Dites donc, la dernière fois que Tweedy avait fait la cuisine commençait à dater. Non, on ne parle pas d'une platrée de pâtes réchauffées au micro-ondes ou d'une boite de maïs ouverte avec brio mais bien d'une véritable réalisation. En somme, Tweedy perdait ses bonnes habitudes puisqu'elle n'était même plus dans la capacité de se rappeler de la dernière fois qu'elle avait véritablement cuisiner. Ah si, attendez voir, ça avait finalement tendance à lui revenir. Oui, si ses souvenirs demeuraient exacts, il avait été question d'un cake aux amandes, qu'elle avait alors cuisiné pour Sami, afin de remonter le moral de ce dernier. Oui parce qu'en fait, ça s'était très probablement produit après un ou plusieurs départs difficiles ... ceux d'Ennio et Aj, non ? Sans doute. Quoi qu'il en soit, en ce bel après midi, la jeune femme était bien décidée à se remettre aux fourneaux. Soyons clairs, elle n'avait pas les talents culinaires des plus grands chefs, mais elle estimait se débrouiller relativement bien. A croire que sa mère avait eu plus de facilité à lui apprendre à cuisiner que son père en avait eu à lui apprendre à jouer du piano, hm. En tout cas, Tweedy était bien décidée à faire en sorte de ne pas perdre la main. C'est donc dans l'optique de préparer quelque chose, n'importe quoi, qu'elle pénétra ce jour dans la cuisine. Sauf qu'elle ne tarda pas à manquer d'inspiration, mais surtout d'imagination. Face à ce large frigidaire, elle ne savait pas du tout par quoi commencer. Déjà, que pouvait-elle bien préparer ? Encore l'une de ses recettes végétaliennes, sans doute ? Vous savez, le genre de choses qui ne plaisaient généralement qu'à elle. A croire que les gens étaient trop attachés à la viande. Navrant. Oh attendez, Tweedy avait subitement une idée. Un truc de folie. Au point qu'elle aurait bien envie d'une jolie bande annonce histoire de prévenir tout le monde qu'elle était sur le point de réaliser un chef d’œuvre. Le nom de ce chef d’œuvre ? Bien sûr. Il s'agissait d'une ... d'une ... d'une quiche aux poireaux. Ne prenez pas cet air dégouté, voyons. Quand on ne connait pas, on ne juge pas, c'est tout. Pff. Quoi qu'il en soit, la jeune femme ne tarda pas à se mettre au travail tant qu'elle était pleinement motivée. Vous savez, elle aurait vite fait de trouver son idée débile d'ici quelques minutes, hm. La petite brune s'empressa alors d'émincer les poireaux, de les faire revenir dans une poêle, avant de les ajouter à un bouillon et de verser le tout sur une pâte brisée. Mais alors qu'elle enfourna le tout et commença à patienter, Tweedy vit surgir Loxias. Tiens donc, que faisait-il là ? Roh, aucune importance. Le principal est qu'il tombait bien. Fort bien, même. « Hey mais je vous connais, vous » fit-elle alors, souriante comme à son habitude, avant de s'avancer pour porter ses lèvres sur la joue du grand brun. « Tu sais que je suis fière de toi ? Non ? Bah maintenant, tu le sais. Et même que je t'ai préparé un petit quelque chose. De quoi te régaler et te donner des forces pour dimanche ... » Non mais écoutez-la, Maïté. « Cuisinée avec beaucoup d'amour, faite pour les grands gaillards méritants, j'ai nommé ... UNE QUICHE A L’ÉCUREUIL. » Hein, quoi ? A l'écureuil ? Aux poireaux plutôt, non ? Tweedy ... ? Okay, elle avait définitivement un grain. Un sérieux grain.

