J'avais longuement réfléchi à comment je voudrai voir passer ma possible dernière soirée dans le Nid d'amour de Cupidon. Ma première idée avait été de la passer avec Loxias. Et puis je m'étais dit que je savais comment ça allait se finir, et que cette fin ne me plaisait pas : ce serait en larmes, avec des regrets, avec des remords. Il y avait aussi Adie, mais là on finirait toutes les deux en larmes. Slavin, Adie paniquerait. Malo, je l'avais suffisamment embêté deux jours avant. Nora... Non. De toute manière, y en avait eu aucun si ce n'était le blondinet auprès duquel j'étais pour me soutenir lors de l'annonce. Alors je supposais qu'ils s'en foutaient tous. Par conséquent, la meilleure des choses à faire restait encore de se bourrer la gueule et ensuite de me pointer leur dire à tous leurs quatre vérités. A quel point ils m'ont fait chier ces deux derniers mois. En quoi ils sont tous pathétiques. Même si pour l'instant, celle en tête de liste sur la liste du pathétique, c'est moi. Bon, hein. Allez, j'ouvre la première bouteille. Je sirote tout ça, par grosses gorgées bien goulues. J'ai le temps d'en arriver aux trois quarts de la bouteille de bordeaux avant que quelqu'un ne pousse la porte. Quel est ce sale chieur qui me dérange pendant mes adieux internes. Toi, je te déteste déjà. Va-t-en, va-t-en. J'ai pas envie de pleurer. De toute manière, je sais que je ne pleurerai pas. A moins d'avoir fini les deux bouteilles suivantes. Et si je le fais, ce ne sera même pas par peur de partir, mais parce que j'en ai ma claque, de tout ça. Peut-être qu'au final, c'est bien. Ça m'ouvre une porte de sortie honnête, je pourrai m'en aller sans abandon. Mais il s'agira toujours d'un échec.

Pourquoi j'ai l'impression que le prime de demain va être un enfer ? En plus du fait que je risque de m'engueuler une nouvelle fois avec quelqu'un ? Ce quelqu'un se résumant à très peu de personne en réalité, mais ça m'emmerdait d'avance. J'sais pas pourquoi c'est obligatoirement le bordel ces jours là d'ailleurs, j'sais pas c'est l'adrénaline, la peur de l'inconnu, ça doit sans doute me faire péter les plombs. Ouais sûrement. Quoi qu'il en soit, ce prime là, avait un enjeu de taille : la possible élimination de Sive, et ça, ce n'était carrément pas envisageable. Je portais énormément d'espoirs envers les téléspectateurs qui ne pouvaient décemment pas laisser sortir une candidate comme elle. Bref, cette dernière soirée était bizarre, parce que c'était dans le pire des cas sa dernière, et j'avais beau chercher partout, je ne la voyais nulle part. D'abord, j'avais pensé la retrouver avec son partenaire, sauf que non, il était entrain de faire je ne sais quoi avec Valentina. Mais au lieu de lui demander s'il l'avait vu j'ai préféré chercher, parce que j'ai l'impression que ça le fait chier que j'sois proche de sa partenaire à ce point. Et y'avait bien Adie, mais non, elle n'était pas avec elle non plus. Là encore, je n'ai rien demandé, j'crois que notre complicité est mal vue. J'sais pas, j'ai vu nulle part dans le règlement qu'il était interdit de se lier avec une personne d'un autre binôme mais soit. Moins je la trouvais, plus je m'inquiétais parce que c'était triste de passer une soirée telle que celle-ci seule. J'ai arpenté la quasi totalité du nid en vain, en me disant que peut être, on ne faisait que se croiser depuis tout à l'heure, peut être aussi qu'elle ne voulait pas être retrouvé, peut être qu'elle s'amusait à m'observer depuis les remparts tandis que je la cherchais désespérément tout en descendant un litre de tequila en se moquant de moi. Sauf que dans ma connerie, je me suis dit, que finalement, elle était sans doute entrain de s'enfiler de l'alcool et il n'y avait pas de meilleur endroit que a cave pour ça. La seule pièce avec les cachots que je n'ai pas faite. Et bingo, elle est là. J'suis même pas surpris de la voir là, entrain de boire une bouteille au goulot. « Si t'en es rendue à boire seule à la cave c'est que tu dois être encore plus mal en point que j'pensais. » Pas de blague vaseuse, pas de taquinerie lourde, juste moi, presque déçu de la voir seule ici. « Ne me regarde pas avec ces yeux là, je ne partirais pas ! » Je croise mes bras contre mon torse, non mais ça fait une heure ou presque que je la cherche, j'vais pas partir maintenant.

