GABRIELLE

Plus les semaines passent, et plus les effectifs se réduisent. Pourtant, il se passe un étrange phénomène dans ce château, moins on est nombreux et plus on semble nombreux. J’ai le sentiment d’éprouver plus de difficulté aujourd’hui qu’en début d’aventure à trouver l’isolement dont j’ai un cruel besoin. Peut être est-ce simplement parce que le besoin s’en fait ressentir davantage ces temps-ci ? Il y a trois semaines de ça, ma barre de vie était au max, total full, du vert fluo à perte de vue au-dessus de ma tête. Aujourd’hui je suis dans le rouge, je la vois clignoter frénétiquement, m’annonçant par ce biais peu subtil que si je ne trouve pas une source d’énergie rapidement, au prochain coup de l’adversaire je me retrouverais GAME OVER. Sauf que les adversaires sont trop nombreux, et les sources d’énergie trop rare. Je ne sais même pas où chercher à vrai dire. Alors je m’isole. Je m’isole beaucoup ces derniers temps. Je sais qu’il ne s’agit pas de la meilleure stratégie à adopter, je devrais me faire voir, me montrer au maximum, foutre le bordel en espérant que les téléspectateurs en voudront plus et voteront en masse pour moi. Mais je suis incapable d’aller contre ma nature profonde, et je ne peux pas agir sur demande comme un gentil petit pantin. Ils savent tous exactement quoi faire, moi je suis désemparé. Je suis pas formaté pour la télé-réalité, je sais juste que pour ne pas exploser, faut que je m’isole, que je m’aménage des périodes de calme salutaire afin de ne pas over-reacting et poignardé un candidat trop bruyant à l’aide d’une cuillère à café. Cette fois, j’ai trouvé refuge dans le confessionnal. Après avoir erré sans but à travers le parc, j’ai eu l’envie de me mettre au chaud un petit moment. La cabane me semblait une bonne option. Personne n’y vient, sauf pour buzzer ou sur demande de la prod. Y a moyen que j’y trouve la solitude tant convoité. Je pousse la porte et me laisse tomber au sol. Le canapé me faisait de l’oeil, mais je préfère le contact dur du sol, et celui du mur dans mon dos. J’ôte mes gants, et me fourre la tête entre les mains. J’aurais du fermer totalement la porte, ainsi personne n’aurait pu entrer tant que le signal lumineux rouge aurait annoncé la présence d’un candidat à l’intérieur, mais dans ma précipitation à m’effondrer, j’ai pas fait gaffe. Alors je reste là, les jambes repliées, la tête entre les mains, le désarroi au bord des lèvres.

Gabrielle avait les fesses posées sur un banc lorsqu'elle apperçut au long Syssoï qui se dirige dans la cabane, et qui y entre. Elle l'observe de loin, de là où elle est, il ne peut pas la voir, c'est surement mieux comme ça. Elle l'évitait depuis l'incident de la chambre. Elle ne le voyait très peu, elle ne lui adressait même pas la parole, depuis plus d'une semaine, c'était déjà trop. Gabrielle était mal. En plus elle ne dormait même plus avec Syssoï cette semaine, elle était désormais avec Caesar. Elle essaye de le chasser de ces idées. Elle tira une cigarette de son paquet de clope, et la met dans sa bouche. La rousse joue avec la flamme de son briquet, avant de l'emmener près de l'extrémité de son baton de nicotine. Elle se la fume, puis elle s'en fume une autre. Gabrielle fume deux cigarettes. Elle ne voit toujours pas Syssoï sortir, elle se demande ce qu'il peut bien faire. A part dormir, elle ne sait pas.
