AJ


« AJ-BOUUUUUUU ? » ça c’est ma voix, et ça c’est le même cri qui retentit dans toute la baraque depuis plus d’une demie-heure maintenant. J’crois que j’en ai soulé plus d’un d’ailleurs, mais ils ont rien osé dire. Je sais pas pourquoi, parce que moi-même, face à moi, je me collerais des tartes la plus part du temps. Mais pas eux... Ils sont plutôt cool en fait, ou complètement indifférent, au choix. J’penche pour la deuxième solution. Mais ce cri-là, il est différent, parce qu’il résonne et me répond. Il me répond avec ma propre voix, écho déformé entre la pierre et l’eau. Puisque oui, après avoir arpenté le château dans son intégralité, j’ai fini par m’attaquer au parc, et par acquis de conscience, j’ai même attrapé une barque pour aller vérifier sous le pont. Mais non, y avait que moi. Je rentre la barque, je sors de la flotte, et je remonte. Dans le doute, je lâche quelques appels en chemin, mais je crois que finalement j’ai perdu tout espoir de la retrouver dans la vaste propriété. C’est marrant, quand tu cherches à être seul, tu tombes toujours sur quelqu’un, et quand tu cherches quelqu’un, tu tombes toujours sur personne. Là, derrière la fontaine, un reflet roux !! Haha ! Discrètement, sur la pointe des pieds, je m’avance en mode furtif, comme on m’a appris. J’avance, encore, contourne légèrement le décor nautile, et saute devant AJ-Bou bras écartés, en lâchant un cri de guerre. Sauf que ce n’est pas les traits de la rousse qui se déforment sous la surprise et la peur, c’est ceux de Marcus et de la blonde planquée entre ses cuisses... Oups ? J’accuse un mouvement de recul. « Ca c’est pour mes 1000€... Ma...chin ! » Non, j’me souviens plus de son prénom. Je pointe un index accusateur sur lui, et pas vraiment crédible tant le malaise doit se lire sur mon visage, puis ramène la main propriétaire de l’index jusqu’à l’arrière de mon crâne que je frotte nerveusement, en tournant la tête pour voir par où je peux partir avec dignité... Bon, allez à gauche... Non, à droite. Mon hésitation n’aide pas ma crédibilité, mais je fini par m’éloigner rapidement, en donnant des grands coups de lattes dans la pelouse pour évacuer ma connerie. Et au moment où je me décide à rentrer au nid pour m’enrouler dans mes couvertures en position foetale, qui c’est-y que je vois sur le pont-levis occupée à nourrir la poiscaille avec des bouts de baguette de pain rance ? « AJ-BOU !!!! » Même cri, mais ton plus accusateur cette fois, oui limite je lui fais la gueule pour ce cache-cache involontaire et inconscient. « Tu bouges pas, tu restes là, je reviens, tu bouges pas, tu restes là, je... » Je suis plus là... À reculons, pour ne pas la quitter des yeux, j’ai regagné la porte, et me suis enfoncé dans l’intérieur sombre du castel. J’y erre un moment, puis je ressors en trainant une chaise derrière moi, un torchon dans l’autre main. J’installe la chaise dos à la rouquine, j’accroche le torchon à la nuque, et sors une paire de ciseaux et un peigne de ma poche arrière. Je m’installe en lui tendant le tout, avant de remettre le tourchon bien en place -oui, faudrait pas abimer mon super tee-shirt 20 ans d’âge, grand millésime- . « Si tu me fais une coupe militaire, je t’arrache la tête. » je la menace en me tournant vers elle, avant de lui offrir un grand sourire s’apparentant plus à une grimace, toutes dents dehors, et je me retourne. « Tu savais que les loutres, quand elles dorment dans l’eau, elles se tiennent par la main pour ne jamais s’éloigner l’une de l’autre ? J’trouve ça trop mignon... » Ouai, ou sinon, tu peux simplement fermer ta gueule, Loxias, non ?

