Le prime qui vient tout juste de se terminer me laisse un terrible goût amer dans la bouche. Comme un bonbon sûr, mais en plus désagréable, si vous voulez. Ce n’est pas tant les départs qui me dérangent – même si l’élimination de trois candidats, d’un seul coup, ça creuse un trou dans le nid – mais plutôt l’annonce de ces nominations surprises qui me laisse clairement sur ma faim. J’ai une étrange sensation au creux du ventre, et je sens que cette fin que je redoute de plus en plus se rapproche à grands pas. Trois semaines. C’est tout ce qu’il nous reste. Peu importe ce qu’il se passera pour la suite des choses. Et ensuite, pouf, tout ça s’envolera en poussières. Étais-je la seule qui n’avait pas envie que tout ça s’arrête? Certainement pas. Qui l’eut cru. Moi, qui tenais des propos plus contraires il y a quelques semaines… Quelque chose, ou quelqu’un m’avait peut-être fait changer d’avis, qui sait. Et non, je ne faisais pas allusion à la jeune femme qui me trainait jusqu’à la cuisine, ma main bien ancrée à la sienne. Du tout. « J'ai faim. T'as pas faim, toi ? » me lança-t-elle, alors qu’elle se dirigeait tout droit vers le frigo, y jetant un coup d’œil rapide, avant de le refermer, visiblement insatisfaite de ce qu’elle y avait vu. « Non, pas tellement. » J’avais l’estomac dans les talons, alors bien franchement, manger était la dernière des idées dans mon cas, au risque d’avoir des soucis de digestion toute la nuit, hm. Le mal de tête me suffisait amplement. Alors que Laoise mettait à l’envers une bonne partie des armoires, je la délaissais un moment pour aller à l’opposé de la pièce, ma main se laissant traîner le long du comptoir. « T'as pas vu une boite de gâteaux dans le coin ? » Euh, pas que je sache. Je lui fis donc signe de la tête, pour le lui signifier. Par contre, je pouvais toujours fouiller pour tenter de l’aider dans sa quête d’un truc sucré à se mettre sous la dent. Ça m’éviterait de rester là, sans rien faire. Je n’avais pas trop envie de prendre racine, voyez. J’ouvris une armoire, rien. Une autre encore. Toujours aucune trace de ces gâteaux. À la troisième, je poussais presque un cri de victoire en voyant la boîte. Mais quel désagréable surprise, en l’agrippant, de me rendre compte qu’on l’avait laissé vide. « Pfff, fausse alerte, désolée. » Et je balançais la boîte un peu au hasard par-dessus mon épaule. Je m’en allais refermer la porte de l’armoire en question quand je m’arrêtais un moment. « Laoise! » fis-je en me tournant vers elle. « Je crois que j’ai trouvé une petite mine d’or. » Et probablement la cachette d’un de nos camarades avares de sucreries. Il y avait un sérieux trésor de trucs à se mettre sous la dent, tout au fond, cacher derrière une tonne de boîtes… vides. Je m’empressais de toutes les sortir pour découvrir la réserve secrète. Une très belle collection. De quoi vous ouvrir l’appétit, de toute évidence.

