zhara.

Encore une fois, je me retrouve dans la salle de sport, livrant mon corps à la douleur et la sueur. Je ne touche à aucune machine, non, je ne fais que danser. Tel est ma façon à moi de faire mordre la poussière aux kilos qui tente de s’accrocher à ma silhouette. Je danse pour me défouler, pour oublier, pour toute sorte de raison. Mais ça me fait un bien fou et c’est tout ce qui compte. J’ai quelques routines particulières, cependant aucune d’entre elles n’est venue me rejoindre aujourd’hui. J’improvise au son de la musique, je laisse mon corps parler de lui-même. Je le laisse se fondre dans le rythme et savourer chaque note, chaque grattement de guitare, chaque coup de batterie. Ma chorégraphie ne ressemble à rien, ne serait-ce qu’elle s’inspire de mes connaissances en hip-hop et en contemporain ; deux styles à l’opposé l’un de l’autre, mais qui se marient plutôt bien quand on sait s’y prendre. Je m’élance pour faire un saut, suivi d’un mouvement au sol, lorsque je perds pied. Je sens ma cheville et mon genou amortir le choc, et ça n’a rien d’agréable. « Putain, merde. » Je m’assois à même le sol, déplie ma jambe et étouffe un juron supplémentaire. La douleur se réveille, circule dans mes nerfs ; je sens l’élancement qui monte, lentement, le long de mollet. Je ne suis pas une flemmarde et je supporte bien la douleur d’ordinaire, mais là, tout de suite, c’est insupportable. Une tentative pour me relever échoue et je retombe durement sur mes fesses. Bon, et bien, si personne n’arrive, je suis quitte pour passer la journée ici. Cet idée ne m'enchante guère.

Depuis le début de mon aventure et depuis même quelques années j'ai pris l'habitude de faire un peu se sport, ici un peu plus qu'a l’extérieur car j'ai davantage de temps pour le faire. Ce matin donc après un petit déjeuner et une douche j'enfile des survêtements de sport et attache mes cheveux un chignon déstructurés. Mes cheveux sont trop fins pour que l’élastique tienne bien en place, je sais d'avance qu'il est donc inutile de me faire un truc bien serré. Et puis c'est moche, ça me fait une tête de souris. Finalement j'arrive dans la salle de sport et, juste quand j'ouvre la porte, je vois Evey sur le sol se tenant la cheville, je fronce les sourcils et m'approche d'elle, je remarque alors que sa cheville a doublé de volume et m'accroupis près d'elle, je prends sa main pour qu'elle lache sa cheville et lève la tête vers elle « Je peux ? » demandais-je avant de tenter de m'occuper d'elle, je n'étais qu'une étudiante mais je savais bander correctement et oui il y a une manière de le fair,e ça et puis il fallait mettre de la crème anti-inflammatoire. Shannon saurait sûrement le faire aussi mais là c'était moi qui était présente et non la future mère. Artie aussi saurait le faire mais encore une fois il n'était pas présent. Les candidats avaient une certaine chance que nous soyons trois médecin (dont deux futurs) dans la maison.

La douleur irradie tout au long de ma jambe, mais je sais, de source sûre – et parce que je vois bien l’enflure gonflée à vue d’œil – que ma cheville est la principale victime de ma chute. C’est bien ma veine. Je tente de la masser, de faire passer la douleur, mais chaque contact est douloureux, même le plus délicat. La bouger me parait difficile, tant et si bien que je préfère encore ne pas y penser tout de suite. À quoi bon me relever si je peux à peine me déplacer. Trop occupée à canaliser ce mal, je n’aperçois pas la silhouette qui s’avance vers moi. Cependant, impossible de l’ignorer lorsque cette main s’avance vers ma blessure, forçant la mienne à lâcher prise. « Je peux ? » Je relève la tête et mon regard croise celui de Zhara. Je n’aurai pas laissé qui que ce soit d’autres me toucher à ce moment précis, mais je sais être entre bonnes mains avec elle. Sa formation académique y est surement pour quelque chose. Hochant la tête à son intention, je lui signifie ainsi qu’elle peut s’occuper de moi. Je déteste montrer mes faiblesses, surtout devant les gens. Mais avec elle, c’est différent. Peut-être parce qu’elle est du lot des gens en qui j’ai confiance – même si c’est plutôt précipité d’affirmer une telle chose.

