Ici était sa place. Pas nécessairement dans ce cimetière, pas nécessairement à l'emplacement où il se tenait présentement debout, mais sa place était bel et bien dans l'autre monde. Il le savait, il l'avait même toujours su. Il n'avait que faire d'entendre dire qu'il était chanceux de vivre, chanceux d'exister. Lui, il échangerait volontiers sa place avec celle d'un défunt, car il ne s'était jamais tellement senti à sa place en ce monde. Peut être était-ce parce que sa famille l'avait plongé dans un morbide univers dès son plus jeune âge, avec cette société de pompes funèbres qui avait toujours fait partie de son environnement. Peut être également que ce genre de pensées s'étaient faites plus insistantes à la mort de sa mère. Mais peut être était-il simplement né alors qu'il n'aurait pas du. Et tandis qu'il avançait à travers ce fascinant cimetière - où il se sentait mille fois mieux que dans tout lieu qu'une personne "normale" pourrait se plaire à fréquenter - il prenait de plus en plus conscience de combien tout ce système était injuste. De pauvre enfants étaient tués par des bombardements, alors que lui vivait une vie dont il ne voulait pas, dont il n'avait jamais voulu, sans pour autant avoir assez de cran pour l'écourter. C'était injuste, oui. Et il n'arrivait toujours pas à voir la vie comme un cadeau. A ses yeux, c'était un fléau. La mort, elle, l'attirait irrésistiblement. Elle avait toujours jouer les tentatrices à son égard. Et c'était le cas aujourd'hui encore, tandis qu'il laissait son regard se balader sur cette statue commémorative, sur lequel ne tarda pas à se dessiner une ombre intrigante. Non, la mort n'avait assurément pas d'ombre, alors ça n'était pas elle. Pourtant, il l'avait vraiment espéré, l'espace d'un court instant. Parce qu'il était taré, sans doute. Oui, voilà. Sans se retourner, il se risqua alors à prendre la parole. « Est-ce que c'est mal de pleurer des êtres que nous n'avons pas connu ? » demanda-t-il, d'une faible voix. Pourquoi demandait-il cela ? Oh et bien, probablement parce qu'il avait besoin de la permission d'un ou d'une inconnu(e) pour pleurer, maintenant. N'importe quoi, hein.

Je crois que le cimetière était un des lieux les plus anodins que l'on pouvait trouver dans une aventure telle que celle ci. Pour tout vous dire je ne croyais que très peu en tout ce qui touchait les fantomes, mais assez pour penser que s'aventurer seul dans un de ces lugubres endroits pouvait rapidement faire de vous un malade. Dans le sens morbide du terme, bien entendu. Et c'est ainsi que mes yeux s'étaient posés sur ce type, là, traversant les tombes tel un être spirituel, telle une âme guidée par la sainte lumière ou je ne sais trop qu'elle autre connerie. Toujours est-il qu'il semblait être familier avec les lieux. Chacun son trip, après tout. Et puis qu'est ce que je foutais là moi, à le regarder tel un imbécile. Assis sur l'une des fameuses tombes, un peu plus loin, je décidais donc après une longue, longue hésitation à m'approcher du jeune homme. En fait, j'étais simplement curieux. Et non, le fait que je traine dans ce cimetière ne faisait pas de moi quelqu'un de morbide, non, j'étais simplement en plein stage d'observation, que cela se remarque ou non. Mon ombre ne tardi pas à recouvrir le corps du jeune homme avant que celui ci ne prenne la parole, sans même oser tourner la tête « Est-ce que c'est mal de pleurer des êtres que nous n'avons pas connu ? » mon sourcil droit s'arqua presque instantanément. Si c'était mal, je n'en savais trop rien. Stupide, clairement. Puisque le mort n'allait clairement pas le pleurer en retour, ou du moins plutôt difficilement. « Je suppose, oui. » lâchais-je simplement. Pourquoi pleurait-il au juste ? Peut-être parce qu'il était détraqué, comme la plupart des candidats ici.