Il était plus de deux heures passées, et plutôt que de rejoindre mon lit comme je l’aurais fait d’ordinaire, après un tel prime, j’étais là, dans la cuisine, en train de chasser les sucreries pour le plaisir d’une Laoise et de son estomac qui réclamait de quoi se mettre sous la dent. Qu’est-ce que je ne ferais pas pour elle, hein. Braver mon estomac retourné par les derniers évènements du prime pour satisfaire le sien, qui criait famine! Encore une fois, j’étais juste tout simplement adorable, voilà. Elle fouillait de son côté, tandis que Laoise en faisait de même de l’autre côté de l’ilot central. Et de toute évidence, leurs recherches ne menaient à rien. Rien du tout. Soit quelqu’un était passé devant pour tout dévoré, soit, il ne reste réellement plus rien dans ces armoires. Puis, je crus avoir trouvé quelque chose! Mais je m’exclamais bien trop vite, et créait un sentiment de fausse joie chez ma camarade… et chez moi, aussi. « Je ne t'en tiens pas rigueur, mais c'est bien parce que c'est toi. » me sermonna gentiment Laoise. D’accord, je ferai gaffe, la prochaine fois. Voilà pourquoi, quand je crus être enfin tombé sur une mine d’or, je vérifiais la teneur du trésor avant de convier ma camarade à savourer avec moi cette trouvaille merveilleuse. « Merci ! » Si ça pouvait lui faire plaisir, tant mieux, je n’en demandais pas moins. Après s’être emparée d’un paquet de brownies, elle partit s’installer sur le plan de travail, alors que je rangeais, vite fait, les boîtes vides à leur place, un peu pêle-mêle. Pas tant que j’avais la flemme… mais presque. Je fermais la porte, puis m’adossait au plan de travail face à Laoise. « Tu en veux ? » me proposa-t-elle. Contrairement à ce que j’avais pensé un peu plus tôt, la vue de ces petits gâteaux ne suffit pas à me donner une fringale, pas même une petite. Je refusais donc son offre d’un léger signe de la tête. « Régale-toi, ma belle, je te les laisse. » la taquinais-je même un peu. C’est elle qui était visiblement affamée, pas moi. Je préférais laisser une pause à mon estomac, pour ma part. Tordu comme il était, rien n’aurait passé, de toute façon. « Ta tête ne te fait pas trop souffrir ? » Je lève mon regard vers elle, surprise qu’elle se souvienne de ma remarque dite, au hasard, dans le prime. « Pour l’instant, ça va… » lui avouais-je. « Mais mes tempes sont douloureuses, je sens que le réveil sera pénible demain. » D’où l’intérêt que je songe à prendre quelques aspirines avant d’aller dormir, je me passerai volontiers d’une migraine ou même d’un simple mal de tête. Je passais d'ailleurs l'une de mes mains sur mon visage, avant de masser les zones sensibles avec mon pouce et mon index.

Franchement, même si tout ceci avait l’air des plus appétissants, et même si mes papilles gustatives salivaient rien qu’en pensant au goût du chocolat, c’est mon estomac qui décida pour nous tous. Et c’était la meilleure décision à prendre. J’avais l’estomac fragile, fallait que je fasse gaffe. Le pauvre étant déjà retourné dans tous les sens, il n’était pas nécessaire d’en plus le gaver à une heure aussi avancer dans la nuit. Non, non. Évitons les indigestions et les maux de ventre, merci. C’est quelque chose dont je pouvais très bien me passer. Totalement. Je préférais encore que Laoise s’empiffre pour deux, elle qui semblait avoir l’estomac dans les talons en ce moment. Ou pas. Toujours est-il qu’une rage de sucrer l’avait poussé à se rendre à la cuisine, et à m’y trainer avec elle. « Tu es tellement gentille, c'est fou, je n'en mérite pas autant. » me répondit-elle, espiègle, quand je laissais entendre qu’elle pouvait se régaler toute seule de ces délicieux brownies dont elle avait pris possession, après que je les eu déterré de leur emplacement secret. Peu importe à qui ils appartenaient, c’était désormais chose du passé, tant pis pour lui. Il n’avait qu’à mieux le planquer, tiens! « Arrête de flatter mon égo, j’ai pas envie qu’il devienne aussi gros que celui d’Andreas! » ne puis-je m’empêcher de lui répondre, sur le ton de la rigolade. Ce n’étant pas tant méchant, hein, qu’on se le dise, mais ce petit détail n’était un secret pour personne. Pas de quoi s’offusquer, je crois même que lui-même aimait bien le mentionner, à quelques reprises… Ah, sacré partenaire. On pourrait presque croire qu’il allait me manquer. Presque, j’ai dit. Disons qu’il n’était pas de ceux avec qui je tenterais désespérément de garder contact à la fin de cette aventure, hm. Contrairement à d’autres. Comme Laoise, qui sur l’instant, me demanda comment ma petite tête se portait. Étonnamment bien pour le moment, mais j’étais prête à parier que ça ne durerait pas. Pour mon plus grand malheur. Les deux doigts de chaque côté de ma tête s’enfonçaient doucement dans celle-ci, et je ressentais l’élancement annonciateur d’un début de migraine. Chouette, vraiment. « Tu sais, je fais les meilleurs massages de tempes de la région. » Je libérais mon visage de toute étrave pour river mon regard sur elle, la jugeait pendant un court instant, puis affichait sur mes lèvres un fin sourire. « Bah tu sais, tu ne m’as pas encore remercié… pour t’avoir sauvé de l’ennui du prime… » fit-je, en haussant les épaules. Oui, il m’arrivait parfois d’avoir une bonne mémoire. Surtout pour ce genre de trucs insignifiants, en fait. Mais en toute honnêteté, si le contact de ses mains contre mes temps pouvait me soulager un tant soit peu, bon sens, je ferais aussi bien de la supplier pour qu’elle agisse, et tout de suite. Seulement, je ne voulais pas l’obliger à faire ça. Surtout qu’étrangement, elle semblait plutôt mal à l’aise avec sa proposition. Hm. « M’enfin, t’es pas obligé, et puis, ça peut attendre… je suppose que ton estomac te réclame, alors. Et puis, c’est pas grave, je prendrais des aspirines, et ça ira. » Étrange, ce flot de paroles sortit de nulle part. Je n’ai pas du tout en mémoire notre passage dans la chambre de la semaine dernière, et souvenir de ces mains contre mon visage, non, non. Me taire, ça semble être une très, très bonne idée.