C'est Slavin. Mon regard vrille sur lui alors que sa voix s'élève, parce que jusque-là, je n'avais pas daigné tourner la tête. J'hésite entre la joie de le voir et l'ennui qu'on vienne ainsi troubler ma solitude. Depuis le début du jeu, Slavin, c'est un peu celui qui me comprend. Auquel je n'ai pas besoin de tout expliquer pour qu'il parvienne à comprendre ce que je veux dire. C'est sûrement parce qu'on se ressemble sur bien des points. J'ignore s'il le sait. Je n'ai jamais rien fait pour le montrer, je crois, ou pas plus que ça. Mais quelqu'un qui me comprend, ce soir, ce n'est peut-être pas une bonne idée, ça donnerait de la légitimité à mes pensées, et je dois plus avoir besoin de me prendre une bonne claque dans la gueule que d'être saisie. « J'suis pas mal en point. » Et pour confirmer mes propos, je bois goulument une gorgée supplémentaire. J'vais avoir les dents toutes rouges, à la fin. Mon regard traverse la pièce. « C'est mon endroit préféré. » Qui l'eût cru, hein ? « Qu'est-ce que tu viens faire ici ? » Non, je ne suis même pas agressive, c'est que j'ai perdu un peu de mon esprit d'analyse avec ma sobriété, et si d'ordinaire j'aurai pu saisir qu'il me cherchait, là, je suis pleine de suppositions loufoques. En tout cas, il refuse de partir. Je soupire. Mes yeux passent du plafond au sol. « Je voudrai pas t'attirer d'ennuis. » C'est vrai qu'on avait une sacrée pression, ces derniers temps, concernant notre relation. Je sais pas ce qu'ils y voyaient, nos deux concernés, mais ça commençait un peu à prendre la tête des gens. Dire que quand on était ensemble, justement, c'était souvent pour échapper aux prises de tête... Quelle ironie. Mes pupilles vrillent à nouveau vers celles du trentenaire. Le voile d'indifférence qui couvrait mes yeux depuis que j'avais entendu la porte se pousser se leva enfin pour faire apparaître le cocktail Molotov menaçant de me faire imploser : la peur, les incertitudes, et le soulagement. Tout ça en même temps. C'était sympa, d'être moi.

J'sais même pas pourquoi j'ai dit ça, qu'elle était mal en point, parce que j'savais bien qu'elle me répondrait que tout va bien. Logique, puisque j'aurais dit la même chose c'est con. Enfin ce n'est pas comme si c'était une question de toute façon alors bon. C'est marrant en plus parce que lorsqu'elle me dit qu'elle n'est pas mal en point, elle boit encore plus. Totalement illogique, je ne manque pas de lever les yeux vers le plafond. Mais bien sûr. « Vraiment ? T'es oenologue ou t'es devenue alcoolique ? » Je me renseigne on ne sait jamais, j'imagine que c'est devenu son endroit préféré lorsqu'elle a décidé d'y mettre les pieds tout à l'heure. Enfin j'présume j'en sais rien du tout, ça me semble étrange c'est tout. Tout comme la question qu'elle me pose. Ca me parait tellement évident que j'arque un sourcil, mais en même temps, je regarde l'état de sa bouteille. Finalement ça me semble plus logique d'un coup. « Je te cherchais. » Par contre sa réplique suivante m'agace particulièrement, pas à cause d'elle non, mais à cause de ce que nos rencontres provoquent, j'sais qu'elle est saoulé autant que moi d'ailleurs. « Je m'en fous, ça ne justifie en rien que je te laisse ruminer dans ton coin. » Non mais n'importe quoi. Elle risquait de partir, alors les conséquences, je m'en fichais totalement pour le moment. Peut être que je ne dirais plus la même chose après coup, mais bon, ce n'est pas comme si on avait réellement des choses à se reprocher. Je n'ai pas lâché son visage, et elle vient accrocher mes pupilles, je peux y lire tout un tas d'émotions qu'elle avait tenté de cacher en venant ici. . « Si t'étais certaine que ce soir c'est ton dernier soir, c'est vraiment ça que tu voudrais faire ? Te saouler seule dans un endroit sombre ? » Bon là elle n'est plus seule, puisque j'suis là, mais quand même, c'est dommage, j'trouve ça tellement dommage. « Si c'est ce que tu veux faire, vas-y, je vais aller me mettre dans un coin là bas, et lorsque t'auras assez bu, je ferais en sorte que tu rejoignes ton lit en toute sécurité. » Je lui souris.

