CÆSAR

J'avais eu la mauvaise idée, ces derniers jours, de me décider à passer par la case "salle de bain" uniquement après avoir pris mon petit-déjeuner et traînaillé un peu dans le parc du château pour prendre l'air. Résultat, je m'étais retrouvé abonné aux douches glacées bien malgré moi, profitant après tout le monde du ballon d'eau chaude. Je ne fais pourtant jamais parti des derniers levés. Au contraire je garde l'habitude de me lever tôt, malgré que ça ne serve guère à quelque chose de se réveiller aux aurores pour se tourner les pouces dans le nid de Cupidon tout seul. D'ailleurs, je peux même affirmer que certains bavent dans leurs sommeils... Bref. C'est ainsi que, ce matin-là, je me lève le premier de ma chambrée, rien de très nouveau jusque là, et me dirige directement vers mon placard, pour prendre mes affaires et une serviette de bain. Je profite d'ailleurs d'avoir réquisitionné cette dernière pour m'emmitoufler à l'intérieur, ainsi protégé du froid hivernal, de surcroît irlandais. Je quitte la chambre à pas de loup, afin d’éviter de réveiller les autres candidats qui dorment à points fermés. Il faut avouer qu’à cause du prime de la veille, beaucoup se sont couchés tard avec en récompense une promesse de gueule de bois carabinée pour le lendemain matin. Je me laisse porter par mes pas traînant jusqu'à la salle de bain, où je jette un coup d’œil pour vérifier qu’il n’y a personne aux alentours. Rassuré d'être seul, je fais glisser mon caleçon le long de mes jambes, pour enfiler un maillot de bain, par mille contorsions afin de ne rien révéler de mon anatomie aux caméras. Les télespectateurs doivent bien se marrer devant leurs écrans en voyant les images de moi m'adonnant à cette routine tous les matins...

Le soleil se lève à peine que je l'accompagne déjà: j'ai beau être matinal, je ne suis pas non plus du genre à m'éveiller à l'aube du jour. A vrai dire, je n'ai même pas dormi, préférant bercer mes chers camarades de chambre par le doux son de mes quintes de toux régulières: la grippe te guette mon cher Caesar. Alors, après avoir comaté des heures durant, je me lève aux alentours des neuf heures, me jetant presque sous la douche pour pouvoir amplement profiter du ballon d'eau chaude: sincèrement, je n'en ai strictement rien à foutre des autres, dans la mesure où je ne me suis pas lavé une seule fois à l'eau tiède depuis mon arrivée ici... Soit, je prends donc mon temps, prenant soin de bien tirer sur le thersmotat, histoire d'en faire rager plus d'un. Pute jusqu'au bout, non? Après une bonne demi-heure de barbottage, je finis par m'extirper du jet puis m'enrouler les hanches dans un drap de bain blanc. A peine ai-je le temps de m'éclipser un quart de seconde afin d'aller chercher mon humble dentifrice que quelqu'un s'est déjà jeté corps et âme sous la douche, extirpant au chauffe-eau ses derniers supplices: good game Elvis, tu soutiens la collabo entre ex et actuel nominé. Il ne semble pas m'avoir remarqué. Je me plante devant les lavabos, commence à me brosser les dents, lui jete un coup d'oeil furtif depuis le miroir: il n'est jamais trop tôt pour faire chier son monde. "Hahahaha, Elvis, j'ai vu ton cul!", dis-je d'une manière quasi-imcompréhensible, faute au dentifrice. "J'déconneeee, on voit rien." Blague de merde bonjour, tu es bien matinale.

Je suis entrain de sautiller sur un pied, tentant désespérant de garder un certain équilibre pour réussir à passer ma jambe dans le second trou de mon short de bain, quand j'entend des bruits de pas s'avancer sur le carrelage. Relever la tête pour deviner l'identité du nouveau venu serait signer mon arrêt de mort, vu mon quota de gaucheries dans une journée. De loin, je dois avoir l'apparence d'une sorte de grosse bestiole bleue à carreau vert -soit le motif de mon drap de bain- sûrement aveugle et trop grosse pour être capable de mettre un pied devant l'autre, vu le temps que je met à me débattre maladroitement avec le vulgaire vêtement. Quand je parviens enfin à enfiler ce dernier, une voix masculine retentit dans la pièce: « Hahahaha, Elvis, j'ai vu ton cul ! » Je me relève dans un bond, remontant définitivement le short de bain sur mes hanches, avant de me retourner vers Caesar. Je suis peut-être ridicule -bon d'accord, sûrement- mais je suis très pudique dans mon genre. Dans ma tête, certaines choses doivent être tenues secrètes... C'est comme quand Peter Parker retire sa combinaison en latex de Spiderman, tout le potentiel sexy et mystérieux du super-héros tombe à l'eau. Alors que je m'apprête à lui demander très sérieusement s'il a réellement entraperçu mon derrière, il répond quelque chose dont je parviens uniquement à décrypter les mots "on voit rien". Ainsi rassuré, je me permet de faire remarquer à voix haute: « Ton coquard est entrain de disparaître... » Je lui adresse un sourire censé être amical, parce que j'ai peur qu'il prenne mal ce que je lui dit, malgré qu'il ne s'agit que d'un constat, chose que je fais pratiquement tout le temps vu que je ne sais jamais quoi dire aux autres. « Évite l'aspirine, et prend plutôt du paracétamol à la place, parce que l'aspirine fluidifie le sang, mais il faut que tu saches qu'il est de notoriété publique que les femmes préfèrent les bad boy... C'est une histoire de génétique, elles ont inconsciemment l'impression que leurs progénitures seront plus amène à affronter la vie... »

