J’avais toujours le cœur gros, à cause du départ de Sixtine ; et quand j’ai le cœur gros, je mange. À défaut de savoir faire la cuisine, je remerciais le monsieur qui avait inventé les repas tout préparé ou les conserves. Mais j’espérais vivement qu’en arrivant dans la cuisine, le repas serait déjà prêt, tous préparé, et que je n’aurai plus qu’à passer les pieds sous la table pour me goinfrer. Je descendais les escaliers en traînant des pieds, une moue indiquant qu’il ne fallait pas m’embêter. Il ne le fallait surtout pas, j’étais vraiment de mauvaise humeur. À moins d’être sur de me faire rire, je n’allais pas être de très bonne compagnie ces temps-ci. À ma grande surprise, la cuisine n’était pas vide, mais aucun repas n’était préparé (ou en cours de production). Je lâchais un souffle assez bruyant pour que l’on puisse entendre mon ennui. Faisant main basse sur mes scones adorés, j’ouvrais rapidement le paquet et en croqua un, en posant lourdement mes fesses sur la chaise. En face de moi, ou plutôt dos à moi, le blond de la maison faisait je-ne-sais-quoi. Je posais mon coude sur la table en l’observant, dans un calme olympien, malgré les grosses bouchées que je prenais. Ouai, on aurait dit une dépressive. « Qu’est-ce que tu fais ? » Lâchais-je lascivement et presque à voix basse, avec tout de même une moue curieuse. La réponse tardant à venir, ce qui me saoula, j’arrachais un bout du carton des scones pour en faire une boule, que je lançais vers lui. À la base j’avais visé sa tête, mais c’est sur son épaule qu’elle tomba. « J’te parle ! »

Qu'est-ce que Jackson foutait dans la cuisine ? Excellente question. Lui même n'en avait pour ainsi dire par la moindre idée. Il se souvenait juste y être entré, quelques minutes auparavant, et après plus rien. Le trou noir. Un peu amnésique sur les bords, le Jackson ? Possible. Une chose était en tout cas certaine, il n'avait pas faim. Alors, techniquement, il n'avait rien à faire ici. Et pourtant, il était bien là. Curieux. Le jeune homme fixait intensément le mur qui se trouvait face à lui. Ça, c'était une vue des plus intéressantes. Et à force de fixer le dit mur, il ne voyait plus rien de ce qu'il y avait autour. En même temps, pour ce qu'il y avait à voir, hein. Mais alors qu'il était présentement plongé dans une intense réflexion - non, en fait il somnolait légèrement - une petite voix se fit entendre à travers la pièce. Mais vu qu'il était bien décidé à ne faire la conversation à personne, il préféra ignorer cette petite voix. Des fois qu'on ne s'adressait pas à lui. On ne sait jamais. Mais très vite, il reçut une petite boulette de carton sur l'épaule. Là, il se retourna et aperçut Oona. C'était donc elle qui venait de lui lancer cette petite boule ? Elle était suicidaire, ou quoi ? « J'espérais que tu disparaitrais si je ne réagissais pas » fit-il alors, sur un ton quelques peu blasé. A vrai dire, il avait surtout eu la grosse flemme de lui répondre. Mais c'était tout comme. « Bon, qu'est-ce qu'il y a ? » reprit-il ensuite. Là, il était un peu vache. Parce que Jackson avait très bien entendu ce qu'elle lui avait demandé précédemment, à savoir ce qu'il faisait. Mais disons qu'il avait bien envie de la faire se répéter. Elle n'avait qu'à pas lui lancer cette putain de boule de carton.

J’avais horreur de parler dans le vide. Que l’on m’ait entendu ou non d’ailleurs. Même si je le faisais chier, il pouvait m’envoyer balader : je préférais de loin qu’il me dise ‘va chier’ que de me laisser parler au mur. Puisqu’il ne réagissait pas, j’avais agit. Une boulette plus tard, Jackson daigna se retourner vers moi, qui mangeais avec lassitude mon deuxième scone. « J'espérais que tu disparaitrais si je ne réagissais pas » Je levais un sourcil en le reluquant. Ce môôôsieur ne me connaissait pas alors ! Je ne suis pas du genre à abandonner, oui, je suis plutôt coriace. Même quand je dans un moment de déprime, je reste coriace et chiante. C’est le cas en cet instant. « Bon, qu'est-ce qu'il y a ? » Un léger sourire se dessina sur le coin de mes lèvres, mais il disparaissait très rapidement. S’il tenait réellement à le savoir, il pouvait bien attendre que j’ai fini mon morceau de ‘pain’. Je le laissais languir en mangeant une, puis deux, puis trois bouchées pour le finir, en prenant soin de tout avaler avant de lui répondre. Ce n’est pas poli de parler la bouche pleine. Je pris discrètement un nouveau morceau de morceau de carton, que je façonnais sous la table. « Je t’ai demandé… » Commençais-je, en lui balançant de nouveau sur lui. « … ce que tu faisais ! » J’avais un autre léger sourire. J’allais être peut-être trop chiante pour lui. Le pire, c’est qu’il me paraissait sympa ce mec !

