Vu que je me lève assez tard, je peux pas tellement faire du sport le matin ni en début d’après-midi après avoir mangé donc le meilleur créneau horaire que j’ai trouvé c’est le soir avant de dîner. Il y a en général personne en plus dans la salle donc c’est plus pratique. Ce soir, j’ai décidé de me donner à fond. Je pourrai courir dehors mais il fait un peu gris et j’ai peur qu’il se mette à pleuvoir des cordes soudainement. Ça arrive pas mal en ce moment donc je reste méfiant. Je cours donc sur le tapis de course dans la salle de sport. C’est pas vraiment pareil mais c’est tout aussi efficace. Evidemment, j’ai mis une vitesse assez élevé sinon ça sert pas à grand-chose. Je suis assez endurant mine de rien. Mais j’ai tout de même chaud. La température de mon corps doit être très élevée. Pourtant, j’ai un léger short et je suis torse-nu. Hors-de-question pour autant de boire un coup. Je le ferai à la fin de mon quart d’heures de course. D’ailleurs, il me reste à peine cinq minutes. C’est alors qu’un nouvel élément entre dans mon champ de vision. C’est un candidat. Je l’identifie assez rapidement. C’est le mec au chat. Maxence je crois. J’connais toujours pas bien les prénoms. Je continue de courir, l’observant s’approcher, sans lui sourire pour autant ni lui adresser la parole, je me contente de le fixer. Ni un regard froid, ni un regard agréable. « Ça fait quoi de savoir que tu gagneras pas le jeu ? » Le candidat a reçu l’award de celui qui avait le plus le potentiel de remporter l’aventure si je me souviens bien et l’animateur ou Cupidon a précisé que c’était un statut maudit et que tous ceux qui avaient reçu cet award n’avaient jamais gagné.

Il faisait affreusement lourd aujourd'hui, c'était un temps à ne pas avoir envie de sortir. Et pourtant, voyez-y peut-être un contre-coup de la semaine passée où j'avais été privé d'intérieur, j'avais du mal à rester enfermé ; Du coup j'avais trouvé une parade aux nuages et au temps qui sentait l'orage, et j'étais allé m'installer sous le kiosque à musique. J'avais emprunté une des mini haltères de la salle de sport avant de descendre, et mon bouquin de malais parce que j'étais parfois un pro pour ce qui était de faire deux trucs à la fois. Là en l'occurrence étudier tout en dégourdissant un peu mon épaule, parce que je savais bien que plus je rechignerais à la refaire bouger normalement plus elle continuerait de me faire mal. Et puis en début de soirée le vent avait commencé à se lever, et après avoir recommencé trois ou quatre fois à chercher la page dans mon livre après qu'un coup de vent me l'eut fait perdre j'avais abandonné, bougonnant tout en me relevant pour retourner à l'intérieur. De toute façon je commençais à avoir faim. Mais avant d'investir la cuisine j'étais remonté jusqu'à la salle de sport pour y remettre l'haltère à sa place, j'avais pas envie que Cupidon me reproche de ne pas ranger ce que j'empruntais, hm. C'est là que j'avais trouvé Silas, occupé sur le tapis de course, et à qui j'avais adressé un léger signe de tête histoire de ne pas l'ignorer totalement. Mais bon, il avait l'air occupé, alors je n'allais pas le déranger. « Ça fait quoi de savoir que tu gagneras pas le jeu ? » Ah bah, si c'était lui qui jetait la première pierre. Enfin, façon de parler, c'était simplement une question qu'il me posait. Me retournant vers lui en prenant un air exagérément dépité, j'avais soupiré théâtralement avant de répondre en secouant la tête « Si tu savais, je suis inconsolable. J'avais déjà