Pluie diluvienne et volutes de fumée dansantes. Il sifflotait un air mélancolique. Une légère brise, il se délecta de cette douloureuse mélopée : la pluie battant, tombant avec fracas sur le toit de chaume. Il frémit, et la cigarette coincée entre mes doigts se consumait. Il la posa à la commissure des mes lèvres, le spectacle bruineux animait vivement des réminiscences lointaines. Le bourdonnement aux oreilles se prolongea en un écho sourd. Dans un silence religieux, il tira une bouffée. Il oubliait, il oubliait son existence et ceux des autres. Seule la pluie réconfortait le trou béant dans l'organe que la mémoire collective appelait - cœur. Son cauchemar qui s'achevait et il ouvrait les yeux sur pire. Il observait un plafond ennuyeux. Le corps disloqué, tuméfié et allongé sur un tas de paille, il avait la tête prise dans un étau. Le goût de la nicotine semblait âpre. Son esprit vagabondait. Le livre glissa de ses doigts et atterrit sur son poitrail. Il écrasa le mégot sur le cendrier. Il sentait ses muscles s'engourdir. Sa vue s'embruma. Ses paupières se refermèrent. Il sombra dans un sommeil palpable. Le silence se brisa lorsqu'un bruit assourdissant retentit. Une chute, puis un rire. Un rire désopilant, tonitruant. Il ouvrit un œil, l'autre ensuite. Il se leva brusquement et referma son exemplaire des Lettres écarlates, de Hawthorne. Il sortit de la grange à foin pour voir ce qui se passait. Il découvrit une Nora à terre. Ses ricanements étaient tels qu'elle convulsait presque. Il se précipita sur elle. Il la souleva délicatement pour la remettre sur ses deux pieds. Il fronça les sourcils et encadra le visage de la candidate de ses mains. Il la dévisagea avec intensité. Son regard azuré la transperça. Il ressentait de la colère. L'inquiétude le tiraillait. - Tu ne pourrais pas regarder où tu vas. Tu aurais pu te blesser grièvement., dit-il sèchement. Elle était d'une insouciance affligeante. Elle aurait pu se faire très mal. Quand il l'avait vu prostrée au sol, son myocarde avait raté un battement. Le sang bouillonnait dans ses veines. Sa mâchoire se contracta. Ses traits se durcirent. Sa respiration était haletante. - Ne refait plus jamais ça, est-ce clair ?, lui demanda-t-il en haussant légèrement le ton. Il avait eu terriblement peur. Il ne savait pas pourquoi il réagissait ainsi. Elle était tombée, c'était tout. Il ne devait pas en faire un drame. Il avait été effrayé. Le regard interloqué de la candidate le ramena à la raison. Son visage s'adoucit. Il l'attira contre elle et la serra dans ses bras. - Excuse-moi. J'ai eu peur ... Tellement peur, si tu savais ..., murmura-t-il d'une voix suave. Il lui caressa les cheveux. Il prit sa main. Elle était froide. Nora devait être frigorifiée. Il s'empressa d'enlever sa veste et la mettre sur ses épaules. Il la détailla de la tête aux pieds. Ses yeux s'attardèrent sur ses jambes nues. Elle ne portait qu'un t-shirt extra-large. Cette tenue était ... - Tu ne pouvais pas mettre quelque chose de plus habillé ... Il ne laissa pas son trouble transparaître. Il s'avança vers elle et effleura son front machinalement. La pluie continuait à tomber au dehors. Ils étaient coincés dans cet endroit pendant un bon bout de temps. - Tu as mal quelque part ? Le ton de sa voix était plus mesuré, plus calme.

