(27/09, 19h23)
WHAT THE WATER GAVE ME, W/ TRIS.

J'ai beau ne pas avoir quitté ma provence natale, j'ai pourtant cette irréprésible envie de voir la mer: j'ai été élevé et ai toujours vécu dans un port, et couper les ponts si promptement avec cette odeur d'iode qui me collait à la peau vingt-quatre heures sur vingt-quatre me paraît presque insupportable. Je m'en remettrais, cela dit. Le soleil ne va pas tarder à se coucher, le ciel tire sur des tons d'orange et rosé, et je décide d'aller prendre l'air. A défaut de la mer, le ruisseau peut aussi s'avérer fort réconfortant. J'enfile mes pompes, fous mes clopes et mes poings dans mes poches, enclenchant donc le pas vers ce côté du village que je n'avais encore jamais visité. Une micro-brise souffle, rend la température parfaite sous ce zénith de fin de journée. Sur le chemin, je croise plusieurs de mes camarades, leur fais à chacun de grands sourires sincères. Certains me les renvoient, d'autres se contentent de me regarder comme si j'étais une bête de foire: à croire que la politesse ne fait pas parti de l'éducation de quelques uns. Mais je ne relève cependant pas, préfère tracer ma route. Le ruisseau est plus petit que ce que je pensais, l'endroit plus intimiste. Retroussant mon chino rouge et les manches de ma marinière, sur le point de retirer mes chaussures pour passer de l'autre côté; bien plus drôle que de prendre le pont; mes yeux restent alors accrochés sur une minuscule boule de poil me jaugeant avec insistance et méfiance. Un petit chat totalement noir, yeux verts perçants, à peine plus gros que ma main: la seconde d'après, il ne reste déjà plus rien de ma masculinité. J'attrape l'animal, le pose sur mon avant-bras, lui gratte le dessus du crâne en souriant niaisement: présentement, j'ai 8 ans, pas plus. Et je suis assez emerveillé par la chose pour ne pas remarquer la présence d'une nouvelle personne à mes abords. Je lève la tête une fois, deux fois, finis par comprendre qu'il s'agit là de la jolie Tris; j'ai bonne mémoire, merci aux bouillabaisses hebdomadaires; à qui je souris aussi. "Tu crois qu'ça porte vraiment malheur c'te petite chose là?" Bang, touché: j'ai le gros défaut d'être superstitieux au possible; pourtant, le chaton n'a pas grand chose de dangereux...

Le grand air, ça n’a jamais vraiment été ma tasse de thé, et pourtant, après quelques jours dans la nature, loin de tout, j’ai presque tendance à y prendre le goût. Mais avec modération, dirons-nous. Il m’en faudra bien plus pour complètement décrocher, cependant. J’ai encore ce tic sur moi de chercher mon téléphone, et je me réveille encore à l’aurore, comme s’il ne s’agissait que d’un jour comme les autres, ou dès 5h30, j’ai ma petite routine qu’il ne faut pour rien au monde changer. Métro, boulot, dodo. Oui, ma vie est rythmée par le travail, et je n’y trouve là rien de médisant. Je ne suis pas habituée à autant de liberté, et à vrai dire, c’est bien là la seule chose qui me pèse autant. Je tourne en rond, comme un lion en cage, incapable de rester assise tranquille dans un coin plus de quinze minutes. Ajoutez un livre à l’équation et vous parvenez peut-être à une trentaine de minutes. Pour le violon, par contre, je pourrais y passer des heures. Mais ne le fais point. Il ne faudra quand même pas abuser. Ainsi donc, pour faire plaisir aux fourmis dans mes jambes qui m’intiment de bouger, je décide d’aller faire une petite balade. Le soleil est sur le point de tirer sa révérence pour la nuit, et le ciel s’est coloré de magnifiques teintes orangées. Je dois dire que tout ça est bien magnifique. D’où je viens, dans mon autre vie, c’est le genre de petit détail insignifiant que je ne remarque jamais, par manque de temps. Ici, ils fleurissent à ma vue, me faisait un peu plus appréciée l’environnement qui m’entoure. Un pont se dessine droit devant moi, mais mon regard bifurque plutôt à ma droite, où je remarque un candidat, et surtout son air béat au visage. Curieuse, je me détourne de la route pour m’aventurer jusqu’à lui. Il me remarque, lève la tête à deux reprises. Me sourit. « Tu crois qu'ça porte vraiment malheur c'te petite chose là? » Jusqu’à ce qu’il la mentionne, je n’avais rien vue du tout, mais maintenant que c’est fait, un air attendrissant illumine à mon tour mon visage. « Oh, qu’est-ce qu’il est mignon. » fis-je en tentant les doigts pour lui gratouiller le dessus de la tête. Les chats : mon grand point faible. Je deviens complètement gaga devant eux, surtout les chatons comme celui-ci. « Il est inoffensif, je suis certaine. Avec une bouille pareille, c'est carrément impossible... » Si les chats noirs se devaient d’être sources d’emmerdes, j’étais bien fichu : j’en avais deux à la maison.

Il est vrai, je le confesse, que ma niaiserie atteint des sommets en présence d'un animal, surtout aussi minuscule et innocent soit-il; j'assume, je suis une vraie meuf sur ce point-là, l'illustration même du Ken que je laisse paraître. Heureux possesseur de trois labradors, quatre lapins et une bonne douzaine de poissons attendant que j'oublie leurs flocons pour mourir, je ne peux que m'extasier devant un chaton, surtout dans ce village où les seules âmes qui vivent sont mes camarades. Je lui gratte le crâne, lui touche le museau pour le faire éternuer, un air béât imprimé sur le visage. Je retire ma main, laisse la demoiselle imiter mon geste, tout sourire aussi. Elle me certifie que l'on a rien à craindre du chaton et ce malgré le fait qu'il soit noir; le grand superstitieux que je suis hoche la tête, souris du coin des lèvres. Je lève les yeux, sonde ma camarade puis remets enfin un nom sur ce jolie visage. "Tris si ma mémoire est bonne, c'est bien ça?" Je me baisse, m'assieds sur l'herbe, les pieds dans l'eau et le chaton sur les genoux, l'animal ne semblant pas vouloir me décoller le moins du monde. Nota bene: demander à la production si j'ai droit à l'adoption d'un félin au sein du Nid, à caler entre Fantine et moi dans le lit conjugal. Je lève les yeux vers ma camarade, esquisse un sourire. "T'as l'droit d't'asseoir aussi tu sais. A part si t'as pas envie, j'comprendrais." Je fourre ma main dans ma poche, me saisis de mon paquet de Marlboro, hésite, puis le laisse à sa place. Résolution du jour : épargner les poumons de mes congénères. Douce initiative.