Elle se dirige vers la vieille cabane, la porte est entrouverte, la rousse la pousse encore un peu plus, d'un geste timide. Elle fait un pas de plus dans la cabane, Gabrielle entre, puis elle se retourne et ferme la porte derrière elle. Normalement personne ne pourrait rentrer dans la pièce tant qu'ils n'étaient pas sortis. Gabrielle regarde Syssoï, il est affalé dans un coin de la pièce, il semble être replié sur lui même. Cela lui fait de la peine, il semble si triste, si désemparé, elle n'a pas l'habitude de le voir comme ça. Gabrielle a toujours l'habitude de le voir si fort, si sûr de lui. La rousse avance dans la pièce, elle s'approche de son partenaire, elle se glisse le long du mur, elle se met dans la même position que Syssoï. Son dos est appuyé sur le mur, ses jambes sont pliées, elle entoure d'une main ses genoux qu'elle a remonté contre sa poitrine. Elle reste silencieuse, ses lèvres sont comme soudées, elle ne veut pas parler. La française se décale de quelques centimètres, elle se retrouve contre Syssoï. Gabrielle pousse un léger soupire. La rousse attrappe l'une des mains de son partenaire, elle enlasse ses doigts avec les siens.

Evidemment que j’ai entendu du bruit, j’ai pas perdu ma capacité à rester vigilant sous prétexte que je suis dans le bad en cet instant, mais disons que je suis un peu moins attentif aux évènements extérieurs lorsque je dois contrôler les évènements intérieurs. J’ai noté les bruits de pas, j’ai noté la porte qui tourne sur ses gonds, mais je suis dans l’incapacité de définir de qui il s’agit, jusqu’à ce que le parfum entêtant inonde mes narines. Gabrielle. J’aime autant qu’elle ne soit pas là. Enfin ma raison me dit qu’elle ne devrait pas être là, et qu’elle devrait conserver la distance qu’elle a installé entre nous depuis plusieurs jours, mais mon corps me dit tout autre chose, mon corps me hurle de profiter de l’apaisement, peu importe où il se trouve, apaisement et oubli de soi. Et là, bizarrement, j’ai une idée de très précise de ce qui me permettrait de trouver l’oubli durant une période comprise disons entre... hum... vingt minutes et une heure... voir plus. Sauf que non, ma raison me dicte l’exact contraire, sans compter qu’elle est aussi une des raisons de cette barre de vie si faible. Sa manière de se comporter avec moi ces derniers temps n’a fait qu’accroître mon malaise et renforcer ce truc étrange en moi que d’autres nommerait jalousie, mais que je trouve plus justifié d’appeler possessivité. J’ai du mal à supporter sa présence à mes côtés, tandis que cette même présence me rassure sur le fait que tant qu’elle est là, à côté de moi, elle n’est pas ailleurs. C’est irrationnel, c’est paradoxal, c’est moi. J’aurais pu soutenir sa présence finalement, j’aurais pu enquiller les minutes encore et encore, et finir par faire en sorte que ma raison, aussi bien que mon corps, commence à tolérer sa proximité, mais non, il a fallu que ses doigts viennent m’arracher à ma grotte primitive. Je veux pas. Alors, tandis que je lui laisse l’usufruit de ma main droite, la gauche se répand un peu plus sur mon visage, tandis que mon cou ploie pour venir à la rencontre de mes genoux. Je dois gérer une tempête intérieure bien plus vaste maintenant... Tellement plus. J’aimerais rompre le silence, mais... Pour lui dire quoi ? Si je lui demande de partir, je vais le regretter, et si je lui demande de rester, je vais le regretter aussi. J’ai horreur de lui montrer ça de moi, mais là, j’ai pas l'énergie d’enfiler mon masque de superhéros. J’ai pas la force.

