Vous savez, il n'était pas certain du tout que Raphaël se remette de cette première soirée. Parce que là où beaucoup avaient du y voir une occasion rêvée de se donner en spectacle et conquérir dors et déjà le cœur du public, ou encore de faire connaissance avec un maximum de candidats, sachez que Raphaël avait vécu tout cela bien difficilement. Au fond, il n'avait pas eu à souffrir beaucoup, puisque jusqu'à preuve du contraire, personne ne s'était avancé vers lui pour lui cracher au visage ou ne lui avait fait le moindre croche-patte. Il avait même eu à faire à une jeune femme plutôt charmante, qui s'avérait être sa partenaire. Sans doute devait-il d'ailleurs s'estimer chanceux de ne pas être tomber sur quelqu'un de désagréable ou de simplement cruel. Pourtant, malgré tout cela, il avait trouvé le moyen de vivre cette soirée dans une intense souffrance. Probablement parce qu'il avait beaucoup de mal avec les gens, avec le fait de devoir vivre avec eux. Il était seul en permanence, et c'était ainsi depuis de nombreuses années. Et personne ne cherchait généralement à s'imposer à lui, ce qui tombait plutôt bien, dans la mesure où il pouvait paniquer au milieu d'une foule, et sans raison apparente. Le fait est qu'il ne se sentait jamais à l'aise au milieu de ses semblables. Il avait toujours ce coté associable pas tellement pratique au quotidien, et il avait fini par s'y faire. Sans doute était-il de toute manière un cas désespéré. C'est ce qu'il pensait quelques fois. Mais il lui arrivait pourtant à certaines occasions de penser le contraire. Oui, Raphaël était l'ambivalence incarnée. Et il le vivait mal, en fait. En tout cas, il n'était pas franchement certain de pouvoir tenir bien longtemps en ces lieux. Au fond, ça n'était pas la faute de ses camarades, puisque beaucoup gagnaient probablement à être connus. Le problème venait simplement de lui. Et c'est justement ce qu'il se mit à penser au moment où il gagna la chambre qu'on leur avait attribué, à sa camarade et lui. Soudain, il lui vint à l'esprit un fait plutôt troublant : il allait devoir partager le lit d'une demoiselle. Lui. Quelle blague. Si ses sœurs le voyaient, elles ne manqueraient pas d'en rire, c'était certain. Et ses voisins aussi, hm. Autant vous dire qu'il était on ne peut plus gêner. Mais ça, Candace avait du le remarquer à au moins trois ou quatre reprises ce soir. La pauvre, elle n'avait pas idée du boulet qu'elle était sur le point de trainer. « J'ai beaucoup de peine pour toi » lâcha-t-il spontanément, tout en s'approchant du lit qui serait le leur, tandis que Candace se tenait elle même tout près. « Je suis probablement, même assurément, l'être le plus ennuyeux au monde. » Et il en savait quelque chose, dans la mesure où il vivait avec lui même depuis vingt-trois tristes années. Et sinon, ouais, il n'était jamais tendre avec lui-même. Bah écoutez, il ne fallait pas l'y habituer, hein.