préparé mon discours, dans lequel je remerciais mon père, mes chats, ma boulangère, ma progéniture - futurs petits-enfants compris - mon ancien professeur de ski ... Non vraiment, je ne sais plus où j'en suis, je suis totalement perdu. » J'en faisais peut-être un poil trop, non ? Mais vraiment juste un petit peu, quoi. Reprenant un air plus sérieux, j'avais croisé les bras tout en l'observant courir ; Je n'aimais pas trop ça personnellement, courir en salle. L'ambiance des salles de sport de manière générale ne me plaisait pas trop, je préférais l'extérieur ; Courir en forêt, et le ski l'hiver. Surtout le ski, en fait. Et puis là où j'habitais y'avait pas de salle de sport, fallait pas déconner ça restait un village, la brasserie de mon paternel faisait déjà figure de lieu de rendez-vous communal. « Non, plus sincèrement, j'ai pas pensé un seul instant que ce serait le cas, alors on peut pas vraiment parler de déception. Je toucherais probablement pas ma cagnotte de toute façon, alors. » Au moins on pouvait être certain que je ne participais pas pour le blé. Pas vraiment pour gagner non plus à vrai dire, je n'étais certes pas le dernier pour ce qui était d'aimer la compétition mais enfin, en ayant trente-cinq balais je vais déjà vous dire que j'étais étonné d'être encore là, je pensais que les "vieux" dégagerais rapidos ... Et je n'avais jamais regardé l'émission avant, d'ailleurs, j'avais du demander à ma fille de me faire un topo rapide avant mon départ histoire de ne pas arriver totalement en terrain inconnu. « Ceci dit, ça m'étonne un peu que tu prennes les résultats des awards pour argent comptant. » Parce que le moins que l'on puisse dire c'est qu'il avait été garni, lui, avec ces awards. Et pas de la plus flatteuse des manières, bien qu'à mon avis on ait tendance à le diaboliser un peu vite sous prétexte que l'amabilité n'était pas son fort ... Certes, ça n'aidait pas, mais bon.

Je me dis qu’un candidat à qui l’on annonce déjà la victoire à moins de chance de gagner dans un jeu tel que Fake Lover. Les téléspectateurs attendent beaucoup de cette personne et au moindre faux pas, hop, il perd sa place de favoris tandis qu’un candidat à qui l’on prédisait pas la victoire qui se révèle au-fur-et-à-mesure des semaines, ça plait énormément. J’espère que ça sera mon cas. Mais c’est loin d’être gagné. En tout cas, la victoire annoncée de Maxence via son award est mauvais signe pour lui. Je n’hésite alors pas à lui faire remarquer quand celui-ci débarque dans la salle de sport. Il prend un air théâtral et en fait des tonnes pour marquer sa soi-disant déception. C’est pas vraiment drôle mais je vais lui pardonner. « Oh merde, faut que je sorte les violons. » C’est ça l’expression, non ? Ou alors c’est les mouchoirs, je sais plus trop. Le candidat comprendra. Ou pas d’ailleurs, peu importe. De toute façon, il s’empresse de rectifier le tir en avouant qu’il n’a jamais pensé remporter le jeu. Allons donc. Qui n’a jamais rêvé d’empocher le pactole ou ne s’est jamais imaginé gagné ? J’y crois pas un instant. C’est de la fausse modestie. « Moi, en tout cas, je compte bien la toucher ma cagnotte. » Après tout c’est un mal pour un bien, si aller en final ne l’intéresse pas, moi je prends sa place volontiers. J’ai envie de dire : ça fait un concurrent en moins. Et un sérieux concurrent qui plus est. « Ça reflète ce que les candidats pensent, non ? » Je continue ma course et arrête un instant mes yeux sur le compteur. Il reste un peu moins de trois minutes.