Une question merdique. Oui, tout à fait, c'était une question merdique. Le genre de questions qui avaient fâcheusement tendance à s'échapper des lèvres de Raphaël, disons. Et à cet instant précis, ça avait surtout été dans le but d'en savoir un peu plus sur l'individu qui se trouvait dans son dos. Parce que oui, il comptait se fier à la réponse de ce dernier pour juger préférable ou non de se retourner pour lui faire face. Disons qu'une réponse franchement agressive le dissuaderait définitivement de le faire, tandis qu'un commentaire plus délicat pourrait fort bien le convaincre de se retourner pour dévisager la personne qui avait pris la parole. Mais sachez tout de même que c'était une chose qu'il se demandait sérieusement. Avait-il le droit, oui ou non, de pleurer ceux qu'ils n'avaient pas connu, de verser la moindre larme sur le nom d'un enfant qui n'était pas à lui, qui n'appartenait aucunement à sa famille et qu'il n'avait naturellement pas connu de son vivant ? Alors, qu'en pensait donc ce mystérieux individu qui, pour le moment, restait muet. Et bien, visiblement, il n'était pas totalement contre cette idée. Disons qu'il ne devait pas être certain de savoir quoi dire, hm. Parce qu'au fond, il ne devait pas en avoir grand chose à foutre, des interrogations très philosophiques que l'esprit de Raphaël avait le malheur de formuler. En tout cas, une telle réponse incita le jeune homme à se retourner doucement. Quelle apparence pouvait bien avoir celui qui venait de lui adresser ces quelques paroles ? Il ne tarda pas à le savoir. Et bien, il s'agissait d'un jeune homme brun et tatoué. Même très tatoué. Et encore, il ne pouvait pas voir en dessous de ses vêtements, bien qu'il supposait que bon nombre d'autres tatouages devaient parsemer son corps. Oula, mais pourquoi pensait-il de cette manière tout d'un coup ? N'importe quoi, décidément. « Tu pleures souvent, toi ? » qu'il demanda bêtement, tout en baissant quelques peu le regard. « Moi ça m'arrive régulièrement. Mais mes sœurs me répètent que ce n'est pas normal pour un homme de mon âge de pleurer autant. Je veux bien les croire mais ... » Il s'arrêta net et soupira bruyamment. « Je t'embêtes, excuse-moi. » Allez, il pouvait bien le lui dire. Il avait l'habitude, promis.

Oui, clairement, trainer dans les cimetières n'était pas vraiment un de mes passes temps favori. D'autant plus lorsque l'on savait que pas mal de mes proches y avaient été envoyé, dont récemment mon père avec qui je n'entretenais que certes une maigre relation, mais qui restait malgré tout mon géniteur, et que toute pensée à ce sujet m'était parfois douloureuse. C'est ainsi que je décidais de l'évacuer une nouvelle fois de ma mémoire, plutôt que de ressasser le passé. Le jeune homme devant moi termine par se retourner, ses yeux bleus me transperçant d'un simple regard. Il semble détailler un instant mon enveloppe charnelle, laissant parcourir ses pupilles sur mes tatouages encore apparents, comme beaucoup le faisaient, avant de revenir à mon regard. « Tu pleures souvent, toi ? » il ne me laissa cependant pas le temps de répondre et décida d'engager directement la suite « Moi ça m'arrive régulièrement. Mais mes sœurs me répètent que ce n'est pas normal pour un homme de mon âge de pleurer autant. Je veux bien les croire mais ... » et puis il s'arrête, net. « Je t'embêtes, excuse-moi. » je soupire un instant, tourne sur moi même, et commence à faire un pas dans le sens inverse. Je n'ai pas réellement envie de l'entendre larmoyer sur sa vie... Et pourtant, je sens que quelque chose me retient. Alors, finalement, après une hésitation, décide de faire demi tour pour me replanter face au candidat, bien plus près que la première fois « Disons que j'ai arrêté de croire que les pleurs pourraient arranger les choses. » lâchais-je en un murmure avant d'ajouter « Et si tu veux simplement que cela s'arrête, tu dois faire quelque chose de complètement fou, quelque chose dont tu as réellement envie. » je plante alors mon regard dans le sien « Vas-y, libère toi, maintenant. »