Il se recroqueville encore plus, elle ne peut pas voir son visage, elle ne peut pas voir son expression. Techniquement il ne la repousse pas, c'est déjà ça. Mais ce qu'il est fait est bien pire pour elle. « Pourquoi t'es comme ça ? » murmure t-elle doucement elle resserre son étreinte autour de ses doigts. Elle se rend compte qu'elle le serre trop fort, Gaby ne veut pas lui faire mal, elle se relâche, elle déverouille ses doigts, elle se détend, et la main de la jolie rousse tombe mollement sur le sol. Il n'y a plus de contact entre eux. Gabrielle pince ses lèvres, elle va se lever, remettre de la distance entre eux puisse qu'il ne souhaite pas la voir, et encore moins lui parler. Sans s'en rendre compte, le silence de Syssoï la blesse encore plus que les mots qu'il avait prononcé à son égard, la dernière fois qu'ils s'étaient parlés. La rousse se décolle de lui, se redecallant, elle s'appuit grâce au mur, et d'une main, elle se propulse, elle se lève. La rousse fait un pas en avant, un pas qui l'éloigne de Syssoï. Un deuxième pas, elle s'éloigne encore plus, elle est à un mètre de Syssoï. Gabrielle ne quitte pas la cabane pour autant, elle se dirige vers le fauteuil qui est bien plus confortable que le mur, enfin, ce n'est que l'humble avis de la rouquine. Elle s'asseoit, elle se couche. Elle s'entend de tout son long sur le fauteuil, la tête sur un accoudoir, des pieds sur l'autre. gabrielle ne put pas le voir dans cette position, mais elle peut entendre sa respiration, mélée à la sienne. En même temps, ce n'est pas trop difficile avec le silence qui règne dans la pièce. Ce silence l'opresse, elle a envie de le briser, mais elle ne sait pas quoi dire. C'est la première fois que ça lui arrive. Elle veut pas passer pour une conne, elle veut pas entendre une possible réponse de Syssoï qui pourrait encore lui faire mal, histoire d'enfoncer encore un peu plus le clou. Non, elle préfère pas, elle est pas maso à ce point. Elle se contient, c'est mieux ainsi.

Elle a quitté ma main, elle a quitté mon corps, mais n’a pas quitté la pièce. Quitte à ce qu’elle ne soit plus là, je préfèrerais qu’elle ne le soit plus du tout. C’est comme si ma main souffrait de l’absence de la sienne, et que le froid qu’elle y a laissé se répandait dans mon bras, contaminant l’intégralité de mon corps à une vitesse alarmante. J’ai froid au coeur. J’ai froid partout. Elle m’a posé une question, mais j’ai été dans l’incapacité de lui répondre. Ou disons, que j’ai préféré m’abstenir de lui cracher au visage que c’était elle qui me mettait dans un état pareil. Ca aurait été injuste et injustifié. Parce que oui, elle joue un rôle dans mon état d’épuisement psychologique avancé, mais elle n’est pas la seule responsable. A vrai dire, je suis le seul fautif, moi et mon cerveau déficient. Je voudrais tellement qu’elle comprenne, qu’elle se rende compte de ce que je suis, du mal que je peux lui faire, mais... Quelque part, je me refuse à le lui expliquer, parce que je sais, qu’après ça, elle me fuira pour de bon. Et je ne suis pas sûr d’être prêt pour ça, je ne suis pas sûr de parvenir à encaisser une rupture définitive alors que j’ai déjà du mal à supporter cette distance forcée et voulue. Je ne sais plus quoi faire, j’ai rarement été aussi désemparé. Je relève la tête un instant, juste pour connaître sa position géographique dans l’espace. Je sais qu’elle n’a pas quitté la pièce puisque je n’ai pas entendu la porte, mais je n’imagine pas la voir allongée sur le sofa. Enfin, j’imagine, puisque je ne discerne que ses pieds qui dépassent. J’ai jamais été autant fasciné par des putain de pieds. Je comprends pas cette fille, c’est un mystère pour moi. Pourtant on me la livré avec son secret, et quand bien même... Elle m’intrigue et me fascine toujours autant. Et c’est dangereux pour elle. « Pourquoi tu restes ? » Cette question m’a échappé. Je ne voulais pas la formuler à voix haute, mais ça semble plus facile de lui parler sans la voir, comme si, quelque part, je ne lui parlais pas vraiment. Ma voix, hésitante et faible, me rappelle le timbre naïf de Franckie lorsqu’il m’interroge sur tout ce qui passe dans son champ de vision et qui représente un mystère à ses yeux. «Pourquoi les poules ne volent pas alors qu’elles ont des ailes ?»... Pourquoi tu restes avec moi alors que je ne fais même pas l’effort de te retenir ou de te dire que j’en ai besoin ?