Blague au potentiel quasi-moisi mis à part, je taquine Elvis parce que je l'aime bien: je n'ai pas encore eu l'occasion jusqu'ici de réellement lui adresser la parole, si ce ne sont quelques mots, mais après une semaine d'observation passive des autres habitants, j'ai réussi à me faire une petite idée du caractère de chacun et du feeling que nous pourrions éventuellement partagé. Et Elvis, bien qu'un peu trop chelou à mes yeux, culmine dans le top candidats; dégainez les confettis et cotillons, Caesar s'adonne à la sociabilisation. Soit, off divagation inutile. Je continue de me brosser les dents à la manière d'un maternel; façon mousse qui couvre en grande partie l'intégralité de ta machoire; fixant toujours mon colocataire par le biais de l'immense psyché: il rougit presque, c'est marrant. Puis, sans même que je ne m'y attendes, m'interpelles sur la semi-disparition de mon coquart: interloqué par sa remarque, je me rince la bouche, m'approche du miroir et touche mon oeil du bout des doigts. Effectivement. "J'avais même pas r'marqué. C'est vrai, il m'reste plus qu'une p'tite marque autour d'l'oeil." Je soupire: j'en suis presque déçu. J'y tenais à ce coquart, bizarrement, il me rappelait l'extérieur, mes potes, ma famille, en bref, tout ce qui me manque présentement. Nouveau soupir, tandis qu'Elvis m'expose une nouvelle théorie: je me retourne vivement vers lui, le fixant d'un regard suprêmement con. "Gars, j'sais pas c'que c'est l'pala-parata- bref, ton truc là. ", dis-je de mon air le plus stupide. "Et t'sais, les meufs, j'en ai franch'ment rien à foutre." Je me tourne, me rince le visage, pivote une nouvelle fois vers lui, désignant du menton la douche sous laquelle il s'apprête manifestement à aller. Zone dangeureuse. "J'suis pas certain qu'la flotte soit encore très chaude, j'ai tiré à mort sur l'ballon. Désolé."

J'acquiesce d'un signe de tête, tandis qu'il confirme mes paroles en me répondant qu'il ne lui reste plus qu'une marque. Je cligne des yeux quand il me dit qu'il ne sait pas ce qu'est le paracétamol... ou du moins c'est ce que je crois décrypter de ses monosyllabes imprécises. Je me sens obligé de lui donner des précisions à ce sujet, bien que je doute qu'il en ait quelque chose à faire. « C'est un peu l'ingrédient principal des antalgiques. Tu sais, les médicaments contre la fièvre ou la douleur. C'est pour ça que je te le conseil si ça te fais encore mal. » je débite en le regardant sans cligner des yeux. Une première, parce que c'est quelque chose que je ne peux m'empêcher de faire. J'hausse les épaules. Si j'étais dans son cas, je crois que j'enchaînerai comprimé sur comprimé. Je suis un peu parano, un peu hypocondriaque. A la moindre blessure, je pense au tétanos, à la moindre piqûre de moustique, je m'interroge sur la transmission du VIH par les insectes, bien que je sache parfaitement que d'un point de vue scientifiques ce soit strictement impossible. Connaissant les phases d'apparition d'un bleu, l'idée que des vaisseaux sanguins éclatent sous ma peau m'angoisse quelque peu, malgré que ce soit tout à fait naturel. « Ah nan, je t'encourage juste à influencer les hormones des téléspectatrices, ça serait dommage que tu partes dimanche prochain. » répondis-je très sincèrement. Caesar m'est sympathique, bien qu'il soit parfois un peu trop honnête, mais moi, j'aime bien l'honnêteté. Dans un genre totalement différent, il m'arrive parfois de dire tout ce qui me passe à l'esprit parce que je ne sais pas vraiment ce qui est considéré comme des inconvenances, mais il faut avouer que ce qui traîne dans ma tête n'est jamais bien violent. Il s'excuse, pensant avoir vidé le ballon d'eau chaude. J'hausse à nouveau les épaules d'un air égal. « C'est pas grave, tu sais. La dernière fois je suis passé après Moore... » dis-je comme si son seul nom expliquait absolument tout.