W/ NICOLE

Nous arrivions enfin en fin de semaine et je m'habituais peu à peu à dormir sans Elliot. Il était temps. J'avais été habituée à dormir sans elle pendant vingt et un ans, mais il faut croire que huit semaines avaient réussi à m'accoutumer à sa présence à mes côtés, à tel point qu'il m'était à présent difficile de m'en passer. Je devrais peut-être investir dans une peluche taille géante, à ma sortie. À méditer. La tête dans le brouillard, je finis par quitter mon lit en réalisant qu'à cette heure-ci, il est bien trop tard pour que je réussisse à trouver le sommeil. C'est fichu pour cette nuit. Tel un adorable zombie roux d'un mètre soixante-quinze, je me dirige, le pas traînant, vers la cantine. Je vais avoir besoin de café. À l'image du personnage éponyme de Shaun of the Dead, je ne remarque rien de ce qui se passe autour de moi, fixée sur ma routine quotidienne. Mécaniquement, une fois arrivée à la cantine, je me fais passer du café, et attend en baillant qu'il soit prêt. Je mangerai sans doute quelque chose après, mais là, dans l'état actuel des choses, j'aurais même pas la force de me tartiner une biscotte - et puis, j'ai les nerfs un peu à fleur de peau, alors je sens que s'il devait m'arriver un truc style ma cracotte casse alors que j'essaye de la beurrer, je risquerais de me mettre à chialer. Donc, non, vraiment, café d'abord - pour la suite, on avisera. Mon café fin prêt, je m'en sers une tasse et me retourne, pataude, en baillant. C'est à ce moment-là que j'aperçois un rat - un gros rat ; et je peux pas m'empêcher d'avoir un geste de recul, accompagné d'un hoquet de surprise. Mais une étude approfondie de l'être en question me permet de voir qu'il s'agit en réalité de Nicole - et même si son déguisement a l'air d'avoir subi quelques changements depuis dimanche dernier, la moi non réveillée n'y voit que du feu. Je porte la main à mon coeur qui bat un la chamade. C'est bon, il bat encore au moins. « Hey huum salut Nicole. » je lance avec un sourire enthousiaste, comme si je ne venais pas de frôler l'infarctus à sa vue. « Drôlement mignon ton accoutrement dis-donc. Tu ressembles un peu aux amis imaginaires, dans les sims. » Je fronce un peu le nez. Elle y ressemblait drôlement, c'était limite troublant en fait.

En ce possible avant-dernier matin au sein du village, je me suis levée tôt. Non pas que je dormais mal depuis l’annonce des nominés mais je ne tenais pas à gaspiller mon temps à faire une grasse-matinée inutile. Tout à coup tout me semblait bien moins ennuyant, mes instants en communautés avaient pris une toute autre savoir ; comme si c’étaient les derniers. Je me demande comment était l’extérieur, ce qu’il s’y passait, si les gens soutenaient notre réintégration. Oui il va sans dire que j’apprécie Branca mais que vraiment je souhaitais revenir au sein de l’aventure avec Malik ; rien que pour être sûre qu’il ne m’échappe pas. L’autre jour je lui avais émis le souhait qu’il ne vienne pas me chercher une fois à l’extérieur, qu’il ne cherche pas à renouer contacte. Je le pense encore, vraiment, seulement j’aimerais que nos moments au sein de l’enclos Fake Lover ne se terminent pas maintenant. L’extérieur me fait peur, j’ai peur de ce que je vais y trouver. Si Térésa m’en veut de m’être entichée de mon partenaire et d’avoir lié des amitiés pour la première fois extérieures à son personnage alors… il y avait de fortes chances pour que je me retrouve seule. Non, je n’avais bel et bien aucune raison de rester dans mon lit à gâcher des précieuses minutes. A peine levée que j’effectuais ma petite toilette matinale, enfilant une énième fois cet hideux costume qui commençait sérieusement à me sortir par les yeux. Heureusement qu’il fait trop froid pour que je sue, hein. Ok let’s go, breakfast time. « Hey huum salut Nicole. » Je n’avais reçu que des compliments cette semaine quant à mon costume, il fallait bien qu’à un moment donné quelqu’un daigne être sincère. Merci à Dagga de me confirmer que je suis bel et bien ridicule et, qui plus est, effrayante de bon matin. Biiiitch je suis une souris sexy tout de même ! « Salut beauté » Qu’elle le prenne pour elle, mais je me parle à moi-même. « Drôlement mignon ton accoutrement dis-donc. Tu ressembles un peu aux amis imaginaires, dans les sims. » Sortant tout l’attirail pour un bon chocolat chaud des placards, je me tourne vers elle. Je ne sais même pas la tête qu’ils ont ces amis imaginaires. « Ils sont canons ? » Je plisse les yeux, la suspectant de m’insinuer ridicule. « Quoi qu’ils doivent être mignons s’ils sont imaginaires. J’accepte le compliment. » Préparant ma potion magique chocolatée, je dispose le tout sur la table en commençant à touiller tout ça, le cul dorénavant assis sur une chaise. « T’es super matinale comme fille, t’as le sommeil léger ? Des soucis ? Des contraintes ? Tu veux en parleeeeeer ? » La première fois que je me suis intéressée à elle fut lorsque nous étions les deux seules éveillées de bon matin ; Dagga étant déjà sur le canapé depuis des lustres. Je l’agresse un peu là avec toutes mes questions mais j’aime bien assaillir les gens de la sorte, et ce n’est pas sa partenaire qui dira le contraire. Disons aussi que, je l'avoue, de bonne heure comme ça... je n'ai pas de conversation. Eeeh oui là est la faille.