Elle entend pour la première fois la voix de Syssoï, elle sursaute de quelques centimètres, mais ce n'est pas visible de là où il est, elle se dit qu'il ne peut pas avoir vu ça.« Pourquoi tu restes ? » Sa question la surprend, elle la trouve stupide. Elle se demande comment fait Syssoï pour se demander où s'interroger sur une telle chose. « Parce que j'ai envie de rester avec toi. » répondit-elle brusquement. Comme s'il s'agissait d'une évidence, en tout cas, c'était le cas pour Gabrielle. Elle ne comprenait même pas pourquoi Syssoï lui posait cette question. Puis d'un geste précis, elle appuye sur le talon de son pied grâce à son autre pied, et fait valser sa ballerine qui la gène. Elle recommence le même manège pour l'autre pied. C'st désormais ses pieds nus qui se posent sur l'accoudoir. Une minute de silence, puis deux, puis trois..Cela continue. La rousse est sur le point d'exploser, elle a besoin de parler, ça l'apaise, ça la calme, et Syssoï le sait, mais il n'ajoute rien. Au bout de cinq minutes de plus, de silence pesant, la rousse se relève. Elle s'assied d'abord, en tailleur, elle se cale contre le dossier du sofa, elle fixe le mur qui est en face d'elle. Si elle ne peut pas parler, elle peut quand même bouger, ça a le même effet sur elle, ça la détend. Elle jete un regard en biais à Syssoï, qui avait relevé la tête, depuis un certain bout de temps apparement. Elle bouge, elle gigote. Gabrielle finit par s'asseoir sur l'un des accoudoirs qui est le plus proche de Syssoï, elle peut toujours l'observer comme cela. « Viens. » lui demande t-elle. C'est plus un ordre qu'autrechose. Elle tend son bras dans sa direction. Le bout de ses doigts n'est plus qu'à un mètre de Syssoï. Elle le regarde. Elle le contemple ses yeux clairs et innocents. Elle attend qu'il se lève, elle attend qu'il la rejoigne. Au pire, elle irait le rejoindre, encore une fois, elle reprendrait sa place initiale: assise contre lui.

Parce que j’ai envie de rester avec toi. Cette phrase sonne comme une sentence à mes oreilles, j’entends déjà les barreaux claquer, le verrou tourner, et le noeud coulant qui se balance tranquillement dans le vent. Pas mon noeud coulant, mais le sien. Cette phrase semble pourtant simple et anodine, hors contexte. Mais le contexte est là, et le décor est planté. Je fais tout à l’excès, c’est aussi pour ça que je ne fais jamais rien. Dans mes entrailles, tout es amplifié, démultiplié. J’ai peur qu’elle s’égare. Elle saute à pied joint dans le terrier sans s’assurer qu’il y aura bien quelqu’un, en bas, pour la réceptionner. Je ne sais même pas quoi lui répondre, je suis las de la repousser, fatigué de devoir gérer sa volonté en plus de la mienne. Ce serait tellement plus simple de céder à l’envie lancinante, sans se soucier de ce qui viendra ensuite, ou en l'occurrence, de ce qui ne viendra pas. Je voudrais lui dire, la mettre en garde, mais je suis trop lâche. Alors je fixe ses pieds, comme un con. Ses pieds qui s’agitent, ses ballerines qui volent. Ses pieds, c’est tout ce que je vois d’elle, le seule contact visuel avec cet être de chair et de sang dont le contact physique me fait cruellement défaut en cet instant. Ma barre de vie clignote dans le rouge, et je ne suis même pas encore au boss de fin. Je soupire, j’essuie mes mains moites sur mon jean, je ploie le cou en arrière, claquant mon crâne contre le mur. J’aimerais recommencer encore et encore, jusqu’à gagner l’inconscience. Je ferme les yeux, et ne les ouvre à nouveau que lorsque je l’entends bouger. Je panique, j’ai peur qu’elle me quitte. Elle se relève, je dois la laisser faire, mais c’est au prix d’un effort qui puise encore dans mon énergie limitée. Elle me regarde. J’ai peur de ce qu’elle peut voir, alors je me détourne, reportant mon attention sur cette porte que j’ai peur qu’elle franchisse. La bataille qui se joue en moi m’épuise. Je suis pas aussi fort que j’en ai l’air. Elle gigote à nouveau. J’ai le sentiment qu’elle délibère sur ma durée de vie. Si elle part, je ne la retiendrais pas, et continuerais de subir ma peine capitale. Elle entrouvre les lèvres, mes épaules s’abaissent, mon visage suit... « Viens. » Pardon ? La surprise se lit sur mes traits tandis que je scrute cette main tendue dans ma direction. « Viens. » C’est pire que tout. C’est elle qu’elle condamne. Juge, elle a fait de moi son bourreau. Et pourtant... Je me lève. Pourtant, j’obéis. Pourtant, je suis ses directives. Pourtant, avec mon regard de chien battu je viens loger mon nez dans ses cheveux, à la base de son cou, au coin de son épaule, là où je peux planquer ma culpabilité de tueur en série. Les barreaux se resserrent au même rythme que mes bras autour de son corps frêle, et ma volonté s’anesthésie aussi rapidement que son parfum me monte au cerveau. Je ne suis qu’un lâche.

