LUKAS

Jusque là, je me la suis joué discret, parce que l'image de geek me colle déjà à la peau, quoi que je fasse. J'aime jouer à des jeux vidéos alors aux yeux du reste des habitants je suis à la fois puceau, déconnecté du monde, étrange et allergique au soleil... Ce qui s'avère véridique pour quatre-vingt-dix pour cent de ces suppositions. L'esprit de certains candidats pullule de ce genre de stéréotypes à mon égard, du coup je ne sors ma précieuse nitendo DS de ma valise que lorsque je suis soumis à d'intenses pulsions révélant ma nature profonde de nerd. La lumière me gêne. Elle m'éblouie, m'oblige à plisser les yeux, à essayer de trouver une position davantage adéquate pour accomplir ma délicieuse et bien plaisante activité. Je me lève, puis file appuyer sur l'interrupteur qui se trouve à l'autre bout de la chambre pour plonger le lieu dans un noir presque totale, uniquement perturbé par l'éclair de la lune qui trône dans le ciel étoilé et la lumière qui se profile dans le couloir, de l'autre côté la porte. Je retourne m'affaler dans mon lit, me projetant avec violence, sans la once d'empathie pour les ressorts du matelas, sur les draps. L'écran se fait plus adapté à ma vision et je distingue à présent parfaitement les traits du petit plombier à la salopette bleue, qui avance d'un pas mécanique guidé par mes doigts habiles. Je suis obnubilé par mon jeu, mais pas encore assez pour ne pas entendre le bruit de pas s'écrasant sur la moquette moelleuse de la pièce. Je lève la tête, quittant des yeux Mario, et reconnait malgré l'obscurité "l'aveugle de l'émission". C'est un peu réducteur de l'appeler comme ça, mais je n'y peux rien, à chaque fois que je l'aperçois mon cerveau ne retient que sa cécité et me balance son handicape à l'esprit. J'ignore s'il est capable de me reconnaître malgré qu'on aie uniquement échangé quelques amabilités depuis le début de l'aventure, ou même uniquement s'il a conscience que je suis présent dans la chambre.

Contrairement aux autres candidats, je n'avais pas les mêmes occupations. Je ne pouvais pas lire. Je ne pouvais jouer aux jeux vidéos. Je ne pouvais dessiner. Mais je pouvais jouer de la musique. C'était mon domaine. Mon monde. Ma vie. La musique. Je ressentais l'envie d'y aller. Pourtant, je ne m'étais pas les pieds dans la salle de musique. J'avais préféré monter à l'étage pour rejoindre ma chambre. Canne à la main, je montais les escaliers et je rejoignais la chambre en question. Je laissais tomber cette canna et je m'affalais sur mon lit. Je soupirais. Cette discussion avec Baptiste avait été...Intéressante. Je sursautais. J'entendais les clics d'un objet que je ne connaissais. Puis le silence apparut. « Heu, tu fais quoi ? » Demandais-je alors. J'étais intéressé. Je ne savais pas ce qu'il faisait. Je ne savais pas qui c'était non plus. Mais s'il répondait à ma question, je le saurais probablement.

Je ne bouge pas d'un pouce, ne produisant pas le moindre mouvement susceptible de provoquer un quelconque bruit. Je suis intrigué par Lukas et je me contente de l'observer tandis qu'il lâche sa cane et se laisse tomber sur son lit, avec un intérêt non dissimulé -pas la peine de faire comme si je ne le dévisageait pas. Je fronce les sourcils, mon cerveau s'emplissant d'interrogations à son sujet. Comment fait-il pour connaître sur le bout des doigts chaque recoin du grand château ? Il doit être sacrément balèze. Comme Daredevil en fait, me fais-je la rflexion avec un bref sourire interne. Je me demande si la production lui a, exceptionnellement, permit de s'adapter aux lieux en avance le laissant visiter le nid avant le tout premier prime. Ca aurait été la moindre des choses. Ma respiration se fait lente, tentant de se faire discrète, mais très rapidement le jeune homme prend la parole: « Heu, tu fais quoi ? » Chopé. Je m'éclaircis la gorge, puis lui réponds en haussant les épaules, bien qu'il ne puisse pas le voir: « Je joue à Mario Bross, c'est cool... » Je me tais aussitôt. J'espère ne pas avoir fait une gaffe, si ça se trouve il n'a pas la moindre idée de ce dont je veux parler. J'hésite. Très sincèrement, je n'ose pas formuler ma question à voix haute, parce que j'ai conscience qu'il peut s'agir d'un sujet un brin délicat, mais en règle général je ne m'encombre pas vraiment des règles de bienséance, donc je finis par craquer lamentablement: « Ton handicape est... » Je toussote, presque mal à l'aise, avant de reprendre en plissant légèrement le front: « inné ? »

Je l'avais repéré. J'avais bien entendu qu'il y avait quelqu'un malgré le silence qu'il avait instauré en stoppant tous les bruits qu'il faisait. « Je joue à Mario Bross, c'est cool... » Elvis. C'était Elvis. Mais je ne connaissais pas de Mario. Et encore moins de Mario Bross. Je restais donc silencieux sur son activité car elle était inconnue pour moi. Je le sentais alors hésiter. Il avait une question. C'était sûr et j'étais à peu près sûr. Nous ne nous connaissions pas plus que cela et je doutais que c'était ce qui le retenait. J'étais prêt à lui dire de me demander ce qu'il avait sur la langue. Mais le jeune homme fut plus rapide que moi. « Ton handicape est...inné ? » Question habituelle. Je ne fus pas surpris. Il n'était pas le premier à me la poser dans le château. « Je l'ai perdu à 9 ans dans un accident de voiture. » Lui répondis-je alors tandis que je me redressais sur mon lit. « Et toi, ça fait longtemps que tu connais ce Mario ? »

« Je l'ai perdu à 9 ans dans un accident de voiture. » me dit-il. J'acquiesce automatiquement d'un bref hochement de tête. L'information vient se glisser dans ma mémoire et le sujet s'arrête là. Je ne compte pas lui poser davantage de questions à propos des circonstances de cet accident ou encore des sacrifices que lui oblige de faire son handicape. C'est pas mon genre de discutailler de sujet aussi sensibles. En même temps, je n'aime pas non plus parler pour ne rien dire. En fait, disons que je ne suis tout simplement pas coutumier des conversations. « Et toi, ça fait longtemps que tu connais ce Mario ? » Je cligne des yeux. Je sais que privé de la vue, ça doit être assez compliqué de jouer à des jeux-vidéos, mais c'est une chose qui fait tellement partit de mon univers que je me permet presque d'être étonné à entendre dans sa voix une pointe d'incertitude, comme s'il ne connaissait pas le célèbre personnage de fiction. Ironique pour un garçon comme moi, qui ne connais pratiquement rien à la vie. « Depuis l'âge de 9 ans. » dis-je, presque en écho à ses précédentes paroles, sans ciller. Je ne sais pas si c'était précisément à cet âge, mais ça devait sûrement tourner autour de cette période. L'idée qu'il soit devenu aveugle, lorsque je fermais les yeux sur le monde pour me tourner vers les écrans me parait méchamment sarcastique. « C'est un jeu-vidéo. Au synopsis assez simple, mais plaisant. Comme un retour aux origines version 2.0 » Je laisse un silence s'installer pendant quelques secondes, avant de reprendre non sans hésitations: « Tu veux essayer ? Tu seras la main, je serais le cerveau qui t'oriente. »