L'inévitable. Ce qui l'était faisait peur. Logiquement, sentir la fin du jeu arriver était effrayant. Elle s'efforçait pourtant de ne pas y penser. Cela dit, savoir que la fin était si proche lui donnait l'envie de profiter davantage encore de l'aventure. Voilà pourquoi, au lieu de simplement aller se coucher, elle décida d'agir bien autrement. Première étape, Malo. Elle ne pouvait pas mettre son plan à exécution sans le tenir au courant, il risquerait de s'inquiéter. C'est pour cette raison qu'elle alla lui faire part du fait qu'elle allait sans doute découcher pour la nuit et qu'elle n'en resterait pas moins saine et sauve. Deuxième étape, Nora. Elle comptait emprunter la demoiselle pour la nuit. Elle se rendit jusqu'à son lit, dans lequel se trouvait le petit couple. Enfin, Jamie et Nora. Remplie de délicatesse, elle sauta sur le matelas pour s'allonger entre eux deux, sur le ventre. « Jamie, je te la kidnappe pour la nuit. Promis, je te la rendrai en bon état. » Pas le choix, de toute façon. Si bien qu'elle quitta le lit aussi rapidement qu'elle y était venue et s'empara de la main de la belle. Son autre main, elle, alla s'échouer sur la couverture qui trônait sur le lit et tira dessus. « Oh, ouais, même chose pour la couverture. » Grand sourire. Puis elle s'éloigna, tira Nora et la couette par la même occasion. « Bonne nuit. » qu'elle chantonna, espiègle. Et direction l'extérieur. Du moins, juste après avoir récupéré une couverture pour sa propre personne. Là, elle persuada Nora de la suivre et cela jusqu'à l'extérieur, jusqu'aux remparts, plus précisément. Arrivées à un point que Laoise déclara agréable, elle laissa tomber sa couverture au sol, puis se tourna vers Nora. « T'as déjà dormi à la belle étoile ? Parce que, moi, d'aussi loin que je m'en souviens, non, jamais. Et puisque tu as tendance à m'embarquer dans des plans pas toujours clairs, je me suis dit que c'était mon tour. Donc, j'espère que tu n'as rien contre le fait de dormir là parce que... parce que je te laisse pas le choix. » Sourire angélique. De toute façon, elle ne pourrait pas le lui refuser. Hein, pas vrai ? « Tu crois qu'il y a des insectes dans le coin ? » Ses sourcils se froncèrent tandis qu'elle tenta, en vain, d'examiner le sol. Non parce que dormir par terre, c'était bien beau et même si c'était son idée, elle se demandait quand même si c'était super hygiénique, de dormir sur le sol, enroulée dans une couverture. Hm, à méditer.

Bonne idée ou pas du tout ? Elle aurait peut-être dû demander un petit contrôle météorologique à Cupidon, histoire d'être certaine que la pluie ne viendrait pas gâcher les plans de l'irlandaise ou pire encore, que la foudre ne s'inviterait pas. Il serait tout de même bien dommage que cette soirée soit gâchée à cause d'un temps capricieux. Puisque Nora n'avait, bien évidemment, pas le choix. Eh bien, non. Après tout, puisqu'elle avait entrainé Laoise dans bien des aventures, elle supposait devoir lui rendre la pareille. D'où cette soirée. Cette nuit à la belle étoile. Pourquoi pas, après tout ? Ce n'était clairement pas dans sa vie « normale » qu'elle pourrait agir ainsi et étant donné que cette aventure avait été synonyme de première fois depuis le début, autant en profiter. Et d'ailleurs, en parlant de ces premières fois, Nora pensa bon de parodier les réactions qui avaient suivi l'irlandaise à chaque fois. Oui, elle était une poule mouillée et alors, hm ? Ses yeux se plissèrent face à ce spectacle auquel elle assistait. Ce n'était pas cool de la part de Nora, ça. Heureusement, elle rattrapa vite le coup. Elle tenta en tout cas. « Mouais. T'as de la chance que je ne me vexe pas si facilement, sinon... » Heureusement surtout qu'elle n'était pas décidée à lui en vouloir pou si peu. Puisque si c'était le cas, elle pourrait toujours se gratter pour obtenir son pardon. Rancunière, la Laoise, eh oui. Toujours est-il qu'elle l'avait interrogée sur les insectes potentiellement présents non loin de là. Autant