Sérieusement, une boule de carton ? C'était tout ce qu'elle avait trouvé pour le faire réagir ? Bon, pour le coup, ça avait marché. Mais bon, tout de même, c'était limite puéril. Quoi qu'il en soit, Jackson s'était retourné histoire de pouvoir affronter le regard de sa camarade. Et alors qu'il lui demanda de répéter - enfin, c'était surtout histoire de l'embêter un petit peu - celle-ci prit tout son temps. Genre, vraiment. Et voilà qu'elle mangeait bouchée par bouchée de son pain. A ce train là, ils étaient encore là à Noël. Là, elle s'apprêta à lui répondre. Mais au milieu de sa phrase, elle trouva le moyen de lui balancer une nouvelle boule de carton. Putain, la chieuse. Elle avait de la chance d'être une fille, c'était certain. « Ce que je faisais ... » répéta-t-il alors, faisant mine de se creuser la tête. Alors oui, qu'est-ce qu'il était en train de faire, au juste, avant que la petite chipie débarque ? Pas grand chose, tout compte fait. Mais il n'irait pas lui répondre cela. Non, il se devait de trouver mieux. « Je faisais l'amour au mur » déclara-t-il subitement. Autrement dit : « Qu'est-ce que ça peut te foutre de savoir ce que je faisais ?! » Probablement qu'elle le prendrait pour un malade mental. Mais si cela pouvait lui donner envie de se barrer d'ici, il ne pouvait que le souhaiter. Parce qu'Oona ne semblait pas méchante, mais terriblement casse-pied. Et les casse-pieds n'étaient pas franchement les bienvenus avec Jackson. Ils étaient même plutôt indésirables à ses yeux. Comme Oona à cet instant précis, en somme.

Je ne connaissais pas Jackson. Je savais qu’il s’appelait comme ça, mais je ne le connaissais pas. Je n’avais pas vraiment d’avis tranché, mais j’espérais qu’il ne prendrait pas la mouche comme Ruben l’avait fait, simplement parce que j’ai envie de l’embêter. Exactement, j’étais en train de lui faire ce que je ne voulais pas qu’on me fasse, en l’occurrence, me faire chier. Et à ce train là, le paquet de scones ne sera plus, si je continuais d’en arracher des morceaux de cartons et si je continuais de manger comme une gloutonne. « Ce que je faisais ... » J’hochais la tête, en le regardant droit dans les yeux. C’est exactement ce que je lui demandais, ce n’était pas la peine de le répéter. « Je faisais l'amour au mur » J’éclatais de rire, faillant recracher quelques miettes de mon scone. Sérieusement ? C’était du jamais vu et donc je n’allais pas manquer l’occasion d’en savoir plus sur le premier homme à faire l’amour à un mur. Il faisait partit des objectùm-sexuel ? Après avoir avalé le reste de mon gâteau et après avoir essuyé ma bouche, je lui demandais avec curiosité : « Et ça ta plu ? Je veux dire, il est excitant le mur ? » J’avais un léger sourire en coin, genre je ne veux pas qu’il voit que je me fou de sa gueule, ou pas.

