Y avait-il déjà eu un prime auparavant qui avait tant soulevé une vague totalement incontrôlable de tristesse ? Que ça soit Ennio, Evadne ou même AJ, chacun trouvait en ces départs une source de peine. Savoir que les départs ne se feraient pas plus simples n'arrangeant en rien cette sensation qui s'était immiscée en chacun, durant la soirée. Les fins de primes à venir seraient d'autant plus dures à vivre et c'était suffisant pour avoir envie d'être soudainement insensible, d'effacer les liens d'amitié qui s'étaient créés avec le temps. Au fond, toute cette situation était barbare. Ils étaient jetés dans ce jeu, dans un château rempli d'inconnus dont la seule occupation était l'interaction avec les autres, et faire leur connaissance menait obligatoirement à développer de l'affection, avant qu'ils ne soient, de façon presque brutale et bien trop ferme, séparés. Comme ça. En un claquement de doigts. À croire qu'il fallait vraiment être timbré pour participer à un tel jeu. Quoi qu'il en soit, Laoise n'était pas la plus à plaindre, loin de là. Après avoir quitté le prime et une fois qu'elle fut certaine qu'Anabel était en bonne compagnie, l'irlandaise se mit à la recherche de Malo. Sa réaction lors de l'élimination plus que soudaine d'AJ ne lui avait pas échappé. Elle savait qu'il n'avait pas besoin de ça, avec tout ce qui se passait ces temps-ci. Déjà que leur relation s'était arrêtée, il fallait à présent qu'elle quitte le jeu. Un coup dur pour lui, à ne pas en douter. Elle parcourut le château avec une certaine nervosité, n'appréciant guère l'idée qu'il pouvait être dans un coin, seul avec ses pensées. Ce n'est qu'une fois à l'extérieur et alors qu'elle craignait l'avoir loupé en chemin qu'elle le trouva finalement. Peut-être bien qu'il avait eu besoin d'air, peut-être bien que ses jambes l'avaient simplement mené ici, elle ne savait pas. Toutefois, cela ne l'empêcha pas d'aller jusqu'à lui et de le serrer dans ses bras, en guise de soutien, de réconfort. Il était son ami, mieux encore, la personne qui l'avait tant soutenue depuis deux mois alors vous pensez bien qu'elle n'allait pas le laisser tomber, oh que non. « Je suis là pour toi, tu le sais. » Même si c'était pour servir de punching ball afin qu'il se défasse de quelques mauvaises émotions, elle était là.

Ce dernier prime s'était achevé sur des larmes. Des larmes de colère et de tristesse qui lui laissaient un goût amer dans la bouche. Un goût fade, un goût acre. La cigarette se laissant consumer entre ses doigts, le bruissement des arbres et le crépuscule environnant. Les volutes de fumées flottaient au-dessus de sa tête. Son regard bleuté se voila quand il vit apparaître sous ses yeux le visage de la rousse. Son visage se ferma davantage. Sa mâchoire se durcit. Il encaissait du mieux qu'il pouvait. Ce soir, il avait vécu l'une des plus grandes déceptions de sa vie. Cela faisait deux semaines qu'ils s'étaient plus adressés la parole. Il n'avait pas pu lui dire au revoir et lui avouer tout de qu'il avait sur le cœur. Il ressentait de la frustration et non de la colère. Il n'en voulait à personne. Ainsi va la vie. Il devait l'accepter et avancer comme il avait toujours fait jusqu'ici. Aucun candidat n'était à l'abri d'une déception. Évidemment qu'il en souffrait. Perdu dans ses pensées, il tira une bouffée et laissa se diffuser la nicotine dans tout son organisme. Même la cigarette, ce poison, n'arrivait pas atténuer sa peine. Agacé, il jeta le mégot sur l'herbe tendre. Il se balada à l'orée des arbres pour se vider l'esprit. Sa canne le soutenant, il avançait en se perdant dans la contemplation de l'étendue verdoyante. Il ne savait pas où ses pas le menaient. Il ne ressentait que du vide. Il ne vit pas Laoise arriver vers lui. Des bras frêles l'enveloppèrent délicatement. Elle se lova contre lui. Il s'abandonna à cette douce étreinte. Il la blottit contre lui, resserrant leur étreinte. - Je suis là pour toi, tu le sais. Il acquiesça et enfouit sa tête dans ses cheveux. Il en huma le parfum. Un parfum qui le consolait. Ses traits se détendirent. - Ne t'inquiète pas. Il me faut du temps pour digérer tout ça., souffla-t-il d'un ton sincère. Il encadra le visage de la jeune femme de ses mains et caressa une des joues avec son pouce pour la rassurer. Elle était une des personnes qui le connaissait le plus. Elle savait exactement ce qu'il ressentait à ce moment précis. Elle se faisait du mouron pour lui. Demain était un autre jour. Il avait vraiment besoin de sa partenaire pour tenir le coup.