Un pied devant l’autre, et on évite de se vautrer, merci bien. J’sais pas quelle heure il est, probablement tard, voir très tard, sûrement que l’heure du déjeuné est passée, et tant mieux, c’est le but. Je sais juste que Sive n’est plus dans le lit, ce qui signifie qu’en effet, il est vraiment tard. La chambre est déserte, mais finalement, elle l’est aussi la nuit, les candidats, les anciens je devrais dire, se faisant de plus en plus rares à mesure que la semaine avance. Mais peu importe, Valentina est là, Sive est là, AJ est là, Tweedy est là, Laoise et Anabel sont là, même Dédé est là... Et bien évidemment, Nora est là... J’devrais pas y penser, mais je ne pense qu’à ça. Depuis sept ans, maintenant, à chaque réveil, ma première et unique pensée à toujours été pour une seule et même personne. Aujourd’hui, son visage s’est substitué à un autre, et c’est tellement douloureux que là, maintenant, tout de suite, si j’étais armé, je me logerais une balle dans la tête. Bon état d’esprit, n’est-ce pas ? Ouai... J’vais aller prendre une douche. J’imagine déjà la cascade d’eau dégringoler sur mon corps, laver mes pêchers et annuler ma dette. Je sais bien que ça ne se passe pas comme ça, pas aussi facilement, mais j’aime a y croire et puis... ça ne peut pas faire de mal. Sauf que, même ça, visiblement, je n’y ai pas le droit, ma trousse de toilettes accusant le vol de mon gel douche et de mon shampooing... J’sais pas trop qui s’est amusé à se tartiner le corps de mon odeur, mais je retrouve le flacon de gel douche vide, au milieu de la cabine... Ok... Donc ça ne signifie qu’une seule chose, je vais devoir partir en expédition “cellier” pour récupérer un flacon neuf -que j’avais commandé- et passer commande pour un nouveau shampooing, à moins que je ne pique celui de quelqu’un d’autre en attendant ? Après tout, il ne reste plus que quatre jours... C’est donc en mode pas coiffé, pas habillé, et passablement pas bien réveillé, que je me traine dans l’escalier, avant de traverser le salon, et gagner la cuisine. Avant de passer la porte, je marque une légère pause afin de me conditionner mentalement. Respirer par la bouche, ne pas renifler les effluves de nourriture, et foncer droit vers le cellier en apnée, avant de ressortir aussi vite que possible. Voilà ma mission du jour. Sauf que... A peine ai-je passé la porte de la susdite cuisine, que... « Hey mais je vous connais, vous » Ho merde, Tweedy ! Tweedy ET une odeur de bouffe ! Mon estomac grogne. « Ca doit être une erreur... » je réponds dans la foulée. « C’est la première fois que je descends dans cette auberge... » Je tente de lui occuper les oreilles pendant que j’opère un rapprochement stratégique de la porte du cellier... Opération foireuse, puisqu’en quelques secondes, elle est face à moi, et que bientôt ses lèvres se posent sur ma joue. Et mon ventre qui gargouille comme un connard... Elle m’annonce qu’elle est fière de moi, et tout ce à quoi je pense c’est que je crève la dalle. Elle m’annonce qu’elle m’a préparé un petit quelque chose pour me donner des forces, et moi, tu ce que je pense ce que le soleil est putain de haut dans le ciel... et puis... brusquement... C’est le drame ! J’entends le mot “cuisiné”, puis “quiche”, puis... Hein ? “écureuil” ? J’ai beau être en pleine séance de torture, j’explose de rire devant sa connerie au forfait illimité, et attrape ses joues pour lui déposer un baiser sur le front. « C’est super gentil de ta part, Twee-Twee, et je me serais fait un plaisir et un honneur de ne faire qu’une bouchée de ta quiche spéciale, bien que j’ai une légère préférence pour ta création à l’hérisson, mais... » Merci mon Dieu !! « ... C’est ramadan ! » Comme c’est ballot, hein ? « Je n’ai pas le droit de manger avant le coucher du soleil, donc pas avant 22h, ce soir... » Et je n’aurais plus le droit de manger après 4h du matin... Bref, un enfer. « Par contre, tu peux m’en garder un bout pour ce soir ? Et est-ce que tu sais faire des Badénjale Méchwi ? Ou non, du Zaalouk ! Je tuerais pour du Zaalouk ! Ma mère en faisait à chaque ramadan, mais Yonati... » Non, ne parlons pas d’elle, merci. « Et des Alhaméd Mrakéd, tu sais faire ? » J’tiens une cuisinière, visiblement, alors j’vais pas la laisser filer... Par contre, j’devrais peut être me munir d’un dictionnaire anglais/arabe. Ça peut être utile.