La jeune femme semble me faire confiance puisqu’elle acquiesce. Je me lève alors dans l’idée d’aller chercher de la glace et une crème anti-inflammatoire. « Je reviens. » dis-je en sortant de la pièce en courant, en tant que future interne, autant apprendre tout de suite à courir après le matériel, non ? Arrivée dans la salle de bain, en premier, je prends la crème dans la pharmacie et des bandages et descend ensuite dans la cuisine car je n’allais pas transporter les glaçons en haut… Je les emballe dans un essuie de vaisselle et retourne auprès d’Evey. Je pose le tout sur le sol, près d’elle, et posa d’abord les glaçons sur l’enflure afin que ça dégonfle. « Désolé, je sais que c’est pas agréable mais si je ne fais pas ça avant la crème ça va prendre plus de temps pour dégonfler… » dis-je en faisant une petite moue gênée. Je retirai enfin les glaçons, la cheville était déjà beaucoup moins enflée et j’en étais ravie, ce n’était pas grave puisque la peau n’était pas devenue rouge voire mauve. Je pris ensuite le pot de crème et en mit une couche épaisse sur la cheville de la jeune femme avant de l’étaler de deux doigts joints. Doucement, sans appuyer, je l’étalais en faisant des cercles pour qu’elle pénètre mieux. Une fois terminé, je m’essuyai les mains sur l’essuie qui irait au sale après et entreprit de bander sa cheville. « Voilà. Le mieux serait que tu ne t’appuis pas dessus en fait… » dis-je en me demandant bien comment elle allait faire sans béquille, ou atèle.

« Je reviens. » Aussitôt arrivée, aussitôt reparti. Sauf que je sais qu’elle reviendra : j’imagine qu’elle est seulement allée chercher de quoi soigner ma cheville. J’en profite d’ailleurs pour lui jeter un coup d’œil et mon visage affiche une grimace dégoutée : l’articulation a doublé, voir triplé de volume, ne laissant rien présager de bon. Et bien, tu parles d’un bon début de journée! Voilà ma semaine gâchée en à peine quelques minutes. Zhara revient finalement avec tout son bagage, et alors qu’elle se réinstalle à même le sol, près de moi, je sens la morsure du froid sur mon pied. On dirait que la douleur décuple et je laisse entendre un léger sifflement entre mes dents. « Désolé, je sais que c’est pas agréable mais si je ne fais pas ça avant la crème ça va prendre plus de temps pour dégonfler… » J’acquiesce d’un signe de tête, compréhensive : je sais ce que c’est, il faut dire que j’ai l’habitude des blessures à la cheville, mais il y avait longtemps que la souffrance n’avait pas été aussi vigoureuse, aussi persistante. Je ne m’étais pas ratée, cette fois. La jeune fille s’occupa avec grande douceur de soigner mon membre blessé, appliquant une crème, puis entreprenant de le bander pour lui offrir un certain support, nécessaire à une bonne guérison. « Voilà. Le mieux serait que tu ne t’appuis pas dessus en fait… » Hum, cela posait effectivement un problème, et je me questionnais déjà quant à savoir de quel façon j’allais bien pouvoir me sortir d’ici. Prendre en renfort un ou deux garçons serait surement la solution envisageable, parce que je doute que Zhara soit capable de supporter à elle-seule mon poids pour m’aider à me relever. D’ailleurs, j’aurais dû la remercie, mais la seule chose qui sort de ma bouche est une question. « Pourquoi t’agis comme ça avec moi ? » Je veux dire, elle avait toutes les raisons du monde de me détester, de me haïr. J’avais été horrible avec elle, je continuais même de l’être parfois – parce que j’étais comme ça, parce qu’il m’arrivait de blesser les gens que j’appréciais. Pas que je qualifiais Zhara de la sorte, enfin si, peut-être un peu. Son comportement – présent et passé, comme lors du prime – représente un mystère pour moi. Je ne me l’expliquais pas. Mon regard rivé dans le sien, je n’y lisais que de la bonté ; aucune rancune, aucune animosité.