Allait-il bien ? C'était la question qui lui tourmentait l'esprit. Depuis le tout début de cette aventure, depuis ce premier soir où elle lui avait posé tout un tas de questions, elle avait apprécié Malo et avec le temps, leur lien ne s'était que resserré un peu plus encore. Il avait prouvé, à maintes reprises, qu'il était apte à l'aider et à la soutenir si le besoin était. Et bien qu'elle-même avait souvent déclaré que cela marchait dans les deux sens et qu'elle serait là pour lui, elle n'avait pas l'impression de l'avoir assez montré, prouvé, d'avoir été assez présente pour lui, elle avait l'impression de n'être qu'une égoïste qui faisait toujours passer ses besoins avant ceux des autres. Certes, c'était légèrement, voire même beaucoup, la personne qu'elle était mais avec Malo, elle n'avait pas le droit d'agir ainsi, pas alors qu'il avait été si gentil et si compréhensif depuis le début. Voilà pourquoi elle n'aurait jamais réussi à se regarder à nouveau dans le miroir si elle n'était pas partie à sa recherche, si elle ne lui avait pas répété qu'elle était disponible pour sa personne, selon ses besoins. Toutefois, il répondit calmement qu'il avait simplement besoin de temps pour accepter toute cette histoire, ce qui semblait on ne peut plus normal. Après tout, ça ne faisait quelques minutes, il avait bien le droit de souffler un peu. Mais justement, peut-être que sa présence l'embêtait plus qu'autre chose, hm ? Peut-être qu'il avait besoin de se retrouver seul. Peut-être qu'il n'avait pas envie d'avoir à gérer sa partenaire pour le moment. Elle fit, dans un premier temps, quelques pas en retrait, histoire de lui laisser son espace vital et suffisamment d'air pour respirer, avant de s'enquérir d'une question. « Tu veux rester seul ? » Qu'il n'hésite pas à lui dire que oui, elle comprendrait totalement. De toute façon, c'était le confort de Malo qui importait dans l'immédiat et non celui de Laoise donc il pouvait même l'envoyer balader s'il le souhaitait, elle ne lui en tiendrait absolument pas rigueur.

Tout ce qu'il ressentait, c’était le vide. Un puissant fond qui l'attirait vers un néant doux et éphémère, annihilant toutes sensations corporelles - tel que le froid qui mordait avec vigueur ma peau nue. Il était amorphe. Le vide obstruait ses perceptions, ses sens. Il ne ressentait plus rien. Il se confortais alors dans ce trou noir. Il ne ressentait que le vide, un vide chaotique brûlant son palpitant, une chaleur remontant dans ses poumons, sa gorge se serra. Le vent fouettait son visage opalin. Elle se détacha de lui quelques instants. Ils se dévisagèrent. Il prit sa main dans la sienne délicatement. Un petit sourire s'esquissa sur ses lèvres. Il voulait rassurer. Il irait mieux quand il se sera remis des derniers évènements. Pour l'instant, il voulait respirer. Il commençait à suffoquer sur le plateau. - Tu veux rester seul ?, s'empressa-t-elle de lui demander. D'habitude, il préférait s'isoler à l'abri des regards indiscrets. Ici il ne pouvait avoir l'intimité qu'il souhaitait. Solitaire de nature, il ne pensait pas s'ouvrir autant à une personne comme Laoise. Il s'ouvrait à très peu de gens. Seulement ses plus proches amis pouvaient le comprendre. Mais l'irlandaise lui apportait tellement qu'il lui était reconnaissant de le soutenir. Il pouvait tout partager avec sa partenaire. Cela faisait deux mois qu'ils se connaissaient. Il avait l'impression de l'avoir connue depuis toujours. Si elle venait à quitter le jeu, il ne saurait comment continuer sans elle. Elle était son repère dans ce nid. Il répondit d'une voix tremblotante : - Non, je ne veux pas. Reste, je t'en supplie ... Reste ... Il ne voulait pas qu'elle s'en aille, qu'il disparaisse de son champ de vision. Non, il n'aurait jamais pu le tolérer de la voir s'éloigner de lui. Sa gorge se noua. Ses yeux clairs étaient humides.