Je viens juste de manger, je suis un peu décalée par rapport à tout le monde, je pose mes couverts dans l’évier avant de faire la vaisselle. On me charge de débarrasser la table, comme je suis la dernière à avoir mangé, je ronchonne avant de finalement m’exécuter. J’ai sauvé les bouts de pain durs qu’on voulait jeter, non mais on ne jette pas la nourriture, bordel, je pourrai même leur sortir le fameux ‘et les petits africains ...’ que sortent tous les parents pour faire culpabiliser leurs gosses, mais je ne dis rien. Bon je vais nourrir les pauvres poissons, j’attrape mes deux bouts de pain, et j’y vais. Je me rends sur le pont levis, et je fais des petites miettes que je jette aux poissons. Je n’ai pas l’air conne comme ça, en plus, c’est bien. J’étais tranquillement en pleine rencard avec les poissons qui s’agglutinaient à la surface de l’eau quand j’entends un cri. Je sursaute et ça fait tomber mes deux gros bouts de pain à l’eau. C’est Loxias qui gueule encore, je me retourne, et je lui lance un regard assassin, qu’ai-je encore fais ? Je n’aime pas quand il m’appelle ainsi, je sais qu’il le fait exprès, il est incorrigible. « Je bouge pas, c’est bon. » Je le rassure en soupirant alors que je remarque qu’il marche à reculons pour ne pas me perdre des yeux. J’envisage de me taper un sprint juste pour l’énerver, mais j’ai l’impression qu’il m’a cherché pendant un long moment, je ne peux pas lui faire ça. Je l’attends donc, et je le vois revenir, quelques minutes plus tard, avec une chaise et un chiffon, je comprends rapidement. « On aurait pu faire ça tranquillement dans la salle de bain tu sais. » Je commente en le regardant s’installer. Il me tend les ciseaux et le peigne que j’attrape, pas de coupe militaire, je lève les yeux au ciel. « Merci de ta confiance. » Je relève ironiquement. « Et la violence ne résout rien tu sais. » J’ajoute avec l’air d’une sainte. Bien sûr, c’est l’hôpital qui se fout de la charité là, parce que je suis assez violente comme fille, mais ça, il ne le fait pas. Puis il me parle de loutres, je ne vois pas tellement le rapport. « C’est vrai ? » Je lui demande, presque attendrie, c’est trop mignon comme il dit. Bon, je me reconcentre sur sa masse capillaire, je range le ciseau dans ma poche arrière, et je m’occupe de bien peigner sa chevelure, je fais une raie, bien au milieu. C’est moche, mais c’est pratique. « On garde ta non-coupe et on enlève de la longueur seulement ? » Je lui demande pour savoir ce qu’il veut.