A l'instant où Raphaël s'était retourné pour faire face à celui qui venait de prendre la parole, il est vrai qu'il fut pour le moins intrigué par l'apparence de son interlocuteur. Il n'avait pour ainsi dire pas tellement l'habitude de fréquenter des personnes tatouées, et cela avait tendance à l'intéresser d'une bien étrange manière. Au fond, et même s'il avait un style assez vieillot, Raphaël ne trouvait pas cela nécessairement déplaisant. Il est vrai qu'il ne pourrait jamais se faire tatouer quoi que ce soit, même le plus petit papillon, mais il ne blâmait pas pour autant les autres de se laisser aller à une certaine excentricité. Pour autant, son imagination avait quelques peu tendance à s'emballer et il devait sérieusement prendre sur lui pour ne pas rougir à l'idée d'imaginer le corps de son camarade recouvert de multiples tatouages. Le mieux serait, sans nul doute, de tâcher de penser à autre chose. C'est alors qu'il demanda à son camarade si celui-ci avait pour habitude de pleurer. Sauf qu'il n'attendit pas réellement de réponse de sa part puisqu'il enchaina, parlant de ses tendances à lui de pleurer régulièrement. Autant dire qu'il se trouva bien bête de se confier d'une telle manière, alors que c'était pour le moins inapproprié. Ainsi donc, il ne trouva sur le coup rien de mieux à faire que de s'excuser, prenant pour autant rapidement confiance que ça non plus, ça n'était pas franchement bienvenu. Décidément, il était d'une maladresse détestable. Pour tout vous dire, cela lui pesait sérieusement. D'autant plus qu'il entendit son camarade soupirer et que celui-ci s'apprêta à faire demi-tour pour s'éloigner. Cela n'aurait rien de franchement étonnant, dans la mesure où Raphaël faisait généralement fuir ses semblables. Pourtant, le jeune homme resta à ses cotés, et même, il sembla quelques peu se rapprocher. Suffisamment, en tout cas, pour embarrasser quelques peu Raphaël. Comme toujours, hm. Il articula alors quelques paroles que Raphaël écouta attentivement. Il hocha doucement la tête, parce qu'il pouvait comprendre son point de vue. Mais voilà que son camarade reprit la parole, l'incitant à faire quelque chose de fou, à se libérer. Autant dire que la respiration de Raphaël ne manqua pas de s'accélérer. Parce que, clairement, ce genre de paroles le gênaient. Et dire que Zofia lui ferait bien pire coup encore, quelques jours plus tard. « Je doute que ce soit aussi simple, tu sais. » Oh oui, pratique pour gagner du temps hein. « Et puis je ... je ne suis pas capable de faire quoi que soit pour me libérer. Je crois que ça n'est simplement pas mon genre. » Il baissa alors doucement le regard. Parce que, mine de rien, son camarade l'intimidait. Et c'était encore bien pire qu'un simple embarras.

J'avais finalement fait demi tour. Je ne savais pas réellement pourquoi, puisque le jeune homme me semblait définitivement perdu dans ses pensées, dans son monde. Je ne le comprenais simplement pas. Pleurer pour quelqu'un de décédé, ce n'était pas quelque chose d'habituel, certes, je n'étais pas non plus le genre d'homme que l'on croise au moindre carrefour, mais de là à m'arrêter, et pleurer sur une tombe dont le nom à moitié effacé m'est totalement inconnu, voire totalement indifférent... Il était juste coincé, coincé dans un monde qu'il ne comprenait pas, qu'il ne maitrisait pas encore. Ce n'était presque qu'encore un gosse, et c'en était quelque peu désolant. Ses soeurs, je n'en avais absolument rien à faire. Pour ce qui était de sa personne, c'était encore différent. Il était différent, par de nombreux signes, cependant il ne semblait pas vouloir se réveiller, ni même réellement oser affronter mon regard. Il ne me semblait simplement pas décidé à évoluer, à passer au stade supérieur. « Je doute que ce soit aussi simple, tu sais. » et pourtant ça l'était. Ça l'avait du moins été pour moi. Mais ma vie importait peu dans l'instant présent, et je ne comptais clairement pas vous détailler l'histoire de mon passé dans l'immédiat. « Et puis je ... je ne suis pas capable de faire quoi que soit pour me libérer. Je crois que ça n'est simplement pas mon genre. » il baissa une nouvelle fois le regard, geste que je suivis cependant des yeux, sans quitter son visage un seul instant. Voilà, un premier signe d'abandon parmi tant d'autres. Ça me donnait juste envie de mourir. Et pourquoi étais-je encore là à l'épauler ? Il n'était rien, ou du moins pas grand chose. Et pourtant. Ainsi je plaçais mon index sous son menton, lui relevant de ce fait le visage, plantant mes yeux dans les siens avant d'avancer mon visage prêt du sien. Là, mes lèvres se joignirent aux siennes, délivrant un doux baiser, cependant rythmé par le ballet que nos langues s'amusaient à danser. Dix secondes. Et puis je me retirais enfin, replantant mon regard dans le sien. « Voilà, voilà un acte de rebellion. » lâchais-je simplement en faisant un pas en arrière « Tant que tu auras honte de ce que tu es, que tu prendras tes points faibles comme de réelles faiblesses et que tu n'oseras pas, que tu n'oseras rien, alors tu resteras piégé. » je passe alors mon pouce sur ses lèvres, en retraçant ses courbes, comme pour en chasser ce précédent baiser, avant de finalement ranger ma main dans ma poche. « Et clairement, tu ne sembles pas vouloir te libérer. »