S'il voulait qu'elle parte, elle partirait. S'il voulait qu'elle reste, elle resterait. S'il voulait qu'elle se mette à danser stupidement pour le distraire, elle le ferait aussi. Peu importe tant que cela pouvait lui permettre de mieux se sentir. Si tant est que c'était possible dans l'immédiat. Elle n'osait imaginer ce qu'il ressentait à présent et la peine qui pouvait le tirailler d'avoir vu AJ, sans doute la personne à laquelle il tenait le plus ici, quitter l'aventure le soir même. Cela dit, une chose était certaine: Laoise risquait de le coller pour s'assurer qu'il allait bien. Pas non plus qu'elle allait lui poser la question toutes les deux minutes mais oui, elle allait veiller sur lui. C'était son truc, ça, après tout. S'occuper des autres, se préoccuper de leurs états d'âme. Oui, elle était ainsi, alors vous pensez bien que Malo n'allait pas y couper. Elle lui demanda s'il préférait être tranquille, il répondit que non, d'une telle façon qu'elle esquissa une moue triste. Sa main libre alla trouver le bras de son camarade qu'elle frictionna dans un geste qu'elle voulait réconfortant, en un mouvement de la tête qui consistait à lui faire comprendre qu'elle allait rester. « Tu la retrouveras à l'extérieur. » Elle n'avait pas quitté sa vie pour toujours, c'était une certitude. Ils pourraient se revoir après ce jeu, tout simplement. « Et ça sera plus simple pour vous deux une fois loin de ce château, je pense. » Ils pourraient apprendre à se connaître davantage et ils pourraient créer quelque chose ensemble, si telle était leur envie, plus facilement, sans avoir à subir les critiques ou les « elle ressemble à ta femme ». Ils seraient plus tranquilles et Laoise supposait qu'ils avaient, l'un comme l'autre, besoin de calme et de discrétion. « Je suis désolée qu'elle ait été éliminée si brusquement. » souffla-t-elle ensuite. Elle était presque sûre que rien que ça rendait les choses plus dures. Ils n'avaient pas eu le temps de se préparer à la situation, ils n'avaient pas pu se parler avant, ils avaient juste été séparés, comme ça.

Ce n'était que devant Laoise qu'il pouvait montrer son vrai visage, ses véritables émotions. Avec les autres, il restait constamment dans le contenu car ils ne le connaissaient pas autant qu'elle. Leurs secrets respectifs les liaient tous les deux. Elle seule savait d'où venait le mal être de Malone. Sa constante douleur à la jambe, ses chimères insidieuses. Il était terrifié à l'idée de la perdre. A cet instant, il était frappé par une sorte de crise de paranoïa. Il était perdu. Son regard était hagard, encore troublé par les départs de ce soir. Il sentait ses jambes de s'engourdir de seconde en seconde. Sa main gracile vint caresser délicatement son bras. Elle était encore là. Il sentait sa présence. Il souhaitait qu'elle ne le lâche plus d'une semelle. Son petit monde s'écroulait sous ses yeux azurés. Il ne pouvait rien altérer, ni changer le cours des choses. Les dés sont jetés. Impossibilité de retour en arrière. - Tu la retrouveras à l'extérieur. Il n'entendait qu'un écho sourd. Tout autour ... Ce n'était que du néant. Il la regardait sans la voir. Comme si elle était devenue tout d'un coup transparente. Ses mots ne lui parvenaient pas. Il n'entendait que les pulsations de son palpitant. Cognant fort contre la paroi de son poitrail. Le vent vint fouetter son visage meurtri. La fraîcheur le ramena à la réalité brutalement. - Et ça sera plus simple pour vous deux une fois loin de ce château, je pense. Elle parlait de AJ et de lui. Il ne savait plus si ce qu'il avait ressenti pour elle était réel ou encore un fait de son imagination. Toutes ces semaines en sa compagnie. Leurs souffles, leurs baisers, l'union de leurs corps ... Il ne savait plus. Il perdait pied. Ce soir, il avait perdu l'un de ses repères dans le château. Une rencontre qui le marquerait à jamais. - Je suis désolée qu'elle ait été éliminée si brusquement. Il avait du mal à y croire. - Elle est partie, Laoise ... Elle est partie ..., murmura-t-il tremblant. Son regard se troubla de nouveau. Il devait se l'entendre dire. Il devait le formuler pour que cela devienne concret dans son esprit torturé. A bout de souffle, il reprit Laoise dans ses bras, en enfouissant sa tête dans sa chevelure. - J'ai peur de te perdre, Laoise ... L'abandon, c'était sa hantise depuis l'enfance. Avec le temps, la perte devenait de plus en plus insoutenable. Il n'aurait jamais du s'attacher à tant de personnes, car cela était encore plus douloureux.