En fait, Tweedy était une très bonne cuisinière. Non sérieux, elle gérait comme pas possible dans le domaine. Parce qu'autant elle ne valait pas un clou en musique et avait un talent relatif mais surtout limité en danse, autant la petite brune parvenait bien souvent à régaler ses proches. Bah oui, c'était très courant que ses parents débarquent dans son petit appartement simplement pour goûter à sa cuisine inventive. Bien sûr. Bon, trêve de plaisanterie, il se pourrait bien que Tweedy ne soit pas aussi douée que ça en matière de cuisine. Du moins, l'on pouvait clairement dire qu'elle n'était guère meilleure qu'une autre. Bon, comme tout le monde, elle savait cuire des pâtes, faire une purée, préparer une soupe ou encore faire des gaufres ... Mais elle n'en était pas pour autant à l'étape "préparation d'un repas gastronomique pour Monsieur le Ministre et sa femme". Non, clairement pas. Mais, à la rigueur, ça n'avait pas tellement d'importance. Bah oui, comme on peut écrire un bouquin sans être doué en la matière, on peut bien cuisiner sans nécessairement être extrêmement talentueux, non ? Bah oui, logiquement. Donc Tweedy pouvait bien partir dans un délire et commencer à réaliser une quiche aux poireaux que ça n'alarmerait personne, hm. Ainsi donc, c'est ce qu'elle fit. Mais alors que la jeune femme était à fond dans sa recette - genre, en fait, elle avait presque fini - elle vit débarquer Loxias, l'air un peu perdu, comme s'il se demandait ce qu'il foutait ici. Et là, l'humour tout à fait merdique de Tweedy refit des siennes, si bien qu'elle l'honora d'une remarque absolument pourrie. C'était Tweedy, merci de ne pas l'oublier. En tout cas, le jeune homme ne manqua pas de lui répondre, en usant naturellement du même humour douteux. Bah oui, c'était un peu ce qui les rapprochait, quand on y pense. Ainsi donc, c'était une erreur, parce que Monsieur n'était pas un habitué des lieux ? La blague. Un petit rire s'échappa spontanément des lèvres de la jeune femme. Mais voilà que Loxias sembla vouloir déserter la cuisine. Ah ouais, elle puait la Tweedy ? Non parce que s'il ne voulait pas rester avec elle, il pouvait plus simplement le lui dire. Non mais de toute façon, elle ne le laissa pas s'échapper. Ouais, parfaitement, elle le garda captif. Et même qu'elle l'embrassa sur la joue. Trop cruelle, hein. Et puis vint ce délirant moment où elle lui fit savoir qu'elle venait de cuisiner quelque chose d'extraordinaire rien que pour ses beaux yeux, ou disons, pour son petit ventre. Mais alors qu'elle aurait pu lui dire tout net qu'il s'agissait d'une quiche aux poireaux - logique, puisqu'il s'agissait vraiment d'une quiche aux poireaux, hum - voilà qu'elle improvisa une petite variante, incluant un écureuil dans sa recette. Ouais bon, elle était un peu obsédée par les écureuils, hein. La faute à leur fils, sans doute. Mais voilà qu'après un baiser sur le front de la part de Loxias - papa ?! - l'univers de Tweedy s'écroula littéralement autour d'elle. Il ... il ... il ne pouvait donc pas mangé ... ? Non, pas possible. Ramadan ? C'est qui, lui ? Ah ... d'accord, elle venait de comprendre. Bah merde, ça tombait mal. Non attendez, ça tombait même très très mal, dans la mesure où elle n'avait présentement plus de raison de vivre. Bah oui, au moins. « Tu me brises le cœur » articula-t-elle alors, à peine dans l’exagération, et un peu comme s'il s'agissait du drame de sa vie. Alala ... Bon allez, elle pouvait bien respecter sa volonté et lui garder ça au chaud pour ce soir. Par contre, lui cuisiner les plats étranges dont il lui parlait, euh ... comment dire ... « Oui, je t'en garde. » Donc oui, pour ça. Mais pour le reste, c'était déjà plus compliqué, hein ... « Par contre, je dois être honnête ... Je ne suis même pas disposée à comprendre de quoi tu parles. Tu sais, je suis peut être l'une des meilleures cuisinières du monde, mais y'a bien quelques recettes que je ne suis pas capable de réaliser ... » Euh d'accord Tweedy ... « Y'aurait un équivalent plus ... connu, de ces recettes dont tu parles ? Parce que j'aimerais vraiment te donner ce que tu veux, mais ... enfin, tu comprends, tout ça ne m'est pas tellement familier ... » Voyez comment elle y mettait de la bonne volonté, mine de rien. Bah oui, quand même quoi.