Le cul planté sur ma chaise, les mains entre les cuisses, le soleil dans l’oeil, et mon torchon répandu sur mes épaules, je n’en mène pas large. Faut dire que mes cheveux... Oui, bon, je vais pas dire que c’est ‘sacré’ vu le peu de soin que j’en prends, mais disons que, d’expérience, j’peux vite me retrouver avec une face de pet si la coupe s’avère trop... hum... dégagée ? Et puis, c’est essentiellement ma marque de fabrique, la signature de mon rejet de certaine chose. Donc dès qu’une main s’avance de ma toison magnifique avec une paire de ciseaux, j’ai tendance à serrer les fesses. Bah si, un peu quand même. J’vais même jusqu’à menacer AJ. D’une manière peu crédible, certes, mais suffisamment pour qu’elle ressente mon angoisse, pas vrai ? D’ailleurs elle me ressort une phrase du prime, et ça me fait sourire légèrement. La violence ne résout rien. Je ne suis on ne peut plus d’accord avec elle. Et mon sourire s’efface. Du coup, pour m’occuper l’esprit, je lui parle de loutre. Vous savez, les trucs qui ressemblent à des marmottes mais sans la queue. Et bien j’ai appris qu’elles dormaient dans l’eau et sur le dos, et que pour pas dériver loin de l’autre pendant leur sommeil, elles se tenaient pas la main. Information inutile, j’en conçois, mais quand je suis nerveux, il faut que je meuble l’espace sonore, c’est comme ça. Je ne sais pas si AJ est attendrie ou juste trop polie pour m’envoyer chier, mais elle me demande avec une voix enchantée, si c’est vrai. J’hoche la tête vigoureusement, avant de me rappeler qu’elle a des ciseaux à la main, et que mon mouvement de tête l’a peut être fait déraper. Un peu paniqué je tourne la tête vers elle, en passant une main sur l’arrière de mon crâne pour vérifier que tout est là. Sauf qu’elle n’a pas les ciseaux en main, juste le peigne, donc j’imagine que tout va bien ? Oui. Je respire à nouveau, et me remet bien droit. Maintenant, promis, je ne bougerais plus d’un pouce. Elle entreprend de me peigner. Je ne bouge toujours pas. Puis me demande si on garde l’absence de coupe en se contentant de raccourcir. Oooh l’insolente. « J’ai une coupe, je te signale... Mais elle s’est un peu perdue dans la masse, j’avoue. » D’une main hésitante, je soulève les mèches les plus longues, pour lui montrer le dessous, ce qui s’y cache. « A la base c’est juste long sur le dessus. En dessous, c’est censé être plus court, oreilles et nuque... Enfin, pas rasé non plus, hein ? » C’est pas que je ne lui fais pas confiance, c’est que mes cheveux sont fourbes, ils peuvent décider de se suicider d’eux-même en se jetant entre les lames. Je sais que ça repousse, mais me payer une gueule de coton-tiges pendant un mois, j’vous le dis comme je le pense, ça va pas le faire.

C’est vrai, cette histoire de loutres, c’est mignon. Il se retourne vivement, et se rassure en touchant sa chevelure, je lève les yeux au ciel, en soupirant, amusée. Respire mon ami, respire. Je critique à peine ses cheveux, il rouspète, ça me fait doucement sourire, il s’empresse de me rectifier, en me détaillant sa coupe. « A la base c’est juste long sur le dessus. En dessous, c’est censé être plus court, oreilles et nuque... Enfin, pas rasé non plus, hein ? » Merci, j’ai compris. Bon je crois qu’il ne me fait pas tellement confiance. « Loxias, tu ne pourrais pas te détendre un peu. » Je lui demande alors, en soupirant, j’appuie sur ses deux épaules avec mes mains, pour qu’il se décontracte, le peigne coincé entre deux de mes doigts. Bientôt il va arrêter de respirer pour être sûr que mon ciseau ne dérape pas lorsque ses épaules se soulèvent à peine. Je vous jure. C’est bon, je ne vais pas le rater, j’ai fais cela des tonnes de fois avec mes potes, j’ai de l’expérience si l’on peut dire. Bien que la moitié de mes potes préfèrent tout simplement que je leur rase la tête, mais vu ce que vient de me dire le brunet, je ne préfère même pas lui proposer cette solution, il allait peter un câble je pense. J’imagine que c’est lui le client, donc, on fait selon ces souhaits. En tout cas, je sais que si jamais, enseigner les sports de combats me fatigue, je pourrai toujours me renconvertir en coiffeuse à domicile, même si j’ai carrément peur de m’ennuyer en faisait cela. Je peigne à nouveau ses cheveux, même s’il n’a pas de noeuds, vaut mieux deux fois qu’une. « Tu te rends compte le pouvoir que j’ai sur toi là ... » J’annonce moqueuse, un brin sadique même, je crois qu’il flippe pour ses cheveux quand même. « C'est fou. » J'ajoute alors en tapotant sa petite tête. « Attention, je sors les ciseaux là, pas de mouvements brusques cette fois, s’il te plait. » Je le préviens alors, car on se sait jamais, il pourrait tourner une nouvelle fois brutalement la tête, je ne veux pas qu’il bouge. Je pose mes mains sur sa tête, et je la mets bien droite, je suis satisfaite, c’est bon je peux commencer. Armée de mes ciseaux et de mon peigne, je commence à légèrement raccourcir le dessus, mes gestes sont vifs et précis. Je ne parle plus trop, je me concentre, il m’en voudrait à mort si je coupe trop ces petites mèches adorées.