Il fallait toujours que je détourne les compliments que je recevais. Non, mais c’était vraiment une mauvaise habitude, ce n’était pas ma faute si ces propos me poussaient dans un certain état d’inconfort, à chaque fois. Soit je rougissais comme une pivoine, soit je tentais de m’en sortir en détournant la chose au moyen de l’humour. Et comme je n’avais aucun talent de ce côté, le résultat qui en résultait n’avait rien de fameux, vous imaginez. Le pauvre Andreas subit encore mes foudres dans cette remarque qui se veut presque affectueuse – hm – mais voilà que la belle vient contrecarrer mes plans en me répliquant à sa façon. Je suis fichue. « Même s'il était plus gros que celui d'Andreas, avec toi, ça ressemblerait toujours à une qualité. » Loupée, ma technique d’évitement. Il ne me reste qu’une chose à faire. Dans trois, deux, un… voilà, je sens le rouge qui me monte aux joues. Joli petit homard, brave petite bête. Je suis dans l’eau chaude jusqu’au cou, y’a pas à dire. D’autant plus, ma remarque au sujet de ce massage des tempes… Après coup, je considère franchement qu’elle était déplacée, et nul nécessaire dans les circonstances. Laoise devait rigoler, bien sûr, et à présent, elle se moque de ma tête, j’en suis presque persuadée. Je m’emploie à rectifier le tir, jugeant que ce n’est pas nécessaire qu’elle s’exécute. Elle a mieux à faire, de toute évidence. Remplir son estomac, par exemple. Et moi, je devrais apprendre à ma taire. Là, tout de suite. Un bout de ruban adhésif sur la bouche, tiens donc, quelle bonne idée! Mais ça paraitrait suspect si je commençais à en chercher frénétiquement devant Laoise. Rester là, ne pas bouger, sourire bêtement. Ça va suffire, pour l’instant. « Oh, tu sais, je peux ravir mon estomac tout en m'occupant de tes tempes. » Elle est… sérieuse? Non, vous savez, pas que ça me dérange de recevoir ce message, mais hm, j’aimerais éviter d’être couverte de chocolat, quand même. « Je plaisante. » Franchement, sur le coup, j’ai l’impression de ne pas être la seule soulagée, c’est presque drôle. Ou pathétique. « Je ne suis pas certaine d'être douée pour les massages, en fait. Ça m'apprendra à faire des blagues idiotes, mais je crois bien que je risquerais d'aggraver ton cas plus qu'autre chose. » J’hoche la tête, signe que je comprends très bien tout ce qu’elle vient de me dire. Ceci dit, encore une blague idiote dans laquelle j’ai sauté à pied joint. Prochaine étape : me jeter en bas d’un pont. Je note. Bon, c’est pas tout ça, mais moi, la vue du chocolat, ça me donne soif. Et pendant qu’elle se régale de son brownie, je m’éloigne vers le frigo, en sors le lait, et m’en sert un grand verre. Je reviens avec mon butin à ma place, mais décide tout bonnement de m’installer au côté de ma camarade, me posant donc à mon tour sur le plan de travail. C’est en prenant quelques gorgées du produit laitier que je constate à quel point je suis ingrate. Terriblement ingrate. Mais là, c’est la flemme, et je n’ai point envie de me relever. « Si tu en veux, n’hésite pas… mon verre est assez grand pour deux. » proposais-je donc à Laoise, une solution de rechange plutôt négociable, mais dans les circonstances… « C’est bon ? » m’enquis-je ensuite. À voir sa tête, je dirais que c’est un délice, mais sait-on jamais. Je serais presque tenté de gouter, mais on dit que le chocolat, c’est pas très bon pour les migraines… autant ne pas jouer avec le feu. Quoique, d’une certaine façon, c’est déjà fait. Et ça, ça se passe de commentaire.