C’est marrant comme, depuis que j’ai foutu les pieds ici, dans ce jeu, dans ce château, j’ai l’impression d’être le mec le plus drôle du monde. J’ai passé la moitié de ma vie à ravaler chacune de mes blagues, et l’autre moitié à enchainer des bides, Swann ne goûtant que très moyennement mon humour pourri -surtout lorsqu’il s’agissait de rire à ses dépends-. Alors, lorsqu’en arrivant ici, je tombe sur Tweedy -entre autres- et le son de son rire à chacune de mes tirades malhabiles, me ravi un peu plus chaque jour. Finalement, je ne sais pas si nous souffrons d’un humour de merde, ou si nous nous adonnons à de l’humour absurde, disciples talentueux des Monty Pythons, par exemple ? J’opte pour la deuxième solution, et me délecte de son rire. J’en profite puisque, d’ici moins d’une semaine, je ne pourrais plus partager ça avec personne, du moins pas au quotidien. Et puis, je tente d’amener la question du ramadan de manière douce, histoire qu’elle ne se sente pas coupable de me foutre la tentation juste sous le nez. Mais visiblement, c’est pas de cette manière qu’elle prend les choses, me renvoyant la culpabilité en pleine face, prétextant que je lui brise de coeur... Oh, pauvre de moi ! Une main sur mon propre coeur, ma tête retombe, mon menton cogne un instant le bas de gorge, puis je relève les yeux lorsqu’elle accède à ma requête et m’annonce qu’elle m’en gardera un bout. J’suis bon comédien, hein ? Non, j’sais bien que non. J’sais dissimuler les choses, pas les jouer. Par contre, pour le reste, m’informe-t-elle, elle va avoir du mal à me faire plaisir si elle ne comprend pas ce que je lui demande. Et comme un con, je réalise qu’en effet, j’ai parlé en arabe comme si elle était apte à la traduction instantanée. « Oh, désolé, c’est un réflexe, je... Parfois je mélange les langues, prenant celle qui vient le plus automatiquement... » j’ai vécu dans tellement de villes, tellement de pays, j’ai tellement de dialectes dans la tête que, parfois, souvent même, ça se mélange... « Alors, attends... J’essaye de trouver le nom en anglais, mais... » mais c’est compliqué, le champ lexical cuisinier n’étant clairement pas celui qu’on apprend ou retient en premier. Mes paupières se ferment, et mes doigts viennent pincer l’arête de mon nez. « badénjale méchwi, ce sont des légumes grillés, tu sais c’est long, violet, et la chair est blanchâtre. Et le Zaalouk, c’est avec le même légume, mais c’est écrasé et ça s’étale sur du pain, et... Attends... Ça porte le nom de ces oeufs de poissons qui coûtent super cher en Russie... CAVIAR !! » putain, je jubile, et j’ouvre de grands yeux ! « Caviar de... Merde... J’ai pas le nom du légume, mais tu vois de quoi je parle ? » Allez, elle voit, hein ? Il existe pas trente-six milliards de légumes longs, violets, à la chair blanche, n’est-ce pas ? « Et le alhaméd mrakéd, c’est des citrons... » ça je sais dire. « ... Mais confits. ». Elle sait faire ? Elle sait faire, hein ? Parce que maintenant que j’en ai parlé, ça va être un peu dur de me retirer ces idées de la tête.