« Loxias, tu ne pourrais pas te détendre un peu. » Là, tout de suite ? Non, j’ai du mal. Je me sens comme Samson à qui on s’apprêterait à ôter toute force. Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en elle, c’est que je n’aurais pas confiance en la championne du monde de coiffure si elle se trouvait derrière moi avec une paire de ciseaux. C’est bien simple, je ne respire plus. Et peut être que je reprendrais mon souffle quand tout ceci sera terminé, et que j’aurais perçu mon reflet dans un miroir. Reflet satisfaisant, ça va sans dire. Ceci étant, elle semble savoir ce qu’elle fait, et s’avère être d’une douceur exquise dans chacun de ses gestes. Elle se moque, j’ai bien conscience de ça, mais entre ses mots et ses gestes, il y a tout un monde allant des Monty Python jusqu’aux Bisounours. « Tu te rends compte le pouvoir que j’ai sur toi là ... » Et voilà, le Flying Circus est de retour. J’angoisse, mais je tente de ne pas trop le montrer, me contentant de martyriser ma lèvre inférieure en silence. « C'est fou. » Elle insiste, en plus. Oui, je sais qu’elle a le pouvoir de faire de moi le prochain éliminé, rien qu’en me rasant un côté du crâne ou même en me faisant une crête. Le ridicule mène toujours à la sortie. Quand je vous dis que je me sens comme Samson, ce n’est pas une blague. « Attention, je sors les ciseaux là, pas de mouvements brusques cette fois, s’il te plait. » Pourquoi mon coeur s’accélère soudain, battant des records de vitesse en sprintant sur 500 mètres ? Elle attrape ma tête pour la mettre bien droite, et je me demande si, finalement, ils sont pas mieux ainsi, mes cheveux ? Peut être même que j’ai envie de les laisser pousser jusqu’aux fesses, non ? Tiens, si, c’est une bonne idée, ça. Est-ce qu’on peut arrê... Trop tard. La première mèche virevolte dans les airs pour s’écraser sur mon épaule, puis glisser jusqu’à ma cuisse. Je la ramasse, en prenant soin de ne pas bouger la tête, et porte la porte à mon regard. Mes doigts la font tournoyer dans les rayons du soleil, tandis que mon esprit s’étonne et s’émerveille d’éclats dorés jadis inexistant. Elle va me manquer, cette mèche, et en son honneur, j’entonne un célèbre sonnet. « O toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure. Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! » Je la porte à mes narines, l’hume un instant, puis la lance pour l’observer voler. Sauf qu’en lieu et place, elle s’écrase comme une merde à mes pieds. « Raté. » j’annonce alors, piteux et triste. Même mes envolées lyriques finissent en fiasco pathétique.