Sans être un devin, je crois que j'aurais pu assez aisément anticipé la question de Nicole. Pensive, je lève un peu le regard en biais, fouillant dans ma mémoire pour reconstituer le souvenir assez fragmentaire que j'ai de ce jeu vidéo. Tout à fait franchement, je suis pas sûre que 'canon' soit le premier mot qui me soit venu à l'esprit en voyant les amis imaginaires en question. “ Huum, moins que toi, clairement. ” j'élude assez astucieusement - enfin, je crois que je m'en suis pas trop mal sortie sur ce coup là. “ Oh ouais ouais, ils étaient mignons. Enfin pour des espèces de lapins géants, ils étaient mignons quoi. ” Un peu flippants, mais mignons. Mais apparemment c'était un compliment, d'une certaine façon, ce qui me va tout à fait - c'est là que je me rends compte que Nicole et moi on est vraiment de parfaits opposés. Moi, tu me fais un compliment, je le prends super mal et me sens bizarrement insultée ou raillée. Elle, tu lui dis un truc qui pourrait éventuellement passer pour du fouttage de gueule et elle le retourne en sa faveur. J'avais beaucoup à apprendre de cette nana ; alors j'observais, et je prenais de la graine. Et puis je sais pas trop comment elle s'y prend mais elle parvient à me mitrailler de questions sans même reprendre son souffle et j'en profite pour prendre quelques gorgées de café, ce qui aide mon cerveau à combattre le brouillard dans lequel il se noie. “ J'ai toujours du mal à dormir avec d'autres gens autour de moi, en fait. Je sais pas, y'a une partie de moi qui reste convaincue que n'importe lequel d'entre eux pourrait tenter de m'assassiner au milieu de la nuit. ” J'esquisse machinalement un bref haussement d'épaules, un petit sourire de traviole aux lèvres. J'avais pas passé énormément de bonnes nuits de sommeil réparateur ici. Mais quand j'en pouvais plus, je finissais par m'endormir comme une grosse masse de toute manière. “ Et je crois que pour une raison psychologique un peu étrange je me sentais en sécurité avec Elliot, mais Arès me l'a piquée. ” je lâche ensuite avec une moue un brin boudeuse. Je décolle du plan de cuisine et vais m'installer à table. “ Et toi poulette alors comment elle se passe ta petite vie au sein du nid d'amour ? Ça roule avec Malik ? ” Je hausse deux fois mes sourcils dans un geste sans équivoque, avec un petit sourire amusé. Je sais pas trop pourquoi, mais j'aimais trop l'idée de savoir ces deux-là ensemble. Un peu comme ça pouvait me le faire avec Callan et Candace. J'imagine que c'est à force de regarder des couples se faire et se défaire dans mes séries préférées ; je finissais par devenir supportrice de mes couples favoris dans la vraie vie aussi. “ Je vous ship totalement tous les deux, by the way. ” j'ajoute ensuite, sans être certaine que ça soit un truc pertinent à dire en dehors de tout cadre fictionnel.