Bon, les amis, Tweedy se verrait bientôt dans l'obligation d'entrer dans le four pour y mettre fin à ses jours, hein. Elle parviendrait à y rentrer sans la moindre difficulté, n'en doutez pas. Parce qu'il fallait bien avouer qu'elle était déçue. Oh oui, tellement déçue. Il faut dire qu'elle se réjouissait particulièrement de faire goûter son appétissante quiche à Loxias. Elle qui y avait passé tellement de temps, qui y avait mis tellement d'amour. Bon d'accord, peut être pas. Car ça n'était qu'une quiche aux poireaux, quelque chose d'extrêmement simple, qui ne resterait assurément pas dans les annales ... Mais tout de même, elle aurait vraiment espéré qu'il lui fasse le plaisir d'y goûter, surtout qu'elle venait de lui faire croire qu'elle l'avait cuisinée expressément pour lui. Mais non, impossible. La faute au ramadan, évidemment. Et franchement, Tweedy n'y pouvait pas grand chose. C'était légèrement plus fort qu'elle, disons. Et donc, elle était mal barrée pour lui faire goûter à sa quiche, c'était maintenant certain. Mais ne vous imaginez pas qu'elle ferait ici preuve de persévérance. Autant elle pouvait être tenace dans bon nombre de situations, autant Tweedy n'était pas folle au point d'inciter quelqu'un respectant le ramadan à se nourrir à une heure pareille. Quand même pas. Donc, que Loxias se rassure, il était tranquille de ce coté là. Par contre, la jeune femme ne s'attendait pas tellement à ce que le beau brun lui demande de lui cuisiner des plats à l'appellation tellement étrange qu'elle en vint rapidement à la conclusion qu'ils lui étaient parfaitement inconnus. Des Badénjale Méchwi ? Du Zaalouk ? Des Alhaméd Mrakéd, maintenant ? Euh, comment dire, elle était mal barrée. Parce qu'elle ne parlait pas cette langue, et donc qu'il lui serait grandement difficile d'accéder à la requête du jeune homme, hm. Alors peut être qu'une petite traduction l'aiderait ? Oui, c'était probable. Et justement, Loxias eut la bonté de la mettre un peu sur la voie. Trop aimable. La réponse de Loxias ne manqua en tout pas d'amuser la petite brune. Des légumes longs, violets, à la chair blanchâtre ? Hm, oui, ça lui disait bien quelque chose ... Donc oui, elle avait tendance à voir de quoi il parlait. « Des aubergines ? C'est de ces légumes dont tu parles ? » fit-elle alors, partiellement amusée. « Bon bon bon ... Je pense pouvoir faire ce que tu me demandes, maintenant que c'est plus clair ... Enfin, ça dépend. Est-ce que tu as la recette en tête ? Parce que l'improvisation, ça marche pas à chaque fois. » D'ici à ce qu'elle lui prépare une saleté empoisonnée, hein ...

Manger, manger, manger, manger... C’est marrant comme lorsqu’on vous interdit quelque chose, cette chose devient la plus obsédante de votre quotidien. Je n’ai pas le droit de manger, je me dois de respecter le jeûne censé me rapprocher de ceux qui souffrent, de ceux qui ne peuvent manger à leur faim, et ce pendant tout un mois. Ce qui est ironique vu que j’ai crevé la dalle une bonne partie de ma vie, et que je risque de souffrir à nouveau du manque de nourriture en sortant d’ici. Mais j’ai déjà commis tellement d’affronts à ma religion que, ne pas exécuter le Ramadan ne saurait que me desservir. Je ne suis pas là pour m’imposer comme un traitre à mon Dieu, je suis là pour montrer qu’on peut être musulman pratiquant et aimer une juive, une israélienne. Je veux montrer que les deux sont possible, sans pour autant passer pour un traitre ou un hypocrite. Je n’ai pas renoncer à ma religion, je n’ai pas renoncé à mon pays, je suis seulement tombé amoureux, et je ne pense pas qu’un acte d’amour puisse être condamnable. Ce qui n’empêche pas mon ventre de grogner comme un malade, et mon esprit de me balancer plein d’idées de recette toutes accompagnée d’images mentales qui me mettent au supplice. J’savais bien que j’aurais pas du prendre le risque de descendre à la cuisine. J’aurais du utiliser le gel douche de quelqu’un d’autre, puisque le pillage semble être une coutume locale... Mais non, à la place, j’ai souhaité me montrer honnête, et je me retrouve en mode Jean-Pierre Coffe, devant une Tweedy en sexy Maïté. Comme un con, je lui file les noms en arabe, et me trouve, par la suite, contraint de m’adonner à un jeu de mime pour lui faire comprendre de quoi je parle. Aubergine ! Oh