Elle se deplace, elle se met à l'aise, mais cela ne lui suffit pas. Gabrielle n'était pas satisfaite, elle sait ce qu'il lui manque, Syssoï. Elle plante ses yeux dans les siens, il soutient son regard un instant quand que ses yeux ne se détournent d'elle. C'est la première fois qu'il fait ça. Il semble regarder derrière elle, elle en déduit qu'il fixe la porte. Veut-il qu'elle parte ? Veut-il qu'elle reste ? C'est ce qu'elle se demande, mais elle n'ose pas formuler cette question à voix haute, Gabrielle a trop peur de se faire repousser par Syssoï, encore une fois. Sa question meut au bout de ses lèvres, elle ne franchit pas cette barrière, sa voix ne lui répond plus. C'est surement mieux ainsi. Gabrielle ne voulait pas quitter la pièce mais s'il venait à lui demander de faire ça, de prendre la porte, elle le ferait. Mais seulement s'il lui demandait, seulement dans ce cas là.
Elle lui ordonne en un seul petit mot de se rapprocher d'elle, à croire qu'elle l'a dit avec assez de force puisse qu'elle note un air surpris chez Syssoï. Il lui obéit, cette fois, c'est elle qui est surprise, elle n'aurait jamais cru que cela aurait été facile, elle pensait qu'il allait lui résister encore une fois, et resté assis par terre, contre le mur. Cela lui parait bien trop simple, mais oui, Syssoï s'approche d'elle lentement, mais surement. Il niche sa tête entre son épaule et son cou, en plein dans les grandes boucles rousses de la jeune française. Elle sent ses bras qui l'entourent. Une des mains de Gabrielle s'égare sur le dos de Syssoï, sa paume se plaquant sur son dos avec une certaine force, obligeait le corps de Syssoï de se rapprocher d'elle, presque collés l'un à l'autre. L'autre reprend sa place sur la nuque de Syssoï, qu'elle connaissait par coeur. Mais cette fois, seul un doigt bouge, décrivant un large cercle sur ma peau de son partenaire. Elle dessinait sur sa peau, elle le caressait, elle le cajolait. Cela fait bien longtemps qu'elle ne l'avait plus autant touché, depuis bien longtemps. Depuis qu'elle avait décidé de mettre une certaine distance entre eux, depuis que Syssoï lui avait ordonné -ou conseiller, cela revenait au même pour Gabrielle- de ne pas s'attacher à lui, il la laisserait tomber sans regret. Elle s'était alors promis de le laisser tranquille puisse qu c'était ce qu'il désirait, promesse qu'elle rompait en ce moment même. Elle peut sentir le souffle chaud de Syssoï sur son cou.