Je ne comprends pas la comparaison de Dagga, pourquoi souligner une ressemblance avec des amis imaginaires qui sont en fait des gros lapins? Je suis une souris que je sache, comme Minnie. Je plisse les yeux, vraiment pas convaincue de ce qu'elle raconte. « Euh ... ok. » Oui je n'ai vraiment rien à dire d'autre. En fait je trouve notre discussion inadaptée à une heure aussi matinale. elle est beaucoup trop improbable. Je dérive donc sur un sujet beaucoup plus classique et inintéressant; la sommeil léger de ma roukmout de camarade. Je constate facilement qu'elle aussi est parano, super une de plus. Les gens de ce nid m'épuisent! Si je devais avoir peur de toutes les personnes avec qui j'étais amenée à dormir alors je crois que je vivrais dans la flippe la plus totale. « Pourtant on est de moins en moins, tu devrais te sentir en sécurité. Quoi que je te comprends les plus flippants sont encore parmi nous.» Branca l'accro des armes à feu, Asmaa la droguée, Candace la veuve noire. Callan le big brother -ce mec voit tout c'est flippant-. A bien y réfléchir elle a raison de se méfier mais booon, ils ne peuvent rien faire devant les caméras donc on est sauvés. “ Et je crois que pour une raison psychologique un peu étrange je me sentais en sécurité avec Elliot, mais Arès me l'a piquée. ” Je touille mon chocolat et grimace en même temps. « Oh petit chat. Si je sors je te lègue ma place dans le lit conjugal, comme ça tu ne seras pas seule.» Alors ça! Je ne sais pas si elle se rend compte de ce que je viens de lui dire. Une jalouse de première catégorie comme moi n'aurait jamais attribué sa place à une autre sauf en cas de grande confiance. Après tout je considère Dagga comme mon amie. J'aime pas trop ce mot, primo il est moche et deuxio il est cucul mais c'est le seul qui me vient à l'esprit. Intimement je suis persuadée que Malik restera au sein de la maison, je crois de toute façon que c'est une évidence pour nous tous. Je sais que mon partenaire n'aime pas dormir seul, ils y trouveraient chacun un équilibre. Pile ua moment où je porte ma tasse de chocolat chaud à mes lèvres Dagga m'interroge sur ma relation avec Malik. Euuuh... elle a beau demander ça avec décontraction moi ça me stress limite. J'aime pas parler de ça. J'ai pas honte mais je sais que toute personne s'engageant sur ce genre de sujet devient niaise dans ses paroles. Donc, nooooon merci.« Ca se passe bien enfin je crois mais il est clair que lorsqu'on envisage l'après-Fake Lover ça devient directement plus compliqué. » En parlant de ça, je me demande si Dagga envisage de continuer ses études et son petit métier après l'aventure. J'espère qu'elle saisira des opportunités qui lui permettront de vivre plus correctement. Sérieux c'est tellement improbable: ceux qui me sont proches dans ce jeu sont des personnes ayant peu confiance en elles et vivant dans la précarité. Elle ajoute ensuite qu'elle nous ship; c'est cool moi perso' j'ai toujours shipé les totally spies. Elles vont vraiment bien ensembles ces trois filles. Soit, c'est mignon de sa part et j'espère que les téléspectateurs pensent la même chose. Disons que ça arrangerait mes affaires. Je lui lance un sourire, flattée.« Et toi dans le peu de mâles qu'il reste aucun ne te met la poudre aux yeux? Genre l'autre avec ses chansons de country? » Mh quoi qu'il a l'air beaucoup trop branché cul pour Dagga. Enfin je dis ça comme ça, elle m'a pas l'air adepte de l'amour libertin.