mon Dieu ! Oui, c’est ça ! Je suis tellement content de pouvoir enfin remettre un nom sur ce légume étrange que j’en affiche un large sourire niais. « Aubergine... » je répète, rêveur. « Aubergine... » Oui, c’est bien Loxias, maintenant que tu sembles maîtriser ce mot, tente de passer à autre chose, histoire de ne pas inquiéter la communauté psy observant l’émission. Je relève les yeux vers une Tweedy qui me demande, innocemment, si je connais les recettes. C’est maintenant que j’éclate de rire, ou quoi ? Ha, c’était pas une blague ? « Twee-Twee, voyons... J’ai jamais touché une casserole de ma vie à part pour faire des pâtes, et encore, généralement elles sont spongieuse, alors la recette du caviar d’aubergines, t’imagines bien que j’en ai pas la moindre idée... » de mémoire ça ressemble à des aubergines mixées, mais j’imagine que ça ne s’arrête pas là, sinon ça s’appellerait “aubergines mixées” et basta... Dommage qu’Hamad ne soit pas là, il aurait su nous dire... « Et si on faisait des tests ? » je lui propose en ouvrant le frigo. J’ai pas le droit de manger, mais j’ai le droit de cuisiner. C’est paradoxal, oui, je sais.

Attendez voir, est-ce que c'était véritablement une bonne idée de discuter cuisine avec Loxias ? Comme il venait lui même de le faire savoir à Tweedy, il était dans l'incapacité totale d'avaler quoi que ce soit dans l'immédiat. Ainsi donc, l'on pouvait effectivement penser qu'il vaudrait mieux dévier sur un sujet en rapport avec le sport, ou n'importe quelle chose un tant soit peu éloignée de ce sujet-ci. Oh mais dites, pourquoi ne parleraient-ils pas des Jeux Olympiques ? Parait-il que ça avait lieu cet été. Honnêtement, Tweedy n'en était même pas sûre. Le sport et elle, ça avait globalement toujours fait trente-six. Donc bon, peut être s'abstiendrait-elle d'orienter la conversation de cette manière, finalement. Et puis, de toute manière, elle avait maintenant à faire à un Loxias désireux de remettre un nom sur un légume qu'il pouvait visiblement décrire très précisément mais dont l'appellation lui semblait quelques peu étrangère. Il comptait donc sur Tweedy pour l'aider. Ah oui ? Et bien, vu la description qu'il avait fait du fameux légume, elle ne tarda logiquement pas à en conclure qu'il pouvait s'agir d'une aubergine. C'est bien ça, non ? Hm, pour en être certaine, elle observa longuement Loxias, guettant la réaction de celui-ci. Bon, puisqu'il souriait exagérément, elle en vint naturellement à penser qu'il s'agissait bien de ce légume-ci. Bien. Les recettes dont il lui avait quelques peu parlé concernait donc une aubergine. Intéressant. En plus, Tweedy avait tendance à en apprécier le goût. En même temps, y avait-il un seul légume au monde qu'elle était susceptible de ne pas aimer ? Rappelons tout de même qu'elle ne mangeait pas de viande, hm. Bon et sinon, est-ce que Loxias était en mesure de parler plus précisément des recettes à Tweedy ? Non parce qu'elle aimerait bien lui cuisiner ce dont il avait envie - pour plus tard, évidemment - mais encore faudrait-il qu'elle soit certaine de ne pas se lancer dans quelque chose d'infaisable. Les recettes, donc, seraient effectivement les bienvenues. Sauf que ... non. Il disait n'en avoir pas la moindre idée. Zut de zut. « Le pire, c'est que je la connaissais cette recette, à une époque ... » Whaou, quelle information utile, non même essentielle. La vie de Tweedy était décidément d'un intérêt illimité, hm. « Du coup, je suis dans le même cas que toi. » Non mais d'accord, on avait compris hein. Le genre de conclusion on ne peut plus inutile ... Tweedy, quoi. Mais voilà que maintenant, Loxias proposait de faire des tests. What ? Des tests ? Attendez, il fallait le temps que l'information remonte jusqu'au cerveau de Tweedy, et ... ah, elle venait de comprendre. Normal donc que Loxias ait commencé à jeter un œil dans le frigo, hm. Tweedy s'approcha elle aussi du frigidaire, prenant un air extrêmement sérieux. On ne rigolait plus là. « Caviar d'aubergines, donc. Hum ... bon, je suis pas tellement sûre de moi, mais je pense qu'on devrait essayer avec ... des aubergines, pour commencer. C'est prendre un gros risque, je sais. Mais bon, foutus pour foutus ... » Oh la vache, qu'elle était drôle cette Tweedy. Tellement drôle. Ouais non, tellement pas drôle en fait.