Si elle continuait, il n'y aurait pas que le paquet en carton qui finirait mal. Parce que Jackson n'était pas doté d'une très grande patience. Celle-ci était même assez limitée. Alors si Oona n'arrêtait pas de l'embêter, il devrait agir. La jeune femme venait de lui demander ce qu'il faisait avant qu'elle arrive. Jackson aurait très bien pu lui dire qu'il ne faisait rien de spécial, à part peut être s'emmerder, fixer un mur ou penser. Mais il ne le fit pas. Car il jugea préférable de lui sortir quelque chose d'un peu plus original. Ainsi donc, il prétendit qu'il faisait l'amour au mur. Ouais, rien que ça. Aucun sourire ne s'était dessiné sur ses lèvres. Si bien qu'on aurait presque pu le croire. Il semblait si sérieux que le doute était permis. La réaction de sa camarade ne se fit en tout cas pas attendre. Celle-ci éclata de rire. Elle recracha même quelques bouts des scones qu'elle engloutissait depuis déjà quelques minutes. Charmant spectacle que celui-ci. Elle semblait vouloir rentrer dans son jeu. Il s'était foutu de sa gueule alors elle le lui rendait bien. Elle voulait désormais savoir si cela lui avait plu, et si le mur était excitant. Seigneur. Devait-il vraiment répondre à cela ? Sans doute. « Tout ce que je peux te dire, c'est que c'est un très bon coup » fit-il alors, sur un ton légèrement blasé. Et dire qu'il avait simplement dit cela pour lui donner une réponse un tant soit peu originale, bien que complètement erronée. Et voilà qu'il devait maintenant parler de cet amant extraordinaire qu'était le mur de la cuisine. « Tu ne veux pas aller bouffer tes scones ailleurs ? » lança-t-il subitement. Autrement dit : la plaisanterie avait assez duré et sa présence commençait très sérieusement à lui taper sur le système. Ainsi, si elle tenait à la vie, peut être était-il préférable qu'elle disparaisse de son champs de vision.

« Tout ce que je peux te dire, c'est que c'est un très bon coup » Malgré ma mauvaise humeur d’aujourd’hui et bien malgré lui, Jackson me faisait marrer. J’avais bien compris que ça le faisait chier de me répondre et qu’en fait, c’est toute ma présence qui l’emmerdait, mais je ne comptais pas m’en aller d’aussitôt. Il réussissait presque à me faire oublier la monotonie de ce jour et je lui en étais franchement très reconnaissante. « Tu ne veux pas aller bouffer tes scones ailleurs ? » Je fis mine de réfléchir, en me passant la main sur mon menton et en regardant en l’air, comme dans les films ou les dessins animés. La réponse était pourtant claire dans mon esprit : non, parce que ça lui ferait trop plaisir de me voir dégager ailleurs. Insolente, je fis glisser ma main dans le paquet, pour prendre un nouveau scone, que j’agitais devant moi avant de croquer un morceau. Simultanément, je bougeais la tête de droit à gauche pour lui signer que non, je ne voulais pas être ailleurs pour les manger. Un petit tas de miette se forma en dessous de ma bouche, sur la table. Une fois le morceau avalé, je lui montrais avec mon menton ce petit tas. « Regardes, ça fait des miettes ! J’peux pas les manger ailleurs ! » J’avais un léger sourire de coin, pour terminer avec une petite moue. « Et puis, t’es tellement intéressant, que j’ai pas envie de partir ! »

Pourquoi tant de haine ? Pourquoi fallait-il qu'on veuille le pousser au suicide ? Il ne savait pas. Comme il ne savait pas pourquoi il ne supportait pas qu'on l'embête alors que lui ne vivait que pour embêter les autres. En fait, si. Il savait plus ou moins pourquoi. Quoi qu'il en soit, la présente discussion allait finir par lui donner des plaques. Cette Oona était peut être adorable - et très honnêtement il s'en fichait pas mal - mais bon sang ce qu'elle pouvait être chiante. Elle semblait jubiler intérieurement de lui taper à ce point sur le système. De son coté, Jackson se demandait très sérieusement s'il ne devrait pas la bouffer une fois pour toute, de la même manière qu'elle bouffait ses scones à la noix depuis tout à l'heure. Et quand il lui suggéra d'ailleurs d'aller s'adonner à cette gloutonnerie dans un autre endroit, elle lui signifia, d'un geste de la tête, qu'il en était hors de question. Jackson arborait une mine neutre, impassible. Mais ne vous y trompez pas. Si en surface il semblait plutôt calme, ça n'était pas la même chose en profondeur. Pour tout vous dire, il était au bord de l'explosion. Ainsi, si des flammes sortaient subitement de ses oreilles, il ne faudrait pas s'étonner. Lorsqu'Oona s'adressa à lui une nouvelle fois, il ne sut pas s'il était censé en rire ou en pleurer. En plus, elle trouvait semble-t-il utile de lui désigner un tas de miettes sur la table. « Oh que si, tu peux. Y'aura bien un boulimique pour les lécher » répondit-il alors. L'humour à la Jackson, ça donnait ça. Il était tout à fait capable de s'y adonner sans laisser transparaitre aucun amusement. Parce qu'à vrai dire, il n'était en rien amusé à cet instant précis. Non, cette situation ne l'amusait absolument pas. « Comme c'est gentil » reprit-il, arborant un sourire mauvais. « Mais je ne suis pas intéressant. Alors tu peux très bien aller embêter quelqu'un d'autre. Quelqu'un de véritablement intéressant. Bien que ce soit une vaine quête par ici. » Qu'allait se passer si elle refusait ? Et bien, c'était très simple : il n'en avait pas la moindre idée. Mais il y réfléchissait activement, soyez en sûrs.