Nicole a pas tort, le nombre de tueurs potentiels au sein des candidats décroit au fur et à mesure que ceux-ci sont éliminés, c'est statistique : il est de plus en plus improbable que je me fasse assassiner ici. Néanmoins, ma paranoïa étant irrationnelle et profondément ancrée en moi, il m'est difficile de la contrer avec des arguments logiques. À la limite, je compterais plutôt sur des superstitions ou des rituels vaudous pour m'apaiser. J'ai toujours voulu me mettre au vaudou d'ailleurs. Je hoche la tête en signe d'assentiment quand Nicole laisse entendre que les plus flippants sont encore en jeu, sans trop songer qu'on avait pas forcément les mêmes personnes en tête. Moi j'étais un peu convaincue depuis un moment qu'un jour Raphaël péterait son câble et zigouillerait tout le monde, et son soudain revirement de personnalité récent m'avait à peu près autant amusée qu'il m'avait inquiétée. Et puis je me demandais ce que tramait Lulu aussi. Je lui avais jamais trop parlé, et il avait pas l'air méchant, mais c'est souvent les gens qui ont le moins l'air méchant qui le sont le plus en réalité. Enfin, je crois. Et puis Nikki évoque son éventuel sortie, et me propose sa place dans le lit qu'elle partage avec son partenaire si elle en venait à sortir. Je manque de peu d'avaler mon café de travers. D'un côté, c'est plutôt cool qu'elle dise ça. Ça veut dire que Malik lui a pas révélé qu'il y a deux ou trois semaines de ça, je lui avais plus ou moins fait une déclaration un peu confuse. Et j'aurais aussi pu prendre ça comme une marque de confiance en moi de la part de la blondinette, mais je partais surtout du principe qu'avec mon corps d'asperge, ma tignasse rousse et mon visage défiguré par les taches de rousseur, je représentais pas spécialement une menace sérieuse. Je fronce le nez, pensive, envisageant sérieusement sa proposition. J'étais très certaine d'avoir tourné la page et d'avoir réussi à me débarrasser de mon béguin pour Malik, et ça pourrait être une façon comme une autre de m'assurer qu'il restait fidèle à ma grande pineco. Néanmoins, j'étais pas super sûre d'être suffisamment à l'aise avec lui pour ça. "Huum, je crois que je préfèrerais que tu restes. Mais t'inquiète paupiette, si jamais tu en venais à sortir alors que Malik reste, je profiterai de mes insomnies pour m'assurer qu'aucune nana ne te pique ta place." Je finis par répondre, avant de terminer ma tasse de café – pour m'en resservir une seconde. La conversation se poursuit, et puis Nicole parle de l'après-Fake Lover et je reste vaguement interdite l'espace de trois secondes. C'est vrai que j'y pensais de plus en plus régulièrement ces derniers temps, et je me demandais comment ça allait se goupiller, tout ça. "C'est clair que tout va être tellement différent à l'extérieur… On s'est tous côtoyés si longtemps mais parce qu'on y était forcés en quelque sorte, et toutes les relations qui se sont créées auraient probablement jamais existé si on s'était rencontrés dans la 'vraie vie'… Mais j'crois que Malik et toi vous devriez tenter le tout pour le tout. J'sais pas vous avez juste ce truc où vous avez l'air parfaitement complémentaires." J'étais tentée de penser qu'ils formaient à eux deux un bon dynamisme de couple, ils étaient opposés mais juste comme il fallait. "Et puis vos gosses seraient juste adorables." j'ajoute avec un sourire mutin, pas trop chiante dans mon genre. Et je l'ai pas vu venir mais c'était assez logique en soi : Nicole me retourne la question. Je peux pas m'empêcher d'être surprise trois secondes, comme si l'idée de m'imaginer en galante compagnie me paraissait totalement absurde. Forcément, elle évoque William – à croire que tout le monde a remarqué le truc avant moi. "Y'a énormément de personnes qui m'ont tapé dans l'œil depuis le début de l'aventure, honnêtement… Mais genre, de façon superficielle, tu sais ? Et je sais pas, je me demande si c'est vraiment mon truc toutes ces histoires de sentiments. J'ai toujours été très indépendante, et le fait même de m'imaginer avec quelqu'un, en… en couple… j'sais pas je trouve ça bizarre." j'admets, un peu mitigée. C'est pas que je ne voulais pas être avec quelqu'un, c'est simplement que je craignais de ne pas être faite pour ça. Je sors une cuillère, et touille mon café, comme ça, juste histoire de m'occuper les mains parce que soyons honnêtes : ça sert strictement à rien. "J'aime bien William. Je mentirais, je crois, si je disais qu'il m'attire pas. Mais j'ai peur que ça devienne super compliqué si je me lance là-dedans." En disant cela, je me rends compte que j'ai peut-être pas fourni toutes les informations à ma pineco pour qu'elle soit en mesure de capter ce qui se passe dans ma tête. Le truc, c'est que j'ai jamais été en couple. Je sais pas comment ça marche. Je sais pas ce qu'on est supposé faire quand on est en couple, et de ce que j'ai vu ça a l'air mega technique ; la flemmarde asociale en moi trouve ça plus simple de rester seule, j'imagine.