Et voilà ! Ce qui devait arriver, arriva ! Parce qu’avec Tweedy, c’est toujours comme ça, je m’étonne même d’avoir tenu si longtemps en restant relativement sérieux, et l’un, et l’autre. Pas de dressage d’écureuil, pas de test de paternité, pas de flash-mob improvisé, pas de meurtre prémédité d’ordinateur indiscipliné... Quelque part, c’est un exploit d’être resté plusieurs minutes d’affilé sans partir en un vrillage instantané... J’pense même que les cadreurs se planquent, dès qu’ils nous voient arriver ensemble. D’ailleurs, y a plus aucune caméra en mouvement dans la cuisine, et je suis certain dans l’épaisseur du mur, résonne le silence des trouillards. Alors, forcément, après huit minutes à être sages comme des images... C’est le drame ! Tweedy trouve le mot “aubergine” et me demande de lui filer la recette que je n’ai, bien évidemment, pas. Elle m’annonce qu’avant, elle la connaissait... J’attends la chute. Y en a pas. Oh, bah on poursuit, alors. C’est là que je décide, le plus naturellement du monde, qu’on avait qu’à faire des tests. Et le nez dans le frigo, j’sais pas trop ce que je cherche, mais je le cherche. Tweedy fini par trouver mon idée géniale -ouai, au moins !- puisqu’elle me rejoint à la porte, et entreprend de m’aider à inspecter le contenu de la machine à froid. Et alors, elle émet l’idée incroyable et téméraire de commencer avec des aubergines. C’est prendre un gros risque, paraît-il, mais foutu pour foutu. J’hoche la tête avec sérieux, me mordant l’intérieur de la joue pour ne pas laisser échapper l’éclat de rire qui me menace, puis sort une aubergine du frigro. « Commençons avec une seule, des fois que ça ne fasse pas partie de la recette, faudrait pas gâcher... » Ouai, non, ce serait dommage quand même, une si belle aubergine. « Après, j’crois qu’il faut l’écraser menue, menue. » j’annonce en m’emparant du mixeur, avant de mettre l’aubergine dans un saladier, et de brancher la chose. « Tu crois qu’on prend la peine de l’éplucher avant de la mettre en pièce, ou bien c’est pas la peine ? » réfléchis un instant, avant de décrété que non, parce que : « Le caviar d’aubergine est très foncé, alors que la chair de l’aubergine est blanche. Si on épluche le truc, on va obtenir une pâte claire, alors que si on garde la peau... » Ouai, je sais, trop de cerveau, le Lolo. Du coup, j’arme la machine dont les pâles se mettent à tourner super vite, avant de l’abattre sur l’aubergine entière, et d’en répandre peau et chair un peu partout dans la pièce, du plafond jusqu’aux portes des placards, du sol jusqu’à mon débardeur pour dormir. « Ok. » j’annonce en éteignant la machine du diable. « C’est exactement le résultat escompté... Regarde, la pâte est foncée juste comme il faut ! » je reprends, une pointe de fierté dans la voix, en lui désignant le morceau collé au plafond. Finalement, ils avaient peut être raison de se planquer les cadreurs.