OONA

Artie serait fier de moi, ouais. J’ai décidé de lui rendre hommage aujourd’hui, en passant toute ma soirée dans la Bibliothèque. Ca fait plus de quatre heures que je bouquine sans m’arrêter, aussi je viens de terminer un livre de science fiction sur les templiers. Pas très réaliste j’imagine, mais il m’a relativement tenue en haleine. En fait le Lord doit s’exciter sur son canapé devant cette lecture médiocre, mais c’est ce qui se rapproche le plus de lui, comme si la production avait voulu nous faire un clin d’œil en le plaçant là. J’ai l’impression d’entrer un petit peu plus dans son univers, même si une fois encore, c’est peine perdue en s’attaquant à ce genre d’ouvrages. Je soupire, laissant retomber ma tête en arrière, la nuque contre le haut du dossier. J’aimerais bien le voir débarquer, accompagné de Baptiste, tous les deux vêtus de leur costume de soubrette qui restera désormais dans les annales. Cette pensée m’arrache un sourire triste, et j’en viens à la conclusion que l’ambiance s’est dégradée dans ce château au fil des semaines. Au début tout le monde est content, tout le monde s’éclate et fait des conneries, et puis les candidats tombent comme des mouches, les gens deviennent blasés. C’est l’hécatombe. Je me lève un instant, parcourant les rayonnages avant de trouver ce que je cherche enfin : le livre sur la prostitution dont j’ai déjà lu la moitié, et avec lequel Baptiste m’a surpris lors de notre première rencontre. Maintenant, j’ai envie de penser à lui. Je tourne à nouveau les pages, lovée dans mon canapé en imaginant le jeune homme remplir les conditions administratives afin d’ouvrir une maison close en Espagne, puis le pose à mes côtés, exaspérée. Je sens le regard pesant des caméras posé sur moi, et ça m'agace au plus haut point. « Vous arrêtez de me mater oui ? » Je me tourne vers l’objet fixé dans ma direction, dissimulé en hauteur derrière un élément du décor. Je dis ça parce qu’il y a un fil qui dépasse, ces abrutis n’ont même pas bien fait le travail. « Quoi, vous voulez du spectacle ? C’est ça que vous voulez ? » Je baisse la fermeture éclair de mon jean, le faisant glisser lentement sur mes cuisses en me dandinant avec un manque de grâce évident, parce qu’il faut dire que mes appuis sur ce canapé ne sont pas franchement très bons. Finalement je tombe lamentablement sur le sofa, le pantalon au niveau des genoux et les cheveux dans la figure. « Connards. » Ouais, parce que c’est de leur faute, c’est évident.