Pour dire vrai, l’embêter me passait le temps et me faisait penser à autre chose qu’au départ de ma blonde. Il ne m’avait fichtrement rien fait ce mec, mais ça tombait sur lui. Bien que je ne fusse pas si chiante que cela à mes yeux, je pouvais être capable de l’embêter beaucoup plus que ça. « Oh que si, tu peux. Y'aura bien un boulimique pour les lécher » Euuuuh… un de mes sourcils se leva, une expression figée sur mon visage. Etais-ce censé être drôle ou bien… Je trouvais ça de très mauvais goût. Mais je passais outre mon envie de le lui dire, me contentant d’un sourire faussement intéressé par Jackson. « Comme c'est gentil » Je sais, je suis la gentillesse incarnée. Quiconque ici peut le lui dire, je ne sais dire que des compliments… ahem. Jackson aborda enfin un semblant d’expression sur son visage, passant d’une expression neutre à une expression plus cynique. « Mais je ne suis pas intéressant. Alors tu peux très bien aller embêter quelqu'un d'autre. Quelqu'un de véritablement intéressant. Bien que ce soit une vaine quête par ici. » Je l’écoutais en silence, ramassant les miettes que j’avais fais sur la table. Il me faisait sourire ce blond ! Je jetais les miettes dans la poubelle, près de lui, tournant légèrement ma tête. « Si personne n’est intéressant ici, toi y compris,… pourquoi j’embêterais quelqu’un d’autre que toi ? » C’était, à mon sens, d’une évidence flagrante. J’attrapais le paquet de scones, que je rangeais dans son placard habituel. Il allait être libéré, enfin seul, pour pouvoir reprendre sa sensuelle activité avec le mur ! Je m’éloignais de la cuisine, mais avant de disparaître totalement de sa vue, j’osais une dernière relance pour l’énervé, parce qu’en fait, il ne s’était pas réellement énervé. J’avais gardé dans ma main un morceau de carton que j’avais roulé en boule subtilement. Je lui lançais, cette fois visant son cou. « En tout cas t’es pas drôle parce que tu t’énerves pas ! Je reviendrais t’emmerder ! » Je m'adressais à lui avec un sourire qui en disait long.

FIN POUR OONA.

Oona était peut être gentille, plutôt sympathique, ou tout ce que vous voulez, mais elle était également très légèrement agaçante. Bien entendu, il s'agissait là d'un euphémisme. Parce qu'il avait fallu qu'elle débarque au moment où Jackson était extrêmement occupé. Bon d'accord, il est vrai qu'il ne faisait jusqu'ici pas grand chose - et ça continuait en fait - mais tout de même, cela ne signifiait pas pour autant qu'on avait le droit de venir lui jeter des boules de carton et encore moins de lui taper sur le système comme était présentement en train de le faire Oona. Temps mort. Il n'en pouvait plus. Il ne la supportait plus. Qu'elle sorte, bon sang. Mais non, elle demeurait là, face à lui, à manger ses scones et à mettre des miettes partout sur la table. Et non contente d'être simplement présente, il fallait qu'elle lui parle en plus. Et lui, comme un masochiste qu'il était, il lui répondait. Remarquez, elle devait être le genre de filles à devenir de plus en plus chiante si on venait à les ignorer. Alors autant parler, il était quand même peu probable qu'il en meurt. « Parce que t'iras embêter quelqu'un de toute manière » fit-il, blasé comme il l'avait rarement été. Lui ou un autre, il n'y aurait pas tellement de différences. Si ce n'est qu'elle l'embêtait déjà en fait, et qu'il avait probablement bien moins de patience que la plupart de ses camarades. Oh attendez, était-il subitement en train de rêver ? Est-ce qu'Oona rangeait bel et bien le paquet de scones, signe très probable d'un départ imminent ? Et bien oui, elle s'apprêtait à quitter la pièce. Voilà qui était une bonne nouvelle. Sauf que, bien sûr, elle trouva le moyen d'être chiante jusqu'au bout, en lui lançant un ultime bout de carton. Jackson fronça les sourcils, et la regarda s'éloigner. Il lâcha un « putain » qui en disant long sur son présent agacement. Si revenir l'emmerder était effectivement dans les plans de la jeune femme, mieux vaudrait qu'elle en change. Simple conseil. Jackson, quant à lui, quitta la pièce sans tarder. Il fallait qu'il aille prendre un peu l'air.