Que pourrait-elle bien faire pour apaiser sa peine ? Était-ce seulement possible ? Elle commençait sincèrement à en douter. Du temps, voilà ce qu'il lui fallait, voilà ce dont il avait besoin. Sa présence n'atténuerait pas sa peine, ses paroles ne se montreraient jamais assez réconfortantes, il avait juste besoin de temps. Elle était en mesure de lui en accorder, bien sûr et elle serait là dès qu'il ressentirait la nécessité d'une épaule sur laquelle s'appuyer. Comme à cet instant. Elle pouvait sentir qu'il perdait pied mais elle n'avait aucune idée de comment elle pouvait le retenir dans cette chute fulgurante. AJ était partie, oui. Sans doute avait-il besoin de le réaliser. Sans doute était-il en train de le réaliser. Finalement, il la serra à nouveau dans ses bras, déclarant être effrayé à l'idée de la perdre. « Tu ne vas pas me perdre. » qu'elle lui assura en resserrant une seconde leur étreinte, comme si cela allait l'empêcher de sombrer. Elle se détacha de lui, pas de beaucoup, juste pour pouvoir lui parler face à face, n'ayant pas envie de parler à l'arbre d'en face. « Même si je dois quitter ce jeu, tu ne me perdras pas. On se reverra à l'extérieur, d'accord ? C'est promis, je t'assure qu'on se reverra. » C'était là une promesse qui ne serait pas bien compliquée à tenir puisqu'elle avait sans doute autant besoin de lui qu'il avait besoin d'elle. Même si elle n'était pas douée pour le montrer, elle tenait beaucoup à lui et elle s'était énormément attachée à sa personne et à sa présence. Ne restait plus qu'à lui signifier, elle supposait. Bon, alors, elle n'était pas franchement douée concernant les grands discours, elle était même sacrément nulle dans le domaine, mais soit, elle allait essayer de lui sortir quelque chose d'éventuellement pas trop horrible. Elle allait essayer hein, le taux de réussite était quand même bas. « Tu n'as pas idée de l'importance que tu as pris dans ma vie. Tu es devenu plus qu'un ami, tu es un confident, un frère, un pilier. Je ne sais pas tellement mais je sais que je ne vais pas simplement te dire adios à la fin de mon aventure pour retourner à ma petite vie sans réclamer ta présence comme une gamine de cinq ans. » Il était le premier à apprendre pour son homosexualité, outre les femelles avec qui elle avait eu des histoires, bien sûr. Le premier à absolument tout savoir d'elle et sans doute le premier à prendre autant soin d'elle. Vous pensez bien qu'elle n'allait pas le laisser filer. C'est le genre d'amis qu'on n'égare pas au coin d'une rue, c'était une certitude. Et elle comptait bien lui rendre la pareille et elle allait être présente pour lui. Alors, il pouvait se rassurer, il n'allait pas la perdre. Pas maintenant, pas plus tard. S'il devait croire en quelque chose dans l'immédiat, c'était bien ça.