dire que s'ils n'étaient pas nombreux, pour ne pas dire totalement absents de la zone, cela lui conviendrait tout autant. Mais d'après Nora, mieux valait ne pas le savoir. D'après que ce qu'elle ne savait pas ne pouvait pas... Ne pouvait pas quoi ? Apparemment, la belle eut du mal à terminer, chose qui, vous pensez bien, fut le responsable du froncement de sourcils de Laoise. Ok... Puis Nora continua, déblatérant sur tout un tas de choses qui ne marqua pas le moins du monde l'esprit de l'irlandaise. Sans doute que ce débit incontrôlé de paroles l'avait distraite du but principal qui consistait à se concentrer sur les dires de sa camarade. Ok. Elle conclut. « Mais non, je t'en prie, parle. » Mais oui. Même si c'était pour papoter médecine et science, elle voudrait bien tendre l'oreille et écouter. « Et pour te répondre, non, je n'ai pas pensé au grignotage. Ça m'étonne de moi d'ailleurs... Il faut croire que c'est finalement rentrer, le fait que grignoter, c'est mauvais pour la santé. » Pas besoin d'argumenter sur le fait qu'elle avait pris du poids, n'est-ce pas ? De toute façon, elle comptait bien les perdre et au plus vite. « Bref. » Ouais, bonne idée, ouais. « Prenons place, très chère. » qu'elle lança alors en désignant la couverture au sol d'une main, un sourire prétentieux au visage, comme l'un de ses types riches qui présentent sa nouvelle voiture au prix exorbitant.

Laoise n'allait pas se vexer pour si peu. Elle connaissait assez Nora pour ne pas lui vouloir pour cette petite plaisanterie. Puisque ce n'était que ça et elle l'avait bien compris. Elle savait aussi qu'elle avait toujours été un peu poule mouillée, à toujours se poser des questions sur sa sécurité. Elle avait vécu ainsi, que voulez-vous. Ses parents avaient toujours fait l'apologie de la sécurité, autant pour des trucs totalement logiques (« Laoise, ne mets pas tes doigts dans la prise électrique ! ») que des choses bien plus subtiles (« Laoise, n'oublie pas ta crème pour les piqûres de moustiques »). Bref, en soit, elle avait tellement eu l'habitude qu'on lui ouvre les yeux sur les dangers qu'elle les voyait instinctivement, à présent. Quoi qu'il en soit, Nora était ensuite partie dans un monologue dont Laoise ne se souvenait même plus le point de départ. Si elle souhaitait parler, vous pensez bien que ça ne serait pas l'irlandaise qui l'arrêterait. Elle aimait bien écouter. Elle appréciait de faire bavarder les autres. Alors si la belle ressentait le besoin de s'exprimer, elle pouvait largement. Elle assura qu'elle le ferait une fois loin de son micro. Soit. Si elle préférait... Laoise acquiesça. Puis la belle s'installa sur la couette, toute fine, qui reposait au sol, film à peine protecteur face au terrain, cette couverture étant loin de les préserver de la dureté sur laquelle elles allaient séjourner pour la nuit. L'entendre se plaindre la fit rouler des yeux, amusée. Elle ne disait pas que son plan était infaillible hein, loin de là. Comme à propos des sucreries qu'elle avait oublié pour cette soirée. Eh oui, c'était possible. Ce qui voulait dire que la fin du monde était proche, probablement. Ouais. Parce que, hm, Laoise, oublier d'apporter de quoi grignoter ? Mais dans quelle dimension parallèle se trouvaient-elles, n'est-ce pas ? Pourtant, c'était bien vrai. Chose qui étonnait Nora. « Non, c'est la stricte vérité. Je suis désolée, je n'ai pas pensé une seule seconde qu'on allait manger, en fait. Je pensais juste qu'on allait s'allonger et... et j'en sais rien, en fait. J'ai juste pensé aux couvertures. Enfin, si jamais tu ne penses pas pouvoir passer la nuit sans manger, je peux toujours aller chercher un petit quelque chose. » Trop gentille, cette Laoise, n'est-ce pas ? Oui, elle savait. Elle était absolument adorable, délicieuse, un véritable petit ange et... Ouais, peu importe. Suite à sa proposition de découvrir ce nouveau lit pour la nuit, elle s'installa à son tour, constatant que ce n'était pas spécialement confortable. Heureusement, elles avaient une autre couverture pour se protéger du froid. C'était déjà pas mal. Les coussins ? Ah, mince, ouais. Elle avait vraiment tout oublié, en fait. « Je, hm...  » Elle essayait de se trouver une excuse, figurez-vous. « C'est que... je pensais que... tu allais utiliser mes jambes comme oreiller et que j'allais faire la même chose avec les tiennes. Donc voilà... » Ce n'était vraiment pas crédible, elle savait. Mais elle se débrouillait comme elle pouvait hein. S'imposa alors le silence. Un blanc qui n'était pas pesant, au contraire. C'était presque relaxant, de pouvoir profiter d'un moment de calme, c'était reposant. Mais lorsque rien d'autre que le silence est audible, ce n'est guère difficile d'y distinguer une pensée égarée. Comme lorsque Nora laissa échapper une simple phrase. La fin, oui. C'était pour bientôt. Chose que Laoise appréhendait. Beaucoup. Une seconde fila, ainsi qu'une bonne dizaine d'autres. « J'ai peur. De la fin. De repartir. Ça fait peur. » qu'elle chuchota à son tour. Autant dire que si elle pouvait rester cachée dans ce château à tout jamais, elle le ferait sans aucune hésitation hein.

Ouais. Laoise s'efforçait pourtant de ne pas y penser. C'était bien plus simple de faire comme si rien de tout cela n'allait arriver, comme si aucune épée de Damoclès ne trônait juste au-dessus de sa tête, comme si elle pourrait rester dans ce cocon encore longtemps, très longtemps. Pourtant, plus le temps passait, plus elle s'approchait du coup de pied au cul qui la dégagerait de ce jeu, de cet espace protecteur dans lequel elle s'était épanouie. Sauf que la vie n'était pas simple, n'est-ce pas ? Que ça serait tricher à ce vaste jeu si jamais ça l'était. Elle appréhendait ce retour à sa vie. D'autant plus en sachant que bien des choses avaient changé, que plus rien n'était et ne serait comme il y a plusieurs mois de cela. Le plus effrayant était de ne pas savoir. Comment ça se passait, comment les gens réagissaient. Et elle craignait uniquement les foudres de ses parents, eux qui allaient se sentir si trahis, si blessés uniquement parce qu'elle avait le « malheur » d'aimer les femmes. Mais les autres gens, les téléspectateurs, les gens qu'elle ne connaissait pas, eux, comment réagiraient-ils si elle se trouvait en face d'eux ? Elle avait tendance à penser qu'ils seraient plus compréhensifs que sa famille, plus ouverts d'esprit mais... le seraient-ils vraiment ? Devait-elle les craindre aussi ? À ce rythme-là, elle allait finir par avoir peur de tout le monde. Et le contraste serait d'autant plus marquant qu'ici, dans ce jeu, il n'y avait pas eu la moindre réaction négative. Personne n'avait mal pris son homosexualité. Personne. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Les gens devaient être plus ouverts d'esprit dans ce jeu, il faut croire. Ouais. Quoi qu'il en soit, elle se laissa tenter par un sourire à cette nouvelle réplique de Nora. Un sourire qui s'effaça bien rapidement au profit d'une discussion sur la fameuse fin. L'une comme l'autre la craignait. Une réaction normale, elle supposait. La belle se rapprocha, déposa sa tête sur son épaule et instinctivement, elle fit glisser sa tête afin de la coller à celle de sa camarade. Cette petite bulle. Qu'est-ce qu'elle allait lui manquer, c'était dingue. « Ça va être tellement étrange de replonger dans le grand bain. » C'était amusant. Elle avait eu une peur bleue d'intégrer ce jeu et à présent, elle était effrayée à l'idée de le quitter. Sa vie avait été sa bulle protectrice et à présent, c'était ce château qui la protégeait. Incroyable de voir comment les choses changeaient. « Je garde au moins l'espoir qu'on arrivera tous à se revoir. » Au moins cela. Devoir couper tout contact avec toutes les personnes qu'elle avait rencontrées, ça serait bien trop pour elle. Alors même si ça ne serait pas simple, elle voulait les revoir. Et ils avaient plutôt intérêt à coopérer. De toute façon, elle ne leur laissait pas le choix.