« Pourquoi t’agis comme ça avec moi ? » demanda-t-elle, alors qu’elle avait l’air si reconnaissant dans son regard. Je fronçai les sourcils et me reculai un peu, les deux pieds ancrés dans le sol, les jambes fléchies, je passai mes bras sur mes genoux et m’adossai au mur derrière moi. « Tu es blessée, je suis apprentie médecin. La réponse me semble évidente. » Dis-je en arquant un sourcil, puis je passai une main dans mes cheveux et ajoutai « Et puis je t’apprécie beaucoup. » Avouais-je. « On est parties du mauvais pied mais ce n’est pas pour ça qu’on ne peut pas rectifier le tir, non ? » On pouvait toujours, tous, changé, surtout dans les relations. Rien de grave ne s’était passé, il n’y avait pas mort d’hommes donc on pouvait encore rectifier le tir.

« Tu es blessée, je suis apprentie médecin. La réponse me semble évidente. » Ce n’était pas, mais définitivement pas la réponse que j’attendais d’elle. Je considérais d’ailleurs cette réplique comme une phrase toute faite sans profondeur, qui ne voulait rien dire. Un simple résonnement logique que n’importe qui aurait pu faire. À la voir arquée du sourcil, j’en vins même à penser qu’elle n’était pas tout à fait convaincu du bien fondé de sa réponse. Je ne m’étais pas trompée. « Et puis je t’apprécie beaucoup. » Oui, ça, j’avais cru le comprendre. Sa tolérance à mon égard, après nos premières altercations, le baiser échangé durant le prime et puis sa présence à mes côtés, là, tout de suite – ces gestes parlaient d’eux même. Mais en soit, ça n’expliquait en rien pourquoi! Quoique… il y avait bel et bien une explication, mais j’imagine que l’on n’en viendrait jamais au mot pour en parler. Aucune chance. « On est parties du mauvais pied mais ce n’est pas pour ça qu’on ne peut pas rectifier le tir, non? » J’acquiesçais silencieusement à sa remarque. Je n’avais pas la prétention de vouloir être gentille, de vouloir devenir la bonne fille. J’étais comme je l’avais toujours été, et même si mon attitude face à Zhara changeait, je restais la vilaine, la méchante. La contenir se relevait être un effort surhumain ; un jour ou l’autre, j’allais exploser. Je ferais une gaffe et ce jour-là, j’étais persuadée qu’elle ravalerait ses mots. Qu’elle regretterait ce qu’elle m’avait dit aujourd’hui. « Ne t’attache pas à moi. » Il fallait que je la prévienne : les gens qui s’approchaient trop près de moi finissaient toujours par en souffrir, c’était inévitable. « Je n’en vaut pas la peine. » J’étais néfaste. Et je l’appréciais assez pour tenter de la préserver de cette douleur inutile.

« Ne t’attache pas à moi. » dit-elle, je me relevai alors. Si c’est là tout ce qu’elle avait a répondre elle avait raison. « Je n’en vaut pas la peine. » ajouta-t-elle comme pour se justifier, je haussai les épaules, elle ne voulait pas de moi, ok, j’avais compris et je n’étais vraiment pas le genre de femme a courir après les gens. « Ok » dis-je simplement, je me dirigeai alors vers une machine puisque j’étais venue pour ça, une sorte de vélo d’appartement pour la cardio. Je l’allumai, réglai la force et montai dessus avant de commencer à pédaler. Je ne vois pas pourquoi j’argumenterais avec la jeune femme si elle se pensait sans valeur, c’était pas vraiment mon problème.