Je le sens tendu, je vois ses épaules toutes contractées. Je dois dire que cela me stresse, mais je ne dis rien, du tout, j'ai un peu la pression maintenant, j'ai peur de le rater. Non mais il faudrait que je rate complétement sa coupe, genre je le rase de trop près, et pouf, il perd son soutien, les minettes ne voudront plus voter pour lui, et là, je me sentirai un peu coupable de sa nomination. Vous comprendrez, la téléréalité n'aime pas les moches, il n'y a qu'à regarder le casting de cette saison. Trouver-moi une personne laide ... c'est impossible, tout le monde a un certain charme. Plus ou moins. Enfin, je me comprends. C'est avec une certaine appréhension que je sors les ciseaux du coup, j'hésite genre une petite seconde. C'est ridicule, je fais cela tout le temps, je me coupe moi-même les cheveux, voyez comme ma frange est bien droite et régulière, je suis une pro, alors, je vais pas commencer à douter de mes talents de coiffure -j'en reviens pas de penser cela, mes chevilles sont entrain de gonfées- juste parce que Loxias a peur pour sa coupe. Non, je refuse. Premier coup de ciseau, première mèche de cheveux, je recommence. « Tu as de la masse quand même. » Je commente alors, il a vachement de cheveux, ça lui servira à lutter contre les calvities quand il vieillera, c'est sûr. Il a de la chance, lui, ses cheveux poussent vite, moi ils mettent trois ans, j'ai un mauvais karma, c'est sûr. Puis Monsieur se lance dans la récitation de quelques vers. « O toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure. Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! » Et hop, je continue à lui enlever ses cheveux. « Oh mon Baudelaire. » Je lance avec un soupir de pseudo conquise, complétement retournée par ces paroles. Tu parles. Puis la mèche retombe sur lui. « Ca gâche tout le charme-là. » Je commente, railleuse. J'ai finis le haut de sa tête, il faut que je passe à sa partie plus courte soi-disant. Je m'y attaque.

« Oh mon Baudelaire. » Je retiens de justesse le brusque mouvement de surprise. Elle a reconnu Baudelaire ? Pourtant ce n’est pas sa création principale... Je suis si surpris que j’aimerais me retourner pour la contempler, sauf que... Bah non. Si je fais ça, je vais me retrouver avec une tonsure façon moine cistercien qui ne m’ira ni au teint, ni au karma. En lieu et place je me contente d’essayer de reprendre mes vers, afin d’accompagner, feu ma mèche de cheveux dans sa quête de liberté. Sauf que sa liberté se meurt à mes pieds. Ironique, non ? « Ca gâche tout le charme-là. » scande-t-elle pas du tout compatissante, alors que je m’efforce de ne pas pleurer sur les dépouilles qui rejoignent, toujours plus nombreuses, le sol pavé du pont levis. Elle m’oblige à incliner la tête en avant, et je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou non. Est-ce à dire qu’elle en a terminé avec les mèches du dessus, et que je peux espérer conserver cette longueur ? Elles quittent mon front pour s’abattre devant mes yeux, et je dois dire que c’est bien assez court comme ça. D’aucun dirait que c’est définitivement trop long, mais d’aucun n’a certainement pas un faux air de zob dès que ses cheveux sont trop courts, hein. Je décide de ne plus me poser de question, de laisser ma confiance en elle supplanter le reste, et me changer les idées en détournant mon attention de ces mèches chutant dans le vide. Et quel meilleur moment pour aborder ma culpabilité, celle qui me vrille les tripes, rollercoaster dans mon estomac, depuis le prime de dimanche dernier ? « Dis, AJ... » j’utilise son prénom sans ornement ostentatoire, l’heure est grave. « Je suis désolé pour le prime, pour... bah... tu sais, quoi. » évidemment qu’elle sait de quoi je parle. « C’était pas destiné a être diffusé, et... quand bien même, c’était pas mes affaires, j’aurais pas du m’en mêler. En voulant bien faire, j’ai tout fait foirer, pas vrai ? » Je parle, bien évidemment, de Malo et elle, que je n’ai plus recroisé ensemble depuis ce fameux dimanche. Suis-je responsable d’un fiasco sentimental ? Ça m’en a tout l’air.

