☼ MILAN

On est jeudi aprèm’. Il est.. non je sais pas, j’ai laissé ma montre sur la table de chevet ou dans la salle de bain peut-être. Impossible de me souvenir. Je crois que je l’ai pommé en fait. Ou si ça se trouve, un candidat me l’a volé. Zut. Qu’est ce que je fou là ? Allongé sur une tombe, clope au bec, livre en main. Je crois bien que je saturais niveau bruit alors j’ai eu la bonne idée de me caler dans le cimetière pour avoir la paix. Enfin bonne c’est un bien grand mot. Je suis seul, entouré de morts, et j’entends des bruits bizarres. Bon, le cimetière est en ruine et il fait encore jour. Mais c’est quand même flippant. Enfin.. je suis pas non plus entrain de trembler et de me faire dessus. Je suppose que le bruit vient du vent et du claquement des branches. Quoi que. Il me semble apercevoir une silhouette. Deux solutions : soit un mort est sorti de sa tombe, soit un candidat ramène sa fraise. Bien que la première solution me semble fun, j'opte pour la deuxième. « Les morts vivants sont mes amis. » Je préfère prévenir juste au cas où.

Faut croire que la première semaine d'aventure était inévitablement considérée comme la semaine visite. Dans un sens, c'était logique. Se décider à faire l'état des lieux d'une baraque dans laquelle on vit depuis des semaines à quelques jours de sa sortie, c'était quand même un peu con. Pourtant, Milan avait l'impression d'être le seul à passer en revue les différents coins de son nouveau lieu de vie. Lorsqu'il croisait un autre candidat - ce qui arrivait à peu près toutes les trois secondes, dans la mesure où ça grouillait de chair humaine, dans le coin - ce dernier avait l'air parfaitement à l'aise, comme s'il connaissait déjà tout par cœur. Du coup, il avait un peu l'air d'être le seul paumé à se balader sans but. Pour l'occasion, c'était du coté du cimetière, de la chapelle, qu'il se trouvait. Du côté glauque, quoi. C'était quand même l'endroit dans lequel il était à peu près certain de ne croiser personne. Qui, si ce n'est lui, pouvait bien se traîner dans un cimetière ? Bah, ce gars là, qui était allongé sur une des tombes dans un remake intello de Love me if you dare. Sans y penser, Milan dériva légèrement dans sa direction, jusqu'à ce que la voix du gars se fasse entendre. Haussant les sourcils à la remarque, un rictus vaguement sarcastique s'arrêta sur son visage. « C'est une façon subtile de me dire que j'ai pas assez dormi cette nuit ? » C'était un mec dont il se souvenait plus ou moins que le nom était Sunny. Ou Sandy. Ou quelque chose comme ça. Dont il ne se souvenait pas du nom, en fait. Le jeune irlandais loucha alors sur le bouquin que tenait Sunny-Sandy en main. « Tu lis au moins un Stephen King, j'espère ? » Vu l'ambiance, rien n'aurait été plus approprié. Et et il se laissa tomber assis sur une tombe qui se trouvait là.

Je suis peinard, au beau milieu du cimetière, allongé sur une tombe, avec un bouquin en main, et voilà que j’entends des bruits suspects. Je flippe légèrement. A cette heure-ci normalement les morts ne sortent pas de leurs tombes. Enfin.. j’ai toujours vu dans les histoires d’horreurs que les morts-vivants se réveillent la nuit. Donc à priori je suis tranquille. Et bien non. Y’a quelqu’un qui se ramène. Mieux vaut prévenir que guérir : les morts-vivants sont mes amis. Là, je passe pour un con. Tant pis. Le candidat semble avoir de l’humour. Il me décroche un grand sourire en tout cas. « Non. Je n’oserai pas. Quoi que.. » Un rictus au coin de mes lèvres se dessine. Je plaisante bien entendu. Qu’il ait une tête de cul ou pas, je n’irai pas jusqu’à le lui faire remarquer. « Point du tout. Agatha Christie. Un peu moins de circonstance mais ça reste un policier. » Bon sang que j’adore les romans de cette nana ! Même si je ne trouve quasiment jamais le nom du ou des coupables, je suis toujours à fond dans l’enquête. « Turin c’est bien cela ? » Impossible de me souvenir du prénom du jeune homme. Je sais juste qu’il a un rapport avec l’Italie donc autant essayer une ville de manière aléatoire. Avec un peu de chance, je tomberai sur le bon prénom. Ou pas. A en juger sa tête.

La roche funéraire était un peu humide et ses mains que Milan avait posées à plat sur la pierre pour s'appuyer était dégueulasses de petits bouts de mousse et autre. Il se frottait vaguement des paumes, les réchauffant en même temps, parce que putain, une vraie caillure, ce jeudi. Pas un rayon de soleil pour éclairer un peu le cimetière, en plus. L'absence d'une quelconque veste sur lui devait sans doute y être pour quelque chose. Merde. Puis du coup, son jean allait être mouillé aussi. Heureusement qu'il avait eu l'intelligence ou la clairvoyance d'en attraper un foncé, ce matin. Le gars agita alors un peu son bouquin en répondant, arrachant un hochement de tête satisfait à Milan. Il adorait Agatha Christie, et ce, même s'il n'était parvenu à garder le suspens jusqu'au bout qu'une seule fois. En effet, l'irlandais avait la sale manie de lire les deux ou trois dernières pages de chaque bouquin avant de commencer au début. Plus casse-tout, tu meurs. Mais il n'avait pas du tout la patience d'attendre la fin pour en connaître la chute, sauf si le roman était vraiment bon, et prenant. Et au niveau de ce genre d'auteurs, ça voulait dire exceptionnel. « Validé. Tant que c'est pas du Emily Brontë ou une merde dans le genre. » Ouais, parce que les histoires d'amour à deux balles, ça va deux minutes puis à la poubelle. Le "he's more myself than I am" narcissique à souhait, Milan s'en était toujours ouvertement moqué. Le gars reprit la parole, coupant court aux réflexions clasheuses de Milan. « Un rien plus au nord-est, Eggman » répondit-il aux suppositions du gars, en ricanant à moitié. Cela dit, il ne pouvait pas le blâmer non plus d'avoir mauvaise mémoire ou un prénom de merde, étant donné qu'il était exactement dans le même cas.

Le jeune homme semble mordu de romans policiers. Bon à savoir. Ce n’est pas forcément mon cas. La lecture est pour moi plus un moyen de tuer le temps qu’autre chose. Je déteste m’abrutir devant un écran géant et je suis naze niveau nouvelles technologies. Je préfère donc m’adonner aux bons vieux passe-temps tels que la chasse ou la lecture. Et n’ayant pas tellement le temps pour le premier loisir, je me contente du deuxième. Dommage d’ailleurs. Si, j’avais un fusil dans ce jeu, je n’abattrai pas que du gibier. « Crois-moi, je ne m’abaisserai pas à ça. » Ouai, bon, je connais pas Emily Brontë. Mais rien que son nom c’est de la merde. Alors je préfère pas savoir le contenu de ses livres. « Eggman ? T’insinue donc que j’ai une tête d’œuf ? » Je me la joue susceptible. En même temps, ce surnom ne sonne pas bien. Il me plait pas. Je prends limite ça pour une insulte. Remarque, j’ai à moitié insinué qu’il avait une tête de zombie. Pas tellement mieux. « Tu t’appelles donc Milan. Intéressant comme certains parents peuvent manquer cruellement d’originalité. » Non mais qui est assez con pour donner à son fils ou sa fille un nom de ville ou de capitale ?!