Il y avait une différence entre ce que je disais et ce que je désirais réellement, entre celle que je voulais être et celle que j’étais. Mon cœur et ma tête, ma raison et mes sentiments étaient deux entités dissocier l’une de l’autre. Ils qui se contredisait sans cesse et ma vie était, petit à petit, devenu un véritable enfer. En mon fort intérieur, je n’étais pas heureuse. Zhara avait eu raison sur toute la ligne dès notre première rencontre et ça me faisait peur qu’on ait pu lire en moi aussi aisément. Si je faisais le vide autour de moi, c’était précisément pour ça. Je refusais à m’ouvrir aux autres, et lorsque ma coquille se fracassait, je finissais toujours par me refermer comme une huître. Mieux valait que je sois seule dans ces moments là. Je repoussais ceux qui voulaient m’aider, ceux qui me voulaient du bien, et je me montrais odieuse avec eux. Je le regrettais souvent. Toujours. Je ne l’avouais cependant jamais, ni même m’excusait. J’étais trop fière pour ça. « Ok. » Mon regard la suivit alors qu’elle se relevait et s’éloignait. Au bout d’un moment, je détournais les yeux, lassé de la savoir si proche mais si loin, par ma faute. C’est ce que j’avais désiré, non? Soupirant, je jetais un coup à l’état de ma jambe et de ma cheville, particulièrement. L’enflure disparaissait sous le bandage. Mais la douleur était bel et bien présente. À savoir si c’était une douleur purement physique ou si celle de l’âme s’y greffait, je l’ignorais. Me glissant jusqu’à un banc non loin, je me relevais à l’aide de mes bras pour prendre position sur celui-ci. Impossible de me lever à partir du sol même, mais en ayant appui sur le mur, j’arriverai surement à m’en sortir. Sans son aide, puisqu’elle m’ignorait royalement. D’ailleurs, pourquoi m’en préoccupais-je tant? M’appuyant sur ma jambe valide, je concentrais mes efforts sur ma quête du moment et je réussis finalement revenir à la verticale, croyant avoir atteint mon but. Je laissais toutefois échapper un râle de douleur quand mon autre cheville fut contrainte de supporter le poids de mon corps. Marcher sur celle-ci serait impossible.

Du coin de l’œil, je vis la jeune femme se glisser lamentablement sur un banc, mon instinct de future médecin en prenait un coup, je mourrais d’envie de me précipiter pour l’aider mais elle ne voulait pas de moi, elle l’avait dit. Alors je pédalai de plus belle, redoublant d’effort puisque le fait de ne pas aider quelqu’un de blesser, quelqu’un qui en avait besoin, était incroyablement frustrant. C’est lorsqu’elle se leva en prenant appui sur le mur que je stoppai la machine et descendit de la selle. « Ok, arrête, c’est ridicule. » dis-je en m’approchant d’elle. « Assied-toi. » ordonnais-je de ma voix de médecin en formation. « Essaie même pas de bouger ok. » dis-je en me dirigeant à nouveau vers la porte « Ohé cupidon, si tu m’entends, tu pourrais livrer un truc utile !! » protestais-je en levant les yeux au plafond. Je soupirai et me dirigeai vers la cave, peut être qu’il y aurait une béquille, une atèle ? Un truc ! Finalement lorsque j’arrivai dans la cave je trouvai des béquilles, aah seems que quelqu’un a entendu mon appel. Je murmurai un merci entre mes dent et en choppai une, la blonde n’en avait pas besoin de deux, elle pouvait poser le pied par terre mais pas se tenir dessus. Je reviens finalement la pièce et la lui tendis. « Voilà. » dis-je simplement. « Et me demande pas pourquoi je le fais ok, ça s’appelle la conscience professionnelle. »