Cette conversation avait pris une tournure plutôt étrange… mieux valait y mettre fin le plus tôt possible, ou carrément passer à autre chose, hein. Ça vaudrait mieux pour elle, mais aussi pour moi, je crois. Non, mais tout ça m’apprendra à être aussi crédule, aussi. En fait, toute cette histoire de massage de tempes n’avait servi qu’à une chose : faire naître ce fichu mal de tête que je redoutais tant. Hm, je ne suis pas blonde – sans offense – mais il faut croire qu’à trop réfléchir, je venais de pousser mon cerveau aux limites de ces capacités pour ce soir. Le silence, donc. Je profite du fait qu’elle se gouffre allégrement de brownies pour m’éloigner pendant un instant, attiré par ma soudaine soif venue de nulle part pour aller investir le frigo. Je me sers un grand verre de lait, puis, au final, décide de retourner m’installer près de Laoise. Et je bois, pour éviter de parler. Sauf que j’en suis véritablement incapable, c’est humainement impossible pour moi de rester silencieuse aussi longtemps… du moins, depuis l’interdiction qu’on m’a affublé, lors d’une semaine passée. Depuis, tant que je le peux, je tente de meubler les vides dans une conversation, même si je suis loin d’être la personne qui converse le plus dans tout ce château. Je propose donc à ma voisine de se servir, si elle en ressent le besoin. J’ai la notion de partage, moi, bien sûr. « Non merci, ça va pour le moment. » déclina-t-elle simplement. Bon, d’accord. Reste que la proposition tenait toujours, si jamais tout ce chocolat lui donnait envie. De lait, évidemment. De quoi voulez-vous que je parle d’autres. Et pour ajouter à l’inconfort de cette situation, qui m’apparaissait plus qu’étrange de minute en minute, une petite question sur sa délectable collation nocturne. « Délicieux. » Je n’en doutais pas, à la voir dégoutée le tout à grand coup de cuillérée. Ça me faisait presque envie. « Tu sais, tu manques vraiment quelque chose, c'est super bon. Et un coup que je l'aurais terminé, tu vas regretter de ne pas avoir goûté. » Provocation! Ce n’était pas juste de me faire ça. Parce qu’en toute honnêteté, je n’avais pas faim. Mais pas du tout. Et si je touchais à un seul morceau de ce brownie, ce serait de la gourmandise, pure et simple. Je sentais venir les kilos, au secours. De la torture, je vous dis. Je maintins, cependant, ma position en lui faisait un signe de la tête. Non, non, je n’allais pas succomber. Seulement, je n’avais pas cette motivation de résister. Du tout. Et quand elle s’empara à nouveau de sa cuillère pour se servir à nouveau, je lui jetais un curieux coup d’œil. Au moment où elle s’apprêtait à porter à sa bouche ce qui s’y trouvait, je lui enlevais l’ustensile des mains pour m’emparer du précieux morceau de brownies, et savourer du même coup le goût du chocolat dans ma bouche. En toute innocence, une fois mon vol commis, je retendis l’objet à sa propriétaire, m’excusant d’un léger sourire en coin, mignon comme tout. « Désolé, l’appel du chocolat, je ne peux pas l’ignorer. » Excuse bidon, bonsoir. Mais à cette heure de la nuit, on pouvait vraiment tout entendre. Récupérant mon verre de lait, que j’avais posé à mes côtés durant ce petit exercice de pègre, je commets plutôt une manœuvre qui risque de se terminer avec quelques éclats de verre, puisque ce dernier, dans un curieux concours de circonstances, me glisse entre les mains… non sans étaler une bonne partie de son contenu sur ma tenue, et sur le sol. Où le verre, d’ailleurs, finit par s’écraser. « Oh, non, c’est pas vrai ! » Quel affreux gâchis, oui. Je retiens un juron entre mes lèvres. Manquait plus que ça.