Je ne sais pas ce qui a motivé Cupidon dans ses choix de binôme, je ne sais pas non plus à quoi il s'attendait de ma rencontre avec Raphael. J'en sais rien, mais j'ai beaucoup de mal à imaginer que le résultat soit celui-ci. Si n'importe qui aurait pu profiter des faiblesses du candidat pour l'enfoncer, le tester et le laisser se démerder seul, comme un grand en le laissant patauger dans sa misère, je suis resté à ces côtés. Il attendait de la compassion, j'ai entendu son appel à l'aide silencieux, et je me suis exécutée. On est resté à l'écart sans que personne ne s'approche. Ils étaient trop occupé à assez t'attirer l'attention sur eux. Ce n'est pas une critique, c'est de cette manière que fonctionne l'être humain en quête éternelle de reconnaissance. C'est physique. Sa vie doit être un enfer constant, ne pas pouvoir traverser une foule sans être terrassé par la peur, un enfer je vous dis. Enfin, j'imagine, j'essaye du moins. Peu après la fin du prime, nous avions rejoins l'école, porté par Raphael qui voulait sans doute s'éloigner au maximum de la foule. Sur la route, j'avais fumé la cigarette que j'avais chipé avant de partir, une vraie délivrance. Le silence avait été de mise, un silence apaisant, pas un de ses silences gênant, de toute façon le jeune homme semblait perdu dans ses pensées, moi. Je me contentais d'apprécier l'effet de la nicotine, totalement imperturbable. Il brisa le silence un peu après que nous soyons arrivé jusqu'à la chambre de fortune dans laquelle nous allions passer la nuit. Une nuit qui s'annonçait sans sommeil pour moi, c'était certain. De la peine pour moi ? C'est gentil, mais ça devrait aller je pense. « Te fatigue pas, ça n'a pas d'importance. » Je rétorque sur un ton monocorde, aucun sourire ne voile mon visage, j'aurais peut être dû. Je n'ai pas envie de sourire. Ce n'est pas naturel de sourire. Je l'observe un instant, plisse les yeux. « Tu veux quel côté ? » Du lit, ça va de soit. Le préciser serait une perte de temps.

Au fond, Raphaël prenait conscience de la chance qu'il avait d'être en binôme avec quelqu'un comme Candace. Parce qu'il aurait pu tomber sur une forte personnalité, quelqu'un qui n'aurait pas hésité à l'écraser de tout son poids et à lui une misère effroyable. Ou bien il aurait pu tomber sur un être d'une grande cruauté, quelqu'un de sarcastique au possible qui l'aurait laissé se faire de tristes illusions pour mieux l'abattre par la suite. Vraiment, il avait l'impression d'avoir hérité du meilleur scénario possible. Il ne connaissait pas encore cette jeune femme, et ne pouvait donc pas prétendre savoir qu'elle était quelqu'un de bien, mais il avait tout de même eu l'impression d'avoir à faire à une demoiselle aimable et avenante, en tout cas disposée à lui faciliter un peu la tâche en évitant de se servir de ses faiblesses pour les utiliser contre lui. Et rien que le fait qu'elle soit restée à ses cotés lors du prime et qu'elle n'ait ni cherché à l'intimider, ni cherché à l'humilier, cela avait tendance à le rassurer quelques peu. Et dieu sait qu'il en avait bien besoin, lui qui se demandait encore ce qui avait bien pu lui passer par la tête à l'instant où il s'était lancé dans cette phase de castings. Il avait présentement l'impression de s'être perdu, et la sensation d'être si loin de chez lui, du seule endroit sur terre où il se sentait à peu près en sécurité avait tendance à l'apeurer. Alors oui, définitivement, il avait bien besoin de quelqu'un comme Candace, de quelqu'un pouvant probablement faciliter, non pas son intégration - il ne pensait pas pouvoir s'intégrer un jour - mais son début d'aventure au sens le plus large. Par contre, il ne pouvait s'empêcher de se sentir mal pour elle, du coup. Parce que si lui avait hérité d'une partenaire rêvée, elle avait beaucoup moins de chance de ce coté là, c'était certain. Voyez un peu quel engourdi elle allait devoir supporter. Ce serait difficile pour elle, et Raphaël s'en sentait coupable. Pour autant, Candace ne semblait pas trouver cela franchement critique. Il n'insista naturellement pas, se disant qu'il avait du suffisamment l'agacer pour ce soir. Alors il envisagea de se taire pour de bon. Mais elle lui demanda de quel coté du lit il souhaitait dormir. Le genre de questions toutes bêtes mais qui avaient toujours le don de l'angoisser. « D'un coté comme de l'autre, je dors relativement mal. Alors j'ai tendance à penser que ça importe peu » avoua-t-il, décidément emporté par une vague d'optimisme, hm. « De toute manière, tu es une dame, je pense qu'il est plus juste que tu choisisses. » De la galanterie ? Sans doute. Il avait été bien élevé, c'est vrai. Sa bonne éducation était d'ailleurs l'une des seules choses qu'il avait jamais eu.