Je vais pas essayer de vous faire croire que je n'avais absolument aucune envie de gagner, il s'agissait d'un jeu, tout le monde avait envie de gagner je pense. Mais bon, en prenant un peu de recul il s'agissait de se montrer un peu réaliste et raisonnable, et ce n'était pas raisonnable de fonder ce genre d'espoirs quand on était là dans le cadre de son boulot comme moi. « Oh merde, faut que je sorte les violons. » Oui voilà c'est ça, et si il pouvait verser une petite larme aussi histoire de rajouter un petit côté dramatique, ça m'arrangerait. Non bon, pour en revenir à ce que je disais je ne me prenais pas la tête avec ça, de toute façon même si en terme de challenge et de satisfaction personnelle une partie de moi avait sans doute autant envie de gagner que les autres, ce serait aussi priver quelqu'un d'autre d'une cagnotte dont il aurait la liberté de disposer, contrairement à moi. « Moi, en tout cas, je compte bien la toucher ma cagnotte. » Évidemment, et probablement que si j'étais là de ma propre initiative il en serait de même pour moi, après tout j'avais autant besoin d'argent que n'importe qui. J'avais des factures, un crédit immobilier, des allers-retours entre chez moi, Paris pour le boulot, et Bruxelles où vivaient maintenant ma fille et sa mère ... Tout ça ne se payait pas tout seul, malheureusement. D'ailleurs j'étais curieux « Et tu sais déjà ce que tu comptes en faire, si tu la touches ? Pourquoi tu participes à l'émission, d'ailleurs ? » Peut-être trop, curieux. Mais au fond il me répondait bien si il voulait, et si il ne répondait pas alors tant pis, ça ne changerait pas ma vie, hein. Mais bon, il faisait très clairement sentir à tout le monde que se sociabiliser ce n'était pas sa tasse de thé, alors il devait avoir une autre bonne raison de s'être lancé dans cette émission, en toute logique. Quitte à passer pour le bouffon de service, puisque c'était ce qui semblait ressortir des awards qu'il avait reçu au dernier prime « Ça reflète ce que les candidats pensent, non ? » J'avais haussé les épaules, l'air un peu dubitatif. Bon après, j'avais passé l'âge de me soucier de ce que pensaient les autres personnellement, et de toute évidence lui aussi « Franc sans doute, disons peut-être un peu trop au goût de certains mais soit. Agaçant sans doute aussi, même si j'ai comme l'impression que tu le cultives un peu, ça ... » Ouais, je ne vais pas aller jusqu'à dire qu'il se délectait du fait de taper sur le système des autres, mais cela semblait le divertir plus que le déranger en définitive « Méchant par contre c'est peut-être un peu excessif. Mais ce n'est que mon avis. » Sans doute parce que pour moi méchanceté voulait dire faire du mal et vexer les autres volontairement, par désir d'être blessant ... Alors que la plupart du temps Silas se contentait simplement de dire ce qu'il pensait, peut-être de façon un peu trop cash, certes.

Maxence me pose des questions qui ne m'ont que rarement étaient posées jusqu'ici. A tort probablement pour eux. A raison pour moi. « Ouais, je réserve ma cagnotte pour un projet qui m’est essentiel. Et c’est pour ça que je participe. » Uniquement pour ça, oui. J’ai besoin de cet argent pour mener à bien cette mission. Une mission probablement facile à réaliser pour certains mais difficile pour un petit mec comme moi qui gagne même pas le SMIC. Fake Lover était la seule et la plus rapide des options que j’ai trouvé pour gagner de l’argent. Je sais pas si ça aboutira mais j’ai décidé de prendre le risque. J’ai encore foi au destin et tant que je serai pas mort, je lâcherai pas l’affaire. « Et toi, t’es là pour quoi ? » Il est rare que je pose des questions sur la vie des autres, ça m’intéresse pas vraiment en général et je me dis que si je me montre trop curieux, eux aussi le seront vis-à-vis de moi et ça sera mauvais vis-à-vis de mon secret. Je veux le garder jusqu’au bout et avoir une grosse cagnotte. « Tu m’as plutôt bien cerné. » Enfin du moins les traits de caractères qu’il a cité. Je trouve le candidat très intelligent et observateur. S’il y a bien quelqu’un ici dont je devrai me méfier c’est lui. « Et t’as une théorie me concernant ? » Je sais que ma question est un peu floue. J’ai quand même espoir que le candidat la comprenne. Je suis une personne difficile à cerner et je cache quelque chose qui pourrait affecter ma personnalité et ça, je pense que plus ou moins tout le monde l’a compris. Maintenant, peut-être que le blond s’est fait une idée sur moi. Cela ne m’étonnerait pas à vrai dire. Il me semble très futé.