Il a l'air un peu sceptique face à ma remarque. Bah tiens, c'est lui qui me parle d'alcoolisme ? On va en cure ensemble, alors ? Je tente donc de rectifier le tir, il prend ça pour une plaisanterie, ou encore une fantaisie. « Non, tu comprends pas, je suis sérieuse, j'adore vraiment cet endroit. » Il était arrivé en tête de liste depuis que j'y avais mis les pieds dès le tout début, des étoiles plein les yeux, et seule Valentina venant couvrir de son ombre ce fantastique tableau. Ma main glisse sur l'un des accoudoirs. « Le cuir, le bois, la lumière tamisée, les centaines de bouteilles, du vin à volonté... Et rarement quelqu'un qui vient te déranger. » Je n'entendais pas par là qu'il me dérangerait, mais par exemple, maintenant qu'il était là, nous pouvions aspirer à un peu de tranquillité. Il m'avoue ensuite avoir été en train de me chercher. « Oh, c'est mignon... » Puis, je reste silencieuse quelques secondes le temps d'intégrer l'information. Je suis pas très douée avec ça. Bien sûr, je suis touchée, mais comme de coutume, ma carapace est épaisse. Je lui adresse pourtant un sourire franc, bien que loin d'être large. « Merci. » Puis, le sujet qui dérange vient sur le tapis : la manière dont notre relation est perçue, chose que je ne comprends pas plus que lui, mais soit. Je hausse les épaules, mais je culpabilise tout de même. Tout est tellement compliqué par ici... J'écoute ensuite ses questions et propositions, jusqu'au bout. Bien sûr que non, je ne vais pas le laisser me regarder dans un coin. Mais... « Qu'est-ce que tu voudrais que je fasse d'autre, Slavin ? » C'est vrai. Je n'avais pas le cœur à la la fête, mon partenaire avait l'air plus impatient qu'autre chose que je dégage... Je ne voyais pas à quoi je pouvais aspirer. J'avais beau réfléchir, je ne parvenais pas à me projeter dans le futur et à savoir ce que j'aurai souhaité faire de ma soirée, à ce moment-là. Et ce n'était sûrement pas qu'à cause du vin.

Bon visiblement elle ne plaisantais pas et j'ai l'air d'un abruti, tant pis, j'ai cru qu'elle avait simplement dit ça pour justifier sa présence ici. Et par le même coup sa consommation excessive d'alcool. Sauf que non, elle se justifia même en énonçant ce qu'elle aimait ici. C'est vrai que l'ambiance lounge était plutôt agréable si nous n'étions pas dans une cave assez froide uniquement rempli de vin, j'aime pas trop de le vin moi alors forcément. « Autant pour moi. » J'hausse les épaules, c'est vrai que c'est comme si elle avait l'habitude de se foutre de ma tronche de toute façon, enfin pas de cette façon là en tout cas. D'ailleurs, je ne prends pas pour moi sa remarque quant à la tranquillité, parce que même si elle avait sans doute souhaité être seule de prime abord, j'ai pas la sensation de devoir être concerné. Elle me fait sourire face à sa remarque, je commence à la connaitre et j'sais bien qu'elle n'est pas du genre à sauter dans les bras des autres et à s'extasier pour un rien. J'sais qu'elle est touchée et c'est bien suffisant. Ensuite, je lui pose une question quant à sa présence ici. Je ne juge pas, je demande parce que j'trouve ça triste, c'est tout, et je ne me gêne pas pour le lui dire lorsqu'elle me pose la question. « J'en sais rien Sive, c'est pas à moi de répondre à la question. Je trouve ça triste c'est tout. Mais bon, j'pense que tu vas rester donc finalement t'as pas besoin d'y réfléchir. » Je souris plus franchement. Je la voyais mal partir, parce que j'pense que les gens sont assez intelligent, c'est une enquêtrice hors pair, une amie fidèle, une bonne candidates qui ne fait pas de vagues, y'a pas de raisons de la laisser partir.