J’ai tout de suite reconnu ce cher Baudelaire. Je continue sa coupe, ses mèches de cheveux tombaient une par une, et s’étalaient tout autour de Loxias. J’imagine qu’il a l’impression que je lui coupe dix centimètres vu la masse de cheveux qui tombe, mais pas du tout, c’est ... qu’il a vraiment beaucoup de cheveux, je vous jure. On continue dans le silence le plus complet, j’avais encore les vers de Baudelaire dans la tête, et un sourire amusé collé sur le visage. « Dis, AJ... » me dit -il. Je tique, je m’arrête en plein mouvement, les ciseaux suspendus en l’air, tout comme mon bras. Il m’appelle par mon prénom tout court, ce n’est pas normal. C’est comme lorsque que mes parents m’appelaient Anna-Jayne en criant –je m’étais renommée toute seule en fait- au lieu d’AJ –qui est mon vrai prénom hein- ça ne présage rien de bon pour moi. Bref, je ne le sentais pas, c’est pour cela que je range les ciseaux dans ma poche de jean, j’ai peur de déraper. Mais en attendant, pour ne pas perdre de temps, avec mon peigne, j’enlève les restes de cheveux qui sont retombés sur sa tête, puis j’époussète un peu le torchon, pour qu’il reste un minimum propre. J’aime travailler dans de bonnes conditions, faut pas croire. « Dis-moi ... » Je lui demande alors en espérant qu’il parle. « Je suis désolé pour le prime, pour... bah... tu sais, quoi. ». Il se lance, autant vous dire que j’en perds mon sourire, je n’ai pas tellement envie d’en parler, et puis Loxias avait déjà parlé à Malo. « C’est pas de ta faute. » Je lui réponds alors en soupirant, j’appuie légèrement mon menton sur sa petite tête et mes coudes sur ses épaules, avant de finalement me redresser une dizaine de secondes plus tard. Il continue. « C’était pas destiné a être diffusé, et... quand bien même, c’était pas mes affaires, j’aurais pas dû m’en mêler. En voulant bien faire, j’ai tout fait foirer, pas vrai ? » me demande-t-il, j’aurai aimé nier, en lui disant qu’il n’était pas responsable, mais en partie oui, il l’était, en tout cas, c’était suite à ses propos avec Malo que j’avais décidé de couper toute communication avec le blond pour le moment. « Il t’a demandé ton avis, tu n’as fait que répondre. C’est pas à cause de toi que je lui parle plus, c’est juste à cause du fait qu’il ne soit pas sûr et demande l’avis d’une tierce personne alors qu’il m’a dit qu’il était sûr. » Je lui lâche rapidement, ça fait du bien, parce que je l’avais dit à personne jusque-là. Il fallait que cela sorte. « Tu comprends ? » Je l’interroge. « Et puis t’inquiète, je n’ai pas eu besoin de ton aide pour tout faire foirer. » Je lui réponds en faisant la moue. Je pousse un énième soupir.