Se libérer. Voilà une chose dont il aurait effectivement besoin. Parce que Raphaël agissait sans cesse comme s'il était prisonnier d'une cage qu'il ne pourrait pas ouvrir, d'une bulle qu'il ne pourrait pas éclater, comme s'il ne s'autorisait même pas à agir différemment ne serait-ce qu'une fois, pour voir ce que cela ferait, pour voir ce que cela pourrait éventuellement changer. Son camarade devait assurément le trouver désespérant. Déjà, il avait songé à s'en aller et à le laisser seul, sans douter parce qu'il devait trouver Raphaël soporifique au possible, plus ennuyeux que n'importe quel individu qu'il aurait pu croiser un jour. Et croyez bien que ce dernier le comprenait. Lui même ne se supportait pas. Lui même avait simplement envie de se fuir. Alors naturellement, il pouvait comprendre qu'on ne veuille pas rester à ses cotés, qu'on ne veuille pas supporter son pessimisme, sa tristesse, tout ce qu'il laissait transparaitre à travers un regard désespéré et quelques soupires équivoques. Pourtant, son camarade était resté près de lui. C'était bien le cas de le dire, puisqu'il s'était légèrement rapproché. Cette proximité gêna quelques peu Raphaël, mais pas autant que lorsqu'il dut avouer à son camarade qu'il se savait de toute manière incapable d'agir plus librement. Il crut alors qu'il allait partir pour de bon, décréter qu'il était décidément plus barbant que n'importe quelle émission culturelle du dimanche soir, mais ce ne fut pas le cas. Car bientôt, Raphaël sentit l'index de son camarade au niveau de son menton, l'incitant alors à relever doucement la tête, lui qui s'était senti si gêné quelques instants plus tôt. Leurs regards se rencontrèrent un court instant, suffisamment pour que la respiration de Raphaël s'accélère. Mais là, l'impensable se produisit. Son camarade approcha son visage. Et puis il l'embrassa. Oui, leurs lèvres furent liées par un baiser d'une douceur surprenante. Sous le coup du choc, Raphaël ferma les yeux et se surprit à laisser sa langue danser une courte valse avec celle de son camarade. Il était pétrifié. Il vivait le moment présent comme il ne l'avait assurément jamais fait, mais tout cela le gênait beaucoup. Alors, quand son camarade se recula finalement et qu'il s'adressa à lui, et sentit ses joues le brûler. Il était si embarrassé qu'il rougissait au point d'en avoir mal. Son camarade passa alors son pouce au niveau de ses lèvres, et une larme trouva subitement malin de couler sur sa joue. Une larme qu'il chassa pourtant bien vite. Ces choses, il les avait entendu à de nombreuses reprises. Mais combinées à ce baiser, à ce geste si inattendu, elles avaient tendance à le bouleverser. Il se sentait si étrange, si différent. Mais il avait surtout honte. Honte, probablement, d'avoir apprécié ce baiser. « J'ai peur. Peur de tout. Peur d'agir. Peur d'échouer. Peur des autres. Oui, surtout peur des autres. Pourtant j'en viens à penser que j'ai besoin d'aide, de soutien. J'ai jusqu'ici repoussé ceux qui m'en proposaient. Aujourd'hui, je le regrette. Parce qu'à ce jour, je n'ai plus la force, plus le courage d'en réclamer. Seul, je suis trop faible. Je n'arrive à rien, même pas à me motiver. Je dois être un cas désespéré, simplement né pour subir, pour accepter mon sort. Je ne dois pas être fait pour la rébellion. » Raphaël ne pouvait maintenant s'empêcher de repenser à ce baiser. Il l'avait apprécié, mais il lui laissait un goût étrange. Comme si c'était un péché, comme s'il venait de participer à une chose horrible, critiquable. « Ce baiser ... c'était aussi ta façon de me faire comprendre que je te fais pitié ? » demanda-t-il alors, dans un soupire. Son regard fixa le sien avant de se poser sur la première tombe qu'il aperçut. S'embrasser dans un cimetière ne serait-il pas vu comme quelque chose de déplacé ? Il comptait en tout cas sur sa mère pour le critiquer, de là où elle était.

c'est long, désolée