Sa réaction avait été disproportionnée, amplifiée par un flot d'émotions qu'il ne parvenait pas maîtriser. Il ne regrettait pas pour autant son acte. Il était bouleversé. Il n'avait pas réfléchi sur le coup, préférant suivre son instinct protecteur. Son inquiétude ne faisait que de s''intensifier de minute en minute. Son pouls continuait à s’accélérer irrégulièrement. C'étaient les faiblesses du cœur qui faisaient les belles défaillances, pensa-t-il. Une pensée furtive qui lui traversa à l'esprit. Une pensée qu'il s'évertua de chasser, de dissimuler. Sa tête posée sur son torse, ses bras frêles vinrent entourer sa taille dans une étreinte chaste et rassurante. Son cœur esseulé cognait contre la paroi de sa poitrine, à une cadence échevelée. - Je suis désolée, vraiment, je… ce n’était pas mon but., dit-elle en un soupir. Il ferma les yeux savourant cet instant et humant les effluves apaisantes de sa chevelure trempée. Une odeur particulière. Celle de la pluie. Délicate et enivrante, lui rappelant les jours pluvieux de la ville de Londres. Cela fut de courte durée. Contre son gré, il laissa de s'éloigner de lui. Elle prit alors conscience que la chemise du blond était imbibée d'eau. Elle s'exclama effarée : - J’vais te tremper ! Trop tard. Il était à son tour trempé. Il se contenta de hausser les épaules d'un air détaché. Au pire, il l'enlevait. A ses yeux cela lui importait peu. A cet instant, il fixait son attention sur Nora uniquement. Sa voix résonna de nouveau dans l'édifice. Toujours avec son éternelle spontanéité qu'elle lui suggérait de se rhabiller. Il ajouta de sa voix fluette : - J’ai fait cette connerie de mon plein gré, je vais l’assumer jusqu’au bout. Elle lui rendit gentiment sa veste. D'accord, d'accord. Si c'était ce qu'elle voulait, il s'y pliait contre son gré. Dans cette tenue, elle allait attraper froid. D'ailleurs pourquoi se sentait-il concerné par son état de santé ? Après tout, elle était grande. Elle pouvait très bien s'occuper d'elle. Il n'en avait pas envie de la voir malade. Au final, il se faisait un sang d'encre pour rien. Malheureusement pour elle, le boiteux n'était pas prêt lâché à l'affaire. Il allait lui faire savoir. - J’avais pas prévu que Dame Nature fasse des siennes. Oui, ce n'était pas une raison pour sortir dans cette tenue. Trop courte à son goût. Elle allait attraper la crève si elle continuait à se pavaner dans cet accoutrement. Il roula les yeux au ciel. Un comportement inexcusable et puéril. Elle ne s'en rendait visiblement pas compte des conséquences de sa chute. Il ne préféra pas la raisonner. Elle ne lui appartenait pas. Elle était libre de faire ce qu'elle lui plaisait. Elle n'avait pas besoin de lui. Et cela lui faisait mal de le reconnaître. - Je te l’ai déjà dis : ne t’en fais pas… Ses doigts froids vinrent effleurer son visage impassible. Un frisson parcourut tout son corps au contact de sa main fraîche contre sa peau. Ses traits se détendirent. Il soutint son regard. Il déposa un baiser sur l'arête de son nez, puis ses lèvres touchèrent sa joue tendrement. Il lui murmura à l'oreille : - Je ne peux m'en empêcher, c'est tout. Ses lèvres étaient à quelques centimètres des siennes. Il pouvait sentir son souffle chaud caresser sa joue. Il lui sourit, puis se recula d'un pas. Il remit sa veste sur les épaules de Nora. - Garde ma veste pour l'instant. Nora, s'il te plaît. Ses prunelles se voulaient suppliantes. - Fais ça pour moi, tu veux. Je ne te demande rien de plus. Ça m'éviterait de m'inquiéter d'avantage. Il lui tourna le dos. Il avait besoin d'une cigarette à présent. Et vite. Il sortit de la poche de son pantalon un paquet. Il s'en alluma une et la porta à ses lèvres. Songeur, il en tira une latte. Son rythme cardiaque s'était doucement ralenti. Il soupira de soulagement. - Je vais m'allonger un moment. Trop d'émotions d'un coup. Ce n'est pas bon pour mon coeur, tu sais. Il avait toujours le dos tourné. Il rit, puis revint dans la grange à foins. Pour se reposer les nerfs. Il s'affala sur un tas de foins et continua à fumer en silence. Il l'écrasa sur le cendrier et ferma les paupières.