Elle insiste pour que je lui parle, mais j’hésite encore, ayant peur de faire plus de mal encore, que de bien. Pourtant, lorsque je me lance, c’est un flot d’excuses sans fin qui s’échappe d’entre mes lèvres. Je me sens tellement coupable de cette situation à la con. Malo s’en est ouvert à moi, en toute discrétion, et voilà que brusquement tout ça se retrouve projeté sur grand écran, à la vue de tous, et surtout d’AJ... Finalement, le créateur n’a rien dit de mal, il n’a fait que réfléchir à ce que moi j’avançais, des théories supputées, rien de plus. « C’est pas de ta faute. » lance-t-elle en appuyant son menton au sommet de mon crâne. Bien sûr que si. C’est plus la mienne que celle de n’importe qui. J’aurais mieux fait de me la fermer, de ne jamais lancer cette sentence comparant la jeune femme de la photo avec celle qui se tient derrière moi. C’est ma faute. « Il t’a demandé ton avis, tu n’as fait que répondre. C’est pas à cause de toi que je lui parle plus, c’est juste à cause du fait qu’il ne soit pas sûr et demande l’avis d’une tierce personne alors qu’il m’a dit qu’il était sûr. » Ils en sont donc là, à carrément plus se parler du tout ? Moi qui imaginait un simple refroidissement dans leur relation, je me tasse un peu plus sur ma chaise, comme si je cherchais à disparaitre dans le sol. Qu’il s’ouvre et m’engloutisse, par pitié ! « Tu comprends ? » Non, je ne comprends pas. Ou plutôt c’est elle qui ne me comprend pas. « Et puis t’inquiète, je n’ai pas eu besoin de ton aide pour tout faire foirer. » Et là, je comprends encore moins... Elle s’estime responsable de quelque chose ? De quoi ? « Tu sais... Peut-être qu’il était sûr au moment où il en a parlé avec toi, ou du moins qu’il en avait le sentiment... Les certitudes ne sont jamais un acquis... Regarde le taux de divorce. Pourtant, je pense qu’au moment de passer à la mairie, les gens sont sûrs. » je me lance, après un instant de réflexion. « L’important, pour l’instant, ce n’est pas ce que lui ressent, puisqu’il est indéniable qu’il ressent quelque chose et que sa seule faute est de ne pas vouloir te faire du mal... L’important, c’est ce que toi tu ressens vis-à-vis de lui ? » Loxias, conseiller conjugal... Mes honoraires sont encore à déterminer, mais putain, ça va faire cher ! « T’es en colère contre lui, AJ ? Ou bien contre toi ? »

Je vois bien qu'il hésite à se confier, je ne vois pas pourquoi, au point où l'on en est. Il peut tout me dire je crois, peu importe, je suis prête à tout entendre de sa part. On reparle de leur conversation, j'aurai préférer que les deux mecs m'épargnent cela quand même, mais apparemment c'est bien trop leur demander. Loxias affirme qu'il est responsable, bien sûr que non, ce n'est pas lui le problème. Il me fait une comparaison avec les divorces, et je grimace malgré moi. « L’important, pour l’instant, ce n’est pas ce que lui ressent, puisqu’il est indéniable qu’il ressent quelque chose et que sa seule faute est de ne pas vouloir te faire du mal... L’important, c’est ce que toi tu ressens vis-à-vis de lui ? » . Ce que je ressens pour lui ? « C'est compliqué. » Je lui réponds. « Je tiens à lui. Vraiment. » Je lui annonce alors, chose que je n'ai même pas eu le courage d'avouer au concerné, je crains, c'est sûr. Le problème, c'est que je sais que je vais le decevoir un jour où l'autre, que je vais le pousser à bout, et qu'il s'en ira, alors, j'ai préféré essayer de faire comme si c'est lui qui foirait en premier. Je me trouve toujours des excuses. Je préfère me dire que c'est à cause de lui que notre relation ne pourra pas marcher, mais ce n'est pas ça.
« T’es en colère contre lui, AJ ? Ou bien contre toi ? » Bonne question. Je suis entrain de parler de ma relation avec quelqu'un, chose que je m'étais promis d'éviter. « J'en sais rien. Ma première réaction à la fin du prime, c'était de lui en vouloir. Mais plus le temps passe, et je me rends compte qu'en fait, c'est contre moi que je suis en colère. » Je finis par lui répondre en soupirant. Je ne sais pas s'il saisit la chose, mais moi, je me comprends, c'est ça le principal. Je lui incline en peu plus la tête en avance et je ressors mes ciseaux, il ferait mieux de ne pas bouger, j'ai presque fini, cela serait dommage de tout gâcher. « Et au fait, où t'as vu que j'étais une fille très bien, généreuse et altruiste toi ? » Je lui demande, moqueuse, en souriant. Je fais référence à ce que j'avais entendu sur moi, venant de sa part. Un bon moment de changer de conversation pour moi, de dévier du sujet légèrement sensible qu'est ma relation avec Malo.