Lire. Une épreuve pour moi, tout autant qu’une passion dont je ne pouvais me défaire. La bibliothèque du château était une vraie mine d’or et puis, grâce à elle, on pouvait au moins nous occuper la journée. M’occuper… j’en avais vraiment bien besoin à présent. S’il m’était souvent arrivé de m’ennuyer les semaines précédentes, j’avais la possibilité d’aller embêter Baptiste. De piquer une tête dans la piscine avec lui. Ou de pratiquer le piano comme un pied avec lui. Je ne me comporterais pas de cette manière avec n’importe qui d’autre dans le nid. Je ne suis même pas sûre de le faire avec Sixtine et pourtant Dieu sait que je suis très proche d’elle. En tout cas je me sens proche de la blonde et le départ trop prématuré des deux garçons me donnait encore plus envie de me rapprocher d’elle. C’était tout de même la seule à qui j’avais avoué, même à demi-mot, à quel point je tenais à Artie, malgré ma peur de trop m’avancer à l’aveugle dans notre semblant de relation. À présent, le Sir n’était plus dans le jeu et je m’en voulais de ne pas avoir passé plus de temps que ça avec lui. D’ailleurs, je ne m’étais pas imaginé rester plus longtemps que lui. J’avais cette impression d’être tellement moins intéressante que lui et mois intéressante que la plus part des gens ici. J’ouvrais un œil. Je m’étais endormie pendant quelques minutes sur le canapé du salon, le livre que je lisais sur mes genoux. Jane Eyre. Encore et toujours depuis deux semaines et j’en étais enfin arrivée à bout. Je refermais délicatement la couverture du livre et me levait, en avançant dans le couloir, menant à la bibliothèque. J’étais partie pour ranger ce livre, dans l’optique d’en reprendre un nouveau évidemment. Il fallait vraiment faire passer le temps d’une manière ou d’une autre. J’ouvris la porte de la bibliothèque et entendit immédiatement une voix féminine s’exaspérer. « … du spectacle ? C’est ça que vous voulez ? » Je n’avais pas entendu le début de sa phrase, par contre j’avais bien reconnue la voix de Sixtine, qui ne m’était vraiment plus inconnue. Fronçant des sourcils, je resserrais le bouquin dans mes bras, pénétrant à pas de loup dans l’immense pièce. Je ne soupçonnais pas un instant qu’elle pouvait parler aux caméras. D’ailleurs, je me demandais bien qui pouvait être les « vous » dont elle parlait. « Connards. » J’avais avancé de quelques mètres pour rejoindre les allées et je me stoppais net en l’entendant prononcer ce doux mot. Mes sourcils se froncèrent, accompagnant cette petite moue de tristesse que je portais sur le visage depuis deux jours. Je contournais un premier fauteuil pour m’enfoncer dans la vieille bibliothèque, en quête de ma blonde. À hauteur d’une étagère que je connaissais pour abriter de vieux romans, j’apercevais Sixtine, allongée sur le sofa, le pantalon à demi enlevé. « Qu’est-ce qui t’arrive ? » Lâchais-je dans une sorte de chuchotement, alors que je m’étais appuyée sur l’une des planches de l’étagère.

Je suis légèrement surprise par la voix qui m’interroge, ramenant instinctivement mes jambes vers mon corps en me tortillant comme un ver de terre, tirant sur mon jean avec vigueur pour le faire glisser sur mes cuisses. Après quelques secondes d’efforts et en soulevant mes fesses, je parviens à me rhabiller, dégageant mon visage à l’aide de mon avant-bras. Je constate avec soulagement qu’il ne s’agit que d’Oona, l’une des personnes de ce château qui a parfaitement conscience que j’ai un grain. Aussi ne s’étonnera-t-elle pas de me surprendre le pantalon sur les genoux. Quoique, elle a l’air plutôt stupéfaite. « Ben je viens de me payer une super partie de jambes en l’air avec Franckie figure-toi, sauf que le salaud s’est barré avant la fin. » Je souris légèrement, plissant les yeux. Bon ok, crédibilité : zéro. Mais comment lui expliquer que je viens d’engager une discussion à sens unique avec la caméra de la Bibliothèque ? Je me redresse sur le canapé, m’interrogeant sur l’état de la demoiselle. Comment accuse-t-elle le coup ? Artie ne lui manque-t-il pas trop ? Et Baptiste ? Il me semble que ça a été un Dimanche particulier pour elle, plus encore que pour n’importe lequel d’entre nous. Elle n’a pas seulement perdu un ami, mais doit poursuivre l’aventure sans son soutien le plus important du château. Comme lorsque j’ai cru que Goliath avait quitté cette putain d’aventure. C’est vrai, il n’est pas mort comme le dirait si bien Siomha, mais FAKE LOVER ça devient de plus en plus difficile, alors sans les personnes que l’on apprécie autour de nous, c’est un poids de plus sur nos épaules. Je tapote le cuir à mes côtés pour l’inviter à s’installer, retirant mon livre sur la prostitution qui traîne toujours. « J’espère que Baptiste m’attend pour ouvrir la maison close. » Je précise, faussement inquiète en agitant mon bouquin. Parce que j’ai le sentiment que je ne terminerais pas cette émission avec de l’argent dans les poches. « C’est ce qu’on avait convenu, histoire de se faire du blé en cas d’échec ici. » Elle ne sera sûrement pas surprise de cet accord entre lui et moi, c’est tout à fait le genre de trucs que le jeune homme serait prêt à faire. « Tu tiens le coup ? » Je lui demande soudain, me mordillant la lèvre. Elle a peut-être envie d’oublier ça pour un moment, de parler d’autre chose, et si c’est le cas je compte sur elle pour me le faire savoir.