J’aime pas les contacts physiques, à mes yeux ça a quelque chose de tellement intime que cela doit rester rare et discret. C’est comme offrir une part de moi, la part vulnérable, celle que je garde pour moi. Se laisser toucher c’est se laisser domestiquer et prendre le risque de se lier, dans tous les sens du terme. Gabrielle a avoué s’être déjà attaché, et si j’étais quelqu’un de bien, comme elle se l’imagine, je mettrais tout en œuvre pour la libérer de ses liens. Mais quelque part, j’ai commis l’erreur de m’attacher en retour, certainement pas de manière comparable à la sienne, mais suffisamment pour juger sa présence nécessaire à mon équilibre mental déjà malmené. L’acte noble serait de prendre sur moi, d’accepter de la décevoir, et fuir. Sauf que son jugement m’importe, son jugement immédiat sur ma personne m’importe bien plus que celui qu’elle pourrait avoir demain, ou plus tard. C’est lâche, j’en ai conscience, c’est reculer pour mieux sauter, mais peu importe, j’ai tellement besoin de ça que lorsqu’elle m’ordonne de venir, je viens, tout simplement. Je l’emprisonne dans mon étreinte, et je la laisse m’enfermer dans la sienne. Aux yeux du reste du monde, c’est trois fois rien, ce n’est qu’un instant de tendresse, mais à mes yeux c’est différent. La position est difficile à tenir, je suis bien plus grand qu’elle, et elle est assise. Elle veut m’attirer contre elle, mais je suis déjà courbé en deux. Alors je l’attrape, la soulève facilement. Elle ne pèse presque rien dans mes bras. Le nez toujours dans son cou, à l’aveugle, je me laisse tomber dans le sofa, elle contre moi. Et je reste comme ça, adossé contre un accoudoir, recroquevillé contre elle, sans trop savoir si ce sont des secondes ou des minutes qui s’égrainent. Au final, je ne sais plus trop qui réconforte qui, lequel soutient l’autre ? Peut être bien les deux, peut être que, finalement, je lui apporte quelque chose. Elle me manque, c’est tout ce que je sais. Elle me manque le jour, lorsqu’elle m’évite soigneusement, et elle me manque la nuit. Surtout la nuit, quand sa respiration au lieu de se trouver à côté de moi, se confond avec celle d’un autre, à trente mètres. Je ferme les yeux, et ma tête lourde s’enfonce davantage sur son épaule. Ça fait des jours que je cherche le sommeil en vain, et pourtant, là, dans cette courbe parfaite formée par son épaule et son cou, je crois bien que je pourrais trouver le repos tant désiré.

Gabrielle ne sait plus trop à quoi s'en tenir avec Syssoï. Elle trouve que ses gestes et ses paroles sont trop contradictoires, il arrive même à la perdre tant ses mots sont le contraire de ses actions. Elle n'arrive plus à s'y retrouver. Mais ce n'était pas pour cela qu'elle avait laissé s'installer une distance entre eux. Elle n'avait pas suivre son conseil, ou du moins, elle avait tenté d'essayer, mais ce n'était pas concluant.e toute façon, c'était bien trop tard maintenant, elle s'y était attachée, elle abandonne, elle refuse de lutter. Et puis, elle n'a pas la volonté pour, contrairement à Syssoï. C'était bien lui qui lui avait suggeré de se détacher de lui. Eh bien elle, elle n'y arrivait pas, c'était presque impossible maintenant. Gabrielle avait tendance à s'attacher un peu trop vite, et ça faisait encore plus mal lorsqu'elle les perdait, elle souffrait en silence néamoins. Elle sait qu'il est déjà courbé, mais elle veut le sentir plus proche d'elle, il est bien trop loin. Mieux, elle exige qu'il se rapproche d'elle. Il la soulève si facilement, elle a l'impression d'être une plume entre ses bras. Elle se laisse faire, elle se laisse embarquer, elle le laisse la porter. Il l'emmène sur le sofa où il s'asseoit. Il n'a pas levé une seule fois sa tête de son cou, et pas une seule fois, elle ne l'a lâché. Elle se colle encore plus contre lui, l'enserrant avec ses deux bras, avec force et tendresse. Le visage en Syssoï s'enfouie encore plus dans le creux de so épaule, non loin de son cou. Les deux bras de la demoiselle glissent près de son cou, et entourent la nuque de son partenaire -enfin partenaire habituel quoi- elle maintient sa tête contre elle. Elle ne peut pas s'empecher de faire remonter l'une de ses mains sur la nuque de Syssoï, arrivant alors dans ses cheveux bruns, ses doigts commençaient à jouer avec ses mèches. « Désolée. » lui murmure t-elle à l'oreille. Désolée de ne pas lui rendre la vie plus facile, elle est désolée de ne pas l'écouter, elle est désolée de s'accrocher à lui, alors qu'il lui dit de faire le contraire. Elle est désolée pour tout.