J’ai l’impression de lui avoir appris qu’il est le grand gagnant du tirage de l’Euromillion, cagnotte à plusieurs milliards d’euros. Il n’en est rien, je lui ai juste appris que comme un million d’individus, je joue à WoW pendant mon temps libre. A croire qu’il n’en croise pas beaucoup. Naturellement, il me renvoie ma propre question, me demande mon niveau. Je ne sais pas si je dois répondre, au risque de passer pour un gros geek... «85.» je murmure en me grattant la base de la nuque. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne joue plus, parce que maintenant je me fais chier, et en attendant que j’ai la motivation de me faire un dc, je gravite dans la sphère call of. Maintenant j’ai envie de lui poser d’autres questions, de l’interroger sur son familier, sa team, son pseudo de jeu... Mais une autre interrogation m’a traversé l’esprit, et sans prendre de gants, je le questionne sur le niveau de déviance de son cerveau. Evidemment que ces choses ne se font pas, mais j’ai moi-même un cerveau déviant ou plutôt une « organisation alternative du cerveau » dixit le médecin qui m’a diagnostiqué, alors je ne fais pas vraiment la distinction entre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, j’ai mes propres règles de la bienséance et la délicatesse n’en fait pas partie. Il me répond ce qui, pour moi, est un signe d’autisme, ou d’« organisation alternative du cerveau ». Un autre à sa place aurait crié au scandale, se serait insurgé et aurait prétendu être d’une intelligence hors norme. Peut être même que je me serais pris une petite gifle au passage. Elvis, au contraire, me répond, expliquant qu’ils lui ont, en effet, suspecté le syndrome d’Asperger. «T’as déjà fait un test de QI ?» je demande. C’est con, mais ça aide en général. On a bien trop tendance à imaginer les autistes comme des arriérés mentaux incapables de s’intégrer dans la vie civile par manque de capacités mentales. Mais on a tendance à oublier que Mozart était autiste. Et qui aujourd’hui, se souvient qu’Einstein souffrait du syndrome d’Asperger ? «On m’a diagnostiqué Asperger à l’âge de 4 ans.» je lui confie, sans trop savoir pourquoi.

Difficile de faire mieux que quatre-vingt-cinq puisqu'il s'agit du plus haut niveau de la dernière expansion de WoW. Impressioné, je pourrais presque m'incliner en guise de respect devant le jeune homme, mais bien entendu je ne le fais pas. En fait mon visage reste même impassible, malgré que je trouve soudainement le candidat fascinant et qu'il a fait un bond digne d'un kangourou sous amphétamines dans mon estime. Il en impose, c'est le cas de le dire. Ma famille a toujours pensé qu'il y avait quelque chose qui clochait chez-moi. Il est vrai que je suis assez différent, mais ils n'ont jamais osé me faire diagnostiquer ou passer un quelconque test, comme si ça aurait été la preuve irrémédiable que je n'étais pas comme tout le monde. Tel un boulet qu'on traine contre son gré dans les repas de familles et réceptions avec les voisins, dont on se sent obligé de justifer l'état. Remarque, ça ne fait pas de moi un boulet moindre de n'avoir jamais rencontré un psychiatre... « Non. » répondis-je tout simplement, bien qu'il est évident que je possède certaines facultés. Sinon, comment aurais-je pu rentrer dans une université aussi prestigieuse que Cambridge âgé d'à peine seize ans ? Mais la question n'est plus d'actualité, étant donné que j'ai décidé d'arrêter brutalement mes études l'année dernière. « J'ai une mémoire eidétique. » précisai-je tout de même, puisque cette capacité à se souvenir d'une grande quantité de chose s'apparente souvent à une intelligence plus élevée que la moyenne. Il me confie qu'on lui a diagnostiqué Asperger quand il était enfant. Je ne sais pas réellement comment réagir, je me contente donc d'acquiescer d'un signe de tête, montrant que j'ai bien reçu l'information. Je me vois mal lui dire quelque chose comme "désolé pour ton syndrome" parce que je ne considère pas ce trouble comme un handicape. Peut-être que d'un point de vue extérieur ça en a tout l'air, mais pour ma part, je ne trouve aucun intérêt à s'adonner à toutes les conventions sociales que nous dicte la bienséance en société. Un Asperger est juste une personne qui voit au-delà de ce qu'il est courant de percevoir d'une chose, ça ne fait pas de lui un infirme ou un désavantagé de la vie. « Tu travailles ? » je me permet de lui demander, parce que je sais que si j'ai quitté l'université, c'est en partie à cause de mes problèmes d'ordre sociaux.

Je reste silencieux face aux informations qu’il me fournit et que mon cerveau stock pour en faire l’analyse immédiate. Il n’a jamais fait de test de QI, c’est assez rare, à moins que ses parents n’aient jamais suspectés le génie en lui, et qu’ils aient craint de découvrir une déficience mentale dégénérative. Cela me semble peu probable. Les parents, en règle générale, et ma mère en particulier, veulent prouver au monde qu’ils ont enfanté un génie, et que cette part géniale vient d’eux, évidemment. Pour briller en société quoi de mieux que d’annoncer que son fils possède un QI de près de 140 ? Evidemment, il faudra taire le terme «autiste» si vilain en bouche, tel un gros mot dont on interdit la prononciation, et mettre en avant les divers capacité de l’enfant. J’ai prononcé mon premier mot à l’âge de 5 ans, mais ma mère s’en foutait, puisqu’à côté de ça je dansais déjà et je jouais de divers instruments avec une virtuosité qui impressionnait mes précepteur. Elvis est sûrement différent, je ne suis pas entrain de rechercher mon jumeau de cerveau, simplement mon cerveau, en effet, semble reconnaître le fonctionnement du sien. Il m’informe qu’il possède une mémoire eidétique, et cela ne fait que renforcer mes certitudes. Toute la côte basque a déjà entendu le fameux «Mon fils possède une mémoire photographique» craché avec la fierté insupportable et l’accent ibérique de ma très chère mère. Ce n’est pas totalement vrai dans mon cas, j’ai une mémoire plus importante que la normale, mais le terme «eidétique» n’a jamais été avancé, et je me connais suffisamment pour savoir que je ne possède pas la mémoire absolue. Loin de là. Tu travailles, me demande-t-il, et j’ébauche un sourire. C’est le problème d’Asperger, les victimes du syndrome, selon les dires de psychiatres alarmistes, sont dans l’incapacité de se plier au monde du travail qui demande, entre autre, sociabilité et adaptation, deux qualités qui nous font défaut. «Je suis danseur à l’Opéra de Paris.» Je lui réponds. C’est assez rare, les autistes n’étant pas considéré comme des artistes dans l’âme, enfin si on occulte totalement Mozart et probablement Beethoven aussi. En réalité, c’est ce que nous sommes dès la naissance, des artistes à l’esprit logique et à la discipline dictée par notre cerveau déficient. Mais n’en demandons pas trop à tout ces psy au cerveau tristement normal et limité, n’est-ce pas ? «Et toi ? Hacker ?» Quoi ? Évidemment que je suis sérieux.