sentais stupide... Mais je commençais à avoir étrangement l'habitude. J'avais pris le plis depuis bien trop longtemps maintenant.

Je profitais de l’eau glissant sur mes membres endoloris, la chaleur déliant mes muscles encore contractés, lorsque la petite chose dans mon dos, petite chose dont j’avais totalement oublié la présence, se mit à geindre. Premier réflexe : si je l’ignore il finira par se taire et disparaître de mes pensées immédiates. Deuxième réflexe : je suis dans un jeu de télé-réalité où l’interaction entre les participants est l’un des piliers, je ne peux pas juste ignorer l’animal qui gigote dans mon dos. Ça me rappelle les animaux de compagnie, ma mère détestait ça. Je voulais un chat, mais elle avait refusé catégoriquement, alors quand un félin égaré avait fini par venir miauler sous mes fenêtres, jusqu’à ce que mes bras lui apporte réconfort et chaleur, elle n’avait pas apprécié. Elle avait laissé faire parce que mon père avait décrété que c’était bien pour un enfant d’avoir un animal de compagnie, que ça le responsabilisait. Et puis le chat s’est avéré être une chatte, et une chatte pleine. Une portée de six chatons que je voulais tous garder. Ma mère avait piqué une crise, et j’avais du observer mon père les noyer l’un après l’autre, pour me responsabiliser, paraît-il. Aujourd’hui j’avais le choix que je n’avais pas eu à l’époque, laisser le chaton se noyer, ou bien m’activer. Je soupire. Je sors de ma bulle d’individualisme, et me retourne vers le petit chat. Il gigote en tout sens, de la mousse dans les yeux. Il a l’air aussi impuissant que les chatons que mon père glissait sous l’eau. Je passe un bras hors de la douche et m’empare de deux serviettes. Une pour autour de ma taille, et l’autre que j’approche précautionneusement de l’animal. «Bouge pas...» Je chuchote de mon timbre le plus apaisant. Enfin, j’imagine qu’il est apaisant, mais finalement j’en doute, je suis trop sec, mais c’est tout ce que j’ai en stock. Je lui colle une main sur l’épaule, délicatement, ça j’ai pas de mal à être délicat dans mes gestes, puis je lui incline la tête en arrière, et frotte doucement ses paupières à l’aide du tissu. Il cesse de gigoter, il s’apaise, comme ce chat sauvage lorsqu’il s’était retrouvé dans mes bras d’enfant. «Ca va mieux ?» Je demande, alors qu’il ouvre un oeil hésitant.